L’Œuvre du Comité

La bibliothèque libre.

L’ŒUVRE DU COMITÉ


L’heure est venue pour la France d’avoir une politique asiatique certaine, consciente d’elle-même. La crise chinoise, qui ne fait que s’ouvrir, ne manquera pas de modifier profondément, en bien ou en mal, la situation des peuples ayant des intérêts en Asie. Elle peut aboutir à un partage plus ou moins net de la Chine en sphères d’influence, et dans ce cas il importe à la puissance maîtresse de l’Indo-Chine de savoir clairement et d’avance ce dont elle doit s’assurer pour garantir les approches de sa colonie. Elle peut au contraire laisser le grand corps chinois intact, mais travaillé par un mouvement de transformation que les influences étrangères essaieront d’orienter à leur profit. Cette évolution redoutable fera peut-être de la Chine un admirable marché pacifique, mais il n’est pas non plus impossible qu’elle fasse de la masse chinoise transformée l’instrument irrésistible de la ruine de notre empire indo-chinois. On voit combien il importe que nous discernions, que nous utilisions, dans la mesure du possible, les forces intérieures et étrangères capables d’influer sur l’évolution de la Chine de manière à la rendre sans danger et même profitable à nos intérêts.

Dans l’Indo-Chine même nous avons à rendre inébranlable notre domination en assurant la prospérité économique du pays, et surtout la collaboration consentie, bienveillante, des indigènes avec leurs maîtres politiques français. En un mot, dans le vaste problème asiatique, nous avons plus spécialement à résoudre la question de faire de notre Indo-Chine un organisme animé d’une vie propre, pouvant au besoin survivre par lui-même, sans avoir à recourir à la métropole d’une manière épuisante pour cette dernière, et sans doute inefficace au moment décisif. L’Indo-Chine française ne saurait durer si elle ne devient une force vi- vivante, autonome, capable de faire équilibre aux autres forces qui vont naître et grandir peu à peu dans la transformation de l’Extrême-Orient.

Ce double travail de diplomatie éclairée en Chine et d’organisation raisonnée en Indo-Chine suppose un sentiment de l’avenir, une continuité de desseins, une doctrine particulièrement difficiles, sans doute, à assurer dans une démocratie. Pour que les vues d’ensemble nécessaires ne soient jamais oubliées à travers les mille questions de détail que les événements ne peuvent manquer de faire surgir, il faut que l’opinion soit éclairée, faite pour ainsi dire en ce qui concerne l’Extrême-Orient. Tel est l’objet principal que s’est donné le Comité de l’Asie Française.

Il ne saurait d’ailleurs borner son action à la partie du continent qui fait en ce moment le plus parler d’elle. Il doit aussi défendre nos intérêts dans le Levant, que nous attachent tant de traditions et où nous occupons encore une grande situation matérielle et morale ; étudier l’évolution économique de la Perse qui peut ouvrir des possibilités à notre commerce et à notre industrie. Il doit suivre attentivement les forces qui sont en rivalité dans le reste de l’Asie : la poussée russe dans le Nord, la politique d’équilibre anglaise dans le Sud. Les relations qui existent à notre époque entre toutes les questions ne lui permettent pas, enfin, de se désintéresser des questions d’Océanie, où les efforts heureux de nos colons calédoniens nous donnent à la fois des espérances et une responsabilité, ni du développement politique et économique de la jeune Fédération Australienne. Par ces temps de politique « mondiale », la situation d’aucune région n’est sans influence sur celle des autres. Et cela même est une raison pour que le Comité de l’Asie, tout en défendant nos intérêts asiatiques, ne laisse pas le public s’en faire une idée excessive, les considérer en dehors de l’ensemble de nos affaires dans le monde. Si son rôle doit être le plus souvent d’entraîner l’opinion, il peut consister parfois aussi à la modérer.

Le Comité de l’Asie ne saurait évidemment prétendre fixer d’autorité la doctrine de notre politique asiatique. Il veut seulement devenir le centre qui réunira les nombreux renseignements économiques, diplomatiques, ethniques, sociaux et religieux, qu’exige une action raisonnée et suivie en présence du problème asiatique, tel que nous venons de l’esquisser dans ses grandes lignes.

Et il importe que ces données nécessaires arrivent au public français de source française ; que nous échappions, partout où nous avons de grands intérêts, à cette information, à cette pensée britanniques qui enveloppent le monde et qui, avec un ensemble, une constance et une discipline admirables, présentent les choses de manière à égarer, à énerver les volontés qui servent des politiques nationales autres que celle de l’Angleterre. Il importe aussi que dans la lutte pour l’ouverture et le développement des marchés nouveaux, nos industriels et nos commerçants soient renseignés par d’autres que leurs rivaux, et soutenus par une opinion à la fois éclairée, bienveillante et active. Le Comité de l’Asie Française est résolu à réaliser, en ce qui concerne l’Asie, cette nécessaire émancipation intellectuelle et économique.

Dans ce but, il recevra directement des informations de ses correspondants d’Asie et des missions qu’il pourra organiser ; il suivra les publications étrangères, et des données ainsi recueillies il fera, dans son Bulletin mensuel, un tout coordonné, suivi, appelant des conclusions rationnelles et pour ainsi dire nationales. Cette publication périodique, ne laissant passer aucun grand fait asiatique sans exposition et sans commentaires, rendra permanentes aux yeux du public, vulgarisera peu à peu les conclusions de grandes enquêtes admirables, mais espacées, comme celles de la Mission Lyonnaise et de M. Marcel Monnier.

En un mot, le Comité de l’Asie Française, s’inspirant des méthodes fécondes de son aîné, le Comité de l’Afrique Française, s’efforcera de mettre à la disposition du public, directement, et aussi par l’intermédiaire des journaux qui trouveront auprès de lui les documents nécessaires, tous les éléments d’une appréciation raisonnée et nationale des questions d’Asie. Il espère ainsi — et c’est son but suprême — exercer sur notre politique asiatique une action heureuse en formant l’opinion, dont, sous un régime tel que le nôtre, le gouvernement doit toujours finir par accepter les directions.

La possibilité pour le Comité de l’Asie d’atteindre cet objet est prouvée par une expérience concluante faite sur un autre terrain. En 1890, le Comité de l’Afrique Française s’était fondé avec un plan d’ensemble qu’il est arrivé, à travers bien des vicissitudes et des défaillances diplomatiques, à imposer et à réaliser dans ses grandes lignes. Il a été, pour ainsi dire, le dépositaire constant de la doctrine africaine de la France, et il a largement contribué par là à donner à notre patrie l’empire qu’il avait dès l’abord théoriquement construit pour elle, et qu’il s’efforce encore, à l’heure actuelle, de consolider et d’animer.

Le Comité de l’Asie Française aura à accomplir une œuvre analogue, en tenant compte des différences à faire entre l’Afrique, où nous avons dû acquérir d’immenses territoires, et l’Asie, où nous avons moins d’ambitions territoriales à poursuivre, où notre action doit être surtout morale et économique. L’appui constant qu’a trouvé son aîné lui est un gage qu’il rencontrera, lui aussi, les mêmes concours agissants, efficaces et durables.

E. Etienne
.