L’Œuvre du patricien de Venise Giorgio Baffo/Texte entier

La bibliothèque libre.
L’Œuvre du patricien de Venise Giorgio Baffo
Traduction par Guillaume Apollinaire d’après la traduction d’Alcide Bonneau de Raccolta universale delle opere di Giorgio Baffo, éd. 1789.
L’Œuvre du patricien de Venise Giorgio Baffo, Texte établi par Guillaume ApollinaireBibliothèque des curieux, collection Les Maîtres de l’amour (p. 1-281).

INTRODUCTION

Baffo, ce fameux vérolé, surnommé l’obscène, que l’on peut regarder comme le plus grand poète priapique qui ait jamais existé et en même temps comme l’un des poètes les plus lyriques du xviiie siècle, écrivait dans ce patois vénitien qu’ont illustré un grand nombre d’ouvrages remarquables dans tous les genres.

Le rôle joué par les patois dans la littérature italienne est considérable. Dante leur a donné le titre de langues. Il y a plus de différences entre l’italien et certains patois qu’entre l’italien et l’espagnol.

Beaucoup de poètes d’Italie se sont servis de leur dialecte natal. Il y a ainsi une foule d’auteurs dont la renommée n’a jamais dépassé leur province et les ouvrages qu’ils ont écrit sont les plus capricieux du monde et d’une hardiesse dont on n’a pas idée.

Le patois vénitien a une douceur unique. La grâce et la mollesse s’y mêlent dans des proportions si justes qu’il favorise avant tout le lyrisme érotique bien qu’une littérature patoise soit presque toujours satirique. On peut dire qu’à Venise, la satire fut surtout voluptueuse. On connaît mal en France les auteurs vénitiens et le Baffo est le seul que l’on ait traduit jusqu’ici. Il y eut encore, au xvie siècle un écrivain-acteur dont la fantaisie bouffonne ne donna pas seulement l’essor à la comédie en patois, mais servit puissamment à une forme nationale du Théâtre italien : la Commedia dell Arte. Calmo écrivit des Églogues et six comédies : La Spagnolas, la Saltuzza, la Pozione, Fiorina, la Rodiana, Il Travaglia. Les comédies de Calmo sont savoureuses. Cet auteur qui visait parfois à être pastoral, réussit souvent à être ampoulé et compliqué de la façon la plus amusante qui se puisse imaginer.

Maffeo Veniero vivait vers le même temps que Calmo, mais celui-ci était son aîné. Les chansons de Veniero seraient sans doute difficiles à traduire. On y trouve à la fois de l’harmonie, une grande richesse d’expression, de l’éclat, de l’ironie et de la tendresse. Tout cela forme un ensemble très hardi où les beautés ne manquent point. Il mourut en 1586, à l’âge de trente-six ans et on ne fit paraître ses vers que longtemps après, en 1613.

Au xviie siècle, Bona règne sur le Parnasse vénitien. Le brio, cette verve des lagunes, a disparu et il faut pour qu’il reparaisse arriver au xviiie siècle, à l’époque de Goldoni, à l’époque de Baffo.

Giorgio Baffo naquit à Venise en 1694 et y mourut en 1768, âgé de 74 ans. Il était le dernier représentant d’une vieille famille patricienne qui avait fourni une sultane aux Ottomans.

Toute jeune, elle fut prise par les Turcs, sur un vaisseau qui la transportait avec ses parents à Corfou dont son père était gouverneur. La jeune Vénitienne entra dans le sérail d’Amurat III, et comme elle était d’une très grande beauté, le sultan en devint épris et l’aima uniquement.

Elle donna le jour à un fils qui devint Mahomet III.

La Baffo est peut-être la sultane qui a le plus longtemps conservé, seule, l’amour de son époux. Cette fidélité n’est point dans les mœurs ottomanes. La sultane Baffo eut 14 fils et cette fécondité ne contribuait pas peu à lui attacher Amurat.

La sultane-mère, jalouse de sa bru à cause de l’empire que celle-ci exerçait sur le sultan, lui persuada que la Vénitienne employait des sortilèges pour provoquer l’amour. Amurat fit torturer les esclaves attachés à la Baffo, mais il ne put se convaincre que de son innocence et il retomba sous la domination de cette charmante sultane. Cependant, à partir de cette époque, Amurat ne lui fut plus fidèle et il eut plus de 50 enfants de différentes concubines. Il mourut à 50 ans pour avoir abusé de l’amour ; et après sa mort la sultane Baffo jouit d’une autorité absolue durant le règne de Mahomet III.

Mais en 1603 Achmet, ayant succédé à Mahomet, relégua sa grand’mère dans le vieux sérail, et l’on n’entendit plus parler de la séduisante Baffo jusqu’au jour où le poète Baffo s’avisa de la chanter en une série de sonnets excellents sous le titre d’Une Baffo devenue sultane favorite :

Un de ma famille, vers le Levant,
Ensemble avec sa femme et avec sa fille,
Voyageait sur un navire, en allégresse,
Pour aller à Corfou comme représentant.

Quand à l’improviste, en un instant
Ils furent faits esclaves et emmenés ;
La mère et le père furent vendus en Turquie,
Et la petite donnée au Souverain.


Tout enfant elle fut enfermée au Sérail,
Puis du Grand Seigneur elle devint la femme,
Parce qu’elle était extrêmement belle.

Elle resta de son cœur unique patronne,
Est-il besoin de dire que ce grand gland
Allait souvent au nid dans cette moniche ?

*

Qui lit de la grande maison Ottomane
Les hauts faits écrits, mais d’une main sincère,
Trouvera cette histoire, qui est véritable,
Qu’une Baffo devint Grande Sultane.

La fit captive sur mer une tartane
Montée par des gens les plus indomptés et féroces
Qui se puissent trouver sur la terre,
Des gens qui vont en chasse de chair humaine.

Elle a fait au Sérail une grande fortune,
Parce qu’en dehors d’elle la Royale personne
Du Grand Seigneur n’en n’a plus foutu aucune.

Moi qui suis son parent par les femmes,
Je ne m’étonne pas qu’elle porte la Lune,
Puisque pour emblème je porte la Moniche.

*

Cette Baffo fut une grande Dame,
Pour autant qu’en parle l’histoire Ottomane,
Mais par crainte de perdre sa gloire,
Elle a été une vilaine bougresse.

Doutant que quelque autre ne fût bonne
Sur le Grand Seigneur à remporter victoire

Et ne pût également avoir la gloire
De dire qu’avec elle aussi il s’en allait en moniche,

Grâce à certaines vieilles Harpies,
Pour faire qu’avec d’autres il n’allât point,
Elle étudia cette sorte de sorcelleries.

Que le Sultan eût-il beau se le manier
Quand il voudrait enclouer d’autres filles,
En aucune manière il ne lui dressât

Et que seulement il devint dur,
Quand lui viendrait la fantaisie
D’enclouer le gros calibre de la Sultane.

*

Lorsque de la Baffo les trahisons
Le sultan a découvert, il n’y eut plus moyen
Qu’il voulût plus jamais aller dans son vase,
Encore bien qu’il y eût éprouvé de grands contentements.

Elle eut beau lui faire des caresses,
Il ne se laissa plus jamais persuader ;
Il commença à flairer les esclaves,
Et abandonna ses premières amours.

Pour voir si la sorcellerie faisait son effet,
Il se mit à baiser en désespéré,
Et aussi, je crois, pour lui faire dépit.

À force de tant baiser il se rendit malade,
Et, pour essayer si son cas se tenait droit,
Il y alla de si bon cœur, qu’il en creva.

Elle a toujours régné,
Non seulement sur le Sultan son mari

Mais mieux encore sur le Sultan son fils.

Ah ! si de mon sang
Quelques gouttes coulent dans les veines des Sultans,
Je ne m’étonne pas s’ils foutent comme chiens.

*

Il en est qui se vantent et font même grand bruit
De ce qu’ils ont une reine pour parente ;
Moi, j’ai une impératrice d’Orient !
Mais cet honneur, je n’en fais aucun cas.

La mienne en plus a pondu un gamin
Dont descend l’Ottomane race ;
Même de cela je n’en pense rien,
Cela me semblerait plaisir de viedaze.

Je pense qu’aux Sultans est resté ignoré,
Qu’ils descendent de ma famille ;
Mais, qu’ils le sachent, je n’en ai cure

Je pourrais, il est vrai, faire le chemin,
Mais comme je suis vieux, je suis sûr
Qu’il ne voudrait même pas me donner une bulgarade.

La vie de Baffo n’est pas connue. On sait qu’il fut élu membre de la Quarantia, Cour suprême de justice à Venise. Il possédait un palais, œuvre de Sansovino où il vivait, dit-il,

Dans un coin de la cuisine.

On en a conclu que le Baffo était pauvre, mais ce n’est pas certain, il semble au contraire avoir joui d’une certaine aisance.

Il ne se maria jamais, bien qu’il en ait eu souvent l’occasion et plus souvent encore l’envie. De l’amour il ne connut pas seulement le physique. Il délaisse quelquefois il sior cazzo et la siora mona pour pétrarquiser.

Et le Baffo n’est pas ridicule du tout dans ce sonnet écrit à l’occasion d’un projet de mariage et dans lequel il se montre tremblant d’amour :

À une femme il me semble ne plus penser,
Et quand je ne suis pas avec elle, je suis mort ;
Il me semble que je ne songe plus à entrer au port,
Et puis je ferais tout pour y entrer.

Il ne me déplaît pas de rester loin d’elle,
Et toujours je la porte écrite dans mon cœur ;
Je ne songe pas du tout à aller dans son jardin,
Et puis je voudrais respirer ses fleurs.

Qu’est-ce donc que ce contraste que j’éprouve ?
Si ce n’est pas l’amour, pourquoi courir après ?
Et si c’est de l’amour, pourquoi rester en place ?

Je n’y entends goutte, par Dieu !
Et je crois vraiment que c’est un œuf :
Je le voudrais par un bout, puis par l’autre.

Le caractère de Baffo était fait d’urbanité et de pudeur. On ne l’entendait jamais employer un terme grossier, c’est ce qui a fait dire à Ginguené que Baffo « parlait comme une vierge et écrivait comme un satyre. »

Casanova de Seingalt le connut à Venise, dans sa jeunesse, et l’on a pensé que la beauté de la mère de Casanova, qui était comédienne, attirait le Baffo que Casanova appelle avant tout : grand ami de mon père.

« M. Baffo donc, dit Casanova dans ses Mémoires, sublime génie, poète dans le plus lubrique des genres, mais grand et unique, fut cause qu’on se détermina à me mettre en pension à Padoue, et c’est à lui, par conséquent, que je dois la vie. Il est mort vingt ans après, le dernier de son ancienne famille patricienne ; mais ses poèmes, quoique sales, ne laisseront jamais mourir son nom. Les inquisiteurs d’État vénitiens auront par esprit de piété contribué à sa célébrité ; car, en persécutant ses ouvrages manuscrits, ils les firent devenir précieux : ils auraient dû savoir que spreta exolescunt. »

On trouvera encore dans Casanova quelques traits qui montrent le caractère de Baffo sous un jour très heureux.

« Dès que l’oracle du professeur Macop fut approuvé, ce fut M. l’abbé Grimani qui se chargea de me trouver une bonne pension à Padoue par le moyen d’un chimiste de sa connaissance qui demeurait dans cette ville. Il s’appelait Ottaviani et il était aussi antiquaire. En peu de jours la pension fut trouvée, et le 2 avril 1734, jour où j’accomplissais ma neuvième année, on me conduisit à Padoue dans un burchiello par le canal de la Brenta, Nous nous embarquâmes à dix heures du soir, immédiatement après souper.

« Le burchiello peut être regardé comme une petite maison flottante. Il y a une salle avec un cabinet à chacun de ses bouts, et gîte pour les domestiques à la proue et à la poupe : c’est un carré long à impériale, bordé de fenêtres vitrées avec des volets. On fait le voyage en huit heures. L’abbé Grimani, M. Baffo et ma mère m’accompagnaient : je couchai dans la salle avec ma mère, et les deux amis passèrent la nuit dans l’un des cabinets. Ma mère s’étant levée au point du jour, ouvrit une fenêtre qui était vis-à-vis du lit, et les rayons du soleil levant venant me frapper au visage me firent ouvrir les yeux. Le lit était trop bas pour que je pusse voir la terre ; je ne voyais par la même fenêtre que le sommet des arbres dont la rivière est bordée. La barque voguait, mais d’un mouvement si égal que je ne pouvais le deviner, de sorte que les arbres qui se dérobaient successivement à ma vue avec rapidité me causèrent une extrême surprise. « Ah ! ma chère mère, m’écriai-je, qu’est-ce que cela ? Les arbres marchent. »

« Dans ce moment même les deux seigneurs entrèrent, et, me voyant stupéfait, me demandèrent de quoi j’étais occupé. « D’où vient, leur répondis-je, que les arbres marchent ? »

« Ils rirent ; mais ma mère après avoir poussé un soupir me dit d’un ton pitoyable : « C’est la barque qui marche et non pas les arbres. Habille-toi. »

« Je conçus à l’instant la raison du phénomène, allant en avant avec ma raison naissante, et nullement préoccupée. « Il se peut donc, lui dis-je, que le soleil ne marche pas non plus et que ce soit nous au contraire qui roulions d’Occident en Orient. »

« Ma bonne mère à ces mots, crie à la bêtise. Monsieur Grimani déplore mon imbécilité, et je reste consterné, affligé et prêt à pleurer. M. Baffo vint me rendre l’âme. Il se jeta sur moi, m’embrassa tendrement, et me dit : « Tu as raison, mon enfant ; le soleil ne bouge pas, prends courage, raisonne toujours en conséquence et laisse rire. »

« Ma mère, surprise, lui demanda s’il était fou de me donner des leçons pareilles ; mais le philosophe sans même lui répondre continua à m’ébaucher une théorie faite pour ma raison pure et simple. Ce fut le premier vrai plaisir que j’ai goûté dans ma vie. Sans M. Baffo ce moment eût été suffisant pour avilir mon entendement ; la lâcheté de la crédulité s’y serait introduite. L’ignorance des deux autres aurait à coup sûr émoussé en moi le tranchant d’une faculté pour laquelle je ne sais pas si je suis allé bien loin ; mais je sais que c’est à celle-là seule que je dois tout le bonheur dont je jouis quand je me trouve vis-à-vis de moi-même. »

Casanova raconte ensuite comment grâce à Baffo, il sortit de chez l’Esclavonne :

« Le docteur qui m’aimait, me prit un jour tête-à-tête dans son cabinet, et me demanda si je voulais me prêter aux démarches qu’il me suggérerait pour sortir de la pension de l’Esclavonne et entrer chez lui. Me trouvant enchanté de la proposition, il me fit copier trois lettres que j’envoyai, l’une à l’abbé Grimani, la seconde à mon ami Baffo et la troisième à ma bonne grand’mère. Mon semestre allant finir et ma mère n’étant pas alors à Venise, il n’y avait pas de temps à perdre. Dans ces lettres, je faisais la description de toutes mes souffrances, et j’annonçais ma mort, si on ne me retirait pas des mains de l’Esclavonne pour me mettre chez mon maître d’école, qui était disposé à me prendre ; mais il voulait deux sequins par mois.

« M. Grimani, au lieu de me répondre, ordonna à son ami Ottaviani de me réprimander de m’être laissé séduire ; mais M. Baffo alla parler à ma grand’mère, qui ne savait pas écrire, et dans une lettre qu’il m’adressa il m’annonça que dans peu de jours je serais plus heureux. »

Peu après Casanova montra devant Baffo une grande présence d’esprit littéraire qui dut réjouir extrêmement le poète priapique :

« Dans le carême de 1736, ma mère écrivit au docteur que, devant bientôt partir pour Pétersbourg et désirant me voir avant son départ, elle le priait de me conduire à Venise pour trois ou quatre jours. Cette invitation le mit en devoir de penser, car il n’avait jamais vu ni Venise ni la bonne compagnie, et cependant il ne voulait paraître neuf en rien. Dès que nous fûmes prêts de partir pour Padoue, toute la famille nous accompagna au burchiello.

« Ma mère le reçut avec la plus noble aisance ; mais, étant belle comme le jour, mon pauvre maître se trouva fort embarrassé, n’osant la regarder en face et forcé cependant de dialoguer avec elle ; elle s’en aperçut, et pensa s’en amuser, à l’occasion. Quant à moi, j’attirai l’attention de toute la coterie ; car, m’ayant connu presque imbécile, chacun était émerveillé de me voir si dégourdi dans le court espace de deux ans. Le docteur jouissait, voyant qu’on lui attribuait tout le mérite de ma métamorphose.

« La première chose qui choqua ma mère fut ma perruque blonde, qui criait sur mon visage brun, et qui faisait le plus cruel désaccord avec mes sourcils et mes yeux noirs. Le docteur interrogé par elle pourquoi il ne me faisait pas coiffer en cheveux, répondit qu’avec la perruque sa sœur pouvait plus facilement me tenir propre. Cette réponse naïve fit rire tout le monde ; mais le rire redoubla quand, après lui avoir demandé si sa sœur était mariée, prenant la parole, je répondis pour lui que Bettine était la plus jolie fille du quartier et qu’elle n’avait que quatorze ans. Ma mère ayant dit au docteur qu’elle ferait à sa sœur un joli présent, mais à condition qu’elle me coifferait en cheveux ; il promit que l’on ferait à sa volonté. Ensuite ma mère fit appeler un perruquier, qui m’apporta une perruque en harmonie avec ma couleur.

« Tout le monde s’étant mis à jouer à l’exception de mon docteur, j’allai voir mes frères dans la chambre de ma grand’mère. François me fit voir des dessins d’architecture que je fis semblant de trouver passables ; Jean ne me fit rien voir, et je le jugeai très insignifiant. Les autres étaient encore très jeunes.

« À souper, le docteur, assis près de ma mère, fut fort gauche. Il n’aurait, probablement, pas prononcé un seul mot, si un Anglais, homme de lettres, ne lui avait adressé la parole en latin ; mais ne l’ayant pas compris, il lui répondit modestement qu’il ne comprenait pas l’anglais ce qui excita un grand éclat de rire. M. Baffo nous tira d’embarras en nous disant que les Anglais lisent et prononcent le latin comme ils lisent et prononcent leur première langue. À cela j’observai que les Anglais avaient tort autant que nous l’aurions, si nous prétendions lire et prononcer leur langue d’après les règles adoptées pour la langue latine.

L’Anglais admirant ma raison, écrivit aussitôt ce vieux distique et me le donna à lire :

Dicite, grammatici, cur mascula nomina cunnus,
Et cur femineum mentula nomen habet.

Après l’avoir lu à haute voix, je m’écriai : Pour le coup voilà du latin. — Nous le savons, me dit ma mère, mais il faut l’expliquer. — L’expliquer ne suffit pas répondis-je ; c’est une question à laquelle je veux répondre. Et après avoir pensé un moment, j’écrivis ce pentamètre :

Disce quod a domino nomina servus habet.

Ce fut mon premier exploit littéraire, et je puis dire que ce fut dans ce moment qu’on sema dans mon âme l’amour de la gloire qui dépend de la littérature, car les applaudissements me mirent au faîte du bonheur. L’Anglais, émerveillé, après avoir dit que jamais garçon de onze ans n’en avait fait autant, m’embrassa à plusieurs reprises et me fit présent de sa montre. Ma mère, curieuse, demanda à M. Grimani ce que ces vers signifiaient ; mais l’abbé n’y comprenant pas plus qu’elle, ce fut M. Baffo qui le lui dit à l’oreille. Surprise de mon savoir, elle se leva, alla prendre une montre d’or et la présenta à mon maître, qui, ne sachant comment s’y prendre pour lui marquer sa grande reconnaissance, rendit la scène très comique. »

Les poèmes du Baffo ne parurent pas de son vivant. Trois ans, après sa mort ses amis firent paraître un recueil qui contenait près de deux cents pièces. L’édition de 1789, due à l’admiration que lord Pembroke éprouvait pour le poète vénitien, en contient un nombre beaucoup plus grand. L’édition de Liseux qui comporte le texte et une traduction française donne quelques pièces inédites.

Gamba[1] signale qu’il y a dans les bibliothèques de Venise beaucoup de poèmes de Baffo : « Mais, ajoute Gamba, tous du même calibre. Il n’y a pas d’écrit de Giorgio Baffo qui ne soit licencieux. »

Ce poète qui fit souvent songer à Horace avait avant tout du bon sens, et la raison ne gênait point son lyrisme.

Pour ce qui est de son obscénité, on peut répondre que le Baffo a chanté ce qu’il a voulu et que ce qu’il a voulu chanter était ce qui lui plaisait le plus : l’amour. Il l’a fait en toute liberté et avec une grandeur que le patois vénitien ne paraissait pas devoir rendre.

Et si l’on veut bien se dégager des préjugés, on avouera que les poésies de Giorgio Baffo méritent la célébrité universelle dont elles jouissent et cependant aujourd’hui peu de personnes les connaissent. Les exemplaires imprimés que l’on en possède sont rares et atteignent dans les ventes et chez les libraires des prix très élevés.

Le Baffo était content de son époque, il était heureux de vivre, et de vivre à Venise, ville amphibie, cité humide, sexe femelle de l’Europe.

Sans le Baffo, on n’imaginerait pas tout ce que fut la décadence pleine de volupté de la Sérénissime République. Par lui nous connaissons la vie sexuelle de Venise, les fêtes, les Osterie, les Casinos, le Jeu, les Ballerines, les Nonnes libertines. Il n’est pas de petit évènement que le Baffo ne chante avec une obscénité sublime : c’est la venue du duc d’York, c’est l’élection d’un nouveau pape, ce sont les débuts d’une actrice, ce sont les mésaventures des Jésuites.

Les poésies manuscrites du Baffo couraient la ville. Les jeunes femmes les lisaient en goûtant des sorbets. Cette société raffinée qui vivait à l’anglaise était frappée par un lyrisme auquel les poètes de l’époque ne l’avaient point accoutumée.

Lorsque le Baffo mourut, on composa cette épitaphe :


BAFFUM
qui in penetrandis, celebrandisque
humanæ naturæ
exellentiis, atque proprietatibus
studiosus fuit, et pertinax,
adriatica tellus produxit,
affinem, ut par est
stipiti orientalis imperii
in promerendis sibi animis

urbanitate, et joco prœstabat ;
ingenu promptitudo
in diversimode elaborandis
sci objectus circumstantiis
lubricitatis licentiam in poesim
quomodolibet excusat.
provectior factus
nullo tœdio afficiebatur.
non sine lacrymis omnium interiit
anno MDCCLXVIII
[2].

Le Baffo mérite d’être connu et apprécié, c’est un poète. Sans doute, obscène, mais dont l’obscénité est, pour ainsi dire, pleine de noblesse.

Le Baffo viole la poésie, c’est entendu. Toutefois, cet évènement a la grandeur et la valeur symbolique d’une fête vénitienne. Chaque année le Doge épousait la mer.

G. A.

ESSAI BIBLIOGRAPHIQUE

Le Poesie di Giorgio Baffo Patrisio Veneto mdcclxxi. — Petit in-4o de 1 feuillet de titre et 250 pages publié à Londres d’après Lemonnyer. On ne connaît de cette première édition qu’un très petit nombre d’exemplaires. On n’y trouve qu’une petite partie de l’œuvre du Baffo.

Le Poesie di Giorgio Baffo… 1789. — in-12 publié à Londres avec une figure représentant la Vénus de Médicis.

Raccolta universale delle opere di Giorgio Baffo veneto. T. I [II, III, IV] Cosmopoli 1789. — 4 vol.  in-8o. Portrait et titre gravés. Chacun de ces volumes comporte 312 pages numérotées. Au Ier tome il y a de plus 2 feuillets pour le portrait et le titre ; les volumes suivants ont aussi un feuillet pour le titre et au second tome, il a de plus à la fin, un feuillet d’errata. Cette édition a été publiée aux frais de Lord Pembroke, à Londres.

Le Poesie di Giorgio Baffo … Marmicolo 1789. — 5 tomes in-24.

Le Poesie di Giorgio Baffo … Italia 1860. — 2 vol. in-12. Édition annoncée comme complète.

Raccolta completa delle opere di Giorgio Baffo. Constantinopoli 1860. — 2 vol.  in-18.

Poésies complètes de Giorgio Baffo, en dialecte vénitien littéralement traduites pour la première fois, avec le texte en regard. Orné du portrait de l’Auteur, tome I I [II, III, IV]. Imprimé à cent exemplaires pour Isidore Liseux et ses amis. Paris, 1884. — 4 vol.  in-8o couv. impr. titre et faux-titre de chaque vol.  en rouge et noir.

Tome I : XIX — 362 pp.  ; et 1 feuillet. Portrait de Baffo sur Hollande et sur Japon. C’est la reproduction du portrait paru en tête de l’édition de Cosmopoli.

Tome II : 2 feuillets, 365 pp.  et un f.

Tome III : 2 feuillets et 372 pp. 

Tome IV : 2 feuillets, 386 pp.  et un f.


L’Œuvre de Giorgio Baffo














L’ŒUVRE DE GIORGIO BAFFO

DÉDICACE

Je dédie ces miennes compositions
Aux Hommes et aux Femmes de belle humeur,
À ceux-là qui vraiment les choses
Regardent du côté qui est.

Je les mets sous leur protection,
Afin que, contre les têtes scrupuleuses,
En personnes toutes pleines de sens,
Ils les défendent avec leur raison ;

Qu’ils disent, que là dedans il n’est point
Ni critique, ni offense aux personnes ;
Que de Dieu ne s’y parle point, ni des Rois.

Mais seulement de choses belles, allègres et bonnes,
De choses déliciosissimes, c’est-à-dire
De Bouches, Tétons, Culs, Cas et Moniches.


PROTESTATION

S’il était quelqu’un qui de la stupeur
Marquât, parce que j’écris des Sonnets
Dans lesquels se trouvent des conneries
Toutes au naturel et sans fausses couleurs.


Je lui dirais de lire tous les auteurs
Qui ont écrit des femmes et des amourettes :
Il verra que sous les belles fleurettes
Se tiennent blottis les plus lascifs amours.

Sur tous le Pétrarque a remporté la victoire,
Et pourtant il n’a parlé que d’une Femme ;
Néanmoins il l’a laissée debout dans la gloire.

Eh quoi ! j’aurai le blâme et lui la couronne !
Il a écrit un Roman, et moi une Histoire ;
Il a chanté Laure, et moi j’ai chanté Moniche.


L’AUTEUR NE VEUT PAS DE MÉTAMORPHOSES

Dès que me vient une idée, je fais un Sonnet,
Et je le fais en Vénitien, comme je suis né,
Bien que je sache qu’il y ait plus d’un sot
Qui me condamne parce que je parle net.

Mais au temps d’innocence le plus parfait,
C’est-à-dire quand l’Homme a été fait,
L’Homme et la Femme étaient, de fait, nus,
Et c’était là d’innocence l’effet.

Puis est venue la malice, apertement,
Et avec elle la rougeur ; et ces pauvres gens
Ont eu tant de honte, qu’ils se sont couverts.

Donc apprenez, mes chers viédazes,
Que j’écris moi aussi, en ce style sans voile,
Comme Dieu a façonné les Moniches et les Cas.


ÉTAT D’INNOCENCE

Il fut un temps où les hommes étaient autant de bêtes,
Sans gouvernement et sans religion ;
Il n’y avait ni maîtres ni servantes.
De la bouche ils s’arrachaient les morceaux,

Nul ne savait labourer la terre,
Faire un pourpoint ni un jupon,
Et pour se défendre d’un larron,
Il n’y avait ni murs ni fossés.

Qui a réuni tant de monde en société ?
Nul ne sache que cela soit tombé du Ciel :
Ce n’est ni Orphée, en sonnant de la lyre,

Ni l’amour de l’ami ou du frère,
Ni la force, ni la crainte ; savez-vous qui ce fut ?
Ce fut la Moniche, de compagnie avec l’Oiseau.


ÉLOGE DES TÉTONS

Chers Tétons, vous êtes l’unique et seule
Partie qui le mieux ressemble au fessier ;
Vous êtes ces collines délicates
Où, au mitan, s’ils peuvent, volent les Oiseaux.

Vous êtes cette belle vue qui console,
Car vous paraissez proprement la voie lactée :
Bien heureux qui sur vous met les pattes,
Car il fond comme cire au feu !

Oh ! chers beaux attraits de la Femme !

Vous êtes ces charmes bénis
Qui font que plaise davantage la Moniche.

Vous êtes ce bel étalage qui promet
Que dessous il y a bonne marchandise,
Car le plus souvent, a bon cul qui a bons tétons.

MÊME SUJET

Madrigal

Des yeux je me défends,
À leur pouvoir sans faire offense ;
Mais quand je regarde ces
Ces belles et charmantes petites pommes,
Je ne puis me tenir en laisse,
Et je délire, comme un chien.

Si au bout de la fatale branche
Telles étaient les antiques pommes,
J’ai compassion d’Adam,
S’il y a allongé la main.

MÊME SUJET

Madrigal

Petit enfant jadis
Des tétins j’ai vécu ;
À présent cette habitude
Se change en vertu ;
Le lait, je vous le donne,
Mais les tétins, oh non !

Voilà les seules choses
Qui ne me rassasient ;
Qui toujours me plairont,
Que je vais regardant
Que jamais je ne laisserai.

MÊME SUJET

Madrigal

Vous êtes nés jumeaux,
Tous deux vous êtes beaux,
Mais il semble que vous dédaigniez
De demeurer ensemble.

C’est l’Amour celui qui met
La discorde entre les tétons ;
Ce terrain-là est son royaume,
C’est là qu’il doit se tenir.


SUR LA MONICHE

La Femme possède un objet si bon,
Que tous le voudraient, tous le désirent ;
D’une foule de noms il s’appelle,
Mais le plus beau de tous est la Moniche.

Oh ! comme ce nom-là sonne bien dans la bouche !
Rien qu’à la nommer le cœur s’enflamme.
C’est elle qui fait que la Femme est tant aimée,
Et que de l’Homme elle se rend maîtresse.

Elle a raison, si elle la tient bien serrée
Et comme une relique bien couverte,
Parce que c’est une chose bénie.

Ceux qui veulent la voir découverte
Ou qui désirent en toucher la fente,
Il leur faut lui faire leur offrande.

MÊME SUJET

Madrigal

Les Femmes ont un trésor
Qui est bien meilleur que l’or :
Que mille et mille en jouissent,
Il ne diminue pas d’un besant ;
On ne peut rien en rogner,
Il reste intact en capital.

Pour celles qui n’en font largesse
Il ne peut y avoir d’excuse :
À l’user il devient plus grand,
Il se conserve mieux ;
Mais, à le tenir sous clef,
Bien plus tôt il s’amoindrit.

MÊME SUJET

Madrigal

L’été, lorsqu’elle sue,
Il faut la manger crue ;
L’hiver, quand les réchauds

La sèchent et la rissolent,
Il faut la manger cuite ;
Avec tout cela toujours
Elle est d’une saveur égale.
En somme c’est un mets
Qui est bon de toute façon :
Il n’a jamais besoin
De sucre ni de sel.


LES BIENFAITS DE LA MONICHE

Quels services rend au monde la Moniche !
Elle rassasie la faim des affamés,
Elle habille ceux qui sont nus,
Elle offre aux pèlerins le gîte ;

D’une certaine liqueur qu’elle a,
Elle apaise la soif de qui en est brûlé,
Elle console tous les souffrants,
Elle rend la santé aux malades.

Je m’étonne que tant de grandes nations,
Entre autres les Égyptiens, cette docte race,
Aient eu pour les bêtes de la dévotion ;

Ils ont adoré jusqu’à la grenouille et la marmotte ;
Le cas aussi eut ses adorations,
Et personne jamais n’adora la Moniche !


MOYEN DE DÉCOUVRIR LA SINCÉRITÉ

Madrigal

Si je pouvais disposer le monde
Un seul jour à ma fantaisie,
Un spectacle réjouissant
Voudrai-je donner à la terre.

J’enlèverais du corps humain,
Où l’âme est incluse,
Les membres dont on ne fait pas usage ;
Et grâce à ceux qui resteraient,
Nous verrions
Chez chacun
Sans équivoque le sincère
Caractère se montrer.


LE CORPS LE PLUS GLORIEUX

Madrigal

Ô cas cher et dur
Encore bien que tu te tiennes à l’obscur,
Tu es le corps le plus glorieux
Du monde universel.

C’est toi qui as fait les Saints,
Les Papes, les Rois, les Gueux :
C’est toi qui as distingué,
Par les lois, le bien du mal.


L’AUTEUR S’ÉTONNE DE CEUX QUI NE FOUTENT POINT

Je ne m’étonne pas de ceux qui amassent de l’argent,
Qui s’éreintent, se déhanchent à soulever des trésors,
Ni de ceux qui s’essoufflent pour les honneurs,
Ni de ceux qui par amour deviennent fous ;

Pas davantage de certaines gens relâchés
Qui mangent et boivent comme des traîtres,
Ni de ces désespérés de joueurs
Qui mettraient en un jour la maison à sac ;

Savez-vous de qui je m’étonne à toute heure,
De qui je me sens compassion ?
C’est de ceux qui en aucun temps jamais ne foutent.

À ces gens-là, lorsque j’y réfléchis,
Je vois qu’il n’est nulle autre récompense
Que de maintenir chez eux la tentation.


LA FÉLICITÉ

Ils auront beau dire ces grands philosophe,
Que la félicité gît en la vertu,
Qu’elle consiste à ne rien désirer de plus,
Quand bien même on aurait le cul tout rapiécé ;

Qu’il ne faut pas bouger si l’on vous heurte,
Que rien n’existe en dehors de nous,
Et que quand l’Univers croulerait le cul en l’air,
C’est le moment d’être des Diogènes et des Zénons.

Ce sont toutes opinions formulées au hasard,

Et je ne crois pas qu’il y en ait une seule bonne ;
Ils le savent bien, ceux qui ont bon nez.

Pour moi, je soutiens en face à tout le monde,
Parce que je suis persuadé du fait,
Que la félicité gît en la Moniche.


COÛTE QUE COÛTE L’AUTEUR VEUT FOUTRE

Plutôt il se peut faire que le Soleil ne luise,
Que dans le ciel ne se voie plus la Lune,
Que tombent les étoiles une à une,
Que sur la Terre il n’y ait plus un seul trou ;

Que tout soit confusion dans la Nature,
Que le Vent sur la Mer ne fasse plus de ses coups,
Qu’il n’y ait plus de poissons dans la lagune,
Que le Pont-de-Fer n’ouvre plus passage ;

Il se peut faire que plus la pluie ne mouille,
Il se peut faire que plus le feu ne cuise,
Que ne produise plus de fleurs la campagne,

Que redevienne crue la viande une fois cuite,
Que le fleuve rebrousse vers la montagne :
Mais il ne se peut jamais faire que je ne foute.


PARALLÈLE ENTRE L’AMIRAL ET L’AUTEUR

De même que l’Amiral éprouve un grand bonheur
Quand il pense monter la galère capitane,

Ainsi, quand je pense monter une femme,
Je ressens une grande allégresse.

Lui pour vouloir monter ce bâtiment,
Risque quelque bougresse de bourrasque ;
Moi, pour vouloir monter cette Madonna,
Je risque d’attraper un écoulement ;

Lui se moque de rencontrer quelque occasion
De se mesurer en mer avec un corsaire ;
Et je me moque de me colleter avec le ruffian.

Tous deux, en somme, lui pour naviguer
Risque ses biens, sa vie, sa condition,
Et moi pour enfiler je cours les mêmes risques.
Il faut en inférer
Que peut autant sur lui la galère capitane,
Que peut sur moi une bougresse.


RÉCIT À UN AMI

Canzone

Puisque vous êtes curieux,
Et voulez savoir qui sont
Ces deux femmes que j’ai menées
L’autre soir à l’osteria,

Je vous le dirai : mais à la condition
Que la chose restera entre nous,
Parce que tout ce que j’ai fait,
Je ne le dis à nul qu’à vous.

L’une était la Tonina,

L’autre était sa belle-sœur :
Toutes deux la tirelire
Mise en pièce et fracassée.

Mais autrement, de figure
Et d’aspect fort agréables ;
Elles ont reçu en don de la Nature
Une grâce noble et séduisante.

L’une est blonde comme l’or ;
Châtaine est la Tonina,
Et son œil est si noir
Qu’à le voir il vous assassine.

Toutes deux ont le front large,
Toutes deux la peau blanche,
Toutes deux la démarche majestueuse,
Toutes deux la porte franche ;

Non pas qu’avec un osella[3]
On s’en tire, ou avec un ducat ;
Qui veut s’ouvrir leur guichet,
Deux sequins, c’est le prix fait.

Il faut de plus débourser
La prébende à Siora[4] Mère,
Et donner encore quelque chose
À l’illustrissime Signor Père.

De même à la soubrette,
On lui donne deux pittons[5]

Pour écarter la portière
Et introduire chez ses Patronnes.

La règle inflexible est établie,
Si vous allez là le matin,
De commander le chocolat
Pour la blonde et la Tonina.

Après dîner ou le soir,
La Rosalia et les sorbets :
Et une sorbetière n’y suffit pas,
Non plus que six soucoupes !

Il faut quatre, cinq ou six cafés,
Pour les gens de la maison,
Et peut-être bien plein un cabaret
De pandoli[6], pour qu’ils se taisent.

Quand vous aurez pourvu à cela,
Et c’est chose nécessaire,
Toutes gentilles, toutes joyeuses,
Elles vous invitent à changer d’air,

Et un tantinet se promenant,
Un tantinet se mettant à courir,
Elles vous mènent en folâtrant
Quelque part, au fond de la cour ;

Là est un petit casino
Solitaire, mais spacieux,
Qui semble fait dans le seul but
D’ébats luxurieux.


Une senteur embaumée
Dès l’entrée vous console
Mêlés au citron et à l’orange,
Vous sentez la rose et la violette.

De peintures assez lascives
Tout le mur est tapissé ;
Ici, vous voyez deux beaux tétons,
Et là un flanc bien tourné ;

Ici est Thaïs, et là Phryné
Sans corset ni camisole ;
Ici Poppée, là Messaline,
Qui bellement se font baiser.

Ici est Vénus, qui couchée,
Fait des mamours au cher Adonis ;
Et là Diane qui présente
Sa fente à son Endymion.

À regarder tout cet étalage,
Qui est peint au naturel,
Figurez-vous si la bosse
Du machin se dessine !

Socrate n’y résisterait pas,
Je vous l’atteste sur ma foi,
Et le bonhomme Xénocrate
Se laisserait choir aussi,

D’autant plus que ces deux folles
Vous agacent et vous prient
De leur peloter les fesses,
Et de leur tâter la boutique.

Voyez-vous comment pourrait,

À ces cajoleries, un pauvre diable
Faire que les humeurs n’affluent,
Et que le cas reste tête basse ?

Pour moi, je puis vous assurer
Que je l’avais si dur
(Dieu vous garde qu’il vous enfile !)
Qu’il paraissait tout comme un clou.

Je ne pouvais plus rester tranquille,
Tout mon sang était en mouvement ;
Je sentais certaine chaleur
Qui me faisait débourrer dessous.

De la rage que j’éprouvais,
Je me suis jeté sur un sopha,
Et je vous le jure, je pensais
Mourir là coïonné.

Quand s’aperçurent les petites fourbes
Que je ne pouvais plus me retenir,
Elles ont exhibé leurs tétons
Et se sont flanquées sur moi.

Et me déboutonnant la braguette,
En me lançant une œillade,
Il me semblait qu’elles disaient :
« Qui de nous deux va être baisée ? »

Holà, oui, à faire le choix
Je fus, par Dieu ! embarrassé.
Car si je prenais la plus svelte,
La Tonina restait de côté.

Et si je prenais la Tonina,
Qui est Vénus toute crachée,

Je ne jouissais pas de la blondine,
Une si aimable créature.

Je me souviens de cet ami
Qui empêtré entre une mère et sa fille,
Se tira d’embarras
Par une belle galanterie,

Et au fond du cœur résolu
À satisfaire l’une et l’autre,
Délibéra foutre la fille
Et bulgariser la mère.

Mais cet exemple plaisant
Ne m’a en rien servi de règle ;
Car je n’ai jamais eu l’envie
De savoir ce que c’est que la poix.

« Que ferais-je donc ? »
Murmurais-je à part moi ;
« À quoi me résoudrais-je ?
« Ô mon chef cas, choisis, toi !

« Toutes deux ont leur mérite,
« Toutes deux me conviennent,
« Ô digne cas et bien méritant,
« Prends celle que tu veux !

« Comme un nouveau Pâris,
« Fais mieux que l’autre avec sa pomme,
« Car faire un choix avec l’Oiseau,
« Ça me semble un vrai choix d’homme ».

Je n’avais pas encore parlé,
Qu’obéissant à l’instant même,

Il embroche la Tonina,
Aussi rapide que le vent.

Ce que ensemble nous avons fait,
Je ne puis vous le raconter ;
Il suffit de vous dire que ce fol
À été près de se noyer.

Si je ne lui prêtais assistance,
Il était si fort enragé,
Qu’il se serait noyé plutôt
Que de revenir en arrière.

Avez-vous jamais vu un chien à taureau
Qui dans ses crocs a pris l’oreille ?
Appelez Argante, appelez Moro,
Il ne s’ôte plus de là,

Cela fait juste votre compte,
Car mon vit agissait de même :
Il s’était si bien blotti,
Que je ne pouvais plus le trouver.

Voyant le péril qu’il courait,
Comme il restait là, obstiné,
Je l’ai empoigné par un testicule,
Et de force l’ai retiré.

Tonina, la préférée,
Resta sur le sopha,
Tout comme une violette
Détachée de sa tige.

Le visage languissant,
Soupirant, la bouche entr’ouverte,

Elle prit un mouchoir
Et s’en essuya la clochette.

Moi aussi, tout triomphant,
D’un gland qui se trouvait là,
À mon vit encore fumant
J’essuyai le heaume et la visière.

La blondine est venue ensuite
Plaisanter sur l’événement,
Et, se gaussant de la Tonina,
Elle se coucha près de moi.

Ainsi toute la journée,
Nous passâmes dans l’allégresse,
Et quand la nuit fut avancée,
Je les menai à l’osteria.

Je ne vous conte pas le menu,
Point par point et en détail
Ce qui après est survenu ;
Je le ferai une autre fois.

Pour l’instant contentez-vous
De ce peu que je vous écris ;
Conduisez-vous en honnête homme
Et ne dites pas ce que je vous ai dit.

Car il est certaines gens
Si capricieux et si fantasques,
Que si l’on parle de cas et de moniches,
Ils vous tiennent pour hérétique ;

Et quand même on en parlerait
Entre personnes mariées,

Vous verriez certaines Marphises
En rester scandalisées.

Celles-là sont justement faites
Comme tant d’autres bonnes âmes,
Pour qui, leur peloter les fesses
N’est qu’une affaire de rien du tout ;

Mais dire « un cas » en discourant,
Serait-ce même pour plaisanter,
C’est un crime si horrible,
Que cela les fait frissonner.

Patience ! Que les femmes
Aient cette affectation,
Qu’elles veuillent feindre d’être des saintes,
Le rosaire pendu au côté ;

Mais qu’il y ait aussi des hommes
Possédés de ce vice maudit,
Ne tenant point pour galant homme
Quiconque parle net et franc !

Et si par hasard avec ces melons
Vous laissez seulement une chatte,
Il n’y a plus de chaste Joseph,
La bougrerie est consommée.

Pour cette raison chez moi,
Je ne veux point de papelards,
Et je m’écarte à plus de six milles
De ces Saints Dupe-Coïons.

Réglez-vous donc là-dessus,
Mon cher et ami béni

Et je vous en prie, ne soyez cause
Que je perde ma bonne réputation.

C’est que le monde est tout plein
De ces gens, dignes des galères,
Qui ne font pas une once de bien,
Et veulent être des saints sur terre.

Donc, de tout ce que je vous ai dit
Ne parlez à qui que ce soit,
Mais plutôt, ces miennes pages
Déchirez-les aux quatre vents.


L’AUTEUR À LA RECHERCHE DE LA NATURE

Un de mes amis, philosophe à la mode,
M’a prié l’autre jour à genoux
De lui procurer ce livre si bon,
Qui de tous aujourd’hui est lu et loué.

C’est un livre qui dénonce l’intelligence,
D’Helvétius, grand philosophe Parisien,
Non pas le fameux Esprit de cet homme illustre,
Mais la Nature, une œuvre solide.

J’ai répondu à mon ami : — « Je l’aurai ;
« Reposez-vous sur moi du soin de vous servir ;
« Je sais qui l’a, je la demanderai. »

Cattina, vous l’avez, c’est sûr ;
Je vous en supplie donc, ne me dites pas non :
Donnez-la moi, chérie, donnez-moi la Nature.


LA BEAUTÉ NE SERT À RIEN SANS LA MONICHE

Un jour se pavanait devant son miroir Isabella,
Disant : « Mon amoureux, je l’excuse,
« S’il me veut du bien et me grimpe dessus,
« Car à dire la vérité, je suis belle. »

Survint aussitôt petite sœur, la Moniche,
Qui lui dit : « Tu crois que c’est ta frimousse
« Qui le rend fou d’amour ? C’est mon pertuis,
« J’entends par là mon cher petit bijou.

« Vois, sur l’heure je m’en vais te quitter ;
« Tu verras, quand viendra ton amoureux,
« S’il te regardera plus qu’une fiche-moi le camp. »

De fait, il arriva plein de désirs,
Mais ne trouvant plus ce qui est décousu,
Il lui tourna le cul, tout en colère.
Cet accident curieux
Fait voir que, pour belle que soit la femme,
Elle ne vaut rien, si elle n’a la Moniche.


SUR LA FAMEUSE CLÉMENTINA

Qui est celle-ci, qui danse sur la scène,
La figure couverte d’un voile ?
Pour sûr elle est tombée du ciel,
Car ne peut tant faire créature terrestre.

Regardez, quand elle danse en jeune berger,
S’il est possible de voir chose plus amène ;
Avec tant de bonne grâce, elle tortille du cul,
Qu’elle vous fait sauter l’oiseau un mille au loin.


En exhibant si bien les deux natures,
Lorsqu’elle fait tantôt l’homme, tantôt la femme,
Elle a fort bien pris ses mesures ;

De cette façon elle contente chaque personne,
Et manifeste, en se montrant sous ses deux faces,
Qu’il en est à qui plaît le cul, et à qui la moniche.

MÊME SUJET

Si vous voulez, amis, prendre un beau passe-temps,
Allez tous à l’Opéra, à San-Mose ;
Outre le chant et la danse, vous y trouverez
De quoi contenter, tant qu’il vous plaira, le cas.

De fraîches moniches il y a là un déluge,
À étancher la soif de mille cas.
Pour bien foutre en moniches voilà le bon endroit,
Et qui ne fout est un grand viédaze.

Disons-le net, il n’a ni cœur ni brio,
Quand se trouvant près de celle-ci ou de cette autre,
Il reste là planté comme un lapin.

Pâris donnerait la pomme à la plus belle,
Et moi à la Clémentina, oui, par Dieu !
Au lieu d’une pomme je lui donnerai le gland.

SUR LE MÊME SUJET

Je dis qu’une vaillante ballerine,
Qui est svelte, gracieuse et jeunette,

Est une créature qui tant vous fait plaisir,
Qu’on la peut appeler objet divin.

Ce pied mignon, cette petite jambe,
Ce gentil corsage serré à la taille,
Font voir qu’elle est une œuvre parfaite,
Et d’une chair délicate et fine.

Il me semble qu’il jouit du vrai et parfait bonheur,
L’homme qui déguste une si délicate bouchée,
Et qu’au monde il n’est pas de plus grand régal.

Si une ballerine s’était trouvée là,
Quand Jupiter s’est changé en oiseau,
C’est elle qu’il eût enfilée, et pas une autre.

MÊME SUJET

Pour ses méchant vingt-trois sous,
Manger une merveilleuse salade,
Du pain, du rôti, boire en désespéré,
Regarder les ballets, écouter la musique ;

Se placer à une table, commodément assis,
Avoir à son côté sa grande gourgandine,
Patiner d’une main libre, par-ci par-là,
Et le cu-cul et la moniche et les tétins ;

Certes, il me semble fou à lier,
L’homme qui pour vingt-trois sous, au jour d’à présent,
Ne jouit pas de ces délices à pleine panse ;

Mais me survient une fort morale réflexion :

Les vingt-trois sous, à peine si je les compte,
Je songe aux vingt-quatre que j’ai encore.


L’AUTEUR VISE À LA MONICHE

Il ne faut pas s’étonner, cher ami,
De ce qu’il y a dans le monde tant d’opinions ;
Vous le savez, tout se passe en visées,
Et c’est un proverbe qui est ancien.

Tel vise à s’employer en quelque intrigue,
Tel vise à mener une vie de fainéant ;
Tel vise à rester sans cesse en oraison,
Tel vise à être l’ennemi de soi-même ;

Tel vise aux honneurs et tel à les mépriser ;
Tel vise à se vêtir bien, et tel à la sans-gêne ;
Tel vise à gagner de l’argent, et tel à le prodiguer.

Chaque personne a sa façon de penser :
Tel vise à la chicane, et tel à l’éviter ;
Moi, pour vous le dire, je vise à la Moniche.


EN FAVEUR DE L’INCONSTANCE DES FEMMES.

Canzone

Je sais que tu désapprouves fort
Qu’en amour je ne sois pas constante,
Que me plaisent les nouveaux visages,
Que je veuille avoir plus d’un amant.


Tu es vraiment par trop simplette,
Tu n’entends rien à notre cœur :
Celle qui n’est plus jeunette,
Qu’elle garde de l’amour ;

Mais celle qui a la jeunesse,
Laquelle sur les hommes détient l’empire
Et les met en servitude,
Ne garde pas d’amour sincère.

Un guerrier, qui peut prendre
Maintes villes, et s’en réjouit,
Ne se peut jamais tenir tranquille
S’il n’en a pris qu’une seule.

Moi je n’estime une femme
Ni pour sa beauté, ni pour sa noblesse ;
Je donne le prix à celle
Qui a des amants en quantité.

Un amant, toujours le même,
C’est une chose qui m’assomme ;
De prime abord tout est beau,
Puis vous lasse toute comédie.

C’est vertu de n’aimer qu’un seul
Mais une incommode vertu ;
Moi je me réjouis avec celles
Qui en fait d’amants en ont le plus.

Aux Romans je laisse
Cette rare fidélité
Dont Arioste et le Tasse ont écrit,
Mais qui ne s’est jamais gardée.


Pour qu’ils conservent l’espérance,
Quand cela se peut, devant les hommes,
Faites l’éloge de la constance,
Mais du fond du cœur, qu’on l’abomine.

Ce qu’enseigne la Nature,
Et ce qu’enseigne aussi l’art
Il faut le faire : avec mesure
Donner à chacun sa part.

Tous hommes sont à cultiver,
Parce que tous ont du bon,
Quitte à rejeter ensuite
Celui qui veut trancher du maître.

Que chacun ait sa demi-heure
Et, quand ils sont là tous ensemble,
Donnez à l’un une poignée de main,
Et touchez l’autre sur le pied.

Qu’en faveur chacun se croie
Être seul privilégié,
Et peu importe s’il se voit
Chassé du lit par un rival.

L’amour vient à s’attiédir,
Quand il n’y a pas de rivalité ;
Ce sont les rivaux qui le nourrissent,
Et ils n’en sont que plus fermes.

Si jamais quelqu’un en trouve une
En faute, c’est le moment de mentir,
Et s’il crie, c’est une preuve
Que l’amour se fait sentir.


Ne craignons jamais pour cela
Quand il s’emporte, qu’il nous laisse ;
Espérons plutôt que bien vite
Il aura la cervelle à l’envers ;

Et que lui, spontanément,
Viendra se mettre à genoux
Et pleurera véritablement
En demandant pardon.

De tous ceux qui viennent faire leur cour,
Aucun n’est à mépriser ;
De la sorte nous n’avons crainte
De rester un jour toutes seules.

Il sera bien que je sois sur la liste
De ces amoureux de Poètes,
Pour qu’ils me mettent en vue au monde
Dans leurs fameux Sonnets.

Grâce à la légère façon
De leurs badinages menteurs,
Ils accroîtront la troupe
Des amis et des amoureux.

Cela c’est respirer la rose,
Sans jamais se piquer aux épines,
Et éviter d’une ennuyeuse
Et laide vie les déplaisirs.


SUR LES BÉGUEULES

Dans quelle rage me mettent ces hypocrites
De femmes, qui font tant les dédaigneuses !
Elles sont plus luxurieuses que les hommes,
Et ne veulent point paraître des bougresses.

Je ne comprends point ; elles ont bon estomac,
De nature elles sont curieuses ;
Néanmoins, elles font les bégueules,
Et veulent mener une vie de coïonnes.

Mais quel diable d’enfantillage est celui-là ?
Quand nous voyons une femme, nous devenons des coqs,
Et subitement se redresse notre crête ;

Or, si nous montrons notre cas à une femme,
Avec impétuosité elle détourne la tête,
Comme si nous faisions une grande sottise !


L’AMOUR EST TOUT SIMPLEMENT DE LA LUXURE

Qu’est-ce que l’amour ? J’ai beau y réfléchir,
Je ne puis comprendre de quoi il est fait ;
De la beauté il n’est pas né, pour sûr,
Si je vois qu’un vilain museau vous enamoure ;

De l’âge non plus ; je vois qu’il arrive
À un gamin tout comme à un vieux fou ;
On ne peut dire qu’il vienne d’un esprit agréable,
Puisqu’une sotte aussi fait dresser la quenouille.

Tel l’appelle inclination, et tel sympathie ;

Pour moi je dis, sans crainte d’errer,
Que c’est bel et bonnement de la luxure ;

Car j’observe que dès qu’on peut
Enfiler cette femme qu’on désire,
L’amour aussitôt va se faire foutre.


SONGE

J’ai vu en songe Amour, qui se plaignait
De ce que les femmes lui cherchaient noise,
De ce qu’elles le traitaient comme un chien,
Et lui donnaient gifles et coups de poings.

Le cœur de compassion m’en tressaillait,
De le voir de partout endommagé ;
Il avait un bras cassé, une main aussi,
Et cheminait comme un boiteux, un estropié.

Je jetai sur lui un regard attentif
Et je vis que de tout à fait intact
Il n’avait dans tous ses membres que l’oiseau.

Alors je me dis : « C’est signe évident
« Que les femmes n’en veulent pas à celui-là.
J’en suis resté stupéfait,
Ayant toujours entendu dire, dès l’enfance,
Que l’amour sans enfiler ne vaut pas un zest.


ON NE SAIT OU ALLER

On ne sait plus aujourd’hui où fréquenter ;
Si l’on va au café on y trouve
Ou des viédazes qui ne comprennent rien,
Ou des coïons qui toujours veulent parler.

Si l’on prend la rue de la Regina, pour baguenauder,
Aussitôt sort quelque Prussien si insolent,
Que qui ne serait sage et prudent
Par Dieu gagnerait un catarrhe à crier.

Si j’entreprends de dire du bien des Jésuites,
Aussitôt il m’est dit par contradiction
Qu’ils sont avares, fourbes et sodomistes.

Si sur les dames tombe la conversation,
Et qu’en soient aises les gens d’esprit,
Il se trouve quelqu’un qui vous fait la grimace.
Bougresse d’existence !
En somme, je n’ai plus de bon temps
Que quand je suis fourré dans la Moniche.


L’AUTEUR LOUE UNE COMÉDIENNE

Quand je vois cette Esclave parler d’amour
Avec cette grande superbe Orientale,
Je suis de moitié moi-même dans sa fureur,
Et il me semble que je commettrais un crime.

À la voir de la sorte, si tendre de cœur,
En proie à une passion si brutale,
À tel point m’intéresse sa fureur

Que je m’éprends d’elle comme un animal.

Pour qu’elle échappât à ce chien
Qui, pour l’avoir, fait tant de tapage,
Je vous le jure, je lui mettrais quelque chose dans la main.

Je l’emmènerais sans plus de bruit,
De là, et je m’en irais demeurer bien loin,
Toujours avec elle, dans les pays bas.


MISÈRES DE LA VIE HUMAINE

Quel bougre de monde est celui-ci,
Qu’on n’y trouve que maux et souffrances ?
D’abord, tant d’animaux sans raison,
Et puis l’homme, de tous le plus fâcheux.

À peine nés, le père, sous le prétexte
De son droit, nous tient en sujétion ;
Ensuite viennent les scrupules religieux,
Le prêtre, à étudier, nous rompt le cul.

Nous devenons adultes, et les sens nous tourmentent ;
La femme commence à nous faire la guerre
Avec ses tétins et sa paire de fesses.

Vit-on ? la vieillesse vous accable,
Et quand vous êtes mort, on vous fiche sous terre.
Voyez un peu la belle bougresse de vie !


QUARE DE VULVA EDUXISTIME ?

De la vulve pourquoi m’avez-vous tiré,
Puisque vous saviez, Seigneur, que je devais mourir ?
Il valait mieux me laisser là dormir,
Dans le sein de la grande Éternité.

De quoi me servait de venir ici-bas,
Puisqu’il me fallait un jour m’en aller ?
Je n’ai rien fait autre, que souffrir,
Et voilà tout ce que j’en ai retiré.

Pourtant, lorsque j’y pense, à tort je me lamente ;
Car, si ce Monde regorge de maux,
Par contre il a du bon, que c’en est effrayant ;

Puis, comment aurais-je pu, pour mon bonheur,
Éprouver l’immense plaisir de l’y mettre,
Seigneur, si vous ne m’en aviez tiré ?


COMPENSATION AUX MISÈRES

Si à l’heure même où je mis la tête
Hors de la fente de ma mère, en cet instant
J’eusse vu les disgrâces de toute sorte,
Dont j’avais à pâtir avant que je ne meure :

Pleurer pour manger en ma première enfance,
Avoir bras et jambes liés dans le maillot,
Rester sous la férule d’un Pédant,
Que par surcroît encore il me faudra payer ;

Ensuite tant de tracas et tant d’infirmités :

J’aurais bien été une bougresse d’engeance,
Si je n’étais subitement rentré ;

À moins que par hasard une excellente Dame,
Qui sur ces entrefaites se serait trouvée là,
Ne m’eût en ce jour montré la Moniche.


PUISSANCE DE LA MONICHE

Moniche qu’es-tu donc, pour avoir
La force et la vertu de faire dresser les cas ?
Par toi les plus sages deviennent des fous,
Le courageux en toi se perd et déraisonne.

Ceux qui se vantent d’être de fortes têtes,
Par toi deviennent autant de viédazes ;
Tu fais tomber les vieux en enfance,
Et commettre des péchés aux saintes gens.

Toi seule peux faire que les avaricieux
Deviennent généreux en un moment,
Et que les bougres changent de bannière ;

Par toi le plus désespéré reste content,
Par toi se perdent honneur, biens et couillons :
Ô Moniche, quel charme as-tu donc en dedans ?


LA MONICHE PEUT GUÉRIR UN MORIBOND

Quand on est pour lâcher ses derniers pets,
Et que tout ce qu’on a de sens tombe en langueur ;

Il vaudrait mieux que vinssent dans la chambre
Des gracieuses dames que des prêtres ;

Qu’elles vinssent exécuter des danses,
Et missent à la porte ces charmeurs de couleuvres ;
Je suis certain, qu’encore bien qu’on mourût,
On mourrait du moins plus content et tranquille.

Si après le bal, quand on est en ce triste état,
Ces Dames vous donnaient en main la Moniche,
Cela vous ferait plus de profit que le Curé ;

Parce qu’au moment où le corps se réchaufferait
À la volupté de ce doux contact,
Qui sait si tout d’un coup il ne guérirait pas ?
Si l’âme ne voudrait rester,
Et ne se souciât plus d’aller au ciel,
De peur d’ôter la main de dessus ce poil ?


AUX DÉLICATS

Il y a des gens qui sont bien délicats ;
Ils disent : « Je ne sais comment font
« Certaines gens qui vont chez quelque salope
« À qui le mettent aussi les portefaix. »

Je réponds : « Écoutez, beaux muguets ;
« Quand vous allez au café, vous buvez dans la tasse
« Où boivent gens de toute espèce,
« Et alors vous ne faites pas tant les dégoûtés.

« Vous me direz que les garçons de la boutique,
« Après que quelque personne a bu,

« Lavent la tasse malpropre et la récurent ;

« C’est vrai ; mais cette bougresse aussi,
« Après qu’on l’a foutue, déplie une belle serviette,
« Et tout aussitôt s’essuie la moniche. »


À UNE BELLE DAME VUE DE LOIN

Ô joli minois, qui de loin
Me fais tant envie et me plaît si fort,
Oh ! fusses-tu la femme d’un bon cornard,
Ou tout au moins une putain !

Je voudrais t’envoyer le chauffe-la-couche
Te dire que je voudrais te donner des baisers,
Et que je t’enfilerais, coûte que coûte,
Quand même tu ne serais pas trop saine.

Mais je ne sais que penser de toi,
Je ne sais si tu es pucelle ou mariée,
Si tu travailles ou si tu te fais travailler.

Tu seras quelque chasse réservée,
Et je ne te pourrai parler jamais ;
Je connais bien ma bougresse de fortune !


CHAGRINS DE L’AUTEUR QUAND IL N’EST PAS DANS LA MONICHE

Comme un rocher sur mer, sans gouvernail,
Un pèlerin qui est hors de sa route,

Un aveugle dont le guide a décampé,
Un condamné forcé de rester en prison ;

Un valet congédié par son maître,
Un voyageur qui, dans une profonde crevasse
Est tombé, et a beau crier, peine inutile !
De lui n’a compassion personne ;

Un roi qui n’a plus de plaisir à régner,
Un pauvre hère qui a perdu quelque objet précieux,
Un malheureux, accusé quoique innocent ;

Un homme ayant un ennemi qui ne lui pardonne,
Un autre qui voudrait tout, et qui n’a rien,
Ainsi suis-je, quand je ne suis pas dans la Moniche.


PARALLÈLE ENTRE PLATON ET L’AUTEUR

De trois choses Platon continuellement
Remerciait le Seigneur : la première de toutes,
De l’avoir fait un homme, et non une brute,
Un Grec, et non un Barbare insolent ;

D’être né par heureuse fortune,
Au temps de ce Socrate à l’esprit si fin,
Qui l’avait si bien instruit dans les sciences,
Qu’ensuite il devint un si grand génie.

De trois choses aussi je remercie le Ciel,
Et lorsqu’en est privé quelqu’un,
Fût-il un roi, je ne voudrais être lui :

L’une est le don de la souveraine Poésie,

La Musique est l’autre, mais la meilleure
C’est de toujours avoir envie de la Moniche.


LES PARURES DES DAMES

Que croyez-vous que veuillent dire
Toutes ces parures de nos Dames,
Ces boucles d’oreilles, ces faux cheveux, ces couronnes
De fleurs artificielles et de brillants,

Ces belles manchettes et ces beaux gants,
Ces coiffes, ces bouquets, ces grosses pierres,
Ces peignoirs d’Andrienne leur battant le cul,
Ces jupons, ces falbalas, ces garde-infantes,

Et tant et tant d’autres belles choses,
Qui, éparses ou réunies toute ensemble,
Composent ces jolies figurines ?

Toutes tant qu’elles sont, croyez-moi bien,
Je vous le dis en clairs et propres termes,
Ne veulent rien dire d’autre que : « Fous-moi ».


PARALLÈLE ENTRE DIOGÈNE ET L’AUTEUR

Il me semble que je serais un autre Diogène,
Si j’écoutais ma propre inclination.
Je me laisserais pousser une longue barbe,
Jamais je ne me laverais ni les pieds ni les mains.


Jamais je ne changerais de chemise,
Ni de souliers, ni de bas, ni de culottes.
Bouilli, rôti, étuvée, tripes, boudin,
Je mangerais tout dans le même plat.

À tout je serais indifférent,
Aussi bien à un bel habit qu’à un en loques,
Et je me tiendrais à l’écart du monde.

Diogène logeait toujours en un tonneau ;
En cela seul je différerais de lui,
Moi, je serais toujours logé dans une motte.


LE PÉCHÉ D’ADAM

Je n’ai pas tant à cœur le péché
D’Adam, parce qu’il est cause de si gros ennuis
Que nous donnent mouches, bourdons, taons
Et quantité de bêtes venimeuses ;

Pas davantage pour les grosses maladies,
Pestes, bubons, poulains et chancres ;
Ni pour la guerre, qui fait tant de ravages,
Et amène de si grandes calamités,

Ce n’est pas non plus pour les ouragans, les tempêtes,
Ni parce qu’à tout le monde il faut mourir,
Quoique cela soit la grande coïonnerie ;

Je me fâche seulement de ce que la femme,
Depuis ce péché, s’est mis en tête
De se couvrir tout d’un coup la moniche.


CE QU’EST LA FEMME

Qu’est-ce donc que la femme, cette magie
Qui confond la tête et remplit le cœur
Au gamin en cape, au sage, au sénateur,
Au Nouveau Tribunal et au Vieux ?

Qui fait que Soliman ne peut s’en détacher,
Et que tout Prince, Roi, Empereur,
Cardinal, Pape, se rue à l’amour,
Contraint par sa force toute-puissante ?

Qu’est-ce que cette force motrice, cette attraction,
Dont le savant, le docte et toute la Sorbonne,
Tout talent enfin reste coïonné ?

Caquesangue de Dieu ! qu’est-ce donc que la femme ?
Quel magnétisme a-t-elle donc, en conclusion ?
Le Baffo vous le dira : elle a la Moniche !


SANS LA FEMME POINT DE PLAISIR

Je pleure de ne pouvoir jamais être heureux,
Sinon quand je me trouve avec une femme ;
Sans elle, rien au monde ne me semble bon,
Rien ne me procure un plaisir égal.

Il me semble ne pas avoir fait de gain,
Le jour que je ne palpe pas quelque moniche ;
Et quand à la taverne il n’y a pas de putain,
Je m’amuse autant que s’amuse un tabouret.

Tout m’ennuie, à tout je trouve des défauts,

La musique m’assomme, la poésie aussi,
Mais de la moniche jamais je ne me dégoûte.

Qu’est-ce que cela veut dire ? C’est une maladie,
Ou c’est le juste châtiment de mes péchés,
Ou bien je la comprends mieux que qui que ce soit.


SUR LA FOIRE DE VENISE

Fichez-moi le camp, salopes, qu’est-ce que ce chahut ?
Toute la soirée se promener à l’Ascension,
Vêtues de robes négligées
Pour faire tressauter l’oiseau trois milles au loin ?

Étrangers, ouvrez l’œil attentivement,
Et ne vous laissez pas tromper par l’apparence ;
Sinon, chair de vache, de prime abord,
Vous paraîtra culotte de jeune veau.

Chez la Marion, la Hollandaise, la Trombettina,
Gardez-vous d’aller : ce n’est pas bonne marchandise ;
Non plus chez la Margherita, la Meneghina,

La Zane, la Schizza, l’Allemande la Cappona ;
En somme, toutes ces filles de belle mine
Sont pleines de vérole, au cul et à la moniche.

SUR LE MÊME SUJET

Qui veut goûter d’un noble passe-temps
Aille se promener le soir sur la Piazza :

Là se voit le grand monde changé en bordel,
Et le luxe et la luxure faire carnaval.

Là sont hommes et femmes tous en tas ;
Tels sont debout, tels sont assis, tels se promènent,
Tel boit son café, tel hume son sorbet,
Tel voudrait mettre son nez à toutes les femmes.

Tel veut savoir qui est celle-ci, et tel celle-là,
Qui est son cavalier et qui est son amant ;
Tel s’inquiète si elle est niaise ou accorte.

Mais il manque quelque chose à ces délices,
Et le spectacle serait beaucoup plus beau,
S’il était possible de les enfiler toutes.


LES PLAISIRS DE VENISE

Canzone

C’est à Venise une gaîté,
Une vie si agréable,
Que je ne crois pas qu’il en soit
Une pareille en tout le monde.

Ce sont mille délicatesses,
Manières douces et tendres,
Et au grand nombre de ses beautés,
Elle semble la ville de Vénus,

Ce n’est plus comme autrefois
Cette grande rusticité :
Aujourd’hui toutes vous écoutent,
Aujourd’hui l’on va partout.


Ce n’est plus cette grande retraite
Où vivaient les femmes mariées ;
Aujourd’hui toutes se promènent,
Nuit et jour par la ville.

Elles s’en vont seules, avec l’ami,
Et aujourd’hui ne les suivent par derrière,
Comme faisaient au temps anciens,
Leurs bons coïons de maris.

On va aujourd’hui librement
Les trouver jusque dans leur lit,
Et le mari, ou n’en sait rien,
Ou s’il le sait, reste tranquille.

Toutes ont grande prétention
De porter de jolies parures,
Et en toilette, même à l’église,
Elles vont avec leur cavalier.

Autrefois dans les cafés
N’allaient pas les nobles dames ;
Y allaient seulement les chenapans
Avec leurs grandes bougresses.

Y vont aujourd’hui les bourgeoises,
Y vont les marchands et les dames ;
Et les pauvres gourgandines,
Toutes tant qu’elles sont, meurent de faim.

Pour aller le soir sur la Piazza,
Elles sortent de leurs maisons,
Et on trouve là femmes de tout genre,
Qui marchent en tortillant du cul.


Avec grand air et grand brio
Elles cheminent dans l’allée,
À faire envie, oui, par Dieu !
De leur donner un pinçon.

Vraiment ce pays
S’est de beaucoup ennobli :
Chacun s’habille à la Française,
Chacun mange tout ce qu’il a.

C’est en somme une immense fête,
Où il y a cent mille invités,
Et je ne sais quoi de plus
Pouvaient faire les Sybarites.

Aux bals, aux jeux, aux concerts
On passe des nuits entières
Et pendant ce temps-là, par leurs amants
Se font foutre les chambrières.

Le grand luxe et la grande mode
De ces magnifiques casinos,
Font que tout le monde fait la noce,
Et dépense des sequins.

Plus l’argent roule çà et là,
Plus la ville se fait belle ;
Mais c’est surtout le vice, qui
Tire les sous de l’escarcelle.

Tous les marchands,
Si le vice n’existait pas,
Resteraient les bras croisés
Et tomberaient dans la fondrière.


Si la table et les amourettes
N’existaient pas, ni l’ambition,
Comme des pierres, les gros trésors
Resteraient là, dans un coin.

Le mal est que dans cette ville
Il n’y ait pas beaucoup de putains ;
Mais les femmes mariées
Les suppléent aujourd’hui, elles.

La putain de profession
Est une marchandise fripée,
Tandis que la femme des autres
Est une chasse réservée.

C’est bien autre plaisir que de le mettre
Où ne le mettent pas tant de gens,
S’épargner un écoulement
Et ne pas sortir ses écus ;

Avoir sans l’entretenir,
Une femme toujours près de soi,
Et aux enfants qui peuvent venir
Laisser penser le mari ;

Avoir des loges au casino,
Aller se promener avec elle,
Et satisfaire son caprice
Avec la bourse du mari !

Ce que je prise par-dessus tout,
Lorsqu’on en a assez et qu’on se détache,
On les plante là, tout bellement,
Et l’on s’attache à une autre.


Avec cette autre on fait de même,
On la sert la nuit et le jour,
Et quand près d’elle on est de glace,
À un autre four on se réchauffe.

Ces changes ont bon résultat,
De la sorte il en revient à tous,
Et se peut de ces dragées
Édulcorer plus d’une bouche.

Puis il y a tant de virtuoses,
De chant et de ballet,
Gentilles et spirituelles juments
Sur qui l’on monte à cheval !

Étant donné leurs beaux talents,
Et leurs manières si gracieuses,
Il me semble que le petit service
En devient plus agréable.

Le mal est que la vertu
Les fait se tenir sur le decorum,
Et parce qu’elles font les fières
Elles vous coûtent un trésor ;

Et il y a encore un danger :
C’est si la femme est jolie et brillante,
Que vous dépensiez avec elle,
Et que ce soient d’autres qui l’enfilent.

De plus il peut arriver,
Et c’est là chose bien amère,
Qu’on rencontre quelque querelle
Qui vous force à laisser vos arrhes.


Cantatrices et ballerines
Aujourd’hui font grand tapage ;
Elles sont maintenant les reines
Qui dominent sur le cas.

Vraiment celles-là sont femmes
Qui sur l’homme ont grand empire ;
Elles ont des manières de bougresses
Et sont l’honneur de leur sexe.

Elles vous ont un minois qui enflamme,
Et n’ont rien de détérioré,
Et si elles sont propres dessus,
Elles le sont encore plus dessous.

C’est grand plaisir d’avoir affaire à elles,
Je l’ai reconnu pour moi dès longtemps,
Et, s’il n’y avait la vérole
Les enfiler serait un Paradis.

Oh ! la vie délicieuse
Oh ! l’aimable contentement,
D’entendre une virtuose
Chanter pendant qu’on le lui met !

Comme aussi, à parler franc,
C’est un plaisir considérable
De sentir sa préférée
Danser sous l’oiseau.

D’autre part, fort réjouissante
Est leur conversation,
Et si la dame est foutible,
Il n’est pas de comparaison.


Je ne sais ce qu’est la France,
Ni comment ils font en Allemagne ;
Pour enfiler à crève-panse
Je sais qu’ici c’est le pays de Cocagne.

Je m’étonne qu’il ne vienne pas
Des étrangers en quantité,
Parce qu’ici qui n’est pas un teigneux
Peut se la couler douce.

Autrefois ils partaient
Des contrées les plus lointaines,
Et venaient à Venise
Pour quelques putains.

Finalement n’existait pas
Comme aujourd’hui cette liberté ;
Il leur fallait dans cette sphère
Tourner sans cesse.

Aujourd’hui, quand on sait s’y prendre,
Et que l’on a un peu d’adresse,
On peut tourner toute sphère,
Celle de Vénus et celle de Mars.

Vive donc cette Cité
Qui est le centre des plaisirs !
Assez s’amuse qui y demeure,
Et s’y amusent aussi les étrangers.


RECETTE POUR SÉDUIRE LES FEMMES

Madrigal

Les amours ne sont que douleurs,
La constance est une servitude ;
Pour vivre bien avec vous,
Femmes, il faut être un sot,
Sans idée aucune.

En cet instant de folie
Qui vous vient à chacune,
Toute faveur s’obtient,
Toute victoire est sûre
Pour qui sait son métier.

Par mille et mille voies
On arrive à son but ;
À l’amoureux royaume
Tout sentier conduit,
Toute passion sert d’escalier ;

Le talent, l’impatience,
L’assiduité, le caprice,
Parfois aussi un bon vice ;
Mais toujours et en tout cas,
Les écus et l’ambition.


REQUÊTE À UNE DAME

Madame l’Étrangère, si vous croyez
Attraper des merles en cette ville,
Excusez-moi, ma fille, vous n’y entendez rien,
Il n’y a pas ici grand marché de nigauds.


Si par trop de caprice vous méprisez
Colliers, hongroises et écus en quantité,
C’est une folie ; dans le métier que vous faites,
Trop de chasteté est vice aussi.

Vous vous ferez parler de votre mère et grand’mère
Chantez des ariettes à la Française
Et laissez les coïons vous accompagner.

Le monde entier, ma chère, n’est qu’un pays ;
Ici aussi telle bougresse d’engeance
Bulgarise les filles qui ont le marquis[7].


L’AUTEUR VANTE LE CUL D’UNE FILLETTE

Canzone

Tel se trouve qui vante
Le minois de son amoureuse,
Sa gentille bouchette,
Ses lèvres de rubis ;

L’un appelle les dents des perles ;
Les tétins des pommes,
Et réveille de tendres désirs,
Chez tous, une jolie motte ;

Les sourcils bien arqués,
L’un les élève au septième Ciel ;
Un autre dans les cheveux
Se trouve pris l’amour


Un air plein de désinvolture
À celui-ci fait plaisir ;
Cet autre, par l’éclat des yeux
Se trouve ensorcelé ;

J’ai ouï parler de quelqu’un
Qui faisait consister la beauté
En un doux sourire
Ou en un doux parler ;

J’en ai vu quelque autre
Se pâmer et mourir
Pour une femme qui regardait
Avec des yeux de travers.

On pourrait à une table
Garnie de mets délicats
Précieux et recherchés,
Comparer la femme :

Tout y est bon, tout vous plaît,
Néanmoins tel se rencontre,
Qui s’attaque à un seul plat,
Et laisse de côté les autres.

Chez toi, ma Ninetta,
Tout est bon, tout est parfait,
Moniche, minois, tétins,
Autant qu’il est possible ;

Mais laisse-moi te le dire,
Par dessus tout est plein de mérite,
Chez toi, ce beau prétérit
Qui n’a pas son égal au monde.


Si un Étranger arrive
En cette ville il y découvre
Toujours quelque beauté nouvelle,
Partout où il lui plaît d’aller.

La richesse des Palais
L’enchante et le confond ;
Une cité flottant sur l’onde
Le rend amoureux d’elle ;

Le Pont du Rialto
Lui fait arquer les sourcils,
Et il voit des merveilles
Dans les circuits du canal.

Mais quand de la Piazza
Le bel aspect se présente,
Il en tombe en extase,
Et ne lui trouve rien d’égal.

Ainsi chez toi, ma Ninetta,
Me plaisent les yeux, le sourire,
L’aimable teint du visage,
La grâce du parler ;

Chez toi tout a du brio,
Mais quand j’arrive à ton panier,
Je mets en oubli tout le reste,
Et ne puis trouver rien de mieux.

Je lui donne cent noms divers ;
Je l’appelle paire de fesses,
Fromage blanc de Padoue,
Gracieux tournesol,


Nid de poules et de canes,
Où elles vont pondre leurs œufs,
Je lui trouve les plus beaux noms
Qu’il se puisse imaginer :

Je l’appelle boîte aux épices,
Je l’appelle pot à moutarde,
Pot à tabac, pour le nez
De quelque courtisan ;

Panier de fruits ou de gras-double,
Cornet de noisettes,
Livre de deux feuillets,
Bon à tenir toujours en main,

Tibère, Marc-Antoine,
Tonio, Martin, Tapeo,
Fameux Culisée[8],
Honneur de ma Ninetta,

Coffre, siège, boyau culier,
Canal articulaire,
Tous termes rares
Que m’a appris un Docteur ;

Rond et splendide édifice,
Qui n’a pas son égal au monde,
Mappemonde sphérique,
Messire, gamelle,

Richissime valise,
Qui ne se confie pas à toutes les mains,

Maître Fabiano, jambons
Qui ne causent pas d’indigestions ;

Boutique de salaisons,
Côtes et foies de cochon,
Fesses gracieuses et belles,
Guitare sonore ;

Les parties de derrière,
Ou septentrionales,
Et autant de synonymes
Que peut m’offrir le Calepin :

La boîte aux oublies,
Le petit rond, le butireux,
Le morceau friand
Aux grands seigneurs réservé.

Ah ! s’il pouvait me prendre…
Suffit, je n’en dis pas plus,
Mais cet ancien proverbe
Sert à noter quelque chose.

Si je trouve un terme insolite
Qui peut s’adapter au tien,
Comme : viande mortifiée,
Je me sens tout guilleret.

Je l’appelle le lieu topique,
La boussole, la nautique ;
L’endroit où d’ordinaire
Là souris porte l’épée ;

Je l’appelle le canal Regio,
Le chemin du nouveau-Monde,

Et j’en trouve la raison,
J’en découvre le pourquoi.

Fameuse est l’Amérique,
Par ses richesses et par son or,
Mais bien plus qu’un gros trésor
Cet endroit-là est riche.

Si tu t’en vas te promener
Je marche derrière ta croupe,
Et du cher bossoir de poupe,
Je fais en sorte de rester voisin.

Je ressemble à un petit chien
Que, en proie à la crainte,
Derrière son maître
On voit cheminer.

Si je vois dans un tableau,
Avec un noble artifice,
Peinte cette partie-là,
Je m’arrête avec plaisir.

Me vient alors à l’esprit,
Ton joli cul, Ninetta,
Et ma pensée chemine
De la fiction au réel.

Si tu voulais, ô Nina,
Me faire une politesse,
Le moyen de me rendre heureux,
Mon cher bien, ce serait

De feindre d’entrer en colère,
De ne pas me regarder en face,

Et de tenir le pertuis aux herbes
Toujours vers moi tourné.


RIEN DE PLUS BEAU À VOIR QUE LA MONICHE

Certes, il fait beau voir les draps d’or,
Les galons, les broderies surfines ;
Il fait beau voir un sac plein de sequins,
Il fait beau voir les joyaux du Trésor ;

Il fait beau voir le Doge sur le Bucentaure,
Les palais de marbres précieux et polis,
Les statues dans les salles et dans les jardins ;
Il fait beau voir le Pape en Consistoire ;

Il fait beau voir les amènes collines,
Il fait beau voir danser au son de la musique,
Dans les théâtres, il fait beau voir les scènes ;

Il fait beau voir un Roi, quand on le couronne,
Une flotte qui vogue à pleine voiles :
Mais par-dessus tout il fait beau voir la Moniche.


RÉPONSE CONVAINCANTE D’UNE JUIVE

Chez une femme du peuple de Dieu
Tout ce qu’il y a de Juifs observèrent
Qu’avec une avidité archi-gloutonne
Elle courait après les cas des Chrétiens.

À la fin un jour s’est trouvé un Juif

Qui l’interrogea à ce sujet :
« Dites-moi, pourquoi êtes-vous si portée
» Pour le cas des Chrétiens et non pour le mien ?

» Je vous tirerai à l’instant d’incertitude,
» Et vous dirai, en toute sincérité de cœur,
» Que ne me plaisent ni mensonges ni tromperies ;

» Puisque vous voulez savoir ce beau mystère,
» Je cours après les cas des Chrétiens
Parce que les Chrétiens ont leur cas tout entier ».


RÉCOMPENSE AMBITIONNÉE PAR L’AUTEUR

Je m’alambique la cervelle jour et nuit
Pour faire des sonnets gras et beurrés,
Pour divertir les femmes et leurs amoureux :
Mais j’ai les sonnets, moi, et les autres foutent.

De mes vers ils se prévalent, et de mes leçons,
Et celles-ci les rendent plus courageux
Et quand elles entendent des vers luxurieux,
Ces femmes, elles se laissent glisser comme des marmottes.

Moi, si je veux des femmes, il me faut payer des ruffians,
Et les autres se divertissent à mes dépens,
Mes vers leur servent d’entremetteurs,

Des moniches qu’ils foutent en ce pays
Au moins, comme on le fait aux curés,
Qu’ils me donnent la dîme, ou ma quote-part.


LE PLAISIR DE SE MANUÉLISER

Je veux dire d’abord le contentement
Que l’on a quand on se manie le cas :
On baise Mariettina et Maddalena,
Et autant de femmes que l’on veut, en un moment.

Le divertissement dure tant que vous le voulez,
Et quand on a la bourse pleine,
On le fait avec plus d’envie et d’haleine,
Parce que jamais on ne le fait par cérémonie.

De toutes façons, c’est une bonne affaire :
De l’argent, on n’a pas à en débourser,
Et on ne devient pas fou pour la femme.

Qu’elle aille donc se faire bulgariser,
Si belle que soit la femme !
Moi je veux toujours me secouer l’oiseau.


L’AUTEUR LOUE LE PREMIER QUI S’EST MANUÉLISÉ

Par dessus tous je veux louer celui
Qui, sans que personne le lui ait enseigné,
Avec une simplicité toute naturelle,
Est le premier qui se soit secoué l’oiseau.

Eh quoi ! ne mérite-t-il peut-être pas un autel.
Autre que celui qui inventa la boussole ?
Les grandes bénédictions que je lui ai données,
Je me les rappelle, depuis ma prime enfance.

Pouvez-vous rêver une chose meilleure ?

Trouver moyen de se satisfaire
Sans avoir besoin de la Moniche !

Il est vrai que de cette façon on ne peut fabriquer
Ni des Saints ni des Docteurs en Sorbonne,
Mais aussi on ne fait pas de gibier de potence.


LE PLAISIR DE SE FAIRE MANUÉLISER

Avec raisons probantes et justes, il me semble
Avoir prouvé que c’est un grand soulas
De se manuéliser à sa fantaisie,
Parlons aussi du plaisir de se faire manuéliser.

Eh ! il n’est pas du tout à rejeter,
Surtout lorsque la femme a bon bras :
Elle nous peut donner un bougre de plaisir,
À nous faire débourrer tous les boyaux.

Il y a aussi une autre manière très curieuse,
Et comme elle est la plus belle et la meilleure,
Il faut l’employer avec sa maîtresse :

Prenez à bras-le-corps votre belle,
Et en même temps que, toute amoureuse,
Elle vous manuélise, maniez-lui la Moniche.


PLAISIR DE BAISER

Je ne dis pas que l’on n’ait du plaisir à manger,
Qu’il n’y en ait pas à boire, à dormir,

Que ce ne soit pas un plaisir de digérer,
Que ce ne soit pas un plaisir de chier ;

Qu’il n’y ait pas de plaisir à voyager,
Qu’il n’y ait pas de plaisir à s’habiller,
Qu’il n’y ait pas de plaisir à entendre un musicien,
Qu’il n’y ait pas de plaisir à se faire bulgariser ;

Tous ces plaisirs-là sont beaux et bons,
Je ne dis pas non, et il y a encore celui
De se gratter les couilles, quand elles vous démangent ;

Mais le plaisir qui de tous est le plus grand,
Qui est supérieur à toutes ces voluptés,
C’est quand l’Oiseau se trouve dans la Moniche.

MÊME SUJET

Madrigal

Au moment où
À l’orifice
Femelle
L’homme s’apprête
À présenter
Son engin,
Se sent offrir,
Par toute son âme,
La créature
Qui va recevoir
Cet objet si dur,
Avec un plaisir extatique
Une suavissime
Inondation.

Mais quand la machine
Avance et pénètre,
Et s’insinuant
Par tous les recoins,
Visite le circuit
De cette interne
Et molle caverne,
De toutes les glandes
S’échappe un jet tiède,
Certain suintement
Qui se mêlant à l’autre
Lâché par le mâle,
Fait certaine colle
D’une dulcissime
Composition.


PLAISIR DE SE SATISFAIRE DANS LA BOUCHE

De diverses manières je me suis essayé
À jouir d’une femme à crève-panse :
Tantôt je me la suis appuyée sur le ventre,
Et tantôt j’ai grimpé sur elle.

Parfois je l’ai bulgarisée,
Et ç’a été une excellente affaire ;
Parfois, à l’usance de certains peuples,
Les jambes sur l’épaule je l’ai besognée ;

Tantôt habillée, sur le lit, tantôt debout, et nue,
En levrette je le lui ai mis dans le chas,
Et dans les tétons je lui en ai donné tout plein ;

Mais le plaisir qui me charme le plus,

Que je prise bien plus qu’une simple passade,
C’est quand la femme prend mon cas dans sa bouche.


PLAISIRS DÉSIRÉS PAR L’AUTEUR

Pour mon bonheur il me faudrait sept femmes
Qui toutes nues fussent autour de moi ;
Je voudrais qu’une me léchât le cul,
Que l’autre me prit le cas dans sa bouche ;

J’en voudrais deux autres, sur un matelas,
Où elles se flanqueraient la panse en l’air,
Et je les manierais jusqu’à ce qu’elles jouissent.
Et que j’eusse les deux bras perclus.

J’en voudrais deux autres couchées par terre,
Pour jouir avec les pieds et, de temps en temps,
Leur donner de bonnes frottées sur la moniche ;

Pour que la dernière ne restât pas à l’écart,
Je lui voudrais donner de bonnes lichades,
Puis, lui entrer mon nez dans le cul, en farfouillant.


LE PLAISIR DE JOUIR D’UNE FILLETTE AU LIT

Qui ne sait ce que c’est que de se fourrer au lit
Avec une fillette jeune et avenante,
Qui soit rondelette et savoureuse,
Ne sait pas ce que c’est qu’un plaisir parfait.

Là on jouit de tout bien, de tout charme,

Car la rose est débarrassée des épines ;
Que si, en outre, la fille est votre maîtresse,
C’est bien autre chose que le Paradis de Mahomet !

Quand on commence à se mettre auprès d’elle,
Une telle douceur vous pleut dans le cœur
Que de ce monde on ne sait plus rien.

Il semble qu’on s’envole, et tant de choses neuves
Égayent et rendent l’âme joyeuse,
Que l’on ne changerait pas pour le ciel Jupiter.

On trouve un plaisir immense
À faire la contrebande,
À mettre secrètement
Sans grande façon
Son pauvre cas
En moniche au joli minois
De cette maîtresse,
Qui n’est pas bégueule,
Qui a cheveux blonds
(Il n’en est pas de plus beaux),
Gracieuse frimousse
Faite de lait et de vin,
Petite bouche bien faite,
Toujours en train de rire,
Deux petits tétins
Durs et élastiques,
Et ce petit corps gentil,
Fait au pinceau :
En somme avec cette fillette,
Si elle se laisse faire,
Il n’est certes pas au monde
De plaisir plus joyeux.
Mais si vous lui mettez

Le nez entre les tétons,
Et pour plus d’amusement
Un doigt dans le pertuis prohibé,
Alors, je vous le promets,
On s’en va, comme on dit, tout en suc ;
Et s’accroît encore la jouissance
Au moment qu’on va l’enfiler,
Si pour vous mettre en haleine,
Vous faites qu’elle vous manie.
Quand elle n’en peut plus,
Qu’elle tourne le cul en l’air,
Partout on la baise,
On lui flaire le cul,
Puis on lui saute dessus
Avec le cas dur et gros.
Et ainsi ferme et sec
On lui pousse tout ;
On la laisse péter,
Crier et faire ;
On va dedans et dehors
Jusqu’à ce qu’elle jouisse.
C’est bien autre que roses et fleurs,
Que baumes et liqueurs,
Bien autre que lait et que crème,
Que sucre et que manne !
Pas d’expression qui suffise ;
La matière est si vaste,
Qu’elle n’a ni fin ni fond,
Je m’y perds, je me confonds,
Je ne sais où je suis,
Mais je sais qu’en moniche je resterais toute ma vie.


L’AUTEUR VOUDRAIT ÊTRE TOUT CAS

Amis, je suis en moniche ! Oh ! quelle volupté !
Et je suis dans celle de ma bien-aimée !
Tantôt je lui pelote le cul et tantôt un téton ;
En ce moment je puis dire que je suis à mon affaire.

Elle s’est délacé les jupons et le corset
Pour que, plus commodément, je puisse le lui mettre ;
En bouche elle m’a donné sa petite langue,
Et de temps en temps, elle me lâche un soupir.

J’en jouis hors de toute mesure,
Et je voudrais avoir l’oiseau long d’un bras,
Pour bien farfouiller dans sa nature.

Ah ! pour rendre plus grand mon bonheur,
Et pour donner plus de plaisir à cette créature,
Je voudrais à cette heure être tout en cas.


COMBIEN L’AUTEUR ESTIME LE DÉDUIT

Madrigal

Quatre bonnes frottées,
Bien comptées
Pour moi valent beaucoup plus
Que tous les compliments
Et toutes les attentions.
Ces foutaises dont on use
Ne sont rien pour les cas durs ;
On les inventa pour excuse
De ceux qui n’ont pas d’haleine,
Et elles ont été acceptées
Par le bon coïon de public.


IL BULGARISE AVEC VIOLENCE UNE FEMME

À mon casino je suis allé avec une femme,
Et m’y suis per quantum possum, diverti ;
In primis et ante, omnia, j’ai fait
Mon affaire, id est, je le lui ai mis en moniche.

Après avoir bien enfilé cette bougresse,
J’ai essayé de la bulgariser ;
Mais, comme elle était trop bien cousue,
Je me suis mis à l’enfiler à l’Esclavonne.

Durant un bout de temps je n’ai pas mené grand bruit,
Mais après avoir vidé plus d’un gobelet,
Je suis revenu m’amuser avec la belle ;

Je l’ai prise tantôt par-dessus et tantôt par dessous,
Puis je l’ai tournée la tête en bas,
Et je n’ai eu de cesse que je l’eusse bulgarisée.


POUR AVOIR VU CHIER EN PLEIN AIR

Un grand plaisir que j’eus, ce fut de voir
Se soulager en plein air une Dame, dans un parc ;
Elle faisait une magnifique omelette,
Avec un derrière qui méritait cent cas.

Lorsque je vois chier ces gros fessiers,
Je les baiserais comme une médaille ;
Prétende qui n’est pas de ma confrérie
Que ce sont là goût de cochons, de viédazes ;

Je ne sais que répondre : voir un derrière grassouillet,

Ses deux moitiés bien découvertes, en train de pondre
Un bel étron, et un peu plus bas la moniche,

C’est un beau coup d’œil qui rend amoureux ;
Par Dieu ! je vous le jure, j’ai eu tant de plaisir,
Que j’y serais toujours, si elle chiait encore.


L’AUTEUR VOUDRAIT RESTER DANS LA MONICHE JUSQU’À
LA FIN DU MONDE

Neuf mois au plus l’homme reste
En prison dans le ventre de la femme,
Avant de s’élancer hors de la moniche,
Et de venir respirer en ce monde.

Après mille tourments, il lui faut aller
En une lugubre sépulture
Et pour couronnement à sa misère,
Y rester éternellement.

Je voudrais que tout se passât au rebours,
Que lorsqu’on est mort, dans le tombeau
On n’eût à rester que neuf mois,

Et en revanche, par un décret de la Nature,
Qu’on séjournât dans une moniche de femme
Tant que ce monde aurait à durer.


IL VOUDRAIT MOURIR DANS LA MONICHE

Puisqu’il nous faut mourir, je ne voudrais pas
Trépasser quand je suis en barque ou dans la rue ;

Je ne voudrais pas mourir sur la promenade,
Je ne voudrais pas mourir à l’ostéria ;

Je ne voudrais pas mourir à la Malvoisie
Quand je me réconforte d’un bon dîner ;
Pas davantage quand je chie le cul en l’air,
Ni quand je dors au lit, chez moi ;

Je ne voudrais pas mourir quand je suis près du feu,
Je ne voudrais pas mourir sur le canapé,
Je ne voudrais pas mourir sur le sofa,

Je ne voudrais mourir nulle part ;
Mais puisqu’il me faut mourir, devinez :
Je voudrais mourir, quand je suis dans la moniche.


IL VOUDRAIT ÊTRE ENSEVELI DANS LA MONICHE

Si c’était en mon pouvoir, si de moi dépendait
Le choix de ma sépulture, quand je serai mort,
Ce qui me serait grande consolation,
Je ne voudrais pas qu’on m’enfouît sous la terre ;

Je ne voudrais pas qu’on me jetât dans un champ,
Ni dans une vallée, ni dans un bois, ni dans un jardin,
Ni dans un fleuve, ni dans la mer, ni même dans un port,
Ni qu’on m’enfermât dans une boîte ;

Je ne voudrais pas aller au Lido, comme les Juifs,
Ni sur une colline ni sur une montagne
Pas même sur celle de l’Hélicon ;

Pas davantage sur un clocher, ni sur un pont ;
Je ne voudrais ni statues, ni mausolées ;
Mais je voudrais me faire ensevelir dans la Moniche.


POUR LA VENUE DU DUC D’YORK À VENISE

Édouard frère du roi d’Angleterre,
Vient à Venise avec un grand cortège,
Après avoir visité Rome, Parme et Reggio,
Gênes, Turin et autres beaux pays.

Les Vénitiens splendides et courtois,
Lui préparent un accueil royal,
Et d’une amitié vraie se font mérite
De donner les signes les plus vifs et éclatants.

Pour inventer des fêtes, des régates, des passe-temps,
Chacun est en mouvement et en joie ;
Seuls les amoureux sont pleins d’inquiétude :

Sachant qu’au Duc plaisent fort les femmes,
Ils pensent, avec raison, à leurs maîtresses
Mettre le cadenas sur la moniche.


RÉFLEXION CRITIQUE SUR LE PRÉCÉDENT SONNET

Dans ce sonnet, il y a fort à louer
La conduite, la phrase, le style,
Et les rimes et tout le reste, excepté
Ce qui est de vouloir cadenasser les belles.

Le meilleur cadenas, c’est l’honnêteté,
Précieux joyau de toute jolie femme,
Et si elle ne fait pas sentinelle,
Autant vaut les portes grandes ouvertes.

À quoi sert un tel expédient, réduit

À tenir seulement en bride la nature,
Si malgré lui j’emplis le cœur, la main et le sein ?

Quand le désir ne connaît plus de bornes,
La femme, je vous le jure, ouvre tout cadenas,
Au risque de briser la serrure.


AUX DAMES VÉNITIENNES

Toutes ces dames d’ici, qui ont du brio
De la jeunesse, de la beauté, de la prestance,
Coquettent avec le Duc, en public et en cachette,
Pour lui montrer leurs moniches et leurs derrières.

Elles tâchent d’éveiller chez lui le grand désir
D’une douce et lascive conjonction,
Parce que c’est un Duc valeureux et bon,
Qui veut avoir toujours l’oiseau dans le nid.

Partout elles le cherchent et l’adorent,
Comme une fameuse et illustre Altesse,
Et parce qu’il sème partout des diamants.

Comme les autres, cette dame chargée de brillants,
Je l’excuse, car moi qui suis dans la misère,
J’accepterais une brillante bulgarade.

AUX MÊMES

Arrivé à Venise, le Duc a mis ces Dames,
Toutes tant qu’elles sont, en allégresse ;

Pour mieux paraître elles ont dépensé ;
Des livres sterling tant et tant.

Elles se sont efforcées de la tête aux semelles,
De s’embellir avec luxe et bizarrerie,
Pour échauffer chez lui la fantaisie,
Et le voir tomber à leurs pieds.

Toute la ville, curieuse de savoir,
Parmi celles dont se compose le consistoire,
Laquelle à ce Héros paraîtrait la plus belle,

L’a vu enfin tourner en cercle dans le chœur
Des Déesses, et comme à une Vénus nouvelle,
Donner à la Zaguri la pomme d’or.


BALLOTTAGE DES DAMES QUI PRÉTENDAIENT AU DUC

Madrigal

La Grillo et la Zaguri,
Malgré tous les bons augures,
N’ont point passé au Conseil ;
La Zorzi ne peut, grâce aux lois,
Être mise en ballottage ;
La comtesse Romili est restée.

Bougresse de putain !
Comment peut avoir cet honneur
Une femme non portée au Livre d’or ?
Par Dieu ! c’est un cas fort beau,
Qu’à l’unanimité passe la Capello,
Qui sait à l’égal de n’importe laquelle
Prendre l’oiseau en bouche, en cul et en moniche !


CONSEIL AUX FILLETTES DE VENISE

Où diable, fillettes, êtes-vous fourrées,
Qu’on ne vous voit plus aller par les rues ?
Vous êtes-vous par hasard cachées pour son Altesse,
De peur d’en recevoir quelque bonne frottée ?

Si vous n’étiez pas toutes bien informées sur lui,
Je dirais que vous avez eu là une bonne idée ;
Mais sachant que, s’il baise, il paye bien,
Ce n’est ni la crainte ni l’honneur qui vous arrête.

Moi de même, si j’étais une belle et bonne fille,
Et qu’il s’amourachât de moi un tantinet,
Je voudrais, par Dieu ! me faire défoncer la moniche.

Je saurais si bien faire qu’il me traitât
Comme qui dirait une matrone,
Et qu’il m’enfilât continuellement.
Si un beau jour il se lassait de moi,
Accident commun chez gens de cette sorte,
Je voudrais chercher un mari sans défauts,
De ceux qui ne regardent
À porter des cornes, et n’en donnent un fétu,
Comme a fait le mari de la Cavazza,
Laquelle avec sa moniche
Puante et sale, fripée par tout le monde,
Avec le Duc s’en est si bien donné,
Et tant d’autres qui, de leurs rentes
Vivent à présent, connues de tout le monde,
Et n’ont jamais eu peur de se faire enfiler.
Et vous autres, comme des bambines
Vous vivez retirées chez vous ? Sans réflexion
Courez vous faire enfiler tout de suite.


ÉTONNEMENT CAUSÉ PAR LES DAMES DE VENISE

J’observe et je suis stupéfait que toutes les femmes,
Qu’elles soient de basse ou de haute condition,
Par gentil caprice ou par ambition,
Ne reçoivent pas le duc d’York dans leurs moniches.

Même si baiser n’était pas une bonne chose,
Le faire avec un Duc, c’est une noble action,
Et celle qui ne profite pas de cette occasion,
Je lui dis, elle est une coïonne.

J’estime encore qu’outre qu’il est le frère
D’un Roi puissant, c’est un tout jeune Duc,
Chez qui l’oiseau doit toujours bien bander.

Où pourraient-elles trouver plus grand plaisir ?
Sans compter celui de dire ensuite à tel et tel :
« J’ai été travaillée par un cas de Prince. »


ÉLOGE DU PRINCE

J’estime fort ce Duc, pour les nombreuses,
Grandes et belles qualités qu’il possède ;
En générosité il ne cède
À n’importe quel Prince et Souverain qui soit.

De la musique il est vraiment amoureux,
Lui-même il s’en acquitte en maître,
Et dans sa grandeur se voit bien
La courtoisie briller toujours constante.

Il récompense le beau et le vilain,

Et ne lui est présentée nulle personne
Qui s’éloigne de lui la bouche sèche.

Véritablement il est digne d’une couronne ;
Mais ce que chez lui j’estime par-dessus tout,
C’est que lui plaît fort la Moniche.


SUR LE VOYAGE DU DUC DE PADOUE

Pour faire le chasseur dans le Padouan
S’en est allé le Duc, avec toute sa Cour,
Espérant trouver là plus belle rencontre
Qu’il n’a eu en chassant à Venise ;

Que l’espèce sera là plus commode,
Qu’elle n’aura pas la peau si dure,
Qu’elle ne sera, comme la nôtre, si rusée,
Et qu’il pourra en manger toute sa faim.

À ce qui se voit et à ce qui se dit,
Pour lui ce climat se montre plus serein,
Et il trouve qu’il y vivra mieux en joie ;

S’il séjourne si longtemps dans ces contrées,
Le monde ne se trompe pas en jugeant
Que la chasse lui réussit très bien.

SUR LE MÊME SUJET

Comme le chasseur qui, poussé par la faim,
S’enfonce dans le bois avec son escopette,

Cherchant à pouvoir tirer un joli coup,
Ainsi allait ce Duc au milieu des Dames ;

Il les a trouvées toutes dures de peau
Et quoiqu’il tirât très droit,
Ses balles ne produisaient aucun effet,
Juste comme s’il tirait sur un cuir épais.

Il aurait voulu prendre de cette belle race,
Mais si l’une était forte comme un château,
L’autre était forte comme une place de guerre.

Jamais il n’a pu faire un beau coup ;
Et savez-vous comment a fini cette chasse ?
Il est parti en se tirant l’oiseau !


SUR LE SOUPER DONNÉ AU DUC DE VENISE

Madrigal

Les soupers d’Héliogabale,
Les festins de Lucullus,
En comparaison de celui-là,
Boutez-vous-les sur le cul.

En seraient les Sybarites,
Avec leurs grands banquets,
S’ils avaient vu celui-là,
Restés tous coïons.

Toutes les histoires
Qui traitent du manger,
Quand on lira récit de celui-là,
Seront bonnes à faire chier.


Vive donc qui l’a fait
Représenter en peinture !
Il mérite dans son cul
Un cas de bonne taille.


AUX DÉPUTÉS PRÈS DU DUC

De grandes et belles choses ont fait les députés
Pour flatter l’orgueil de cet auguste Duc :
Sachant qu’il était un grand seigneur,
Frère de l’un des premiers souverains,

Ils ont dépensé pour lui de larges ducats ;
On ne peut dire qu’ils ne se soient fait honneur,
Et comme ils étaient tous d’un cœur généreux,
Pour le divertir ils en sont devenus fous.

Ils lui ont donné de grands festins, de belles régates,
Au théâtre de grands divertissements de ballets,
Et tout a été fort bien ordonné.

Certes ils ne pouvaient rien faire de plus ;
Mais puisqu’ils voulaient lui être agréables,
Ils auraient dû lui trouver aussi à enfiler.


SUR LE PRÉSENT FAIT PAR LE DUC AUX DÉPUTÉS

Comment un Duc qui est si luxueux,
Qui est venu avec cent personnes, et davantage,
Avec des Maures, des Géants, des putains,
Et un train effrayant d’heiduques ;


Qui en toutes choses s’est montré grandiose,
Qui avec les joyaux dont sont parées ses dames
Pourrait enguirlander trois cents moniches,
Et emperler les cas de leurs amoureux ;

Qui possède partout des palais et dont l’ambition
Est si vaste, qu’il semble, si je ne m’abuse,
Que cette ville entière ne lui suffirait pas ;

Ce duc qui n’aurait pour second que Sardanapale,
À ces députés de si bonne pâte
À laissé pour cadeau quatre riens du tout !


AUX DÉPUTÉS POUR QU’ILS DONNENT UNE RÉGATE

Canzone

J’entends dire qu’on ne donnera pas
De régate dans ce pays,
En ce moment où y séjournent
Plus d’un Prince et plus d’un Marquis.

En ce moment qu’il y a un Duc,
Qui ne mène pas une vie retirée,
Que l’on dise : « Non, non !
« Ils n’ont pas donné de régate ! »

Après qu’on a tant dépensé
En festins et repas somptueux,
Alors que n’importe où
Peuvent se voir de ces galas,

Et le spectacle merveilleux
Que l’on ne peut voir qu’à Venise,

Ce qui la rend partout fameuse
Et fait que tout Prince l’apprécie,

Celui-là on ne le donnera pas,
Lors d’une si belle occasion !
Qu’il s’agisse ici de compter,
Me déplaît fort cette raison.

À haute voix, des parents
De ces quatre députés,
S’ils ne veulent pas équiper des gondoles,
Qu’on dise qu’ils sont ruinés,

Ou que peut-être bonne amitié
Ne règne pas du tout entre eux ;
Qu’on dise que c’est avarice
Ou pour mieux dire pouillerie ;

Je ne voudrais, pour tout l’or du monde,
Que ces bruits vinssent à courir,
Parce que sûrement ces seigneurs
Y perdraient leur réputation.

Je conseille à ceux qui ont l’honneur
De servir près de ce grand Duc,
De laisser les autres errer,
Mais ne pas faire parler d’eux,

Parce que le monde, si je ne me trompe,
Dira que c’est un prétexte
Pour se retirer de la danse
Et n’avoir pas à jouer leur reste.

Qu’on fasse voir qu’on a fait
Tout ce que l’on pouvait faire ;

Si les autres n’y sont pas,
La tête ne leur fera pas mal.

La régate est une chose
Assez belle, de sa nature ;
Il faut toujours mieux en faire une
Que la laisser dans la ruelle ;

D’autant plus lorsque l’on voit
Que ce Duc en a envie ;
Qu’il reste ici dans cet espoir,
Qui seul l’empêche de s’ennuyer.

Si on a donné, sur la Piazza,
Cette course de taureaux
Pour amuser la populace,
Pour lui ne donnera-t-on pas l’autre ?

Celle-ci, il peut parcourir,
Comme je l’ai dit, tout l’univers,
Mais jamais ne pourra trouver
Divertissement plus agréable.

Du meilleur de mon cœur
Je dis à chaque député :
À ce général Duc
Faites voir la régate.


SUR UNE QUERELLE ENTRE FEMMES

Deux femmes sont en querelle et se chamaillent :
L’une d’elles, en furie, court avec un couteau,
L’autre ne se laisse mâter et, juste à temps,

D’une râpe à fromage la menace ;

Elle pare les coups, en vrai bravache,
Désarme son ennemie, en plein parvis,
Lui relève ses jupons et, dans ce duel,
S’écrie : « Qui me retient, que je ne te tue ?

» Je veux te laisser une marque, sans être féroce ; »
» Je veux te gratter les parties sensitives ; »
Et rageusement elle lui a râpé la gondole.

Avec grande raison celui qui écrit pense
Que puisqu’elle l’a grattée de cette manière,
Cela ne lui démangera plus de sa vie.


RÉPONSE

« Ne pouvant souffrir qui me dit vilenies
« En attaquant mon honneur, à coup de couteau,
« Je voulais me venger, me battre en duel,
« Et d’une balafre saigner cette indigne espèce.

« Mais avec une râpe à fromage, cette bravache
« M’a donnée en spectacle en plein parvis,
« Et comme vous le savez assez, m’a fait chose
« Bien pire encore que si elle m’eût tuée.

« Elle m’a râpée en femme barbare, féroce ;
« La raison, l’honneur, sont parties sensitives
« À lui brûler, à elle aussi, la gondole.

« Je réponds sur les mêmes rimes à l’auteur,
« Que quantum que grattée de cette façon,
« Femme reste sujette à démangeaison, tant qu’elle vit. »

SENTENCE PORTÉE CONTRE L’INFIDÉLITÉ CONJUGALE

« Amour, voici une femme qui à son mari
« A planté des cornes sans songer
« Qu’elle trahissait le lit conjugal,
« Contre toute loi et contre tout devoir.

« — Amour, voici un mari qui à sa femme
« N’a pas gardé la foi promise,
« Car chaque jour il baise tant qu’il peut ;
« Il les recherche toutes, à toutes il suit la piste. »

Amour entendant la bestiale conduite
De ces deux délinquants en cas criminel,
Vite écrivit la sentence finale :

« Égale sera la peine d’un égal délit ;
« À la femme sera brûlée la moniche,
« Et au mari sera coupé le membre. »


À UNE VIEILLE

Vieille enragée, fustigée, piloriée,
Rosse et jouet du genre humain,
Squelette échappé de Sant’Arcano,
Charogne que le Seigneur laisse vivre par oubli ;

Tu ressembles à la Peste horrible, décharnée,
Peinte par le Titien à la Salute ;
Tu ressembles à Mézence, à Ezzelino da Romano,
Flagellum Dei, ou encore à une âme damnée.

Regarde ce museau de chat que tu as !

Et ces tétasses à bas-roulés et falballas !
Et ces bras ! on dirait des sacs de noisettes.

Puisque par dehors tu exhibes ces difformités,
En dessous, vieille harpie, Dieu soit loué !
Tu dois avoir la moniche sur la fourche.


SUR LA GRANDE CHALEUR

Oh ! Dieu ! quelle chaleur ! on ne peut plus manger
On ne trouve de repos nulle part,
On coule en sueur, comme fait un cuisinier,
Quand il a à faire quelque grand dîner.

On ne peut ni rester debout ni marcher,
On ne peut s’amuser à aucun jeu ;
L’hiver, du moins, on se fourre dans le feu,
Quand on veut au grand froid remédier.

La viande, ou bien elle est dure, ou bien elle est passée ;
Les puces vous mangent et aussi les moustiques,
On laisse ses affaires aller à l’abandon ;

Et qui voudrait faire des mamours,
Les femmes ont la moniche tout en sueur,
Et les hommes le cas pendu dans les couilles.


QUI A SOIF BOIT N’IMPORTE OÙ

J’apprends qu’il y en a qui s’étonnent
Que les hommes aillent chez les putains,

Disant que le plus souvent elles ne sont pas saines,
Et qu’elles le font avec tous ceux qui leur arrivent.

C’est très bien ; mais qui souffre de la soif
Ne va attendre l’eau des fontaines ;
Il boit même dans un fossé plein de grenouilles,
Et cet eau en ce moment lui est la plus agréable.

La putain à l’instant même vous satisfait ;
Il n’y a pas d’or, par Dieu ! pour bien la payer,
Quand on a envie de le mettre.

Que sert-il d’attendre et de rester en proie,
Comme tant de coïons à ce tourment,
Puisque même la femme saine pisse et chie ?


OPINIONS DIFFÉRENTES DE PLATON ET DE L’AUTEUR

Ce grand spéculatif de Platon,
Croyant faire chose excellente,
Et agréable à l’homme autant qu’à la femme,
Voulait la communauté des épouses.

Moi je serais aujourd’hui d’une opinion autre,
Qui, elle non plus, ne serait pas si bête,
Et qui, je crois, plairait à tout le monde :
Ce serait de prohiber le mariage.

À ce que je vois jour et nuit,
En grande liberté et grande liesse,
Chacun fait l’amour aux femmes mariées ;

Il serait beaucoup moins mal, de cette façon,

Que les femmes fussent mises à sac :
La loi du moins ne le serait pas.


L’AUTEUR EST ENCOURAGÉ À ÉCRIRE PAR LE SIBILIATO

Le docteur Sibiliato veut que j’écrive
Des bêtises aussi grosses que des maisons,
Disant que mon style lui plaît fort,
Et que lui-même n’atteint pas si haut.

Mais moi, pour son franc et vif savoir,
Pour la noblesse de sa phrase,
Que tout le monde loue et qui ne déplaît à nul,
Je lui prêterais bien volontiers ma flûte.

Oh ! si se pouvait accoupler son savoir
Avec toutes les bêtises que j’ai en tête,
Quels beaux fruits naîtraient de cette semence !

Si se pouvaient accorder ces cloches,
Comme nous carillonnerions joyeusement
À l’occasion des nonnes et des putains !


QUAND LA FEMME MANQUE DE PAROLE

La femme ne manque point de parole
À l’amant, encore moins au mari,
Quand elle se laisse manier le nid,
Ou quand elle montre à chacun sa Simone ;

Non plus quand elle agit en vilaine bougresse,

Disant à tous : « Tu es ma chère idole » ;
Ni quand elle se le fait mettre entre les fesses,
Ni quand elle se le fait mettre par devant,

Ni quand à tous elle donne des baisers qui claquent,
Ni quand elle se fait lécher la moniche,
Ni quand elle manuélise pour qu’on l’embroche,

Ni quand elle le fait jouir dans ses tétons ;
Elle en manque lorsqu’elle prend le cas dans sa bouche,
Puisqu’en ce moment-là elle ne peut parler.


DÉCISION D’UN MOINE

Tel disait que l’Amour est un enfant,
Un bambin qui n’a aucun jugement,
Qu’il fait courir un chacun à sa ruine,
Qu’il donne des coups de bâton comme un aveugle,

Que quoique tout gamin, c’est un fourbe,
Que son vice est de coïonner tout le monde,
Que c’est un feu, une peste ; tel, que c’est un supplice,
Et tel un maudit larron des cœurs.

De cette façon, dans un casino brillant,
Où ne se trouvait pas un seul nigaud,
Chacun voulait en dire tout son saoul,

Lorsqu’un Moine qui n’était pas un serin
S’écria, mais d’une voix tonitruante :
« L’Amour est un grillon ; sa demeure est un trou. »


À LA SIGNORA PERINA

Madrigal

Signora Perina,
Si vous vouliez
Que dans la tirelire
Je vous le misse,
Je vous l’y mettrais,
Oui en vérité.

Sans salive
Je vous l’enfoncerais,
D’une grosse pluie
Je vous arroserais,
Et un gentil bambin
En serait incarné.

Un grand plaisir
Vous éprouveriez,
Si mon oiseau
Dedans vous preniez :
Un pareil jamais
Vous n’avez goûté.

Mille caresses
Je vous ferais,
Mille baisers
Je vous donnerais,
Que votre mari
Ne vous saurait faire.

À LA MÊME

Signora Perina, ma chère, si vous l’avez,
Faites-m’en de grâce la charité ;
Les morts peuvent aller trouver tout le monde,
Et il ne me serait pas permis d’y aller ?

Il faut que vous m’en fassiez part,
De cette fève, qui par vous est dispensée ;
Plus de mérite vous acquerrez
À me l’offrir, si vous me l’apportez.

En ma faveur personne ne se remue ;
Il y a un an que je pâtis, et je vous jure
Qu’à peine sais-je comment elle est faite.

Pour me l’apporter ici, quand elle sera cuite,
Je sais que vous avez toute prête la soupière ;
Vous me dites : « Je l’ai bien, mais elle est cassée ; »
N’importe, pourvu que je bâfre ;
Qu’elle soit comme elle voudra, suffit aux Vénitiens,
Si elle laisse fuir la sauce, qu’elle tienne le grain.


LA PEUR TRIOMPHE DE LA LUXURE

J’étais un jour à l’ostéria avec ma pipe,
Quand j’aperçois par l’ouverture
D’une porte entre-baillée,
Une jolie fille, qui se maniait sa Filippa.

Elle avait un gros et beau ventre,
Si beau que moi, pour lui grimper dessus,
En ce moment là j’aurais prodigué


Tous les trésors du roi Agrippa.
Sachez que je ne vous conte pas une bourde ;
En voyant cette jeunesse en cette fonction,
Je ne pouvais, de plaisir, tenir en place ;

Mais comme elle était la fille du patron,
Force me fut de me sauver au galop,
Parce que j’eus peur des coups de bâton.


IL FAIT L’ÉLOGE DE L’OSTERIA

Observez l’osteria ; quelle belle maison,
Bien autre que la professe du Gesu !
On n’y voit jamais entrer des hommes,
De ceux à qui la moniche déplaît.

Là tout le monde est envahi
De l’esprit divin que chacun a bu,
Et quand on est en extase, qu’on n’en peut plus,
À sa divine on applique des baisers.

Par cette porte les Dames entrent en cachette,
Et pendant que l’une vient, l’autre s’en va,
Telle avec son marquis et telle avec son comte.

Du coucher du soleil jusqu’à l’aurore,
Et de l’aurore jusqu’à ce que le soleil parte,
On chie, on mange, on boit, on pisse et on jouit.

SUR LE MÊME SUJET

Tercets

Vous me demandez si j’ai un casino ? je vous réponds
Que j’en ai plus de dix à ma disposition,
Et tous meilleurs l’un que l’autre ; oui mon ami.

Par des valets qui ne se croisent pas les bras,
Je suis servi avec la plus grande attention,
Et on me donne tout ce que je demande.

Si bien que j’en ai plus d’estime et de dévotion
Pour le premier qui, en ce monde, s’est fait hôte,
Que pour celui qui inventa la procession.

Je trouve toujours tout cuits un bouilli, un rôti,
Et aussitôt mangé, arrive en grande hâte
Celui qui m’a servi m’apporter le compte.

Si vous voulez que je confesse la vérité,
Il me plaît bien plus d’aller à l’osteria,
Que, les jours de fête, d’aller à la messe.

Là on se rend tout seul, ou bien en compagnie,
Et l’on s’y rend avec sa chère maîtresse,
Bien sûr que nul ne vous en chassera.

Oh ! c’est là une existence bénie
C’est le véritable état de Nature !
Tout le reste, qu’on se le boute sur le cul.

À quoi sert, pour manger, tant d’apprêt ?
Là on mange avec cette simplicité
Dont on usait avant de connaître l’écriture.


Il n’est pas d’endroit plus plaisant au monde ;
Il éveille l’idée des Bacchanales,
Telles que les faisait Rome à son premier âge.

L’Hôte semble un général avec ses officiers,
Les casseroles servent de mousquets et de canons,
Les armes blanches sont broches, carafes et bouteilles.

Ces rôtis qui tournent au-dessus des chenets,
Et ce feu, qui ressemble à la fournaise,
Où se sont précipités ces bons coïons,

Je m’étonne que tant de bonnes choses ne plaisent
À toutes gens, et qu’il y en ait
Qui aiment mieux manger à la maison.

Comment peut-il exister des gens
Qui préfèrent rester chez eux à s’ennuyer,
Quand ils pourraient aller dans ces bordels ?

Avant d’y entrer on se pince la bouche ;
Quand on y est, on se sent une joie
Qui vous donne plus envie d’aller dans la rainure.

Voir l’osteria, c’est un beau spectacle ;
Tel va, tel vient, tel crie, tel cogne les plats,
Et tel à force de rire véritablement crève.

Là on chante, on danse comme des fous,
Et toutes les chambres sont pleines
De putains, de bardaches, de prêtres et de moines.

Autant de salons, autant de soupers ;
Tels jouent à la bassette, tels à la mourre,
Et l’on entend chanter mille refrains.


Tels vont à certaine porte, dedans et dehors ;
Tels montent pour manger, tels descendent pleins,
Tels jouent, mangent, boivent, pissent et jouissent.

De cette façon se passent d’heureux jours
Et quand on est là, il me semble
Qu’en tel centre se trouvent les vrais biens ;

La plupart de ces choses on peut les faire ailleurs,
Mais si nous réfléchissons à telle ou telle,
Nous verrons qu’elles manquent souvent.

De leur nature toutes sont belles,
Mais leur goût a autant de différence
Qu’il y en a entre l’esturgeon et la sardine.

Ah ! cette licence permise aux masques,
Le sans-gêne, la liberté,
Dont on jouit là, en bonne conscience,

Font que tout y plaît beaucoup plus,
Si bien que, pour ne pas aller à l’osteria,
Je ne voudrais être Sa Sainteté.

À quoi sert de manger avec un grand luxe
Dans des assiettes d’argent et des plats d’or,
Si l’on ne mange pas avec plaisir ?

Quand vous êtes las, c’est un bon gîte,
Et en voyage, quand on arrive à l’osteria,
Il semblerait qu’on ait trouvé quelque trésor.

Toutes les facultés jouissent : l’intellective
En songeant que tout de suite on aura à manger,
Et en mangeant, jouit la sensitive ;


Si l’on est en hiver on jouit d’aller
Tout de suite près du feu ; si c’est l’été,
On se réjouit rien que de changer de lieux.

Si dans le désert se fussent rencontrées
Huit ou dix hôtelleries, ces fameux Hébreux
N’auraient pas eu à souffrir tant d’ennuis.

Pour l’osteria, je donnerais Arcs et Trophées,
Charges, honneurs, et les plus beaux palais,
Jusqu’au séjour même des demi-dieux.

Elle est le centre des meilleurs plaisirs,
Et tous ceux qui condamnent l’osteria
Je vous le dis, sont de grands viédazes.

Les trois grands bonheurs de la vie humaine,
Je l’ai toujours entendu dire, dès ma grand’mère,
Ce sont l’osteria, la poste et la putain :

L’osteria est excellente pour qui a faim,
La poste pour qui est pressé en voyage,
Et la putain pour le mettre en moniche,
Quand on a envie de jouir.


L’AUTEUR ATTRAPE LA VÉROLE

Holà ! je n’en puis plus ; j’ai grand mal !
Je me vois écorché du haut en bas,
Je ne mange ni ne dors, je n’ai plus de souffle,
J’ai quasiment perdu l’usage de mes membres.

Lorsque je vais pisser dans le pot de chambre,

Je me vois le vit tout entortillé,
Tout emplâtré de vérole et de rogne :
Je suis réduit à m’en aller à l’hôpital.

Voilà ce que j’ai gagné à aller en moniche ;
Mais si j’en guéris jamais, nom d’un monde !
Plus jamais je ne mange de cotillon.

Si mon vit bande, qui sait ? plus tard,
Ou bien je m’entendrai avec le doigt majeur,
Ou me divertirai toujours dans le petit rond.


PARALLÈLE ENTRE LA VÉROLE ET LA PRISON

Compère, vous voilà dedans et moi aussi ;
Vous êtes en prison, et moi à l’Hôpital,
Vous pour le jeu, moi pour mon instrument ;
Si vous êtes en peine, moi je suis en tourment.

Ce sont des plaisirs ne durant qu’un moment
Qui sont cause à tous deux de notre malheur :
Vous perdez vos rentes, et moi mon capital,
Et si vous vous plaignez, moi je me lamente.

Il est à nos deux cas une seule différence :
Pour avoir trop tiré je suis flambé,
Vous, pour ne tirer point, vous êtes en peine.

Quel état est le pire du vôtre ou du mien ?
Moi, je suis un cadavre avant que d’être mort,
Vous avant de mourir vous êtes enseveli.


RÉPONSE

« Compère, c’en est fait de nous, nous sommes
» Mis dedans, vous par amour, moi par force ;
» Les poussées nous ont réduit à cette gêne,
» Et nous avons, vous les moqueries, moi les noix.

» Pour véroles et enjeux nous voilà séquestrés,
» À tous deux il nous faut de l’argent ;
» Vous êtes fait en stuc et moi en peinture,
» Nos infortunes voguent à une seule rame.

» Les figures nous ont tous deux coïonnés,
» Les paroli nous ont été d’un bon usage,
» Sous le nombril ils nous ont ruinés.

» Mais mon état est pire, il n’y a pas à dire ;
» Vous, grâce aux fers vous espérez reprendre haleine,
» Et moi je crains de mourir dans les fers. »


L’AUTEUR À SON CAS

Que penses-tu faire, mon cher cas ?
N’es-tu pas encore soûl de la Moniche ?
Je veux bien qu’elle soit une bonne chose,
Que chez elle tu te sois éreinté et défait ;

Mais depuis tant de temps, sacredieu !
Que tu vogues dans cette bougresse de gondole,
Et que tu sais combien elle te coïonne,
Tu ne veux pas encore te jeter à l’eau ?

Je le vois bien, tu ne seras pas satisfait

Tant qu’il ne t’arrivera pas
D’y laisser dedans ton gland.

Moi aussi je serais satisfait de ce pacte,
Si je n’avais à endurer d’autre supplice :
C’est qu’on te coupera comme on fait une anguille.


RÉSOLUTION

Je ne veux plus de femmes, je ne veux plus de filles,
Je veux jouir de ma liberté ;
Car, je le sais, elles sont toutes à chier dessus,
Elles m’enlèveraient jusqu’à la peau ;

Qu’on dise qu’elles sont bonnes et belles,
Pour moi je les ai toutes dans le cul ;
Soient-elles toutes bulgarisées,
Et tous ceux qui tiennent pour elles !

Je ne veux plus aller en cette puanteur,
Où l’on ne trouve, à parler franc,
Que pisse, marquis et écoulements !

Aille qui veut dans cette purée,
Pour moi, si j’ai à salir mon instrument,
Je veux plutôt le ficher en un cul ;
Comme ça, je serai plus serré,
Et je jouirai de la fraîcheur des fesses :
Le cul est vraiment un morceau de moine.
Pousser des bottes insensées,
Se sentir cette viande contre la panse,
Et mettre dans le cul tout ce qui dépasse,
Oh ! la benoîte coutume,

Digne de louange et digne d’une couronne !
C’est bien autre chose que cette bougresse de moniche !
D’ailleurs tout le monde,
Princes, Prélats, Cardinaux,
Tous mettent dans le cul leur machin :
Il n’y a que les serins
Pour aller en moniche, et les pauvres faquins :
Tous les autres bulgarisent comme des assassins.


L’AUTEUR VOUDRAIT CHANGER DE VIE

J’ai une grande envie de prendre mon vol
Au-dessus de la fange de toutes ces saletés,
D’envoyer la moniche à la potence,
Et de me faire inscrire au rôle des dévots.

Je voudrais m’enfermer dans une grotte, rien
Que pour ne plus voir circuler ces salopes
Qui, insatiables et goulues comme les Orques
Aux hommes font casser le cou.

Je voudrais me désister du mauvais usage
Que je fais nuit et jour de ces cavales,
Avant qu’elles ne me jettent en quelque trou ;

Mais je me sens un poids sur les épaules,
Et j’ai grand’peur de ne pouvoir m’enlever
Si Celui qui peut tout ne me donne des ailes.


L’AUTEUR RECOMMENCE À FOUTRE

Moniche, éloigne-toi de moi, par charité,
Quand même tu serais large, comme un four,
Car je suis tellement en proie à la luxure,
Que je ne puis laisser mon cas séquestré.

Éloigne-toi de moi ; d’abord, c’est un péché,
Il est vrai que je n’en donne pas un fétu,
Et puis parce que, si je recommence à t’enfiler,
Je cours un grand risque de crever là.

Mon mal est fiché en dedans des poumons,
Et je suis sûr que si je fous, je meurs ;
Il me faut donc veiller sur mes couillons.

Moniche éloigne-toi ; je lâche le taureau ;
Moniche !… ah ! je te le mets ; ah ! écarte tes moustaches !
Moniche !… tu me fais sauter ; oh ! Dieu ! je jouis !…


DIFFICULTÉ D’EXÉCUTER SES RÉSOLUTIONS

De dire à faire je vois qu’il y a grande distance ;
J’ai dit souvent que je ne voulais plus de femme,
Et que je ne voulais plus toucher de moniche,
Mais je ne puis tenir cet engagement.

Si je m’en tiens à la loi que je me suis faite,
Id est de laisser de côté la putain,
J’en arrive à mener une vie si coïonne,
Qu’en peu de temps je deviendrais fou.

Je me repens de ce que m’a passé par l’esprit

Une sottise énorme comme celle-là,
De ne vouloir plus pour rien de la moniche ;

En ce moment, je fais cette déclaration :
Si j’y ai seulement mis le cas,
Dorénavant j’y veux mettre la tête.


TOUT LE MAL VIENT DE LA MONICHE

Canzone

Sans venir à chanter les armes et les amours,
Sans vous parler de guerre et de fracas,
Pour satisfaire mon génie et certaine humeur,
Je veux vous chanter les méfaits de la Moniche ;
Je ne veux pourtant que vous vous fâchiez,
Bien que ces miens vers soient un peu trop gras,
De ce que je vais vous prouver par de bonnes raisons
Que tous les maux viennent de la Moniche.

Tirons d’abord exemple de Salomon,
Qui pour la Moniche a donné dans les folies,
Et privé de jugement de raison,
A commis tant et tant d’idolâtries.
Roland, qui, les armes à la main, était bon
À faire trembler un Goliath de la tête aux pieds,
On l’a vu jaloux d’une Moniche,
Pour ce motif faire le fou par les rues.

Samson, pour un brin de ce petit service,
De l’infidèle Dalila se fit l’esclave,
Et tant s’obscurcit son jugement,
Qu’il ne trouvait de bonheur qu’en la Moniche ;
Pour une Moniche il est tombé dans le pétrin,

Aveugle, sans cheveux, à son grand dépit,
Et il a occis les Philistins en secouant la colonne,
Pour la fatale Moniche de sa maîtresse.

Néron, qui peut se dire le roi des tyrans,
Du peuple Romain la perte et la ruine,
Après avoir commis tant de scélératesses,
A fait ouvrir le ventre de sa mère, un matin,
Saigner les veines à Sénèque, qui, tant d’années,
Avait été son maître, lui avait inculqué la science,
Puis à la fin il en fait autant à sa Déesse
Pour la simple Moniche de Poppée.

Hermolaüs, par jalousie pour son épouse,
Brûla Troie une belle nuit, à l’improviste ;
Mais, en son premier amour constant et tenace,
Ne pouvant être heureux avec cette belle femme,
Il la força de se donner la mort
Plutôt que de la laisser à un Narcisse,
Et il eut beau avoir tant étudié,
Son mauvais Destin le ruina tout.

Roger, plus d’une fois, eut affaire à Alcine,
Croyant que c’était Bradamante,
Et il savourait la Moniche chaque matin,
Pour se faire renommer amant parfait.
Priam pour une Moniche est tombé en ruine,
Après avoir eu tant de douleurs et de peines,
Et Jupiter, sans le moindre honneur ni decorum,
Cessa d’être Dieu pour se faire taureau.

Pâris, homme de bien en tout le reste,
Pour la Moniche de Vénus tomba en délire ;
Alphonse, pour Blanchefleur fut toujours prêt à dire
Qu’il vivait de larmes et de soupirs.

Mars, qui ne doit rester hors de mon discours,
Et qui de sa lance a fait tant de beaux coups,
Mars, resté ferme à toute espèce d’assauts,
A fait cocu et content le Dieu Vulcain.

Hercule aussi fut jaloux de tant de braves
Qui pour la Moniche avaient perdu leur gloire,
Et le cœur toujours enclin à de doux plaisirs,
Gâta, en un petit coin, palmes et victoires.
Scipion, César, et tant d’autres grands hommes
Qui à leurs héritiers laissèrent si bonne mémoire,
Se sont laissé dominer par ce prurit
Qui fait gonfler le cas même aux Ermites.

Alcide dépose et courroux et colère,
Habitué qu’il est à combattre les monstres,
Et pour avoir comme cible une Moniche,
Abandonne les guerres et prend le fuseau.
Orphée, au sein de son harmonieuse lyre,
Frénétique d’amour, dolent et confus,
Pour apaiser avec la Moniche son intime chagrin,
S’en va tirer des Enfers Eurydice.

Monarques, Potentats, Empereurs,
Ont salué chapeau bas cette grande Moniche ;
Philosophes, savants, grands docteurs,
L’ont faite de leurs cœurs seule maîtresse ;
Rois, Ducs, Cardinaux, grands Seigneurs,
Se sont ôté révéremment la couronne,
Et ont mis leurs royaumes à sang et à feu,
Pour trouver dans la Moniche un peu de place.

Il faut donc proclamer que cette grande Moniche
Est la joie et le contentement des mortels ;
Nombre de gens en jubilent, tout autant s’en tuent,

Pour la Moniche se pâment les Dieux immortels.
La Moniche infâme d’un souillon
Fait naître une foule de rixes et de maux ;
Donc je m’en vais vous prouver en bon style
Que la Moniche est une bouchée qui plaît à tous.

Moniche, manne du Ciel, douceur de la vie,
Consolation des cas qui tombent en langueur ;
Moniche, toi qui es l’aimant de l’Oiseau,
Moniche consolatrice des afflictions,
Chère, suave et si appréciée Moniche,
Qui mordille l’Oiseau sans avoir de dents,
Moniche, plus douce et plus délicate que le miel,
Ô dulcissime Moniche, ô Moniche adorée !

On ne peut avoir de plaisir ni de bonheur,
Si l’on n’a une Moniche à son commandement ;
Moniche, régal des Moines et des Prêtres,
Morceau friand que tout le monde recherche !
Écrivez en lettres d’or, ô vous, Poètes,
Que le bonheur de la Moniche est le plus grand,
Et, de peur que vous ne croyez que je vous coïonne,
Je jette là ma plume et m’en vais en Moniche.


NE TENTER PERSONNE POUR REFUSER

Madrigal

Qui ne vous tente
Vous fait dépit,
Et quand vous êtes tentées,
Vous répondez non.

On ne cherche pas

La tentation,
Ou bien consentez,
Quand vous l’éprouvez.


EXAGÉRATION À PROPOS D’UNE MONICHE

Je vis l’autre jour une putain
Qui avait une moniche de cette grandeur :
À l’entrée était une rivière,
Avec un vaisseau tout plein de laine.

J’entrais dans cette obscure caverne,
Et je vis qu’on y jouait au drapeau :
Un postillon courait au grand galop,
Et son cheval tombait dans une fondrière.

Je vis un tir à six et un grand palais
Où se trouvait un homme qui, à un gamin
Mettait dans le derrière tout ce qu’il avait de cas ;

Je vis ensuite qu’au son d’une cloche
On mettait dans une barrique une nonne
Qui avait vérolé l’oiseau du Dépensier.


SUR LA MORT DE DEUX RUFFIANS

Pleurez, Moniches, et vous aussi, cas pleurez !
Viennent de mourir les deux plus grands soutiens
Que le Dieu d’Amour eût dans son bel empire,
Encore bien que ce fussent deux grands viédazes.


Adieu divertissements, adieu plaisirs !
Maintenant que manquent ces deux bons génies,
On ne peut plus compter ni espérer
De foutre des femmes et de bulgariser des garçons.

Oh ! oui, cela peut s’appeler
Un grand malheur pour les bougresses,
Et pour ceux qui ont envie d’enfiler !

Nous ne savons plus où sont les femmes,
Et les femmes ne savent plus où nous trouver ;
Pleurez donc, cas, et vous aussi, Moniches, pleurez !


DEMANDE FAITE À L’UN D’EUX

Mais dis-moi Ruffian, baise-t-on dans l’Abîme ?
Si l’on y baise encore, eh bien, je suis content,
Et d’aller t’y retrouver je n’ai nulle frayeur ;
Le feu d’enfer, je l’éteindrai rien qu’en pissant.

Puisque du tout-puissant Jupin il est écrit
Que là-dedans mâles et femelles soient ensemble,
Et qu’ils y soient tout nus, j’en conclus
Que l’on baise encore là, et ne m’en étonne.

Les cas seront tous pleins de rogne,
Et il poussera de l’herbe sur la moniche,
Quand ne baiseront plus même les damnés.

Pour autant donc que ce feu rôtisse,
D’autant plus veux-je commettre des péchés,
Afin de t’y retrouver, puisqu’on y baise.


RÉPONSE

« Venez donc, seigneur patron ; je vous avise
« Qu’en la maison du Diable, où nous sommes tant,
« Pour ce qui est des femmes nous nous amusons
« Mieux que ceux qui sont en Paradis ;

« Par la raison qu’ici, des coïonnes et des laides
« Nous en voyons rarement arriver,
« Et nous sommes souvent le chapeau à la main,
« Parce que ne viennent ici les gens en loques.

« En somme, nous avons le meilleur, ce qu’il y a de bon,
« En ce monde, et nous foutons sans cesse,
« D’un cas enflammé comme un tison.

« Venez donc, vous y porterez de belles bottes,
« Pour la raison que s’il y a un bougre de feu,
« Vous verrez que plus chaudes encore sont les moniches.


À CES MÊMES RUFFIANS

Bougres de Ruffians, qui vous êtes en allés
Si vite trouver messire Pluton,
Sachez que je reste ici-bas comme un coïon,
Ne trouvant plus à commettre de péchés.

D’aller bientôt faire de la terre à marmites
Je me sens, moi aussi, en disposition ;
En attendant, faites-moi provision de femmes,
Car je ne reste jamais sans enfiler.


Tâchez de me trouver de petites guenons ;
Je veux prendre mon amusement avec elles,
Puisqu’ici-bas je n’ai pu en avoir ;

Et aussi de celles qui en ce monde ont fait du bruit,
Préparez-vous en somme à me les faire baiser,
Sinon, je le mets dans le cul à Satanas.


SUR L’ARRESTATION D’UN RUFFIAN

Il n’y avait qu’un seul Ruffian, dans cette ville,
Et encore par un miracle de Dieu,
Un pauvre hère, sec et décharné,
Misérable vestige de l’antiquité,

Seul il savait où se trouvaient
Toutes les femmes de bonne composition,
Et on vient de nous l’enlever, oui, par Dieu !
Chose qui véritablement fait pitié.

Je ne puis comprendre sincèrement,
Comment il se fait qu’on tolère les bougresses,
Et que les Ruffians on n’en veuille pour rien !

Puisqu’on ne veut pas de cette sorte de gens,
C’est vouloir dire de façon tacite,
Que les nobles Dames se fassent enfiler.


LE MANQUE DE RUFFIAN EST CHOSE PRÉJUDICIABLE

Dans ce profond océan de la Moniche,
Comment pourrons-nous désormais naviguer ?

Et comment pourrons-nous gagner le port,
Maintenant qu’il n’y a plus un seul pilote ?

Comment utiliserons-nous la gondole,
S’il n’y a plus personne qui sache la bien mener ?
Nous courons le risque qu’elle vienne à heurter
Sur quelque écueil, et ne demeure fracassée.

Comprenez l’allégorie, elle est belle,
Le Ruffian est le pilote, et notre cas
Est le bâtiment qui voudrait faire voile.

Maintenant que n’est plus ce gros Ruffian,
Pour mener à celle-ci ou à cette autre,
Comment pourrons-nous prendre du plaisir ?
Il nous faudra prendre
Quelque jeune gars pour nous amuser,
Et faire une moniche de son cul.


CONTRE LA POLITIQUE VÉNITIENNE

Il me semble que la politique ne veut point
Qu’une femme qui va de ci et de là,
Secouant des oiseaux par la ville,
Soit pour cela fouettée de la main du Bourreau.

Cette femme, en ce monde, est une perle,
Qui conserve la société humaine,
Et c’est le baume qui fait
Que le cul ne cuit pas tant aux jeunes gars.

Elle est celle qui, par toutes les rues,

Nous fait respirer l’air de la liberté,
Bien mieux que, dans le quartier, armes et soldats ;

Et la raison m’en semble fort claire,
Parce que, quand un homme a lâché sa décharge,
Par Dieu ! il n’a plus envie de faire du tapage.


AU CURÉ DE LA PAROISSE

Je vous prie, monsieur le Curé, par charité,
De ne point chasser les femmes de la paroisse ;
Ce n’est pas là une bonne œuvre,
C’est agir contre la charité.

S’il en est quelques-unes qui fassent
Certaines choses qui vous paraissent vilaines,
Au lieu de chasser ces personnes,
Allez donc leur prêcher la charité.

Imitez Jésus-Christ ; alors bien défendue
Sera votre cause, et tout le monde
Restera persuadé de votre bon dessein ;

Citez-le, pour faire que chacun se taise ;
Sans doute il a chassé certaines gens du Temple,
Mais il n’a chassé personne de chez soi.


LE PUTANISME RUINÉ

Le putanisme, ce métier si beau
Et qui était de si grand lustre en cette ville,

À cause des femmes mariées,
S’en est allé, on peut le dire, tout en détresse.

Il n’est même plus l’ombre de lui-même ;
Les maisons sont désertes et abandonnées,
À peine trouve-t-on quatre désespérées
Qui se meurent de faim, sous ce ciel.

Quelle ruine est-ce là ! Un pauvre diable,
Qui a envie de donner une saccade,
Ne sait à cette heure où fourrer son cas ;

S’il s’en va chez quelque femme mariée,
Et qu’il veuille en tirer quelque petit plaisir,
Elle le lui fait, par Dieu ! payer salé.


RÉPONSE D’UNE FILLETTE À SA MÈRE

« Vous avez raison de me dire, signora ma mère,
« Que je me fasse Nonne ; vous avez raison
« De me dépeindre le monde comme peu bon,
« Plein d’embûches et d’amères misères.

« Savez-vous qu’en cela vous êtes des peu nombreuses
« Qui aujourd’hui donnent de ces leçons à leurs filles ?
« Mais vous-même, avec ces admonestations,
« Vous vous êtes faite Nonne avec mon signor père.

« Me cloîtrer serait chose excellente,
« Que dis-je ? une sainte et fort sage conduite,
« Qui ferait le salut de ma personne ;

« Mais je vous réponds franchement tout de suite :

« Puisqu’en moniche vous avez reçu le cas,
« Moi aussi je veux le recevoir dans ma moniche. »


UNE FILLE QUI SE FAIT NONNE

« Monde, je te quitte, et me la casse ;
« Je m’en vais m’enfermer dans un couvent,
« Ne voulant pas courir le risque
« De me quereller chaque jour avec un fou.

« Avec toi on ne peut passer aucun traité,
« Tu manques de parole à tout moment,
« Tu n’observes aucun engagement,
« Demain tu défais ce qu’aujourd’hui tu fais.

« Tu mets en vue de grands bonheurs, et puis
« Se trouvent des épines sous les fleurs ;
« Jamais ne donnes plaisir qui soit complet.

« Mais, quand même tu ne causerais pas de douleurs,
« Chez toi je ne resterais pas, sachant
« Que l’on ne peut servir deux maîtres,
« De toi je ne veux point d’honneurs,
« Du nom de Virginia je ne veux plus qu’on m’appelle,
« Pour pouvoir rester inconnue dans le cloître. »
(La queue[9] a été ajoutée par un autre auteur).


CONTRE CELUI QUI À MIS UNE QUEUE AU PRÉCÉDENT.

Sonnet

Je ne sais qui diable est le brigand
Qui a mis une queue à un mien sonnet ;

Si j’y avais trouvé quelque belle idée,
Je voudrais excuser ce viédaze,

Mais il a fait là deux vers de Paillasse,
Qui, à y bien penser, ne valent pas un pet,
Et bons seulement à en faire un mouchoir,
Lorsque vient de chier un beau fessier.

Je ne sais où diable il a appris
À faire un tel déshonneur aux vers d’un autre,
Et à mettre la main où nul ne l’appelle.

J’espère bien voir un jour ma vengeance :
S’il a mis une queue où il ne fallait pas,
Dans son cul à lui sera mise une corne.


L’AUTEUR EST PRIÉ DE FAIRE UN SONNET

Par une mère Abbesse en son Couvent,
Je vins l’autre jour, appelé avec instance ;
J’y suis allé pour ne pas lui faire une impolitesse,
N’ayant jamais été un moment chez des Nonnes.

« Signor poète », m’entends-je dire aussitôt,
« Quand nous prenons l’habit, vous savez notre usage ;
« Pour l’une de nous qui devient nonne à tout jamais,
« Faites-moi un Sonnet de bonne tournure.

« — Suffit » ai-je répondu, « Mère je comprends,
« Et de votre grand désir je garderai mémoire ;
« Mon intention est de surpasser votre attente.

« Je le ferai en dialecte Vénitien ;

« Mais si vous voulez lui faire honneur par Dieu !
« Donnez-lui donc un cas et non un Sonnet. »


À UNE NONNE

Vous faites là une chose contre nature,
Ma chère vénérable Demoiselle,
En restant enfermée dans une étroite cellule,
Et de plus la chose est assez pénible.

Autre pensée et bien meilleur souci
Serait de mettre au monde une fillette,
Laquelle en la mariant, à son tour aurait
Postérité qui durerait autant que le monde.

Pouvoir de Bacchus ! non, pouvoir de Dieu !
Enfermées, vous n’avez à faire que des crêpes,
Et tout autre agrément, tout autre plaisir, arrière !

Brisez la porte, rompez les grilles.
Sautez dehors, suivez mon conseil,
Et faites-vous flanquer de bonnes saccades.


SUR L’ÉLECTION DU PAPE REZZONICO

Puisque, par la grâce du Tout-Puissant,
Et à la satisfaction du monde entier,
Vous avez mis le cul sur la chaire de Saint-Pierre,
Avec l’adresse du renard et du lapin,

Souvenez-vous que vous êtes un illustre fils

De cette Cité, si digne de l’Empire ;
Ayez pour elle un amour profond et véritable :
Qui n’est pas juste ne saurait être pieux.

Veuillez du bien aux Princes Chrétiens ;
Ne prétendez pas à plus qu’il ne vous revient,
Et des brigues faites-nous rester éloignés.

Je vous permets d’engraisser vos neveux, vos amis ;
Suffit que vous ayez à cœur les Vénitiens,
Car vous avez grande obligation à Venise.


SUR L’ÉLECTION DE L’AMBASSADEUR GIUSTINIANI

Ce n’est pas pour voir le peuple Romain,
Ce n’est pas pour voir le Pape et les Cardinaux,
Ce n’est pas pour voir ses Maîtres de Cérémonie.
Ce n’est pas pour voir Saint-Pierre-du-Vatican ;

Ce n’est pas pour voir le grand Môle d’Adrien,
Ce n’est pas pour voir les Arcs de triomphe,
Ce n’est pas pour voir les Églises, les Hôpitaux,
Ni le Colisée de Vespasien ;

Ce n’est pas pour voir les Tours de Dioclétien,
Ce n’est pas pour voir la Tribune principale,
Ce n’est pas pour voir les Obélisques, les Fontaines ;

Ce n’est pas pour voir les Statues, une à une :
C’est pour voir le cul des Romaines,
Que J’envie la chance de Giustiniani.

SUR LE MÊME SUJET

Ohé ! il me semble voir Giustiniani,
Avoir avec les glands de là-bas,
Et les chapeaux, de tels désagréments,
Qu’ils assommeraient tout fidèle Chrétien,

Passer au milieu du Peuple Romain,
Qui adore plus que les Saints les Ambassadeurs,
Et ces Romaines, qui n’ont pas de gants,
Par ambition le lui prendre dans la main.

Il me semble ensuite l’entendre leur dire
Qu’elles peuvent faire avec lui des escapades,
Et que sûrement il ne pourrait les engrosser,

Par la raison que tant de grands compliments
Qu’il a reçus et qu’il a dû faire
Lui ont tari tous le suc de ses couillons.


SUR LA SUSDITE ÉLECTION DU PAPE

Votre bossu à peine devenu Pape,
Argent comptant vous avez acheté le Chapeau ;
Tout ce que la République a de meilleur,
Jambes hautes, vous donne du pied dans le derrière.

Vous faites entrer en scène Tiare et Clefs,
Sur ses insignes d’honneur ? où donc est la cervelle
De votre beau-frère Giustinianello,
Qui tous deux, père et fils, vous mène par le nez ?


Déjà toute la ville est persuadée
Qu’envers Saint-Marc vous avez manqué de cœur,
Et que de Rome vous avez eu la tête envahie.

D’autre excuse à cette faute, par Dieu ! il n’y en a pas,
Sinon de dire que, sans un Pape dans la famille,
Vous n’auriez jamais été Procurateur.

AU MÊME PAPE

Que font tous ces gens, qui avec un marteau,
S’en vont par la grande ville de Rome ?
Quelqu’un me répond : « C’est Sa Sainteté
Qui fait aux statues casser l’oiseau. »

Et moi je dis : Quelle faute a-t-il commise,
Qu’a-t-il bien pu faire de coupable ?
Il me semble que ce sont là des chieries
Telles, par Dieu ! que n’en ferait pas un gamin.

Quiconque n’est pas privé de jugement dira :
Si un cas de pierre lui cause tant d’émoi,
Quel émoi lui causerait donc un cas de chair ?

S’il se flatte de détruire de cette façon
Tous les membres virils, je n’hésite pas à lui dire
Qu’il y en aura sur terre tant qu’il vivra.

AU MÊME

Votre frère aujourd’hui Procurateur,
Qui n’a pas fait son entrée et ne la fera pas,

Lorsqu’il était Préposé à la Bestemmia,
Prohibait la natation dans la ville.

Vous, devenu Pape à force d’or,
Pris d’un zèle fanatique, ou mieux de fureur,
Aux plus beaux restes de l’Antiquité
Vous avez eu le cœur de faire briser l’oiseau !

Que veut dire cette haine contre le membre viril ?
Tous deux êtes d’extravagants bigots. Quelle façon
De penser misérable et stupide !

Au lieu de ces idées bêtes et biscornues,
Il vaudrait mieux avoir un cœur plus vénitien,
Et sentir pour la Patrie plus vigoureux amour.

AU MÊME

Le Pape allait à son bureau, réfléchissant
À ces Chapeaux qu’il avait à distribuer,
Mais, pour autant qu’il réfléchit, il ne savait
Sur quelles têtes il devait les poser,

Quand à l’improviste un ordre de lui
S’est entendu publier, qui disait
Qu’aux statues auxquelles on voyait le cas,
Il fallait le couper, et les couillons avec.

Je crus d’abord que c’était par dévotion,
Qu’il faisait couper ces membres et ces bourses,
Mais il faisait cela pour la promotion ;

En effet, il a pris en main ces grands Chapeaux,

Et avec toute sa charité,
Les a mis sur ces cas et sur ces couillons.

AU MÊME

Qu’est-ce que cet ordre du Pape Clément,
De couper les bourses et le membre
Aux statues qui sont sur le Quirinal ?
Que voulez-vous que désormais dise le monde ?

D’autres que vous, croyant mener une vie sainte,
Ont mis le cul sur le trône papal,
Et de ce qui vous cause tant d’ennui
Ils n’ont pensé une foutaise, rien.

On va voir des statues, qui ont coûté
Tant d’argent aux principales familles,
Abîmées comme des gens qui ont le mal Français !

Voulez-vous un remède pour guérir les maux
Que cause la luxure en ce pays ?
Faites couper le vit aux Cardinaux.

AU MÊME

Le Pape a voulu prendre le soin
(Qui ne le regardait pas, des caleçons suffisaient)
De faire aux statues des Princes et des Guerriers
Enlever à l’instant même le cas ;

Il a pensé que ce membre pouvait

Faire envie aux Dames et aux Cavaliers,
Faire prévariquer frocs et estafiers,
Et tous les petits prélats du Palais,

Pour moi, je ne m’en plains nullement,
Qu’à cause de cela quelque Dame
Aille aux pieds du Pape montrer son déplaisir ;

Je me plains de ce qu’aux peintures de bonne touche,
Qui étaient l’ornement des Salles,
Il ait fait barbouiller la moniche.

AU MÊME

Il me déplaît par Dieu ! Très Saint-Père,
De vous savoir dans l’embarras où vous êtes,
Le pis est que, si vous n’y remédiez,
Tout ira mal pour vous, on ne peut plus mal.

Le Très Fidèle roi de Portugal
Est fâché, furieux contre vous, vous le savez bien ;
Il médite de grandes choses, et vous verrez
Qu’il les fera, tenez-le pour certain.

Genève vous vilipende de telle manière
Qu’il semble qu’elle vous ait quelque part,
Et les Vénitiens ne vous font pas grande mine ;

Vous donc, pour éviter tous ces désagréments,
Écoutez un conseil à sculpter sur la pierre :
Moins d’hypocrisie, et meilleur jugement.

AU MÊME

Des gens qui pour le Ciel se soient châtrés
Et à proprement dire retranchés de la création,
Si les Écritures ne nous coïonnent,
En tous temps il s’en est rencontré ;

Mais aux statues, qui ne peuvent pécher,
Puisqu’elles sont faites de pierres dures,
Ordonner de leur ôter ces agréments,
Cela me semble une grande stupidité.

Croyez-vous, dites-moi, Saint-Père,
Que pour cela les hommes ne foutront plus ?
Oh ! ils foutront, croyez-le, tant et tant.

Il faudrait pour rendre Rome dévote,
Et faire que toute décharge fût plantée là,
Que les femmes naquissent sans moniche ;
Mais cela aussi vous tourmente,
Car si cet accident pouvait arriver,
Elles se feraient bulgariser toutes.

AU MÊME

Ce Pape commet de grandes balourdises ;
Il a mis Venise, sa patrie,
En interdit, tout comme une putain,
Sans aucun prétexte ni sujet de jalousie.

Puisque cette folie lui est venue en tête,
Pourquoi ne pas y mettre aussi la Toscane ?

Elle s’est également déclarée favorable
À ceux qui exercent la piraterie.

Ou ceux qui le mènent n’ont pas grand jugement,
Ou, s’ils en ont, ils prennent à tâche
De faire tomber ce Pape dans la fondrière.

Moi je leur ferais une bonne coïonnerie :
Je mettrais en interdit le Saint-Office,
C’est lui qui est une bougresse de peste.

AU MÊME

Quelle disgrâce d’exercer une Prélature
Sous un Pape qui est un grand bigot !
Encore bien que l’on fasse quelque belle action,
S’il apprend qu’on fasse l’amour, il n’en tient compte.

Pour autant que l’on s’attire sa faveur
Si on ne laisse pas les femmes à l’écart,
Par Dieu ! il aura bien cent promotions à faire
Que cent fois il oubliera ceux-là.

Mais c’est comme cela ; ici, pas d’autre voie :
Ou bien abandonner ce bon petit plaisir
Ou bien ne recevoir de lui une foutaise.

Si pauvre hère, j’étais un Prélat,
Pour une solennissime fouterie
Je renoncerais à Chapeau et à Papauté.

AU MÊME

Pouvez-vous faire plus superbe coïonnerie,
Pape Clément, à ce vôtre pays ?
Un an est passé, tout au plus manque un mois,
Et vous n’avez pas fait pour lui une foutaise !

Avec quelques médailles, vous avez
En deux semaines gagné procès et dépens,
Et le Vénitien, magnanime et courtois,
Donne à qui lui demande, sans hésiter.

Au moyen d’une fleur à mettre sous le nez,
Prétendez-vous, cher courtisan,
Satisfaire à vos obligations ?

Nous vous croyions un Pape Vénitien,
Mais, avec ce vilain défaut de coïonner.
Vous êtes comme les autres, vous êtes Romain.

AU MÊME

Enfin Sa Sainteté nous la baille belle ;
Pour donner un témoignage de son affection
Envers sa patrie, elle nous a fait un cadeau
Sans rien sortir de son escarcelle.

Je régalerais moi aussi cette mignonne
Qui me donne du plaisir dans son pertuis,
Si comme lui, je pouvais d’un petit baiser
Payer l’obligation que j’ai envers elle.


Ne croyez pas qu’il ait donné quelque Chapeau,
Ni quelque bénéfice de Canonicats,
Bien mieux, aujourd’hui on n’en parle plus.

Il ne nous a pas donné l’élection aux Évêchés,
Mais savez-vous ce qu’il nous a donné de beau ?
Le droit de bulgariser les Prêtres et les Moines.

AU MÊME

Qui croyez-vous que soit le Pape ? c’est un bouffon,
Un fou, portant sur la tête trois couronnes,
Un homme qui maudit toutes gens,
Dès qu’il ne les croit pas de son opinion.

Un homme qui porte deux clefs en sautoir,
Et s’en va disant que ces deux grosses clefs
Sont bonnes pour ouvrir et fermer
Le grand portail du saint Paradis.

Mais s’il s’en tenait là, patience encore !
Le mal, c’est qu’il a des États, des sbires,
Ce à quoi jamais Saint Pierre n’a pensé ;

Enfin il a sa Cour, un tas de canailles,
Qui croient tout au plus à la mangeoire,
Et laissent se tourmenter les coïons.

AU MÊME

Cher Pape, ne faites pas tant de tapage,
Nous ne sommes plus au temps des coïons ;

Les hommes d’à présent sont de bons bougres,
Qui ne donnent pas un membre viril de censures.

Si par leur moyen vous voulez faire le bravache,
On vous ôtera les Fêtes, et même les Pardons ;
On racontera toutes vos frasques,
Et vous resterez dans Rome un viédaze.

Les Prêtres étaient une assez bonne engeance,
Dans le temps que tout leur amusement
Consistait à aller dans la moniche.

Au lieu de faire votre important avec les Princes,
Vous devriez veiller à ce que le Clergé
Dise son chapelet, et n’aille pas dans le cul.

SUR LE MÊME SUJET

Canzone

Le Pape nous coïonne ; oh ! quelle merveille !
Il a toujours été un gredin, mais Dieu a l’œil ouvert ;
Déjà sont morts sa mère, son frère :
Par le dieu Bacchus ! il crèvera, lui aussi ;
Et puis doucettement, bellement,
Tous ceux de sa chère famille,
Qui aujourd’hui ont tant d’honneurs, tant de crédit,
Redeviendront des riens du tout, comme devant ;
Cette maudite engeance de bossus
S’en ira tout en brouet de fèves,
Je vous le dis tout franc
Et en bon Vénitien,
Qui parle toujours le cœur sur la main.
Qui vivra verra,

Verra que c’est bien vrai, ce que je dis,
Que je suis un bon prophète, et non un ennemi.
Je sais que c’est une mauvaise affaire,
Que de parler des grands et dire la vérité ;
Qu’ils fassent ce qu’ils voudront, je suis sincère,
Et ne pense d’eux un zéro.
Avec le Pape je n’ai rien à démêler,
Et je l’envoie se faire foutre.

SUR LE MÊME SUJET

Avec les yeux de l’esprit, je vois Rome
Au temps de ces grands Empereurs
Qui au Capitole, couronnés de lauriers,
Triomphaient, vêtus superbement ;

Comme ils se comportaient luxueusement,
Dans les festins, les fêtes, les amours,
Et comme avec les bêtes féroces, les gladiateurs,
Ils tenaient en liesse Rome entière.

Je la regarde à présent, et je vois
Tout changé en psaumes et en oraisons,
En chapelles, en oratoires, en écoles pies,

En menus suffrages, indulgences et processions ;
Puis tant de gens aller baiser les pieds
D’un Prêtre qui reste là comme un coïon.
Oh ! quel grand changement !
Cette cité qui si fort réjouissait le cœur,
Qui se donnait tant de si beaux spectacles,
Qui travaillait tant
À construire des Arcs de triomphe, des Colisées,

À présent ne fait que des Agnus Dei,
Des amusettes de marmots !
La milice de Rome est bien réduite,
Ce sont toutes gens qui portent la calotte,
Ennemis de la Moniche,
Qui défendent aux hommes tout amusement,
Et puis tous tant qu’ils sont vont dans le cul !
Le Pape est leur souverain,
Celui qui les sustente, leur donne des apanages,
Parce qu’ils sont les bêtes de son sérail ;
C’est à lui qu’ils prêtent hommage,
Et il est d’accord avec ces gros renards
Pour duper tant de bons coïons.
Voilà quels sont les champions
De la Rome d’à présent ; ils font des conquêtes,
Non l’épée, mais le crucifix à la main ;
Quels objets, quels tristes objets !
Au lieu des fêtes Néronniennes,
On n’entend que sonner les cloches,
Et bannir les putains !
Du Pape toutes les Bacchanales
Consistent à faire des Monsignors, des Cardinaux,
Ce sont là ses Lupercales ;
Et ces belles courses en char d’autrefois
Sont réduites à la consécration d’un Prêtre !
Ces pauvres cérémonies,
Comparées à celles de jadis,
Font venir le lait aux couilles.
Il n’y a plus que des Pasquinades,
Qu’un horrible Tribunal du Saint-Office,
Composé d’une révérende coterie,
Aux jugements redoutables,
Capable, pour une plaisanterie, un bon mot,
De condamner au feu une créature ;
Et tout cela par peur

Que quelqu’un ne tombe pas dans le filet,
Et que ne se découvre la fable du Pape !


SUR LES FIANÇAILLES

Cela me fait rire, quand je vois
Par-dessus les toits l’honneur restitué
À une femme que plus d’un cent ont foutue,
Au moyen d’une bague au doigt ; vraiment je ris.

En ce moment, elle montre un cœur satisfait,
Mais elle a toujours en tête le dieu Cupidon ;
Le premier amour n’est pas éteint chez elle,
Et en temps et lieu elle reviendra à son chéri.

Elle fait la paire avec un sbire qui cesse
De faire son métier pour ceindre l’épée ;
En si grand état qu’il se mette,

Jamais ne perd l’odeur de l’ancienne voie,
Et toujours se ressouvient des menottes :
Ainsi fait la femme mal éduquée.


LE DERNIER JOUR DE CARNAVAL

C’est aujourd’hui le dernier jour de Carnaval,
Et ces grandes drôlesses ont fini
De le recevoir par devant et par derrière,
De ruiner les gens et de faire le mal.

On va voir qui a failli sur la Piazza,

Qui est plein de chancres à l’Hôpital,
Qui a le membre rongé d’ulcères,
Et plus d’un mari avec des cornes sur la tête.

Ensuite viendra le Carême et à Castello
On verra les gondoles remisées,
Cessant le soir de faire du tapage.

Quant à celles qui n’ont pas été bien enfilées,
Elles viennent justement là recevoir l’oiseau,
Afin d’envoyer des bâtards à la Pitié.


POUR LE PREMIER JOUR DE CARÊME

Canzone

Il est fini le Carnaval,
Quelle journée que celle-là !
Tout le monde se sent du mal,
L’un au cul l’autre à la tête.

Toutes tant qu’elles sont, les paroisses
Sont désertes, abandonnées ;
On ne rencontre par les rues
Que pouilleux et vérolées.

Rien d’ouvert que les églises,
On n’entend que sonner les cloches,
Il semble qu’en ce pays soient mortes,
Toutes tant qu’elles sont, les putains.

Oh ! quel étrange changement
Opéré du soir au matin !
On dirait qu’a passé une trombe

Qui a tout fait tomber en ruines.

Sont finies toutes les fêtes,
Il n’y a plus de gaîté ;
On dirait qu’est venue la peste,
Qui a tout emporté bien loin.

Plus de concerts, plus de chants ;
Les théâtres sont fermés,
Ballerines et comédiens
Sont devenus des marmottes.

On dirait qu’un magicien est venu,
Qui a tout bouleversé,
Et retourné le cul en l’air
Toute la cité.

Mais savez-vous qui est ce Magicien
Qui cause aujourd’hui tant de maux ?
C’est un homme qui pose le panier,
Je veux dire le cul, au Vatican.

Un homme qui possède la clef,
La belle clef du secret :
Suffit qu’il frappe de sa baguette,
Pour que tout le monde entre en cellule.

Il ne veut plus que l’on goûte,
Ni que l’on mange de potage,
Parce qu’il veut que bien se vendent
Les anguilles de Comacchio.

Il ne veut plus que qui a l’entreprise
Des théâtres, gagne de l’argent ;
Il veut que l’on aille à l’église,

Que Prêtres et Moines aient de quoi manger.

Comment non, si partout on demande
En aumône doublons et même cassettes ?
Et qui veulent le saint pardon,
Doivent d’abord moucher leurs escarcelles.

Il veut que nos divertissements
Soient tous réduits en cendres,
Et que les hommes deviennent de pierre,
Dans le ciel de la déesse Vénus.

Mais que vois-je ? déjà commencent
À relever la tête les gens ;
De nouveau déjà ils songent
Comment vivre allègrement.

On prépare un grand festin
Qui deviendra une bacchanale,
Pour sentir un peu moins la peine
De ce que le Carnaval est mort.

Je donne cependant un coup d’œil
Aux églises des alentours,
Et en grand nombre sont les désespérés
Que je compte en ce jour.

On dirait une bataille,
Et que le Diable a mis
En déroute, en un moment
Et le cas et la moniche.

Ici une femme se lamente
D’avoir une fistule au vagin
Et là un homme se tourmente
De ce qu’il faille lui couper le cas.


Tel se plaint d’avoir, le soir,
Perdu tout l’argent de son mois,
Et une pucelle se désespère
De ce qu’on lui a cassé sa cruche.

Tous ces accidents sont les fruits
Du Carnaval passé,
Et qui sait à combien de garçons
A été défoncée la cible.

On saurait également,
En visitant ces couvents,
Combien de moines par la voie de derrière
Ont attrapé des écoulements.

Il en est qui rêvent au lit
Parce qu’ils ont la bourse vide,
Et songent à aller au Ghetto
Mettre en gage leur domino.

Tel soupire après quelque femme,
D’avoir perdu l’occasion
De plus jamais patiner sa moniche,
À la Redoute, en un petit coin.

Enfin je vois beaucoup de personnes
Désespérées, par la ville,
De ne pouvoir aller chez les femmes,
Parce qu’on ne va plus en masque ;

Puis, de chambrières toute une file
Je vois pleurer à chaudes larmes,
De ce que, dans les baraques,
Elles ne peuvent plus branler l’oiseau.


Mais on pense, comme je l’ai dit,
À un festin merveilleux,
Et on invite les amis,
Pour faire la cour à sa maîtresse.

On se tient près de sa mignonne,
On mange de bons morceaux,
Et on laisse aller
Au prêche les coïons.


LE VENDREDI SAINT

Un grand jour le Vendredi saint !
Tout respire la tristesse et l’horreur ;
Sur les visages des hommes se lit la douleur,
On n’entend partout qu’un chant triste et plaintif.

Les horloges ne sonnent plus les heures ;
Un silence règne, qui répand la terreur,
Et dans chaque église, un prédicateur
Fait couler en larmes tout le monde.

Le soir il n’y a plus de conversations ;
Les femmes vont voilées sur la Piazza,
Et les hommes vont tous à la procession.

C’est véritablement une horreur qui assomme,
Mais ce qui me touche, c’est que, par dévotion,
La plus grande putain ne se laisse enfiler.


CONFESSION DE L’AUTEUR

Mon Père je vous confesse mon péché :
J’ai commis de grosses foutaises en ce monde,
Bien mieux que la moniche m’a plu le rond,
Mais le plus souvent néanmoins j’ai baisé.

Puisque Dieu n’a pas eu pitié de moi,
Puisque me voici au fin fond de la terre
Précipité, et qu’un pêcheur pareil à moi
Il n’y en a jamais eu sous le Ciel,

Figurez-vous que j’ai fait tout ce que peut faire
Un homme qui ne croit pas qu’il y ait
D’autre bien que son ventre et que son oiseau.

Par cela seul jugez quelle fut ma vie,
Et tirez-en la conséquence que ma cervelle
Est occupée de cent mille foutaises.

CONFESSION DE L’AUTEUR

Réponse du même à son Confesseur

Doucement, doucement, Père, un peu de discrétion ;
Je ne sais trop si la théologie morale
Condamne un homme qui pèche en Sodomie
À se donner du martinet sur le derrière ;

Pour moi, je ne le fais point de profession,
Je bulgarise un tantinet par fantaisie,
Rien que pour montrer la bonne veine en poésie,
Et pour ne point faire tort à ma nation.


Or pour cette bagatelle, à un homme tel que moi,
Me dire de me fouetter ! Oh ! fichtre ! quelle conscience !
Je crois que vous me coïonnez, oui par Dieu !

Pour un cul embroché semblable pénitence !
Je ne la ferais, certes, vrai comme il y a un Dieu,
Si j’avais défoncé le cul à Votre Révérence.


À L’AUTEUR TOUT SEMBLE MONICHE

Tout ce que je vois, flaire, goûte et sens,
Tout me semble Moniche ; si je regarde le ciel,
Et que je contemple ce qu’il a de beau,
Le Firmament, pour moi, devient une Moniche.

Si je touche la terre, l’eau, le feu ou le vent,
Il me semble toucher la Moniche, avec son poil,
Et si à ces corps pense ma cervelle,
Tout élément pour moi se transforme en Moniche.

Si je flaire une plante, une fleur, un arbre, un fruit,
Et tout ce que peuvent produire la terre et la mer,
Je sens partout l’odeur de la Moniche :

En somme si je veux réfléchir
À tout ce que la Nature a de beau et de laid,
Se convertir en Moniche ma pensée elle-même ;
Je ne sais où me fourrer,
Et si je veux me cacher en quelque trou,
Je vais donner du nez juste dans la Moniche.
Si je mets la main
Sur n’importe quoi qui se mange,
En Moniche pour moi se change le pain d’Espagne ;
Mais mon cœur ne s’en plaint,

Comme faisait ce Roi qui ne mangeait pas,
Parce que tout ce qu’il touchait
Devenait d’or ;
Au contraire, toute nourriture me plaît davantage,
Justement parce qu’elle devient une Moniche ;
Elle ne me tente que plus
Et m’excite si fort l’appétit,
Qu’elle fait que plaît davantage la friture.
Elle me donne un tel prurit,
Que je mange les choses les plus abjectes,
Pourvu qu’elles soient à la sauce de la Moniche.
Ô Moniche bénie !
Le nectar des Dieux ne vaut pas un zest,
Comparé au bon goût qu’a ton bouillon !
Tu es meilleure que le miel,
Et bien autre que le sans-pareil et la mélisse
Est la Moniche, quand elle vous pisse dans la bouche !
J’ai dans l’estomac
La Moniche si bien fixée, et dans la tête,
Qu’au monde il ne me reste rien que la Moniche,
Et si je mande à la hâte
Ma pensée en quête de quelque idée abstraite ;
M’apparaît une Moniche faite comme elle
Chère bien heureuse Moniche,
Sujet de mes consolations,
Tu me donnes donc du plaisir même en songe !
J’en ai plus de satisfaction,
Parce qu’on peut se figurer en idée les plaisirs
Bien plus grands qu’ils ne sont réellement.
En toi continuellement
Je découvre choses admirables, au point
Que d’en parler un homme n’est pas digne.
Ô soutien du Monde,
Ô centre des plaisirs et des contentements,
Ô soulagement des malheureux vivants,

Bonne par tous les vents !
Ô porte céleste, ô vase d’élection,
Ô seul et unique bien sans défaut !


L’AUTEUR NE PEUT CHANGER DE STYLE

Je ne sais plus que dire ; j’en ai dit tant
En matière de cas et de baiser,
D’aller dans le cul et de se l’y faire mettre,
Que je n’ai plus de voix pour ce chant-ci.

Je voudrais pourtant dire encore quelque foutaise
Sur ce sujet, pour me désennuyer ;
Mais je ne sais par quel bout commencer,
Car tout ce que j’avais à dire, je l’ai dit.

Il me faudrait donc prendre un autre ton,
Mais je n’ai pas la science universelle
Et en dehors de cela, je suis un coïon.

Ma force, c’est de m’en tenir au naturel,
Et j’aurais beau me rompre la calebasse,
S’il faut que je nomme le cas machin,
Je chanterai toujours mal ;
Je ferai comme tant de gros poétastres,
Qui tannent si grandement les couilles,
Avec leurs grosses hyperboles
De monts d’albâtre et de lait blanc,
Pour ne pas dire superbe paire de fesses ;
Quelles sottises extravagantes !
Pour décrire deux tétons et la nature,
Dire deux collines et une vallée obscure !
Pour moi c’est sûr,

Quand je voudrai chanter pour mon plaisir,
J’appellerai moniche la Moniche, et cas le cas.


LE DIABLE NE PEUT PAS SOUFFRIR LA CROIX

Je voudrais, mes chers bons amis,
Vous voir m’expliquer pourquoi une femme
Qui a été et qui est encore une bougresse,
Ne veut pas qu’on lui lise mes sonnets ;

Moines et Prêtres se plaisent à les entendre,
Ainsi que toute honnête et sage Gentillefemme,
Et celle-là, dont la moniche est ébréchée,
S’en fait scrupule et se pince les lèvres !

Je n’en puis rien dire de plus, à mon avis,
Sinon qu’en écoutant ces poésies libidineuses,
Il lui semble reprendre son métier ;

Ou bien, comme elle est du nombre des baveuses,
Que ces miens vers lui causent déplaisir,
Comme en cause au Diable la croix.


ON NE PEUT PLAIRE À TOUT LE MONDE

Nous sommes placés dans une dure condition
Pour satisfaire l’humeur de ce bougre de monde ;
Qui ne fout pas, on dit qu’il est un viédaze,
Et qui fout, on dit qu’il est un chenapan.

Si tel va à l’église faire ses oraisons,

C’est un prie-dieu, un bigot ;
S’il ne va pas à l’église, c’est un vilain bougre,
Qui n’a ni piété ni religion.

Celle qui ne se le laisse mettre est une coïonne,
Et celle qui se le fait mettre, tout aussitôt
On dit d’elle que c’est une bougresse.

Puisqu’il en est ainsi, qu’on n’y peut rien faire,
Je veux manger, je veux chier, aller en moniche,
Et que le monde aille se faire foutre.


LA FEINTE PRUDERIE AIDE À SE FAIRE ENFILER

Canzone

Je vois un jour de ma fenêtre
Une petite coquette ;
Je la salue aussitôt
Et elle me tourne les épaules.

Cette façon méprisante,
Me fait sourdre un projet ;
Je veux savoir qui est l’amant
De ce bienheureux minois.

Je le demande à une voisine,
Laquelle sans tarder me répond
Que cette fille est une bigote
Qui se cache des hommes ;

Qu’elle ne reçoit jamais personne,
Sinon des moines en quantité,

Qui lui prêchent le jeûne,
L’innocence et la chasteté.

En écoutant toutes ces choses
Je n’en croyais que peu ou rien,
Sachant fort bien que les fillettes
Ont à cœur de paraître sages,

Mais que quasiment toutes
Ont pour le bonheur d’être aimées,
Et que, fussent-elles laides,
Elles ont beaucoup de vanité.

Ce raisonnement me semblait
Aussi juste que sensé,
Et je me mis en position
De réaliser mon projet.

Je me sentais en dedans de moi
Une bougresse d’envie
De lui pouvoir, un jour,
Mettre le cas dans la Moniche.

Comme j’allais sortir
Pour essayer ma fortune,
De loin je vois venir
Cette fillette qui courait.

Je m’arrête et avec ma modestie,
Je lui demande : « Comment allez-vous ? »
Tout comme si j’étais un chien,
Elle ne s’arrête même pas.

Il me vient tout de suite à l’idée
De voir où elle allait ;

Que pouvait-il résulter
De ce que je l’aurais suivie ?

Assez longtemps elle chemine
Sans jamais se retourner,
Mais j’étais juste derrière elle
Et je l’entends dire : « Oh Dieu ! »

Ce soupir, à l’instant même
Me rend hardi et courageux,
Jusqu’à donner à cette jolie frimousse
Un petit baiser plein de feu.

Elle devient rouge comme une braise
Et m’appelle impertinent ;
Mais je reste ferme : en cet endroit
Il ne se trouvait personne.

Je ne perds aucunement courage,
Je déboutonne ma culotte,
Et, en signe de mon hommage,
Montre mon cas et même les témoins.

Elle voulait s’éloigner,
Mais je l’empoigne par un bras,
Et rien ne lui servit de crier,
Dans les mains je lui mis mon cas.

La fille alors en un moment
Change toute d’opinion ;
Elle montre d’être contente
Si je l’enfile, mais en cachette.

Moi je restai comme de pierre
En m’apercevant du changement,

Et en voyant que cette fille
Le prenait très bien dans le ventre.

Il commençait à faire noir,
Et chez moi l’ardeur augmentait ;
Je la collai le long du mur,
Sans avoir aucune frayeur.

Entre les jambes elle avait
Une belle et gracieuse moniche,
Qui à la regarder me semblait
Dessinée avec un pinceau.

J’avais mon cas tout préparé ;
Je me mets en position,
À l’instant même je l’embrasse,
Et le lui mets dans la rainure,

Qu’elle eût jamais été baisée
Auparavant, je ne le croyais ;
Cette petite en vérité,
Je la supposais pucelle.

Mais je vis que je me trompais
Et que je formais des idées biscornues,
Parce qu’au moment que je l’enfilai,
Elle serra très bien les cuisses.

Elle était quelque peu ouverte,
Avait une moniche large,
Si bien qu’alors je la reconnus
Pour une belle et bonne putain.

Et cependant j’étais heureux,
Car son minois était gentil ;

Enfin j’en viens à jouir,
Puis je m’essuie l’oiseau.

Je lui offre deux pièces de vingt sous :
Elle refuse résolument,
« Parce qu’il n’y a qu’avec les truies,
Me dit-elle, qu’on en use de la sorte.

« Je ne suis pas fille à faire cela,
« Moi aussi j’ai de l’honneur,
« Et si je me suis fait enfiler,
« Je ne l’ai fait que par amour.

« Si vous voulez coucher avec moi
« Cette nuit, vous en êtes le maître,
« Et nous ferons jusqu’au jour
« Bien des choses, mais en cachette.

« S’il me faut dire la vérité,
« Je suis une pauvre fillette,
« Et en feignant la dévotion
« Je mène une bienheureuse vie. »

Je saisis donc la bonne occasion,
Mais sous condition qu’elle se taise ;
Elle se met en marche et, derrière elle,
Jusqu’à la maison je l’accompagne.

Arrivés, nous courons au lit ;
Et je me mets à la chevaucher ;
Elle montrait du goût pour moi,
Quand j’étais pour l’enfiler.

Elle avait deux tétins
Qui faisaient s’amouracher d’elle,

Et quantumque tout petits.
Ils étaient à croquer.

Un bout de temps je reste en moniche
Et j’y éprouve grand plaisir ;
Puis après, cette mignonne
Je la bulgarise.

Tout d’abord mal consentante
Elle se montre vis-à-vis de moi ;
Je dus même peiner un peu,
Mais enfin je la bulgarise.

Je me lève dès le matin,
Et me rhabille, pour m’en aller,
Mais j’avais dans l’échine une faiblesse
Telle que je peinais à marcher.

Je me décide pourtant à partir,
Et remercie la Signora
De ce qu’avec tant de courtoisie
Elle m’a prêté sa cochette.

En cheminant tout doucement
Je pensais à cette bigote,
Et je découvrais que l’oiseau
Elle le prendrait soir et matin ;

Qu’au fond cette petite était
Une bougresse très effrontée,
Et pour preuve que c’est bien vrai,
Je l’ai foutue et bulgarisée.


PARALLÈLE ENTRE L’HOMME ET L’ANIMAL

L’homme s’estime assez généralement
Pour cette lumière qu’il a de la raison
Et moi justement pour cela, en vrai coïon,
À dire vrai, je ne l’estime pas du tout.

Je prise infiniment davantage les bêtes
Qui, si elles n’ont pas tant de connaissance,
N’ont pas non plus de si violentes passions,
Et vivent bien plus tranquillement que nous.

Pour une seule chose je ne voudrais
Être un animal, mais pour tant d’autres
Avantages qu’ils ont, je me troquerais ;

Cette chose, c’est que, tous tant qu’ils sont,
Hors de la saison jamais ne feraient l’amour,
Et qu’ils ne savent comment le mettre par devant.


L’HOMME GÂTE LES BIENS DE LA NATURE

Quelle grosse bête que l’homme ! il déforme
Tout ce que la Nature a fait de bien ;
Elle fait une chose simple et pure,
Et lui de ses mains, la transforme.

Il ne laisse pas même dormir les bêtes ;
Ses esclaves, il les châtie ou les défigure,
Et à force de grands labeurs et de culture
Il veut qu’un climat soit uniforme à l’autre.


De tout ce qu’en somme il y a de naturel
Il n’en veut rien, à ce point qu’il se fait
De soi-même l’ennemi capital.

Regardez-moi s’il aime la difformité :
C’est au point qu’il s’est mis en tête, pour son mal,
De dire qu’aller en moniche c’est un péché !


CRITIQUE TOUCHANT LE CAS DE L’HÉBREU JOSEPH

Quand je lis ce passage de l’Écriture
Qui raconte le cas de l’Hébreu Joseph,
Lequel ne voulut pas, même du bout du doigt,
Toucher la nature à cette femme ;

Qu’il n’eût pas de cas j’en ai peur,
Car il ne se peut faire que ce Juif
Fut assez coïon, assez stupide,
Pour ne pas l’enfiler à l’instant tout droit.

Mais l’Écriture, qu’elle me le pardonne
Si je n’en crois rien, encore bien qu’il y ait
Gens qui sur ces grosses foutaises se règlent.

À une femme qui vous en prie, et qu’on ne paie pas,
Non seulement par où elle pisse,
Mais par où elle chie, moi, je le lui mets.


RÉPONSE ET DÉCISION

« Baffo, toi qui es un homme de tête,
« Et qui sais l’écriture, sur le bout du doigt,

« Tu as avec esprit critiqué ce Juif
« Qui pour sauver son honneur perdit son manteau.

« Quand pour libérer Béthulie en détresse,
« Au camp Assyrien, du corps-de-garde Hébreu,
« Pour faire bander l’oiseau à ce butor
« Se rendit Judith, en robe de fête,

« Dis-moi si, avant de dégainer l’épée,
« Elle pensa en fille avisée, ou en coïonne,
« De ne pas se laisser flanquer une saccade ?

« Pour mon compte, si j’avais été cette femme,
« Je faisais deux bonnes affaires d’un coup,
« Et par le saint Dieu ! je le recevais en moniche. »


LE PRÊCHE EXCITE À FOUTRE DAVANTAGE

Du haut des chaires on entend une grosse voix
Qui prêche que tous nous avons à mourir,
Que qui a commencé, doit finir,
Qu’il faut que meure même le Doge ;

Que les Papes, les Rois ont à porter leur croix,
Et qu’en poussière nous retournerons tous,
Que personne ne sait quand l’heure doit venir,
Que chacun doit penser à disposer ses richesses.

Ils prêchent la mort ces gros moines,
Pour qu’on ait à laisser là les femmes ;
Mais s’ils croient cela, ce sont des coïons.

Au contraire, puisque la mort doit arriver,

Et qu’elle viendra comme viennent les voleurs,
Juste à cause de cela je veux baiser davantage.


FAUSSES ET VRAIES PEINES DE L’ENFER

Lorsque j’entends ces grands Prédicateurs
Prêcher sur les peines de l’Enfer,
Dire qu’il y aura là un feu éternel
Et des pâmoisons, des douleurs continuelles ;

Que de ces affreuses, épouvantables horreurs
D’horribles monstres auront la direction,
Et qu’avec une rage, une haine sempiternelles
Ils arracheront par morceaux les cœurs des damnés ;

Il me semble qu’ils produiraient bien plus d’effet
Si au lieu de nous faire une grande épouvante
En nous représentant cet endroit si vilain,

Ils prêchaient sur la grande souffrance
De voir des moniches partout,
Sans que jamais personne puisse en enfiler une.


L’AUTEUR SAIT VIVRE VERTUEUSEMENT SANS LES
PRÊCHES

Sans que jamais je me rende au sermon
De ce grand et docte Père Ganassoni,
Et que j’aille là me faire tanner les témoins,
Je sais ce qu’il faut faire pour être vertueux :


Être honnête en toutes les occasions,
Ne pas frapper avec armes ou bâtons
Les hommes, si chenapans qu’ils soient,
Et rendre à chacun le sien, quand il a bon droit.

Pour moi, ces trois choses je sais les faire ;
À qui que ce soit, jamais je ne donne ennui,
Et je n’aime pas à coïonner le prochain.

Avec honnêteté je prends tous mes plaisirs,
Et comme à chacun il faut rendre son dû,
Pour cette raison je donne le cas à la femme.


TOUT EST BIEN, EXCEPTÉ L’ÉGLISE

Toute chose me semble très bien entendue
En ce bas monde, et faite avec raison :
je n’en excepte que la maison d’oraison,
Autrement dite la sainte église.

Pour celle-là, certes, il n’est point de défense ;
On ne pouvait faire, à mon opinion,
Une plus triste, plus misérable habitation,
Pour que la vie nous fût encore plus pesante.

En tous les autres lieux, finalement,
Si l’on dépense, on en remporte quelque chose ;
À l’église on vous pèle sans vous donner rien.

Tous les objets que l’on y voit vous épouvantent ;
Suffit de dire que là, continuellement,
On vous dépouille, on vous effraye, on vous enterre.


L’AUTEUR N’ADMET PAS DE LOI CONTRE LE DROIT DE
FOUTRE

Y a-t-il, dites, une loi défendant de foutre ?
C’est une coïonnerie, une fiction ;
Tous les savants la tiennent pour une carotte,
Et je dis, moi aussi, qu’ils ont raison.

Combien de lois voulez-vous donc sur la Moniche ?
Ne vous suffit-il que Celui qui est le maître
Ait dit une fois que l’on foute,
Pour savoir quelle était son intention ?

La loi de Moïse est une sottise,
Puisqu’elle va contre le pouvoir du suprême Dieu,
Au détriment du cas et de la moniche.

Que si Moïse voulait se faire Dieu,
Il devait se montrer envers chaque femme,
Plutôt que législateur, vaillant mari.


L’HYPOCRISIE NOUS ÔTE LES BIENS QUE DIEU NOUS A
DONNÉS

Je m’en vais ruminant comme jamais
On a pu dire qu’étant luxurieux
Par nature les hommes, et aussi gourmands,
La luxure et la gourmandise soient des péchés.

Il me semble que ce sont de grands bougres de fous
Ceux qui à ce point-là se font scrupule,
Et je me réjouis de ce que les hommes studieux
Nous font voir que nous sommes coïonnés.


Mais si c’est un bien que Dieu nous a donné,
S’en priver, je le dis et le soutiens,
Voilà ce qui tout au contraire est péché.

Heureusement que moi, sans grand talent,
Je ne me suis pas là-dessus laissé coïonner :
Toujours j’ai mangé et toujours je l’ai mis.


PRÉJUGÉS DU BIGOTISME

Je ne sais pour quelle raison cracher
N’est point péché, ni se moucher le nez,
Pas davantage pisser à plein pot de chambre,
Lâcher une vesse ou faire caca :

De tout cela nous n’allons pas nous confesser,
Mais on fait une vilaine chose seulement
À entrer dans le pertuis de quelque femme,
Quand on a envie de jouir.

Quelle façon de penser, quelle absurde loi,
Ont inventée là nos vieux imbéciles !
La jouissance n’est-elle pas aussi un soulagement ?

Femmes, ne faites pas attention à ces butors
Qui, suspendant le cours de la Nature,
Veulent que le sperme pourrisse dans les bourses.


RÉCOMPENSE ET CHÂTIMENT

Zoroastre, un jour descendit aux Enfers
Et il y vit un Roi à qui manquait une jambe ;

Il demanda à ces Diables pourquoi
Sans l’une de ses jambes il se trouvait là.

Ils lui répondirent qu’ayant été pécheur,
Pour cela dans la Maison du Diable il se trouvait,
Mais que sa jambe, ayant fait je ne sais quoi
De bon, avait mérité le Paradis.

On lui dit qu’avec elle à un chameau
Il avait donné à manger, et que cette bonne action
Faisait que sa jambe fût allée au Ciel.

Puisqu’il en est ainsi, je dis que la femme
Qui donnera à manger à notre oiseau,
Ira en enfer, mais au Ciel ira sa moniche.

SUR LE MÊME SUJET

Pour ce même motif, pour lequel
Les moniches iront toutes en Paradis,
Et seront là à se regarder face à face,
Pour ce même motif iront au Ciel tous les vits.

Prêtres et Moines y seront aussi, mal à l’aise,
Bien qu’ils aient supporté la bure grise,
Parce qu’alors le cas leur sera coupé,
Et jeté au fond de l’infernale barathre.

Les Nonnes, elles aussi, iront au Ciel ;
Mais toutes sans moniche, parce que jamais
Elles ne donnent à manger à notre oiseau.

Je conseille donc à tous ces affamés,

S’ils veulent jouir après la mort d’un beau séjour,
De foutre comme autant de désespérés.


LA FEMME NE DOIT PAS SE FAIRE BAISER PAR UN SEUL
HOMME

Il est faux ce principe, que la femme
Ait été mise au monde pour un seul homme,
Et que celle qui se jette au cou de deux
Doive être appelée une vilaine bougresse.

Pourquoi devrait-elle tenir close sa moniche,
Quand l’attise comme un soufflet le désir
De jouir de quelque cas Romagnol,
De Naples, de Zara ou de Lisbonne ?

Outre que c’est se faire une loi trop dure,
De toujours rester collée au cul d’un seul,
C’est encore faire injustice à la Nature ;

Si elle lui a donné une moniche
Qui est faite au calibre de tous les cas,
N’en recevoir qu’un seul, oh ! quel péché !


RÉPONSE D’UN AMOUREUX

Deux amoureux étaient en dispute
Et je me suis trouvé avec eux ;
La femme était bien de ces femmes
Qui ne savent dire que l’Ave Maria.


Elle lâcha cette expression de jalousie :
« Écoute, vilain fils de cent putains,
« Quand même j’aurais un cent de moniches,
« Une seule, oui, une seule, je ne te la donnerais. »

Écoutez la réponse qu’à l’instant même
Il lui fit de sa plus mauvaise mine :
— « Vous êtes devenue bien avare, à ce que je vois.

« Je ne puis que m’en prendre à ma déveine ;
« Vous n’avez qu’une moniche, et la prêtez à cent,
« Et d’un cent vous ne m’en donneriez pas une ? »


L’AUTEUR FAIT L’ÉLOGE DE CERTAINE BEAUTÉ

Je voudrais faire l’éloge d’une beauté,
De celle qu’on peut appeler du plus beau blond,
Mais je ne sais par quel bout commencer,
Par le nez, par le corsage, ou par les fesses.

Dire qu’elle semble une autre Hélène,
Que Vénus auprès d’elle n’a que le second rang,
Ce sont des idées antiques, comme de chier :
J’aimerais mieux me taire ou me cacher.

Je voudrais dire quelque chose de beau,
Pour en faire l’éloge qu’elle mérite,
Et que mon idée enfin fût nouvelle.

Je dirais donc qu’elle a tant de charmes,
Qu’à la regarder elle fait dresser l’oiseau :
Par cela seul jugez de sa beauté ;
Si elle fait tant

D’impression sur les corps, rien qu’à la regarder,
Combien en ferait-elle si on la pelotait,
Ou encore si on l’enfilait ?
Ah ! oui, elle vous a une poitrine, un col, un visage,
Qui sont autant de morceaux du Paradis ;
Si bien que j’en suis sûr,
Si elle se fût trouvée là au moment
Que sur la terre descendit, tout guilleret,
Jupiter pour tirer un bon coup,
Il se serait jeté sur elle
Et l’aurait enclouée à ne plus pouvoir.


ÉLOGE DES TÉTINS

Tétins de lait et de fromage mou,
Petits pâtés qui excitez ma verve,
Pommes d’api, la joie de l’existence,
Bonnes petites friandises au sucre ;

Tétins blancs, de neige fraîchement neigée,
Coussinet sur lequel dormait un Roi,
Crème pétrifiée, qui ravive le goût,
Ris de veau bons à faire une tourte.

Tétins de jasmin, de fleur de lait,
Tétins qui êtes deux touffes de jasmin,
Tétins qui toujours bataillez dans mon cœur ;

Tétins à qui appliquer mille suçons,
Tétins qui êtes pour moi objets à rendre fou,
Tétins, qui ne vous baisent sont de grands coïons !


LA CHASSE DU DIEU D’AMOUR

Dans le bosquet de ma mignonne
J’ai vu Amour, sous forme d’oiselet,
Aussitôt, j’ai empoigné mon fusil,
Et je suis allé lui tirer dessus.

J’ai tiré un coup il s’est sauvé,
Et s’est mis à chanter sur un tremble,
Si bien que je ne sais si un Chérubin
Chanterait avec plus suave mélodie.

Un peu après il sautilla de ci, de là,
Tantôt sur une branche et tantôt par terre :
Moi je le suivais partout à la piste ;

Mais quand il vit que je lui faisais la guerre
Et que je voulais le prendre, il s’est fourré
Dans la cage de ma belle Nymphe.


RÉCIT D’UN SONGE À SA BELLE

Écoute, Nina : cette nuit j’ai rêvé
Que nous étions couchés sur le lit,
Nous faisions le jeu qui se fait,
Quand on est fiancé ou marié.

Tu me disais : « Pousse ! » et plus que jamais
Je poussais ; ce jeu a duré tant,
Que nous en étions tous les deux éreintés ;
Justement alors je me suis réveillé.


Tu peux t’imaginer, chère Nina,
Comme je bandais en ce moment,
Et ce qu’alors je me pris à désirer.

Pour me soulager d’un si grand tourment,
Avec volupté j’ai commencé à me manuéliser,
Jusqu’à ce que jouissant je fusse satisfait.


PARALLÈLE ENTRE L’AUTEUR ET UN ENFANT

Comme un petit enfant court à la rencontre
De sa maman, qui s’était en allée loin ;
Avec autant de joie que sautille un chien
Amour de son maître, qui a trouvé un oiseau ;

Comme s’en revient heureux et gai le paysan,
Quand le soleil s’éloigne de la terre ;
Avec autant de joie qu’une pucelle tient la main
De son fiancé, lorsqu’il lui donne la bague :

Ainsi en accourant, ma chère Anne,
Venir baiser ta belle bouche,
Il me semble que pas un bonheur n’égale le mien ;

Il est d’autant plus grand et d’autant plus profond,
Mais avec la différence qu’il y aurait
À aller se promener, ou à aller dans le chas.


SON AMOUREUSE EST PROMISE À UN AUTRE

Après que j’ai tant fait pour cette femme,
Que j’ai tant dépensé, prodigué, pour lui plaire,

Sans jamais être arrivé à la peloter,
Elle me fait danser la danse du plantoir.

Pour se marier elle a signé le contrat,
Si bien que je ne puis plus aller la voir ;
Cela me dirait pourtant bien de la bulgariser,
Puisque pour elle je suis devenu fou.

Mais à cette heure que je ne puis plus lui parler,
Du moins puissé-je ce soir-là,
Me trouver là aussi, quand elle se fera baiser ;

Je ne voudrais pas la perdre toute entière,
Je voudrais me bien masturber l’oiseau,
Ou tout au moins bulgariser la chambrière.

SUR LE MÊME SUJET

Regardez-moi en face, comme du saindoux,
Comme de la neige au soleil je me liquéfie ;
Je fonds pour toi, je deviens fou,
Et rien qu’à te voir me consume tout.

Ô suave fruit du jardin d’Amour,
Bénie soit la cochette qui t’a pondue
Le temps, l’heure, le moment et l’acte
De ce généreux cas qui t’a produite !

Quels jolis tétins, quelle gentille bouchette !
Que ne puis-je te voir sous les draps !
Quelle jolie paire de fesses ! quelle moniche étroite !

J’estime plus ce morceau qu’un terne à la loterie ;

Et ce tendre soupir, cette langue qui se donne !
Je jouis par terre, Dieu ! si je ne te fous.

SUR LE MÊME SUJET

Celui qui a la goutte ne souffre pas
Autant que j’ai souffert pour cette femme,
La première nuit qu’avec son mari
Elle est allée se coucher, pour qu’il la foute.

Comme quelqu’un qu’on bâtonne et qui crie tout à coup,
Ainsi à tout moment je criais : « Oh ! Dieu !
« Voici que ce chien me l’enfile ! oh ! le fils
« De grosse putain ! il le lui a cassé ! »

Je me la figurais nue, pour respirer,
Et imaginant tout ce qu’elle a de plus beau,
Je lui flanquais en idée quelque saccade ;

Mais à rien ne me servait, et tout bonnement,
Pendant qu’Amour me sonnait la chamade,
À son odeur je me suis manuélisé.


BON MOYEN DE SE VENGER

Madrigal

Qui veut tirer de son ennemi
Une crudelissime vengeance
Je lui enseigne une recette,
Qu’il ne trouverait pas mieux :

Qu’il le mène dans une maison
Où il verra un gentil visage
Qui lui mette la cervelle à l’envers,
Et le fasse s’amouracher.


L’AUTEUR VEUT SE RETIRER DANS LA SOLITUDE

Il n’est plus une seule femme qui me plaise
Et celles que je voudrais ne me regardent plus ;
Mais telles sont du monde les vicissitudes
Que ce qui plaisait jadis aujourd’hui déplaise.

Peu s’en faut que je ne me mette à rester chez moi,
Je n’en ferai que mieux mes propres affaires,
Et la Nature, qui sait ce dont on a besoin,
Est persuadée que ce serait là mon bonheur.

En fait ce qui me semble une disgrâce
Des plus grandes que le ciel m’ait envoyées,
Il faudra au contraire que je l’en remercie,

Par la raison que si de quelque gentil minois
Je ne pouvais obtenir entièrement la faveur,
Par Dieu ! je lui laisserais mon oiseau dedans.


L’AUTEUR LOUE LE ROI DE PRUSSE ET N. D. LA DAUPHINE

Au Ciel, Mars et l’Amour se sont mis à l’œuvre
Pour faire chacun un morceau
Qui fût l’honneur de toute la Nature,
Et que nul ne pût égaler.


Mars entreprit de faire un homme,
Mais d’une trempe si forte et si dure,
Qu’il restât ferme au froid comme au chaud,
Et fût toujours prêt et prompt à combattre,

L’Amour dit : « Et moi je ferai une femme
» Qui, soit qu’elle parle, soit qu’elle se taise,
» Fera toujours les délices de tout le monde ».

Ce sont ces deux personnes qui plaisent tant ;
Savez-vous qui elles sont ? déjà leur nom résonne,
Pour le Prussien en guerre, pour la Dauphine en paix.


AU MÊME ROI DE PRUSSE

On ne peut dire que le roi de Prusse ne soit
Un homme qui est doué de rares talents ;
De son savoir nous avons clairs témoignages
Tant en jurisprudence, qu’en musique, en poésie.

Il s’acquitte de tout avec art et maëstria,
Et à la guerre il n’y a pas son pareil ;
Il a fait des choses remarquables,
Le savent bien la France, la Russie, la Hongrie.

Tout ce que vous voudrez ! il a un grand génie
Et ne mérite pas une, mais plusieurs couronnes ;
Mais puisqu’il ne fait l’amour, je ne l’estime en rien.

J’observe, en effet, que toutes les personnes
Qui pour les femmes ne ressentent point d’amour,
Le plus souvent sont des espèces de bougres.


POUR UNE FAVEUR OBTENUE DE CUPIDON

J’ai tant prié Amour pour qu’il m’exonérât
D’écrire sur des matières rondes et grasses,
De parler de putains et de bardaches
Qu’il m’a fait la grâce que je désirais.

Je ne sens plus ce poids que j’avais,
Qui me retenait courbé sur les choses basses,
Et si les objets ne sont de première classe
Mon esprit maintenant ne se lève plus.

Comment jamais ai-je pu faire un si grand saut,
Tel qu’il me semble du doigt toucher le ciel ?
C’est la force d’Amour qui m’enlève si haut.

Il m’a découvert un monde bien plus beau,
Et à cet aspect, à ce bel assaut,
Je me suis mis à voler comme un oiseau.


TOUT N’EST QUE MISÈRES ; UNIQUE BIEN, LA MONICHE. I.

Avoir à aller au lit quand il se fait tard ;
Avoir à se vêtir, à se déshabiller ;
Penser, quand il fait jour, à son dîner ;
Payer ses gages à sa chambrière ;

Mettre tel habit au printemps,
Tel autre quand le soleil nous fait cuire,
Un troisième quand on commence à vendanger,
Un quatrième quand la neige est par terre ;


Pisser, chier, tomber malade ;
Qu’un jour telle chose vous semble bonne,
Et qu’un autre elle ne soit que foutaise ;

C’est là une si bougresse d’existence,
Qui, caquesangue de Dieu ! je me tuerais,
Si en ce monde il n’y avait plus la Moniche.

MÊME SUJET. II.

Si en ce monde il n’y avait plus la Moniche,
Caquesangue de Dieu ! je voudrais mourir,
Si je ne pouvais plus aller me divertir
Avec quelque bonne bougresse de putain.

Ne m’importe qu’elle soit gentille femme
Ou qu’on puisse l’appeler la déesse d’Amour,
Pourvu qu’elle ait sous les jupons
Quatre doigts de moniche, pourrie ou saine.

Tout le reste de ce que le monde estime et approuve,
Gloire, talent, vertu, désir d’honneur,
La prudence en la paix, le courage à la guerre,

La piété, la constance et même l’amour
De la patrie, par Dieu ! sans la Moniche,
Ce ne sont que tourments, ce ne sont que douleurs.

MÊME SUJET. III.

Ce ne sont que tourments, ce ne sont que douleurs,
Toutes ces choses qu’estime le pauvre monde ;

Il n’est plaisir au-dessus du plaisir du cas,
Plaisir bien au-dessus de tous les plaisirs.

Quel grand bonheur, quel contentement éprouve
Le cœur de l’homme quand il entre au bordel,
Et que, les jambes écartées, sur le matelas
Il trouve sa mignonne toute amoureuse !

Rien ne vaut cela ; de plus parfait bonheur
L’âge ancien n’en a pas eu, ni le nouveau,
Qu’il dise ce qu’il voudra, ce monde injuste,

Que celui que ressent l’homme auprès d’une jolie
Femme, quand après avoir délacé son corset,
Elle se retrousse d’elle-même la jupe.

MÊME SUJET. IV.

Elle se retrousse d’elle-même la jupe,
Quand elle est sur le point de se faire enfiler,
Et de ses œillades sait vous inviter,
Qu’elle soit une bougresse, ou un tendron.

Et c’est tout un qu’elle soit laide ou belle ;
Lorsqu’à découvert on peut lui regarder
La moniche qui fait frétiller le cas,
Qui est celui qui n’y fourre le gland ?

Je ne crois pas que ce sévère Xénocrate
Ait jamais vu un si charmant spectacle :
Le Dieu archer l’aurait vaincu,

Bien qu’habitué à crever, entre les deux fesses,

L’œil noir d’un derrière tremblotant,
Il eût en haine l’incomparable Moniche.

MÊME SUJET. V.

Eût en haine l’incomparable Moniche,
Quelque antique philosophe dit-on ;
Mais c’est le rarissime Phénix
Qu’en ce monde jamais personne n’a pu voir.

Qui méprisa la Moniche, le cœur me dit
Qu’il n’avait ni cas ni bourses,
Et je crois que sous les chemises
La Nature n’aurait rien su faire de mieux.

Jupin lui-même s’est changé en pluie d’or
Et est venu ici-bas, du haut des sphères,
Pour posséder le grand trésor de la Moniche.

Quelle raison l’a porté à se faire voir de nous,
À travers les mers, changé en un taureau,
Si ce n’est l’immense pouvoir de la Moniche ?

MÊME SUJET. VI.

Si ce n’est l’immense pouvoir de la Moniche,
Il n’existe au monde de pouvoir supérieur,
Et si la Mort n’était elle-même une femelle,
La Moniche pourrait en repousser le coup.

Si les damnés pouvaient avoir une Moniche

Pour amuser leur cas, derrière ces fameuses portes,
On verrait cette grande Cour transformée
En Palais du rire et de la joie.

Pour le dire, si au monde il n’y avait eu
La Moniche que si fort estima Samson,
Aux Philistins il ferait encore la guerre.

La Moniche a été aimée de Salomon,
Et il foutait si volontiers,
Qu’à ses ordres il avait mille Moniches et plus.

MÊME SUJET. VII.

À ses ordres avait mille Moniches, et plus,
Quelque autre Empereur, ai-je lu,
Et il estimait plus ce gentil pertuis,
Que d’avoir sur la tête mille couronnes.

Qu’est-ce que fit donc Louis de Bourbon ?
Il en faisait venir, pour son déduit,
Du fin fond du Monde, parce qu’à son oiseau
Ne suffisaient point celles de son pays.

Jamais ne s’est trouvé Prince ni Monarque
Qui se soit contenté de la Reine seule,
Eux aussi savent bien enfiler des putains.

Et ce caprice qui tous nous bouleverse,
Fait également que le cas princier va
Plus qu’en Moniche royale, en concubine.

MÊME SUJET. VIII.

Plus qu’en Moniche royale, en concubine
Se conçoivent au monde les grands Souverains,
Et c’est là un des merveilleux arcanes
De la Moniche, cette reine des membres.

Ô vénérable Moniche, qui raffines
Plus que tous arts et sciences les goûts des humains,
Tu es celle qui répare les dommages
Et empêche la ruine du Monde.

La peste, la faim, la guerre cruelle
Font mourir chaque jour tant de personnes,
Que sans habitants resterait la terre,

Si ne venait l’assistance des Moniches
Qui, voulant sur terre des cas,
Ressuscitent les gens en une minute.

MÊME SUJET. IX.

Ressuscite les gens en une minute
La Moniche, et guérit les maux que produiraient
La Guerre, la Peste et la Famine,
S’il n’y avait plus de Moniches au monde.

Par elle les Rois gardent en tête leurs couronnes,
Elle rend populeuse toute Monarchie,
Et au monde il n’y aurait plus de joie,
S’il n’y avait plus de Moniches.


Donc puisqu’il en est ainsi, je vous assure
Que je serai toujours ami de la Moniche,
Tant que je pourrai avoir le cas dur ;

Et quiconque en serait prié par une femme,
Celui-là est un grand coïon, je vous le jure,
S’il refusait d’aller dans la Moniche.


SUR LE COMMENCEMENT DE L’ANNÉE

À la nouvelle année, faut aller à confesse,
C’est le moment de dire : « Peccavi, et je me repens ».
Par devant quelque Moine, en un Couvent
Aller avec dévotion s’agenouiller ;

Se rappeler qu’il nous faudra mourir,
Ne plus jamais prêter à cinq du cent,
Ne plus entrer dans ces saletés d’enfers,
Enfin s’éloigner des concubines ;

Faire compte que l’on soit en temps de peste,
Sur ses fossés faire dresser la herse,
Et même aller peu chez les femmes honnêtes ;

Traiter son bon ami comme un frère,
Faire du bien, sanctifier les fêtes,
Et à peine tenir en main son oiseau pour pisser.


IL FAUT L’ASSISTANCE DIVINE POUR SE SAUVER

Je sais que celui qui m’a fait sans moi
Ne veut pas sans moi me sauver ;

Que puis-je donc espérer de moi,
Quand je ne fais pas plus de bien que cela ?

Ce que je fais aujourd’hui, je le fais chaque jour,
Et je fais ce que je ne devrais pas faire,
Et j’aurais beau vouloir retourner en arrière,
Je continue ce voyage toujours plus mal.

Si le temps et la raison n’ont plus la force
De faire que je sois vainqueur en cette joute,
Quelle autre force jamais triomphera ?

Seigneur, à mon esprit qui se prosterne,
Faites voir que je suis totalement changé,
Et qu’à vous seul en revient toute la gloire.


EXISTENCE CERTAINE DE L’HOMME

Il me passe quelquefois par l’esprit,
Comme cela jadis est arrivé à Pyrrhon,
Que tous les objets sont des ombres, une illusion,
Et que moi-même je ne suis rien en ce monde.

Mais depuis, avec Descartes, franchement
Je fais, moi aussi, mon argumentation,
Et je dis : « Je pense, donc je suis, »
» Et avec moi vit tout le reste des êtres ».

Ce philosophe, en effet, a très bien dit,
Et inutile de lui faire autre commentaire,
Qui ne pense pas n’a pas de soi conscience.

Je vais plus loin et amplifie l’argument :

Non seulement je suis, mais je suis bien,
Quand je suis dans le derrière ou dans la Moniche.

SUR LE MÊME SUJET

Descartes, cet excellent philosophe,
Qui allait si bien au fond des choses,
A trouvé ce très remarquable argument
Contre ceux qui croyaient ne rien être.

Pourquoi, quand il me passe par l’esprit
Que je ne jouis jamais, que je ne ressens pas de mal,
Ne pourrais-je avoir le même sentiment
Que lui, vis-à-vis de ceux qui pensent de même ?

Il a dit : « Je pense donc je suis,
» Qui ne pense pas n’a pas de soi conscience, »
» Et qui dit le contraire est un coïon. »

Je vais plus loin et j’estime bien dire,
En tirant du raisonnement double conclusion :
Je suis dans la Moniche, donc je suis bien.


L’AUTEUR EST SÛR DE L’EXISTENCE QUAND IL FOUT

J’ai dans la tête que je suis seul au monde,
Et qu’en dehors de moi il n’existe rien ;
De la sorte, grâce à cette belle fantaisie,
Je me la coule douce et rien ne me chagrine.

De cette façon je suis toujours en joie,

Puisque je n’ai rien au dehors
Qui puisse me troubler l’esprit ;
Je me parle et je me réponds tout de suite.

Je n’ai aucune certitude touchant
L’existence du ciel, de la terre, ni de personne ;
Que seul j’existe, voilà ce que je sais.

Mais cette idée dans un cas me coïonne ;
Et savez-vous quand je crois que nous sommes deux ?
C’est quand je suis le cas dans la moniche.


LA MONICHE ENLÈVE TOUTE PRÉOCCUPATION

Tel dit que ce monde n’est qu’une combinaison
Accidentelle, et que l’âme meurt ;
Tel croit encore vraiment à tous les Dieux,
Tel a deux principes, l’un mauvais, l’autre bon ;

Tel a dévotion pour le Messie non encore né,
Tel estime Calvin, tel honore Luther,
Tel adore le Soleil, tel les plantes, les éléments,
Tel veut Mahomet, et tel l’incarnation ;

Tel admet le système de Pythagore,
Tel, suivant ce troisième, se fait un animal ;
Tel n’admet pas les causes secondes.

Mais le Baffo, qui ne s’arrête pas à ces foutaises,
Pour sortir d’embarras à l’instant nie le tout,
Et glorieux, triomphant, s’en va dans la moniche.


APRÈS RÉFLEXION, RÉSOLUTION

Comme tel se met là pour voir quelque fête,
Je me tiens au balcon du monde fort longtemps,
Et je vois que ceux qui ont beaucoup d’argent
Le plus souvent sont pauvres de cervelle.

Je vois ensuite un tourbillon de bigots
Qui croient à tant et tant de bêtises,
Que, le cas leur banderait-il à éclater,
Plutôt que de le secouer, ils l’écrasent.

Je jette encore l’œil sur ces gros Moines
Qui mangent sur notre dos et nous coïonnent
À force d’Indulgences et de Pardons.

Quand j’ai bien vu cette bougresse d’engeance,
Je me retire, je ferme mes fenêtres,
Et savez-vous où je vais ? dans la moniche.


L’AUTEUR ENTRETIENT UNE CHARCUTIÈRE

Canzone

Mes amis dorénavant,
Ne murmurez pas contre moi,
Si vous ne me voyez plus
Avec vous, le soir ;
Je vous en donne la raison ;
De moi je ne suis plus le maître,
Je suis tout entier
À ma charcutière.


Si vous me voulez parler,
Sans me chercher autre part,
Venez me retrouver
Dans la boutique ;
Mais ne me dérangez pas,
Quand vous m’y voyez,
Si vous ne voulez que dans la sauce
Elle vous noie.

Si de devenir ses clients
Vous avez envie,
Suffit que vous lui apportiez
De la monnaie ;
Venez en toute liberté,
Et si vous voulez du salé,
De ses propres mains
Elle vous en taillera un morceau.

Elle sait faire certains ragoûts
Qui font tressaillir le cœur,
Et envers moi, par amour,
N’est pas ingrate.
Quand je veux lui donner du plaisir,
Je ne fais autre chose
Que de bien lui récurer
Sa casserole.

Quand je veux me restaurer,
Je n’ai qu’à demander,
Jamais ne peut me manquer
Son assentiment :
Elle me donne une grosse langue,
Tout à fait à mon goût,
Puis mon abbatiale
Longe de poitrine.


Grosse part de tripes
Elle me donne encore,
Qui vous ferait lécher
Tout le plat ;
Et quand je suis enfin las
De bâfrer ce morceau,
Pour exciter la soif
Je cours au jambon.

Une curieuse dispute,
La coquine, elle a eue
Avec un vieux sans dents
Des plus gloutons ;
Écoutez et riez :
Il s’en plaint parce que
Jamais elle n’a voulu
Tenir son boudin.

Elle vise au gros poisson
Et ne fait pas d’affaires
Avec ceux qui par la ville
Toujours braillent ;
Ni d’anguilles, ni de civelles,
Ni de goujons,
Ni de merlans elle ne veut,
Ni du fretin.

Je pourrais longtemps continuer,
Car à peine si je commence,
Et je ne vous ai dit mot
Du plus exquis.
Mais je veux y aller,
Je m’y sens attiré
Et par peine de cœur
Et par l’appétit.


SUR LA MORT DE L’ALGAROTTI

A payé son tribut à la Nature,
Le fameux philosophe Algarotti,
Et à Pise, au milieu des hommes les plus illustres,
On lui a élevé un magnifique tombeau.

Par son savoir il a fait grande figure,
Et des rois ont été ses dévots ;
Même dans les pays les plus lointains
A pénétré le renom de son esprit.

En fait, de ses écrits il appert
Que cet homme fut une grande intelligence,
Mais moi par dessus tout je l’estime

De n’avoir jamais dépensé un sou pour une femme ;
Et d’avoir su faire que l’une ou l’autre
Toujours par amour lui prêtait sa moniche.

MÊME SUJET

Si c’était vrai, ce que disent tant de gens,
Que privé du corps, en l’autre monde on pense,
Je voudrais avec une intense allégresse
Me réjouir de ce que vous êtes loin de nos maux.

Je vous dirais que nous, tous tant que nous sommes,
Sommes malheureux, sans un bien qui compense ;
Vous, retourné dans le sein de l’immense matière,
Vous jouissiez du repos où vous étiez avant.


Je pleure sur vous, non seulement
De ce que votre corps ne soit plus avec nous,
Mais je pleure aussi de ce que vous n’êtes plus rien ;

Car si vous étiez quelque chose, je suis sûr
Que vous m’aviseriez fidèlement
Si j’ai dit vrai touchant le Paradis.


CONSEILS AUX PUCELLES

Canzone

Pucelles, maintenant que vous êtes bonnes,
Ne vous maniez pas la moniche,
Mais faites-vous bien enfiler ;
Quand cela vous démange,
Faites-vous mettre tout entier
Le cas d’un joli garçon,
Et faites-le bien frétiller.

Trouvez un bel oiseau,
Qu’il soit long, qu’il soit beau,
Et gros en quantité.
Remuez, quand vous l’avez dedans,
Un tantinet le derrière ;
C’est le plus beau passe-temps
Qu’on ait jamais essayé.

Laissez-vous chatouiller
Jusqu’à ce que vous le sentiez jouir,
Jusqu’à ce que vous le sentiez sortir.
Quand un bel oiseau vous fout,
Vous éprouvez un grand plaisir,
Vous en rendez l’âme,

Jusqu’à ce que vous n’en puissiez plus.

S’il était par trop gros,
Et vous donnât un embarras
À vous en faire désespérer,
Écartez-bien les jambes,
Empoignez-le entre vos mains
Jusqu’à ce que vous sentiez bellement
La moniche larmoyer.

Si cela vous démange plus,
Faites-vous grimper dessus
Quelque brave fouteur.
Vous pouvez vous faire enfiler
À la mode de l’Esclavon :
C’est un gredin de plaisir,
Qui fait décharger le cœur.

Mais baiser en levrette
Est un plaisir surfin
Et de belle invention.
Vous avez tant de façons
De vous bien faire enfiler,
Que je veux négliger
De vous donner plus longue leçon.


LE CAS N’A PAS DE RAISON

Madrigal

Dire à mon cas,
Qui n’a pas d’oreilles,
Qu’il est un gredin,
Que vous ne voulez pas

Vous tanner le cul,
Que c’est un péché,

C’est tout juste comme
De dire à la moniche
Qu’on gagne une indulgence
En disant son chapelet :
Ils n’ont pas de raison,
Ils n’entendront pas.

SUR LE MÊME SUJET

Madrigal

Quiconque après avoir baisé,
Sans aller plus avant
En est resté là, coïon,
Mérite de perdre
Les baisers qu’il a obtenus.

Quiconque est arrivé au premier baiser
A vu se présenter l’occasion,
Et s’il n’en a pas profité,
Qu’il ne se plaigne pas à cette heure,
C’est à lui qu’en est la faute.


NOUVEL AMOUR DE L’AUTEUR

Qu’est-ce que cette foutaise que je sens,
Qui vient me farfouiller autour du cœur ?
Serait-ce par hasard ce grand bougre d’amour ?
Par Dieu ! je crois bien que c’est ce tourment-là.


Comment a-t-il fait pour pénétrer chez moi ?
Il m’a encore joué quelque tour de traître ;
Me voici maintenant frais comme une fleur,
Mieux pour moi vaudrait avoir un écoulement.

De cela du moins je pourrais guérir,
Mais l’amour, pour autant que j’y pense,
Je n’y trouve d’autre remède que de mourir.

Il y aurait bien le remède d’enfiler,
Et d’enfiler celle qui me fait languir,
Mais cette foutaise même ne se peut pas.


PLAINTE DE L’AUTEUR À CUPIDON

Je croyais, Amour, que nous avions fini
Toi tes flèches, et moi de souffrir ;
Qu’est-ce que cela veut dire, sacredieu !
Que nous nous mettons à tout recommencer ?

Si je pense à certain temps et me tourne en arrière,
Je n’ai aucunement sujet de me plaindre ;
Quelquefois cruel, quelquefois favorable,
Tu m’as fait jouir et me pâmer.

Mais à présent fichtre ! cela va bien mal,
Tu me fais amouracher sans espérance,
Je me débaptise et rien ne me vaut.

Use, je t’en prie, d’un peu de politesse ;
Ou trouve à mon mal le naturel remède,
Ou ne me chatouille pas sous le ventre.


SENTENCE DE CUPIDON

Un jour que sur son trône Amour était assis
Pour donner audience à tous les amoureux,
Moi aussi avec tant d’autres désespérés,
Je suis allé faire mes lamentations.

Je vous dirai qu’aussitôt que je me vis là,
Et que les entendis faire tout leur tapage,
Je me dis : « Je ne crois pas que les damnés
» Fassent autant de bruit qu’on en entend là ».

Tous disaient du mal de leurs maîtresses,
L’un que c’était une chienne, l’autre une folle,
Moi j’ai dit que la mienne était une bougresse.

Enfin Amour, en face de chacun de nous,
A prononcé la sentence en ces termes :
« De la patience, de l’or, et vous irez tous en moniche »


SUR LA MODE QU’ON A DE MONTER À CHEVAL

Aujourd’hui, la mode nous en est venue de France,
Et comme des cavaliers ou d’autres personnes
Les femmes montent à cheval hardiment,
Au trot, au galop, en avant, en arrière.

Mais ce qui me stupéfait davantage,
C’est qu’elles ont beau chevaucher longtemps,
Elles n’éprouvent pas de douleur et ne sentent pas
Que leur nature en soit endommagée.


Qu’est-ce à dire, qu’à ces folles de femmes,
Monter à cheval ne cause aucune lassitude,
Tandis qu’à d’autres cela brise les os et les fesses ?

Pour moi, je n’en puis trouver d’autre raison
Que celle-ci : c’est qu’elles sont habituées
À souvent tenir les jambes écartées.


SUR LA LECTURE DES LIVRES D’OUTRE-MONTS

Canzone

Depuis que tant de gens ont lu,
Et lisent encore aujourd’hui
Le beau dialecte de France,
Ou quelque autre fatras,

On dit que dans la Nature
Il y a des maux en suffisance,
Sans faire que l’Écriture
Leur applique un autre emplâtre.

Qu’il convient de se récréer
Non seulement le corps, mais l’esprit,
Parce qu’il nous faudra mourir,
Et qu’au delà il n’y a plus rien ;

Que ce Diable et cet Enfer
Sont des inventions des poètes,
Et que la vie éternelle
Est une bourde contée par les prêtres ;

Que tout cela ils l’ont inventé
Pour les voleurs et les débauchés,

Et pour ceux qui en savent
Beaucoup moins que mes bourses.

Ces livres d’au delà des monts,
Avec leur philosophie,
Ont causé de grands dommages,
De nos jours à la sacristie.

Ils sont cause que tant de gens
Mettent bas la livrée,
Et mènent allègrement
Une vie Épicurienne.

Aujourd’hui qui peut prendre, attrape ;
On fait l’échange des femmes,
On a dans le cul même le Pape,
Et ses cas réservés.

Outre que la lumière de ces livres
A offusqué la religion,
Ils sont cause que les bonnes mœurs
S’en sont allées cul par dessus tête.

S’il est une femme honnête,
Qui néanmoins sache tromper,
Parce qu’aujourd’hui c’est la mode,
Elle va se faire enfiler.

Avec ce luxe de vêtements,
Si les rentes ne sont pas grosses,
Il faut bien pour paraître,
Qu’elles vendent leur cochette.

Comme les dépenses sont énormes,
Celle-même qui a de gros revenus,

Il lui faut faire la contrebande
Avec son cul, ou sa moniche.

Celles qui veulent prendre l’agrément
De se promener avec leur cavalier,
Tout au moins de lui manier l’oiseau
Doivent faire le beau métier ;

Et pour le dire, il est bien juste,
Puisqu’elles le veulent toujours,
Qu’elles donnent quelque plaisir
À son pauvre petit oiseau ;

De sorte que, tout bien compté,
Que ce soit par divertissement
Ou pour avoir quelque cadeau,
Toutes tant qu’elles sont se le font mettre,

Et jureraient d’être certaines
Que nul ne connaît leur vice ;
Elles croient n’être pas découvertes,
Même le jour du Jugement.

Au sermon dans l’église,
Elles ne vont plus, ni dans l’oratoire,
Et pour vivre à l’Anglaise,
Se moquent du Purgatoire.

Elles vont à l’église quand c’est fête,
Et jamais les autres jours,
Et elles y entendent au galop
Une messe vite dépêchée ;

Plus que les Saints, plus que les Christ,
Elles regardent les jeunes gens,

Et elles vont là pour faire acquêt
De ces pauvres petits serins ;

Elles veulent de la jeunesse,
Non pas de ceux qui sont flasques,
Et tendent surtout leurs gluaux
Pour ceux qui ont de gros témoins.

En continuel amusement
Elles passent leur existence,
Et c’est pour elles un contre-temps
Quand ne leur vient pas le marquis.

Elles attirent les étrangers
Et leur disent : « Je meurs pour vous »,
Mais elles n’ouvrent leur porte
Qu’à ceux qui ont la clef d’or.

Quelle belle vie que celle-là !
On ne fait plus tant de façons ;
Qui a de l’argent baise tout de suite,
Qui est dans la panne baise plus tard.

Mais d’ailleurs tout le monde baise,
Ou par force ou par amour,
La femme se la coule douce
Et a dans le cul son confesseur.

On ne pense qu’à faire la noce,
À donner du plaisir à son corps ;
Les hommes songent à la moniche,
Et les femmes rêvent au cas.

Je voudrais que chaque femme
Regardât à son honneur ;

Oui, je voudrais cela aujourd’hui ;
Parce que mon cas ne se dresse plus.

Lorsque j’avais l’ardent désir
De les enfiler toutes, toutes,
Alors me seyait le chagrin
De les trouver toutes honnêtes ;

Maintenant qu’elles n’ont plus
Tant et tant de préjugés,
Et que du nom de vertus
Elles baptisent tous les vices ;

Qu’elles portent écrit dans le cœur
Que ce sont maximes biscornues
De vouloir croire que l’honneur
Ait domicile entre les cuisses ;

Qu’elles savent comment cela va
Qu’elles ne portent plus de masque,
Et qu’au-dessus de toute pudeur
Elles mettent deux bonnes frottées ;

Il faut bien que je le supporte,
Pour autant que j’en puisse dire,
Ou que je me résigne à lécher,
Ou bien à me faire bulgariser.


IL NE FAUT PAS S’ÉTONNER SI LA FEMME CÈDE

Madrigal

On aplanit les monts,
On emporte les villes,

Et puis on s’étonnera
Qu’une fragile femmelette
Ne soutienne pas le siège ?

Qui cède au feu, qui cède aux hommes,
Sait éviter un mal :
La femme en cédant tout de suite,
Sait rencontrer un bien.


AU QUERINI, ENFERMÉ DANS UNE TOUR

Querini, de ton infortuné destin
Ne te plains pas ; songe qu’ont été bannis
Et Camille et même Cicéron,
De cette grande République Romaine.

À ces vicissitudes la vertu la plus forte
A toujours été sujette, et juste au moment
Que vous êtes le plus haut, qu’on vous honore le plus,
L’envie vous précipite et vous renverse.

Cela s’est vu dans le plus grand pays :
Thémistocle et Miltiade, les pauvres hères,
Ont été exilés par les Athéniens ;

Non seulement par le sort de ces malheureux
Consolez-vous, mais encore en songeant que ces accidents
N’arrivent jamais aux viédazes.

SUR LE MÊME SUJET

Ce grand homme, cet esprit élevé,
Ce génie si pur et si beau,
On l’a mis et enfermé dans une Tour,
Et nul ne peut savoir ce qu’il devient.

Mais puissance de Dieu ! qu’a-t-il donc fait,
Pour qu’on le traite ainsi comme un rebelle ?
On ne peut lui ôter un poil de son honneur,
Car il n’y avait pas d’honneur plus honoré.

On lui a enlevé, en l’enfermant là,
Et son renom et sa liberté, quoi de plus
Lui pouviez-vous enlever en un moment ?

Mais qu’ils fassent de lui ce qu’ils voudront,
Qu’ils le fassent par surcroît mourir de faim,
Jamais ils ne lui ôteront sa vertu.

AU MÊME

Tu portes sur toi-même ton trésor ;
Envoie se faire foutre les Avogadors,
Et tout ce qu’il y a au monde de Procurateurs,
De Sages du Collège et de Manteaux d’or.

Les coïons sont ceux qui croient trouver
Leur réconfort au milieu des honneurs ;
Mais le philosophe s’éloigne de ces vains bruits,
Et se boute dans le cul Sénat et Tribunal.


Réjouis-toi en toi-même et vois, dans cette Tour,
S’il t’est possible de bulgariser quelque jeune gars
Ou de te faire par un soldat manuéliser.

L’affront qu’on te fait n’est qu’une bagatelle ;
Console-toi, ils ne t’ont pas pris le meilleur,
Si, grâce au Seigneur ils t’ont laissé ton cas.

SUR LE MÊME SUJET

Tel dit qu’il est condamné à dix ans,
Tel à deux, tel à cinq et tel à quelques mois ;
Est-il possible que tous soient incivils,
Et que pas un ne me tire de cette inquiétude !

D’autres disent : « Dans cette Chambre, ils sont plus humains,
« Ils le soulageront d’une si lourde peine ;
« Les Correcteurs sont tous gens fort courtois,
« Ils voudront lui compenser ces désagréments. »

D’autres disent : « Croyez-le, je suis sûr
« Que le Tribunal le fera sortir de là ; »
Et d’autres : « Un Avogador en appellera. »

Tous en somme prétendent qu’il sortira bientôt
Et sera rétabli dans son honneur,
Mais en attendant mon ami va mourir.


SUR LA LIBÉRATION DE QUERINI

De même que si, après une longue pluie,
Le soleil vient éclaircir le ciel,

Il paraît bien plus beau qu’il n’était,
Et semble plaire et réjouir plus ;

Ainsi le Querini, après si longue épreuve
De sa constance dans une Tour,
Semble aujourd’hui, d’un esprit tout nouveau,
Exprimer choses plus belles et plus neuves.

Mais comme qui est au port ne ressent plus
La grande peur qu’il a eue sur mer,
Voit ce qui a eu lieu et n’en dit rien,

Ainsi du passé il ne veut rien dire
Et envoie tranquillement ses amis,
S’ils lui en parlent, se faire foutre.


SUR L’EMPRISONNEMENT DE N. H. MARCELLO

Lorsque je pense à ce pauvre Marcello,
Qui est là, comme un chien, dans un cachot,
De frayeur je chie sous moi,
En me figurant que je sois lui.

On ne voit venir qu’un bargello
Qui, à peine jour, vous apporte votre manger cuit,
Et, à la fin de la journée, dans ce réduit
On ne voit revenir que ce même homme.

Là point de lumière, et jamais de feu,
Si longue et si large que soit la nuit,
Et les souris vous font tout autour vilaine danse.

On n’y entend que des trépignements et des coups ;

Mais le plus affreux, le plus terrible de cet endroit,
C’est que jamais on n’y peut foutre.

POUR LE MÊME

« Oh ! elle tire en longueur cette coïonnerie !
« Quand est-ce que je sortirai de prison ?
« Dois-je y rester à tout jamais, comme un coïon,
« Sans avoir la compagnie d’une moniche ?

« Ah ! fichtre ! ceci passerait la cruauté,
« De voir mon oiseau, dans un petit coin,
« Frémir et délirer comme fait un lion,
« De ne pouvoir enfiler qui je voudrais.

« À quoi sert d’avoir une clef
« Quand on ne peut se procurer la serrure ?
« Ainsi suis-je sans moniche, ayant un cas.

« C’est pour moi un supplice trop pénible.
« N’ayant pas la moniche, je me manuélise
« Et engraisse les souris de mon produit. »


À UN AMI SIÉGEANT AU TRIBUNAL

Maintenant que vous êtes de ce tribunal
Où vous pouvez me faire mon procès,
Je ne suis pas si coïon que de vouloir
Plus jamais vous parler de moniche et de cas.

Je ne veux pas, quand vous siégerez pontificalement,
Que vous me fassiez appeler à la Boussole ;

Cette foutaise me donnerait à réfléchir
Beaucoup plus qu’une excommunication Papale.

Non, non, je ne veux pas souffrir ; dorénavant
Je vous conterai que je dis mon chapelet,
Et que je mène la vie que mènent les Saints ;

Et s’il arrive que quelque bougresse d’engeance
Me fasse donner citation devant vous,
Sachez que je ne vais pas ailleurs qu’en moniche.


À UN ASSISTANT DU SAINT-OFFICE

Considérez avec votre haute raison,
Quelle solennissime sottise a faite
Notre sérénissime République,
En admettant chez elle le Saint-Office.

Elle n’a pas bien vu le préjudice
Que causera cette révérendissime union,
En faisant que tant d’innocentissimes gens
Tomberont instantanément dans l’abîme.

Pourtant l’avaient bien vu tant de rois Chrétiens,
Qui n’ont jamais voulu de ces jongleurs,
Et avant tous autres les rois de Naples.

Ils avaient bien compris que ces fourbes
Ne peuvent que causer à l’État de grands dommages,
Surtout si leurs Assistants sont des coïons ;
Mais vous êtes du nombre des bons ;
Vous savez, à qui voudrait trancher du maître,
Lui montrer les dents, puis lui tourner le cul.

SUR LA MOLLESSE DES VÉNITIENS

S’en vont s’éteignant tant de gros richards,
Et s’accroît chaque jour la pauvreté ;
Les grands esprits manquent de plus en plus,
Et il ne reste chez nous que les coïons.

Si de tant de grands politiques
Nous n’avons plus maintenant que le résidu,
Les coïons sont en telle quantité,
Qu’ils dépassent le petit nombre des bons.

On ne pense qu’à la paresse, au luxe, au jeu,
Et les livres que l’on étudie sur le soir,
Ce sont paquets de cartes ou manuels de cuisine.

Il n’y a plus du tout de gens de guerre,
Ou, s’il y en a, ils n’ont jamais vu le feu ;
Comment pourrons-nous durer de cette manière ?


SUR LES JOUEURS À LA LOTERIE

Combien d’imbéciles se sont réduits
À ne manger tous les jours que de la polenta,
À souffrir cent incommodités qui les tourmentent,
Pour jouer chaque jour leurs sous à la loterie !

Ils s’en vont au grand trot à la boutique,
Si une cabale, un songe les excite,
Superstition qui leur porte le dernier coup,
Et les met bientôt le cul par terre.


Oh ! bougres de fous, sans gouverne aucune,
Quand verrez-vous venir les bons numéros ?
Jamais, je crois, joueriez-vous éternellement.

Si vous n’avez plus de sous, que vous trouvez le terne :
C’est seulement quand vous cherchez dans vos culottes
À savoir, votre cas et les deux témoins.


SUR LE JUGEMENT PRONONCÉ CONTRE LA N. E. LUCREZIA
CORNER PISANI

Des prudents juges de L’Aréopage,
Tant était grand le zèle à rendre la justice,
Qu’ils se mettaient un voile sur la face,
Pour ne pas voir les parties en litige.

Ils savaient de longue main, ces sages,
Qu’ému par quelque joli museau,
Pouvait se gonfler leur oiseau,
Et ne plus tenir compte des arguments.

J’approuve complètement cet ancien usage,
Car peut écarter de la droiture un juge,
Beaucoup plus que l’or, la vue d’un beau visage.

Par Dieu ! si aujourd’hui ils avaient vu celui-ci,
Non seulement leur serait venu l’envie
De lui donner leurs ballottes, mais le reste avec.

L’AUTEUR CONSEILLE DE LAISSER LES DAMES

Canzone

Allons ne pensez plus aux Dames
Puisqu’elles ne veulent rassasier
Nos pauvres diablesses d’âmes,
Qui ont le feu dans la carcasse.

Allons, n’y pensez plus, ne séchez plus,
Par Dieu ! vous ne les aurez pas,
Quand même vous atteindriez tous
Aux longues années de Noé.

Lorsqu’elles ont juré
De n’avoir jamais de charité,
Vous en serez toujours maltraité
Plus vous vous obstinerez.

Vous vous en trouverez mal, debout et au lit,
Plein de rage et de dépit,
Vous serez toujours dans la panade,
En un fâcheux état ;

Et votre cruel supplice,
Vos grandes lamentations
Seront toujours une joie
Pour la Dame, à chaque instant.

Visez au rôti, laissez la fumée,
Et ne faites abandon de votre cœur ;
À toutes, je présume,
Importe peu ce beau viscère.

Laissez aller la noblesse,

La précieuse ancienneté,
La vanité de l’amour,
La majesté des Patriciennes.

Il faut enfin se désensorceler,
Et se guérir de la gale d’amour ;
C’est une honte que de devenir
Une charogne pour les Dames.

Allons, laissez la vie amère
Que vous fait la Dame fière et avare,
Et pour mener plus joyeuse vie,
Empoignez-moi une Bourgeoise.


SUR LA MODE DES MULES

Quelle diablesse de mode est-ce là,
De se promener en mules dans les rues,
Mes chères Dames ? qui vous a mis en tête
Cette solennelle sottise, cette chierie ?

Moi, la chose me semble assez gênante,
Et pour le dire net, c’est une bêtise ;
Chacun vous regarde, rit, et demeure stupide,
Que le décorum ainsi s’en aille à vau-l’eau.

Que croyez-vous donc faire, avec ces mules ?
Vous faire peut-être suivre de bons coïons
Qui vous rendront une politesse sous les jupes ?

II y en aura sans doute ; moi non, par Dieu !
Ce qui me plaît, c’est bon cul, bons tétons,
Et un pied dans bon escarpin, qui ait du goût.

À UNE FEMME QUI SE COUVRAIT LA POITRINE

Quelle bougresse de mode est celle
Qu’ont adoptée les Dames, aujourd’hui,
De ne vouloir se promener la poitrine nue,
Quand c’est une si jolie partie du corps !

La femme qui n’en a pas a raison,
Comme celle qui autrefois en avait
Et chez qui elle est toute fondue en brouet ;
Celle-là fait bien de baisser dessus la toile.

Mais vous, chère maîtresse, vous qui avez
Deux jolis tétins, frais comme des roses,
Qui font bondir le cœur quand vous les montrez,

Pourquoi les porter si respectueusement ?
Allons, ôtez-moi vite ces chiffons,
Et gardez-les pour les parties honteuses.


L’AUTEUR ENSEIGNE AUX DAMES À SE FAIRE RESPECTER

De noir vêtues vont nos Dames,
De noir vêtues vont les bourgeoises,
En robes de taffetas garnies de dentelles ;
De même s’habillent cantatrices et ballerines,

De même s’habillent celles qui meurent de faim ;
On ne distingue plus Dames ni roturières,
Toutes veulent s’habiller de noir, soie ou laine,
Taffetas à dentelles portent les concubines.


Comment donc devront faire les Patriciennes
Pour pouvoir se faire respecter de chacun,
Et distinguer de tant de gourgandines ?

Je suis là, moi, pour le leur enseigner :
Qu’elles aillent toutes nues et, leurs nobles moniches,
Que par honneur elles les fassent dorer au feu.


EN PUBLIC NE SE COMMETTENT POINT DE DÉLITS

Autrefois, dit-on, n’allaient pas
La nuit sur la Piazza se promener les Dames ;
Mais quel mal y peuvent-elles faire, les pauvrettes ?
Tant que l’on se promène, on ne s’enfile pas.

Avec les putains elles ne se mêlaient pas,
Ce qui autrefois était chose infâme ;
Mais autrefois s’ourdissaient encore plus de trames,
Et autrefois davantage on jouissait.

Quand le divertissement est public,
Il n’est jamais de certain mal, croyez-m’en ;
Gardez-vous de celui qui se fait dans les maisons.

Ce qui pourrait arriver de plus dans cette foule,
Et le moment n’est pas si facile à saisir,
C’est qu’on puisse à l’oiseau donner quelque secouée.

SUR LE MÊME SUJET

Pourquoi tant critiquer et tant blâmer
Le costume d’à-présent et la manière

De vivre qu’ont prise les femmes, le soir ?
Ce qu’elles font de mal je voudrais le savoir.

Est-ce parce qu’elles sortent avec leurs Cavaliers ?
Avec qui donc sortiraient-elles ? avec la chambrière,
Quand leurs maris, ni en gondoles ni sur terre ferme,
Ne veulent se promener en leur compagnie ?

Voulez-vous qu’elles restent seules dans leur coin ?
Eh ! laissez-les aller flâner un peu,
Un tantinet de jouissance leur fait du bien.

Elles ne restent que trop chez elles tout le jour ;
Mais sachez-le, je vous le dis pour conclure,
De vos dires elles ne pensent pas un fétu.


SUR LES USAGES MODERNES

Capitolo

Si nos ancêtres étaient vivants, et voyaient
Ce qu’est en train de devenir ce pays,
Que les hommes sont autant de moniches bouillies ;

Qu’on ne fait plus l’amour dans les églises,
Qu’on ne va plus licher dans les couvents,
Qu’on ne porte plus la targe ni le poignard ;

Que pour les oisifs et les mal pourvus
Il n’y a plus de lupanars ni de bordels,
Plus de brelans où jouer jusqu’à ses dents ;

Qu’il n’y a plus de barques ni de gondoles,
Et que sur le Canal, quand il est nuit,

Il n’y a plus de sérénades ni de soupers ;

Que les Nobles sont aujourd’hui autant de marmottes,
Alors qu’autrefois, comme autant de Rolands,
Ils cheminaient sur ces pierres calcinées ;

Qu’on ne fait plus acte de grand homme,
Mais seulement des bagatelles, des niaiseries,
Et qu’on n’étudie que le livre De arte amandi ;

Que sont abandonnés les débits de Malvoisie,
Parce qu’on a défendu les cabinets,
Et ce qui me touche plus encore, les cabarets ;

Que sur les places il n’y a plus de banquets,
Et que tous nos amusements consistent
À rester la nuit entière dans les Casinos ;

Que nos jeunes gens sont éreintés, fourbus,
Parce que la nuit, ils veillent jusqu’à l’Aurore,
Et que le jour ils dorment comme font les loirs ;

Si ces vieux morts pouvaient voir par surcroît
Qu’on ne peut plus aller dans les cafés,
Et qu’on ne peut plus s’asseoir nulle part dehors ;

Que sont prohibés tous les sièges,
Que les Nobles ne peuvent aller sur la Piazza,
Quand y peuvent aller toutes les gourgandines ;

Oh quelle bougresse d’existence ! diraient-ils ;
Béni soit le temps où l’on pouvait aller
Partout avec sa bonne petite putain !

De toute herbe on faisait alors un bouquet ;

Il n’y avait pas tant de scrupules qu’à présent,
Et les fredaines vite se pardonnaient.

On ne dépensait pas à l’excès, comme à présent,
Et, comme s’habillent les Dames, aux autres
Il n’était pas permis de s’habiller.

Avec peu on se tenait en joie,
Mais tous aujourd’hui veulent mener grand train,
Et chacun veut trancher de l’homme opulent.

On s’en allait faire l’amour avec les pelées,
Et cela même avait un bon résultat,
Parce qu’on laissait tranquilles les femmes mariées.

On ne portait pas aux églises grand respect
En faisant les Sigisbé, mais qu’importe,
Si l’on va aujourd’hui voir les dames au lit ?

Il y avait cent endroits où l’on pouvait jouer,
Mais la pauvreté trouvait aussi à vivre,
L’argent circulant par ci et par là.

Il faut des amusements dans les villes,
Que le peuple aussi se divertisse,
Et que le désespéré ne sente pas son état ;

Que si au cabaret s’engage quelque rixe,
La justice veut qu’on punisse celui-là,
Et non que qui n’est en faute pâtisse.

Je considère ces juges qui se mêlent
D’un tas de choses qui ne valent pas un sou,
Et de ce qui importe plus ne tiennent compte.


Que les marchands vendent tout hors de prix,
Que le luxe s’habille hors de toute mesure,
Cela ne leur cause aucun émoi ;

On bannira une pauvre créature
Qui donne du plaisir à tant de braves gens,
Et on n’exile pas ceux qui font l’usure.

On pense à exiler les putains,
Qui sont un empêchement à de si grands maux,
Et on ne pense pas à l’honneur des autres femmes.

À ce sujet on se met dans de brutales colères
Mais on ne dit rien du tout de ceux
Qui mangent l’argent du Prince ;

On s’évertue à faire fermer tous les bordels,
Qui coûtent peu, et l’on n’empêche point
Les gueuletons de nos nouveaux Héliogabales.

Au mal on cherche à remédier,
En défendant d’aller par les rues aux femmes
Qui, pour manger, veulent faire un peu de contrebande,

S’il en résulte un pire mal, on ne s’en occupe,
Et pourtant c’est un fait, les putains bannies,
Tout le monde ira dans le cul des bardaches.

On ne tolère pas les faiblesses humaines
En matière de plaisir, et on supporte
Que les gens de gabelle soient autant de tyrans.

C’est une grosse affaire que quelqu’un frappe
À la porte d’une putain, et si quelqu’autre
Entre chez une femme mariée, peu importe.


On veut, en somme, que le passé déplaise,
Et bien qu’alors les choses allassent mieux,
Que ce qui se fait maintenant soit applaudi.

Les putains n’ont plus de privilège,
Elles sont chassées de partout, parce qu’on veut
Que les femmes mariées aient tous les galants.

S’asseoir sur la Piazza, cela même ne se peut,
Et pas davantage dans les plus beaux cafés,
Mais dans les maisons, en secret, c’est permis.

Et là il n’y a ni lanternes ni chandelles,
Comme dans les cafés, en conséquence
On peut y faire de jolies choses ;

Bien plus facilement se peut prendre
Une liberté à la maison, en cachette,
Qu’à la clarté d’une vive lumière.

Mais pour autant qu’ils veuillent tenir la main
À ce qu’au café n’aillent plus les femmes,
Ils n’y réussiront pas, je vous l’assure.

Et croire de plus que deviendront sages
Les femmes, en les tenant de cette manière,
Quand de leur nature elles sont putains,

Autant vaut supposer qu’une bête féroce
Perd sa fureur quand elle est en laisse ;
Mais non, elle n’est que plus indomptée et sauvage.

Une femme habituée à se faire enfiler,
Quand elle ne peut plus aller nulle part,
Par Dieu ! va se faire foutre en pleine rue ;


Sa nature veut qu’ainsi elle se soulage,
Et vouloir l’empêcher, c’est tout juste comme
Jeter de l’huile pour éteindre le feu.

Au bout de l’an, il faut qu’il y ait tel chiffre
De coups tirés, et à rien ne sert
Qu’ils l’aient été au café ou au cimetière.

Plût à la volonté du Ciel que les gens
N’eussent jamais fait d’autre mal que celui-là !
Tout le monde ferait l’amour plus tranquillement.

Et les rapports ne seraient pas si pénibles ;
S’il était philosophe, celui qui nous préside,
Les choses marcheraient de meilleure manière ;

Un philosophe ne croit point certaines fadaises,
Et à qui s’est fait défoncer la marmite
N’ajoute pas si facilement créance ;

Sa pensée il l’étend et l’élève,
Il ne l’arrête pas à des bagatelles,
Et ne fait pas de clameur pour une moniche ;

S’il est importuné par quelque bon apôtre,
Quand il ne s’agit pas de choses essentielles,
Il lui déchire sa plainte sous ses yeux.

Il ne veut pas de nouveautés périlleuses,
Sachant bien qu’en toutes les sociétés
Les nouveautés sont préjudiciables ;

Il laisse le monde tel qu’il l’a trouvé,
Et s’il fait quoi que ce soit, ce qu’il fait est bon,
Et ne réduit pas les hommes au désespoir.


Ceux qui ne peuvent souffrir qu’une femme
Aille au café ou dans la rue,
Disons qu’ils sont abstèmes en fait de moniche,

Ou que leur nature est tellement usée,
Que ce qu’il y a de bon, de meilleur sur terre,
Ils n’en donneraient pas une foutaise.

Ils voudraient qu’elles fussent toute la soirée
Chez elles, en ce temps que l’on est ainsi fait,
Qu’à la maison ne reste pas même la chambrière.

Comme toutes s’en vont chercher aventure,
Pour ce motif elles vaguent de ci, de là
Et s’y opposer, c’est contre nature.

On délire à propos de ces pauvres femmes ;
On voudrait qu’elles se tinssent dans un falot,
Et on ne réfléchit pas que parfois elles ont des désirs,
Et qu’elles ont envie du membre génital.


SONNET DE L’ABBÉ FRUGONI

Qui a bouleversé ce lit parjure,
Perfide, et emmêlé ces blonds cheveux ?
Qui, sur la poitrine d’ivoire, a imprimé
Ces marques, et sur ces insidieuses lèvres ?

Amour, toi qui sais toutes les choses cachées,
Admire son audace et de quel front assuré
Elle nie sa faute, qui n’est celle ni à toi, Dieu,
Ni à moi, qui devance tes vengeresses colères.


Écoute sa voix, à mentir adroite et prompte ;
Et pourtant de son forfait, languissants, abattus,
Témoignent ces yeux dont je fus transpercé.

Découvre l’indigne, Amour, regarde
Ces draps blancs où elle gît et son vêtement nocturne
Encore teints et souillés de son délit.

(TRADUCTION DE L’AUTEUR)

Qui est l’homme qui a bouleversé ce lit,
Bougresse, et qui t’a défrisé les cheveux ?
Qui est l’homme qui t’a sucé les bouts des seins
Et mordillé tes maudites lèvres ?

Amour, toi qui as vu, claire et nette
Encore bien qu’aveugle, toute l’affaire,
Observe de quel front de putain
Elle nie d’avoir cuisiné ce potage.

Écoute avec quel aplomb elle s’excuse,
Et cependant, sous ses yeux, ces plaques noires
Montrent bien ce qu’elle a fait, la vaurienne.

Découvre le lit, regarde cette fente,
Vois les draps, comme ils sont pleins de taches ;
Et je ne puis dire que tu l’as eu en moniche ?


AU SUSDIT ABBÉ FRUGONI

Ami, nous sommes deux, qui composons
En vers, pour faire plaisir à nos amis ;

Nous coulons de la sorte des jours heureux,
Puisqu’en versifiant toujours nous chantons.

Par une même route ensemble nous allons,
Mais avec cette différence, que vous mettez
Des frisettes à vos poétiques caprices,
Et que j’écris les miens comme nous parlons.

Votre muse est une Gentilfemme,
La mienne est une gaupe vénitienne
Qui parle franc et va vêtue à la sans-gêne.

Il faut de tout dans la vie humaine ;
La matrone, il est vrai, est nécessaire,
Mais a du bon aussi quelquefois la putain.

AU SUSDIT ABBÉ FRUGONI

Croyant que vous étiez mort à l’improviste,
Puisque je ne vous trouvais en aucun recoin,
J’ai mis des ailes à ma pensée,
Et je suis allé vous chercher en Paradis.

Aux gens qui sont là, le rire sur les lèvres,
J’ai demandé s’ils avaient vu votre museau,
Mais tous autant qu’ils sont, sans plus y songer,
M’ont affirmé que vous n’étiez pas là.

Je suis alors descendu au Purgatoire,
Et ne pouvant non plus vous y trouver,
Au logis du Diable suis allé tout de suite,

Où Pluton me dit : « Regarde par ici ; »

Il s’est allongé à plat ventre,
Et alors dans son cul je vous ai trouvé.

AU MÊME

Mon cher ami ne nous coïonnons pas,
L’éloge que vous faites de ma poésie
Est un acte de pure courtoisie ;
Vous avez beau dire, nous nous connaissons.

J’ai peur que nous ne nous fassions grand honneur
À soutenir cette grande énormité ;
Ce serait au Parnasse une hérésie
À nous faire coïonner, si nous en parlions.

Les Muses sont de belles et bonnes pucelles ;
Et vous savez qu’en mauvais courtisans
Je les traite de vilaines bougresses.

Qui veut que la poésie prenne de l’élan,
Il lui faut chanter Thétis et Amphion,
Et moi je fais parler la Moniche et le cas.


CONGRATULATIONS À CORNELIA

Nul ne peut concevoir quelle allégresse
Je me sens bouillonner dans les poumons,
Quand je me vois devant ce Frugoni,
Qui maintenant est l’honneur de la poésie.


Bienheureux qui peut vivre en la société
De pareille sorte de grands hommes !
Car certes ses roustons en savent plus
Que tant de gens qui ont étudié une bibliothèque.

Heureuse êtes-vous, Cornélia, qui avez
Le grand bonheur de rester avec lui ;
Vous me semblez Laure près de Pétrarque.

Mais j’espère que vous avez bon jugement
Et ne vous en tenez à l’amour platonique,
Amour qui de nos jours n’est plus d’usage.

SUR LA MÊME

Où, messire Cupidon, avez-vous déniché
Ce benoît visage de tous les saints ?
Puissiez-vous me l’avoir montré auparavant,
Je l’aurais adoré comme il faut.

Mais maintenant que je suis tout retiré,
Que j’ai cessé toute espèce de négoce,
Devant une si belle Vénus
Je ne puis que me tenir agenouillé.

Au temps où j’avais autre chose en tête,
Que je restai de plein gré dans mon coin,
Vous m’avez traîtreusement tourné l’échine ;

Ne pouviez-vous en trouver d’autre que celle-ci ?
Me voilà, je me rends à discrétion ;
Que voulez-vous de moi ? que je la manie ?

SUR LA MÊME

J’étais en repos, je ne pensais plus
À faire l’amour ou n’importe quelle noce ;
J’avais mis une boucle à mon oiseau,
Et je ne comptais plus en avoir un.

Je me préparais à quitter
Toutes les choses de la terre pour le Ciel,
Et pour infliger à mon corps ce châtiment,
Je voulais aller trouver un Moine de la Fava,

Quand j’aperçus Cornélia, en ce moment,
J’ai redressé subitement la tête,
Et rompu toutes mes résolutions.

La boucle, je l’ai défaite en toute hâte,
Et pour revenir à mes anciens amusements,
J’ai mis à mon cas des vêtements de fête.


SUR LES PLUIES TORRENTIELLES

Ami revient le Déluge universel,
Pluie continuelle, et l’eau sans cesse augmente ;
Venise est devenue un immense canal
Où les mouettes viennent becqueter le poisson.

On ferait bien de construire à l’arsenal
Une arche de Noé, où l’on mettrait
Une couple de chaque espèce d’animal,
Afin que le Monde ne périsse pas.

Je briguerais moi-même d’être logé
Parmi toutes ces bêtes qu’on embarquera,

Sous la condition d’être accouplé.

Vous pouvez, vous aussi, espérer ami,
Car on ne voudra pas, certes que soit anéantie
La race des bougres de bêtes.


L’AUTEUR EMBRASSE LA SOLITUDE

Canzone

Mon Perini, si vous voyez
Que je ne vais plus au Café,
Ne croyez pas que je sois malade,
Ou que je sois absent de la ville.

Comme rien ne me sourit plus,
Je reste en paix à la maison ;
Les cabarets, la Comédie,
L’Opéra même m’ennuient.

Je ne trouve rien d’aussi bon
Que mon fauteuil ;
Là, je satisfais mon humeur,
Et il me semble d’être un Dieu.

Je ne paie que de ma personne,
Sans avoir qui que ce soit auprès ;
Je me parle et je me réponds
Sans m’embrouiller dans mes réponses.

Je dis ce que j’ai dans le cœur,
Et nul ne me fait d’objection ;
Je ne crains pas de cette manière,
Que l’on puisse facilement voir


Que quelqu’un se moque de moi
Ou d’avoir quelque querelle.
Comme un homme qui du rivage
Voit sur mer une bataille,

Et se réjouit à cette heure,
En pensant qu’il en est hors,
Ainsi, moi qui suis là tout seul,
Je suis content et me réjouis.

Pouvoir dire : Je suis hors,
Et ne demande rien de plus,
Quand ce serait cette Déesse
Qui, vous le savez me plaît tant.

Si je pouvais vivre avec elle,
Je retournerais déplier la voile,
Je retournerais risquer au vent
Mon pauvre vieux bâtiment.

En cet amour qui me tourmente.
Elle serait ma sirène ;
Si cette femme s’était trouvée là,
Quand Jupiter se changeait

Tantôt en aigle, tantôt en taureau,
En cygne ou bien en pluie d’or,
Il aurait laissé pour elle,
J’en suis certain, toute autre belle,

Tout comme je laisserais
N’importe laquelle pour Maria ;
Ô Maria, pleine de grâce,
Qu’on ne se rassasie pas de voir !


Que tu remues les bras et les pieds,
Tu es toujours la plus brillante,
Et ton air toujours si courtois
Fait les délices du pays.

Que tu chantes en compagnie,
Tu mets partout de l’allégresse ;
Avec ton chant et ton joli visage,
On se croirait en Paradis.

Si je parle sur ce ton,
C’est que je ne suis pas un coïon,
Et que je sais jusqu’au fin fonds
Ce qu’il y a au monde de bon.


SUR LA RETRAITE DE L’AUTEUR

Ce Baffo qui demeure place Saint-Maurizio,
Entre l’église et le fameux Cordelina,
Dans un Palais qui confine au ciel,
Magnifique édifice du Sansovino,

Il s’est retiré loin du vice,
Et séquestré là, dans un coin de la cuisine ;
Il ne veut plus d’osteria, plus de gourgandine,
L’argent lui manque, et aussi le Cazzo.

Ruffians et femmes de bonne composition
Viennent larmoyer sous son balcon,
Le croyant rentré dans la grâce de Dieu ;

Ils le prient et le conjurent à genoux,
Par les plaisirs qu’en la moniche il a goûtés,
De redevenir, comme auparavant, un bon bougre.

CONTRE LE BAFFO

« Quand cette indiscrète phtisie
« Ira donner au Baffo le coup de grâce,
« En le priant de vouloir bien être content
« De ce qu’elle l’envoie au Diable à franc étrier,

« Ces quelques vers qu’à mon cœur dictent
« L’amitié et l’amour que pour lui je ressens,
« Je les ferai graver sur son tombeau,
« Afin d’honorer l’altissime poète :

« — Ci-gît enseveli, ô passant débonnaire,
« Un homme qui a renié Notre-Seigneur
« Pour le pertuis de merde et celui du marquis ;

« Chers petits garçons et dames de bon cœur,
« Venez vous soulager par les fentes de marbre ;
« Qui sait s’il ne ressuscitera pas, à l’odeur ?


RÉPLIQUE DE L’AUTEUR

Erostrate, pour faire parler de lui,
Brûla le temple de Diane à Éphèse,
Ayant estimé que, grâce à cette action,
Il devait rendre son nom immortel ;

De même pour se rendre célèbre dans le monde,
Un poétastre a vilipendé le Baffo,
Et grâce à ce beaucoup a pensé
Qu’il immortaliserait sa renommée.


Sans doute Erostrate, pour avoir fait
Dans ce but cette grande coïonnerie,
S’est immortalisé, mais immortalisé fou.

De même ce poétastre, pour le fait
D’avoir écrit un sonnet si mal tourné,
Sera immortel, mais immortel coïon.


CONTRE-RÉPLIQUE

« Je ne suis pas un coïon, cher signor Baffo,
« Les coïons n’écrivent pas comme moi ;
« N’essayez pas de me larder, vous m’entendez,
« Je vous ferais, par Dieu ! cracher salé.

« Sachez-le bien, je suis avare de mon temps,
« Et n’ai pas habitude de le perdre de la sorte ;
« Si vous le vouliez, je vous ferais par jour
« Plus de dix de pareils sonnets, sans me vanter.

« Mais puisque je suis un coïon, comme vous dites,
« Par ces vôtres bougresses de balivernes
« Vous confessez d’être un viédaze.

« Je vous assigne place entre les têtes de nœuds,
« Car, à décider du cas, il n’est point
« De meilleur juge que les couillons. »


RIPOSTE DE L’AUTEUR

Si vous n’étiez mon ami, signor plaisantin,
Je voudrais vous fesser comme un marmot ;

Mais je ne veux pas me commettre avec un bouffon
Qui parle en ignorant et en viédaze.

En quoi prétendez-vous avoir raison,
Vous qui vous montrez si bravache ?
Venez un peu à l’écart, messire poltron,
Je vous bâtonnerai comme un Paillasse.

Durant ce mois de mai ne faites plus de sonnets,
Nous sommes hors du temps où l’on a la rage,
Et abandonnez colères et jalousies ;

Puis n’allez plus vous promener aux Étendards,
Où pour une pièce de cinq sous et deux gâteaux
Vous êtes habitué de vous faire bulgariser.


CONTRE-RIPOSTE

« Comme celui qui dans l’Enfer est condamné
» À souffrir de la faim, et qui a devant lui
» Un dîner de Roi : quand il est pour manger,
» Tout fiche le camp, et il reste coïonné ;

» Ainsi quand le Baffo ira par là,
» Et j’espère en Dieu l’y voir aller bientôt,
» Un beau cul et une moniche faisant la paire
» Il aura devant lui en étalage.

» Avec un cas de Moine Franciscain,
» Plein de luxure, gonflé de rage,
» Il leur sautera dessus comme un chien ;

» Mais quand il sera pour le mettre dedans,

» La moniche et le cul décamperont bien loin,
» Et il ne pourra enfiler, pour son tourment. »


RIPOSTE DE L’AUTEUR

Oh ! serais tu ce brave viédaze
Antonio Franza, surnommé Parolino,
Qu’un sbire et une putain, dans leurs ébats,
À Lendenara un jour ont engendré ?

Je te connais, c’est toi qui as été chassé
De Berlin au bout de trois jours, comme escroc,
Qui as été fouetté à Prague comme ruffian ;
Ils t’en ont flanqué une volée de bougre.

Puis de Brunswick tu fus exilé pour tricherie,
Ce en quoi tu es brave comme un Mars,
Mais à Paris on t’a rabattu le caquet.

Toi poète ! coïon, va te faire bulgariser.
Que je ne te reprenne pas à faire tant le brave,
Castrat, bouc foutu, voleur au jeu !

À UN AMI SUR LE MÊME SUJET

Canzone

Sachez qu’il m’a été écrit
Par certain poète une insolence
Sans que moi je lui aie dit
Jamais une impertinence.


Je croyais qu’il était
Au nombre de mes amis,
Et de ceux qui volontiers
Prêtaient l’oreille à mes caprices.

Je vois à présent, et cela me déplaît,
Qu’au moment même qu’il faisait
Si grand éloge de mon style,
Juste alors il me coïonnait.

Si bien que je ne sais plus,
Quand m’applaudit une personne,
Si elle me loue pour de bon,
Ou si au rebours elle me coïonne.

Moi, autrement, je me complais
À écrire ainsi, et m’en amuse,
Et que viennent donner du nez
Tous ceux qui voudront dans mon cul.

Fasse qui voudra grand tapage
De ce que mes vers sont des coïons,
Il me suffit qu’ils aient plu
Au Vicini, au Frugoni,

Et que tant d’autres grands poètes,
Littérateurs des plus fameux,
D’avoir en main mes sonnets
Soient tous tant qu’ils sont désireux.

On dirait que tout le monde ait faim
De goûter à ma marchandise,
Cavaliers, sages, nobles Dames,
Pour les avoir se démènent.


Que tout le monde me coïonne,
Cela ne se peut pas faire ;
Ma marchandise est donc bonne,
Puisque chacun la recherche.

Inutile ici de mentir,
Ma veine est assez plaisante,
Et mes vers, suffit de le dire,
Ont couru par tout le monde.

De mon critique je ne vois pas
Que personne ait un seul sonnet,
Et si quelqu’un en a eu, je crois,
Qu’il s’en serait fait un mouchoir.

Il faudrait un grand talent
Et beaucoup de rares qualités,
Pour traiter d’imbécile
Un poète qui a plu à tant de gens ;

S’il sait de plus que je suis un homme
Qui ne possède aucune science,
Il aurait dû, ce coïon,
Respecter ma Fortune.

La Fortune est une Déesse,
Et qui acquiert sa faveur,
En ce bas monde est heureux
Et est adoré de toutes gens.

De faire le métier de poètes,
Je ne le conseillerai jamais ;
Ils restent pauvres toute leur vie,
Et de plus on les coïonne.


Tout impotent se met en tête
De critiquer tel ou tel ;
Mais il reste à voir si, de fait,
Cette critique est bonne.

Parce que si elle n’est pas juste,
Ni d’une Muse agréable,
Tous tant qu’ils sont les coups de verge
Tombent sur celui qui les donnait.

Vous me direz, j’en suis certain,
Que j’ai trop de prétention,
Mais à ce vilain grossier museau
Je parle ainsi pour me défendre.


APRÈS LE BIEN VIENT LE MAL

Socrate, au moment qu’on lui détachait
Les chaînes de ses pieds, avec un grand plaisir,
Aux endroits où on les lui avait trop serrées
De toutes ses deux mains se grattait.

En faisant cela, il tenait ce discours
À ses amis rangés autour du lit,
Et pleurant de voir un si grand homme,
Sans crime aucun condamné à mort :

À savoir que les Dieux, ne pouvant unir
Le bien au mal, firent qu’ils fussent voisins,
De telle sorte qu’après le bien il faille souffrir.

Telle est notre misérable condition,
Qu’après avoir déchargé il nous faut supporter
Une tristesse qui nous accable.

L’AUTEUR N’EST PAS PERSUADÉ QUE LES ATOMES
AIENT FORMÉ LE MONDE

Que les atomes aient formé le Monde par hasard,
Comme l’a écrit le philosophe Épicure,
C’est une fausseté bien sûr,
Et je ne suis point persuadé de son système.

Je ne dis pas que le hasard ne puisse faire
Une plante, un diamant, un gros rocher ;
En y mettant un temps infini, je suis certain
Qu’il a pu faire quelque chose dans ce grand vase.

Mais faire tant de grandes espèces d’animaux,
Et pour que durât la propagation,
Faire tant de moniches, tant de gros cas,

Et leur donner de l’inclination à se conjoindre !
Qu’ils disent ce qu’ils voudront, ces matérialistes,
Il fallait quelqu’un qui eût bonne caboche.

SUR LE MÊME SUJET

Je serais franchement d’opinion
Que la matière a toujours existé,
Et que personne jamais ne l’a créée,
Puisqu’en dehors d’elle on ne voit rien.

J’adopterais encore dans mon esprit
Cette idée, qui n’est pas hors de raison,
Que si l’espèce humaine a été fabriquée,
Son créateur n’était pas intelligent.


Avec Thalès je serais d’avis
Que le principe de toutes choses fut la mer,
Ou, avec d’autres, l’élément du feu.

Mais quand je pense au plaisir de jouir,
Alors je dis : « Ah ! ce bonheur,
» Un autre que Dieu ne pouvait le créer. »


TRANSMIGRATION AGRÉABLE À L’AUTEUR

Quand je pense au système de Pythagore,
Que d’une chose je passerai dans une autre,
Et que toujours je serai quelque chose,
La mort ne me cause aucune douleur.

J’espère, en effet, renaître en du froment,
Et devenu pain aller dans la bouche
De quelque femme, puis en ressortir
Par son cul, à mon grand contentement.

J’espère ensuite devenir du raisin, puis du vin,
Et venant à me boire quelque gentil minois,
Je ressortirai par sa petite moniche.

Mais ce qui me peut faire bien du plaisir,
C’est que passé en du lait de brebis,
Sous forme de clystère j’irai dans un cul-cul.


L’AUTEUR NE SE SOUCIE PAS D’HONNEURS APRÈS LA MORT

J’ai passé ma vie à faire allègrement des sonnets,
Et j’y ai pris grand plaisir en ce monde ;

De la sorte, j’ai fait des enfants avec ma tête,
Ne pouvant pas en faire avec mon cas.

En eux je revivrai de longues années,
Me dit ce mauvais plaisant de grand monde,
Mais comme je n’ai idée que du présent,
Je ne donne pas un fétu de l’avenir.

Bien mieux, la rage me vient de songer
Que s’en amusera plus d’une femme,
Et que je serai allé me faire foutre.

À quoi sert qu’après ma mort on me couronne,
Qu’on me fasse même élever une statue,
Si je ne sais plus ce que c’est que Moniche ?


ADOLESCENCE

Jusqu’à dix-huit ans l’homme doit étudier
Et se faire un bon fond de doctrine,
En restant sous la sévère discipline
D’un maître qui sache bien enseigner.

Quand il sent qu’il ne peut s’appliquer,
Surtout s’il est à l’école dès le matin,
Je concède qu’il puisse, pour médecine,
Sous la table se secouer l’oiseau.

À dix-huit ans, qu’il rejette les livres,
Qu’il se fourre dans toute espèce de bordel,
Qu’il le mette et le reçoive par derrière.

Qu’il se chamaille avec celui-ci et celui-là,

Qu’il joue, qu’il foute, qu’il aille à l’osteria,
Et bulgarise, même à sa grand’mère.


JEUNESSE

Sur les trente ans qu’il ait une maîtresse
Qui soit de bonne grâce et désinvolture,
Qui se laisse foutre quelquefois,
Et à se laisser bulgariser ne soit revêche ;

Qu’il songe à faire quelque chose de grand,
Mais que d’abord il observe ce vers quoi il penche
Puis, de ce côté-là qu’il se tourne,
Tout ce qu’il fera sera glorieux.

En attendant qu’il fasse un petit voyage,
Qu’il pratique les plus savants Docteurs,
Et quelquefois aille dans un cu-cul.

Qu’il lise peu de livres, mais de bons,
De ceux qui enseignent à être homme de cœur,
Pour éviter tant de grand tanneurs de couilles.


VIEILLESSE

Sur les soixante ans une bonne chambrette,
Chaude l’hiver et fraîche l’été,
Un bon fauteuil, un bon sopha,
Un bon cuisinier, sinon une bonne cuisinière ;

Manger souvent avec quelque fillette,

De celles qui sachent faire un peu de tout,
Qui chante, danse, sautille ci et là,
Et se laisse retrousser les cotillons ;

Esquiver tant qu’on peut les sottes gens,
De bons amis vivre en la société,
Et entendre les récits de qui va dans la coche ;

Puis quand on a mené cette heureuse vie,
Et que sonnent ses bons quatre-vingt-dix ans,
Dans son fauteuil, mourir d’apoplexie.


L’HOMME NAÎT DU HASARD

Ô Dieu ! qu’est-ce que ce corps humain ?
Un composé de chair, de nerfs et d’os ;
Tel l’a long, ou court, ou dur, ou mou,
Tel est toujours malade, tel toujours bien portant ;

Tel qui naît aujourd’hui sera mort demain ;
Tel est fortuné, tel en proie au Destin,
Tel est un petit lapin, tel un colosse,
Tel est doux de cœur et tel inhumain ;

Tel superbe, tel humble, tel jaloux,
Tel sobre, tel prodigue, tel avare,
Tel continent et tel luxurieux ;

Tel est pour la mémoire un phénomène,
Et tel ne retient rien ; tel est un savant,
Et tel aussi ignorant qu’une bête de somme.
De tout cela je conclus,
Et toujours davantage reste persuadé,
Que l’homme est un effet de pur hasard.


L’AUTEUR S’EN PREND À LA NATURE

Je te chie dessus, malandrine de Nature,
Encore bien que j’aie un cas de géant ;
Tu m’as fait deux jambes pourvues de deux pieds,
Et deux bras ayant main droite et main gauche.

À quoi servait de faire tant de dépense,
De me donner tant de dents, et tant et tant de doigts ?
N’eût-il pas été mieux d’en épargner un peu,
Et de me pourvoir d’une douzaine de cas ?

Que n’en ai-je du moins deux, en certaines
Occasions, afin que, si l’un mollissait,
L’autre pût s’acquitter de la fonction !

Eh ! n’est-ce donc pas l’œuvre d’une folle,
D’avoir mis tant de peau tout autour des roustons ?
Pourquoi n’en avoir pas fait un autre vit ?
Quel plaisir, quel bonheur
En un même instant éprouverait la femme,
De se sentir un cas derrière et un autre en moniche !


ON NE DOIT PAS CROIRE, À MOINS D’ÉVIDENCE

L’homme ne doit jamais croire sinon
Quand par une entière évidence il est contraint ;
Tel est mon principe, celui qu’en secret
Je m’en vais ruminant dans ma tête.

Je ne trouve dans tout cet univers si grand,
Rien que mouvement et matière, et mon concept

Ne peut aller au-delà de ce cercle étroit,
Pour autant qu’il veuille philosopher.

D’une matière immense et éternelle
Dans le sein fécond se produit tout,
Avec des changements de forme extérieure ;

Ce qui était une fleur, un arbre, un fruit,
Devient de la pierre, du bois, et une force
Intérieure donne vie à ce qui est détruit.
Je dis tout bref
Que quand les hommes, sur terre, ont entendu la foudre,
Ils ont imaginé des Jupiter, des Pluton ;
Épouvantails de coïons,
Sont Cerbère et la barque à Charon,
Le fleuve Léthé et le fleuve Phlégéthon ;
Que sur la céleste montagne
Nous boirons le nectar en compagnie de Dieux,
Et baiserons le cul aux demi-dieux,
Ces conceptions si belles,
Ces images qui nous font tant plaisir,
Sont des coïonneries grosses comme des maisons.
Puis ce qui me déplaît
C’est qu’on veuille que les hommes soient sages et vertueux,
Eux qui de nature sont fous et vicieux.
Oh ! nous sommes curieux !
De même que les agneaux naissent doux,
Les lions naissent féroces et maudits ;
Ainsi diverses causes
Font que certains hommes naissent sages et bons,
D’autres pleins de fougue et déchaînés.
Le savent bien les fortes têtes,
Qu’une fatalité que nul ne comprend
Cause toutes les vicissitudes du monde,
Auxquelles on n’entend rien,

Et que quand on croit avoir fait quelque bien,
On s’aperçoit avoir fait une sottise.
À quoi bon avoir foi
En l’existence d’un être bon, sage et puissant,
Quand il y a dans le monde tant de maux ?
Je vois un Tout-Puissant
Qui extermine et ruine celui-ci et cet autre,
Qui détient un innocent dans un cachot ;
Je vois tomber du ciel
Un coup de foudre qui tue en un moment
Aussi bien un honnête homme qu’un gredin.
Comment est-il l’ami
De ses créatures, quand il laisse
Un tremblement de terre renverser une ville,
Et tant de gens périr,
Et rester ensevelis sous les ruines,
Aussi bien femmes pudiques que gourgandines ?
Ces pauvres créatures,
Quand il peut les sauver, et n’en fait rien,
En quoi consiste sa grande bonté ?
S’il ne possède pas
Une force qui soit à cela suffisante,
Où donc est sa grande puissance ?
Si une intelligence
Existe là-haut, mais je n’en sais rien, pauvret,
Elle ne pense pas une pine de l’homme,
Et si au monde
N’existait pas ce grand bonheur de la Moniche,
Notre vie serait une bougresse de vie.


DÉFINITION DU PLAISIR DES SAINTS

Mes méditations consistent à penser
Au plaisir que peuvent goûter les Saints au Ciel,

Alors qu’ils n’ont ni bourses ni oiseau,
Et pas davantage de femmes à baiser.

Sans la grande jouissance de jouir,
Et je ne sache pas qu’il y en ait de plus grande,
Car rien qu’en y songeant tout mon poil se hérisse,
Comment peuvent-ils vivre éternellement.

Mais avec ma pensée je m’élance plus loin,
Et je dis : Dieu est le Monde, et de ce Dieu
Nous sommes tous ici-bas une partie ;

Donc lorsque mon cas est en train de foutre,
Et que continuellement foutent tant de gens,
Dieu lui-même fout et les Saints le suivent.


POST MORTEM NULLA VOLUPTAS

Nous sommes tous nés à l’aventure,
Et une fois morts, comme si jamais
Nous n’eussions existé au monde,
Nous resterons éternellement dans le tombeau.

Notre âme est une pure flamme,
Et lorsqu’en cendre les corps seront réduits,
Même ceux qu’on aura salés s’évanouiront,
Et perdront tout à fait leur nature.

Jouissons toutefois du bien présent,
Hâtons-nous de goûter tous les bonheurs,
Et buvons les vins les plus exquis.

Des baumes odorants, parfumons-nous

Le col, le sein, les mains, les bras, le cas,
Et que notre seule fin soit le plaisir.


LA NATURE EST LA MÈRE DE TOUS LES BIENS

Qu’il soit spirituel ou qu’il soit corporel,
L’amour tend à l’immortalité ;
Celui du corps avec le sperme qu’il émet,
Et l’autre avec les fruits de la fantaisie.

En compagnie de ces deux sortes d’amours
Qui par nature nous sont appropriés,
Je tends toujours à me faire une prospérité,
Soit par mon cas, soit par ma poésie.

De là je conclue que l’idée du bon
Ne nous vient des Saints, pas plus que celle du beau,
Comme l’a écrit Platon le philosophe,

Puisque de celui qui m’a fabriqué la cervelle
Je n’ai reçu aucune connaissance,
Et que pour foutre mon oiseau n’a pas étudié.


LA VRAIE RELIGION CONSISTE À FOUTRE

Si Dieu est un, comment y a-t-il
Tant de diverses religions sur la terre ?
Comment chacun croit-il que la sienne soit la vraie,
Et comment en est-il qui les croient toutes fausses ?

Tel adore le Soleil, et tel les plantes,

Tel tient pour vraie la religion Mosaïque,
Tel donne la palme à la Chrétienne,
Et tel reste fidèle à la Mahométane.

Tel croit à Calvin, et tel à Luther,
Tel est un dévot d’Ali, tel d’Omar,
Et dans tout cela nul ne sait qui dit la vérité.

Ce que je sais, moi, et ce n’est balourdise,
Puisqu’en cela le monde entier s’accorde,
C’est que j’obéis à Dieu lorsque je fous.


UNIQUE PLAISIR RESTÉ À L’AUTEUR

De tant de femmes j’ai été favorisé,
Que je n’en sais pas le nombre, je vous le confesse ;
Je suis, certes, obligé au sexe féminin
Car il m’a donné de grands plaisirs, oui, par Dieu !

Par lui je puis dire que mon existence
À été belle et agréable jusqu’à présent ;
Mais aujourd’hui la femme m’est évacuée par en bas,
Et je ne jouis même pas de son derrière.

Une seule petite envie me reste
À soulager, et je veux, pour mon repos, me la passer ;
Si vous tenez à la connaître, la voici :

Ce serait de mettre bas la culotte,
Et quand cela va m’échapper, courir vite
Chier sur les tétons d’une femme.

REPENTIR D’UN CROYANT AVEUGLE

Si je croyais, Seigneur, que vous pensiez
Que je me repens des coups que j’ai tirés
Et que vous m’en fissiez un grand méfait,
Vous verriez chez moi un grand repentir ;

Mais je ne crois pas que vous ayez ces idées-là,
Vous ne vous occupez point de vos créatures,
Et comme, de nature, vous êtes bienheureux,
Vous n’y pouvez songer, même en le voulant.

Donc comment pourrais-je réduire ma pensée
À s’arrêter à un vrai repentir,
Sachant que vous ne vous en souciez point ?

Bien plutôt aujourd’hui je me repens de cœur
D’avoir un jour aveuglément cru
Qu’on offensait un Dieu à le mettre en moniche.


L’AUTEUR N’ADMET PAS L’ÂME

Saint Augustin nous conte, ce grand docteur,
Que l’âme de quiconque raisonne et vit
Est ce qui rembourre le corps, en lui s’inscrit,
Et agit avec lui dans tout ce qu’il fait ;

Mais, qu’il m’excuse, il pense en vrai coïon,
Et les docteurs, par Dieu, n’écrivent rien de tel ;
Toute chose qui circonscrit la matière
De la matière doit avoir les dimensions.

(Tercets variés de quatre façons)

1. Tels disent : elle est un mode ; tels, une harmonie,
D’autres un nombre ; en somme, vous trouverez
Autant d’opinions que de gens qui l’ont définie.

Mais écoutez-moi à mon tour, et puis décidez :
Je dis : je ne sais pas ce qu’elle est,
Tout au plus crois-je savoir ce qu’elle n’est pas.

2. Me plaît davantage Aristote, qui a dit
Que l’âme humaine est une Entéléchie,
Mot que personne encore n’avait employé.

Pas un diable ne l’a compris, d’où je conclurais
Qu’il l’a nommée ainsi pour dire en beau style
Qu’il ne savait lui-même ce que diable elle était.

3. Puis, de noms et de choses on m’a enseigné
Ce qui est une définition ; examinez-la,
Le nom seul ici se trouve défini.

Donc lorsqu’on dit : l’âme est cette bourre
Avec laquelle mon corps est rembourré,
Je demande : cette bourre est-elle de soie ou de toile ?

4. Enfin, si je puis dire mon opinion,
Une définition ne me semble pas bonne,
S’il faut à son tour l’expliquer.

Pour définir le cas, même à un habitant
De la lune, je pourrais dire :
C’est avec quoi je pisse et vais dans la moniche.

L’AUTEUR SE LAMENTE D’ÊTRE NÉ TROP TÔT

Canzone

Au Destin je me plains souvent
D’être né à une époque
Où de ce qui se fait à présent
Il n’était pas même question.

C’étaient d’autres temps que ceux-ci,
Alors que j’étais un jeune homme ;
Il fallait cinq notes sur six
Pour parler à une chambrière.

Si l’on mettait semblable étude
Pour dire un mot à cette coïonne,
Jugez un peu ce qu’il fallait
Pour parler avec la maîtresse.

Le monde était très différent ;
Les maris étaient plus retors,
Et c’eût été du temps perdu
Que de courtiser la femme d’autrui.

Chaque femme de son honneur
Vivait en garde, bien défendue,
Et si l’on voulait lui faire l’amour
Il fallait aller à l’église.

Il fallait pour lui parler
Attendre quelque fête,
Et c’était grand hasard de lui donner
Sur le cul un petit pinçon.

D’aller en gondole avec elle
Jamais ne serait venue l’idée,

Près d’elle faisait sentinelle
Camériste ou valet de chambre.

À lui faire tenir un billet doux
On risquait sa vie,
Et d’un sac de douze sequins
Ne se contentait l’entremetteur.

Si elle allait un beau jour
Se divertir à la campagne,
Pour flâner un peu autour d’elle
Il fallait se travestir.

De plus me souvient que ces femmes,
Outre une belle sujétion,
Étaient toutes pleines de rosaires
D’offices et de dévotion.

Elles disaient le chapelet
Même les jours non fériés,
Et à chaque Saint, chaque Madone,
Elles allaient se confesser.

Tous les livres qu’elles lisaient
Étaient des livres de morale,
Elles se plaisaient même à lire
Quelque bon sermon de Carême.

Pour gagner quelque indulgence
Leur usage était de porter
Toujours au cou le scapulaire,
Et le cilice sur la panse.

Elles dépensaient à ces suffrages,
Pour se signaler à chaque Saint,

Et faisaient toutes les stations
Pour gagner le saint Pardon.

L’Ogre ou l’Esprit follet
De frayeur les faisait trembler,
Et le soir, en allant au lit,
Elles se faisaient mille croix.

Aujourd’hui il n’y a plus tant
De dévotion ni de rosaires ;
Au col plus d’objets bénits,
Plus de cilice sur la poitrine ;

Il n’y a plus de scrupuleuses
Qui à leur lit accrochent des Saints,
Aujourd’hui plus d’autres croix
Que la croix de diamants.

Les suffrages sont réduits à rien,
Parce qu’elles ne s’y remarquent plus,
Et les saintes boutiques
En ont reçu un fier coup.

Elles n’ont plus sur leurs chevets
De ces petits livres dévots,
Et je crois bien qu’avec eux
Elles se font des papillotes.

À présent leur profession
Est de lire par passe-temps
Outre les livres de Voltaire,
La Puttana de l’Arétin.

Toutes elles sont philosophes
S’en tiennent au matériel,

Et de mettre bas les caleçons
Ne croient pas que ce soit mal.

Elles fréquentent aujourd’hui
Le beau temple du dieu Priape,
Mais elles n’adorent que celui
Qui est gros, et jamais mollasse.

Le plus beau divertissement
Qu’il y avait en cette ville,
C’était d’aller en un Couvent
Caqueter avec les Nonnes ;

Quel grand plaisir c’était
De faire l’amour avec une femme
Qui ne peut jamais prendre l’oiseau,
Et jamais ne peut prêter sa moniche ?

Après il fallait s’en aller
Se soulager avec les putains
Encore bien que l’on risquât
Chaque fois de s’empoisonner.

Mon pauvre cas sait bien
Ce qu’il a eu à éprouver,
Lui qui chaque fois, le pauvret,
Se faisait médicamenter.

C’étaient des temps de barbarie,
Il n’y avait point de galanterie,
Les passe-temps consistaient
Tous absolument en bulles d’air.

Un coïon, un viédaze,
Était quiconque en ce pays,

N’avait pas sous le bras
Sa putain et son poignard.

N’était pas un galant homme,
N’entrait pas dans la bonne société,
Quiconque n’avait pas de chiens,
Soit de chasse, soit pour taureaux ;

Quiconque ne sait en barque
Ramer comme les barcarols,
Ou n’allait chez Isaac
Mettre en gage ses manteaux.

Les boutiques de café
Étaient autant d’écuries,
Il n’y allait que laquais
Tenant en mains leurs juments.

Mille sordides saletés
Se jouaient sur les théâtres,
Et il y avait là toute une crapule
De chenapans, qui fumaient.

On jouait partout,
Sur les tréteaux, à Carampana,
Et la Redoute était un grand nid
De ruffians et de putains.

Tout aujourd’hui a été réglé ;
La Comédie, le Carnaval,
Vous semblent, tant ils sont honnêtes,
Autant d’écoles de morale.

Les boutiques de café
Sont aujourd’hui toutes bien tenues,

Et à la Redoute il n’y a plus
Tant d’obscénités, dites ou faites.

On ne fait plus tant de cas
D’avoir des armes, des chiens, des taureaux,
Ces extravagances se sont changées
En casinos et douces amourettes.

On ne voit plus de putains
À la promenade avec leur cavalier ;
Ainsi vont les choses humaines,
Ce plaisir n’est plus de mode.

Aujourd’hui perd la tête
Quiconque va avec une putain,
Mais violer le lit d’autrui
C’est faire œuvre de bon chrétien,

Comme jadis était un coïon,
Qui ne se promenait avec sa Signora,
Ainsi aujourd’hui est un grand vaurien,
Qui ne se montre dehors avec elle.

Si l’on veut faire bonne figure,
Tout en suivant le chemin
De servir quelque créature,
Celle-ci doit être mariée.

Plus il y a à foison
De ces femmes qui ont pour but
De trouver à leur service
Un cavalier qui bande bien ;

Or de ceux-là il y en a assez,
Qui bandent même dans leurs culottes,

Et leur flanqueraient deux ou trois saccades
Tous les jours, s’ils le pouvaient.

Elles n’ont plus peur du Diable
Ni d’aucune sorcellerie,
Toutes tant qu’elles sont, leur souci
Est de rencontrer des vits durs.

Elles ne veulent plus des Pardons
De ces Frères Franciscains ;
Elles veulent de bons et beaux cas,
Qui leur grimpent dessus, comme chiens.

Pour se passer toutes leurs fantaisies
L’honneur n’est qu’un embarras,
Aujourd’hui elles l’ont dans le cul,
Et ne prisent plus que le cas.

Ce relâchement me déplaît,
Et aussi de voir pareil bordel,
Mais c’est parce que je ne puis plus
Prendre du plaisir avec mon oiseau.

Lorsque j’avais des reins solides,
À les contenter toutes, toutes,
Il me seyait d’être chagrin
De les trouver toutes honnêtes ;

Mais j’avais ce contentement,
Et j’en discourais à part moi,
Que, si je ne le mettais pas,
Les autres non plus ne foutaient.

Voilà ce dont je me plains,
C’est qu’aujourd’hui pour mon tourment,

Mon vit soit mou comme de l’huile,
Et que je ne puisse plus le mettre.

Aujourd’hui que tout est beau,
Qu’on mange plus luxueusement,
Mon oiseau ne bande plus,
Et je n’ai plus d’appétit.

Lorsque j’avais si grand faim,
On ne mangeait que fort mal,
Et il n’y avait pas tant de femmes,
Alors que mon cas était roide.

C’est une grande disgrâce,
Me dis-je en mon for intérieur,
Et je suis, à mener cette vie,
Comme Tantale dans l’Enfer ;

Je suis comme ce pauvre diable
Que ses parents laissent héritier,
Au moment qu’il n’a plus de cas
À son service, ni de dents.


À LA LOUANGE DES TÉTINS

De même que j’ai toujours appelé pain le pain,
Ainsi vous dis-je qu’au milieu de ces eaux salées,
J’ai vu deux tétins tels que, pour voir les pareils,
Il faudrait passer les monts, les mers, les plaines.

Ils se tiennent écartés l’un de l’autre,
Et ne font ni fluctuation ni ballottage ;
Dans leur blancheur l’œil se confond,

Car ils sont plus blancs qu’une dent de chien.

Que de semblables se puissent trouver,
Je ne m’y oppose, mais de plus parfaits,
Oh ! non, par Dieu ! cela ne se peut ;

Et s’il y avait à adjuger aujourd’hui
La pomme d’or à celle qui a les plus beaux tétins,
Qui donc avec ceux-là pourraient lutter ?


L’AUTEUR RÉCONFORTE UN COCU

Mon cher ami ne vous désespérez point ;
Vous n’êtes pas le seul qui cheminiez sur la Piazza
Avec des cornes sur la tête, cette race est ancienne,
Et par le monde il y en a des milliers.

Si comme font tant de gens, vous n’en soufflez mot,
Ou si votre femme, qui n’est plus jeune
Somme toute, avec un jeune gars ne faisait pas la folle,
Vous ne seriez pas décrié comme vous l’êtes.

Je vous le répète, ne vous livrez pas au désespoir ;
Que si d’être cocu quelqu’un fut exempté,
Adam seul a obtenu cette distinction ;

Et encore cela fait-il question pour lui,
Puisque sa femme fut avec le Serpent
Seul à seul en conversation.

L’AUTEUR PASSE LE TEMPS DANS SA GALERIE

Au milieu d’un chœur de femmes, toutes belles,
Je m’amuse hors de toute mesure ;
Je leur étudie à fond la nature,
Comme ceux qui observent les étoiles.

Quoique en peinture, j’ai plaisir à vivre près d’elles,
Parce que leur beauté dure toujours,
Que je ne crains pas de les voir devenir vieilles,
Pour autant que le temps fasse tourner les étoiles.

De cette façon je suis toujours en joie
Et comme ces femmes-là ne se paient point,
J’ai encore le plaisir d’économiser.

Ainsi je pense, et laisse aller le monde,
Et me dis qu’il est bon de vivre en compagnie
De femmes qui ne mangent ni ne chient.


L’AUTEUR S’ÉCLAIRE, MAIS TROP TARD

Soixante fois le soleil a parcouru
Tout le Zodiaque, depuis le jour où j’ai ouvert les yeux
Jeune homme, j’étais du nombre des bénêts,
Et en devenant vieux j’ai quelque peu gagné.

J’ai vu que le Diable n’était pas aussi laid
Que le dépeignent ces bélîtres,
Et ce que je me coïonnais, mais richement,
À croire qu’existaient Jupiter et Pluton.


Le mal, c’est qu’en même temps que chez moi
Allait en augmentant l’intelligence,
Mon cas allait toujours en décroissant,

À tel signe qu’aujourd’hui il ne vaut plus rien,
Et qu’en dedans de moi je m’en vais disant :
Mieux eût valu mourir coïon.


AVERTISSEMENT AUX FILLES SUR LA VIE CLAUSTRALE

La barque sans timon n’est pas sûre en mer,
De même que la vigne qui n’a pas de soutien,
La porte que d’un coup de pied on jette en dedans,
Parce qu’elle n’a ni cadenas ni serrure ;

Même chose à celles qui pour leur malheur,
Sont destinées à vivre dans un Couvent
Se peut approprier avec fondement,
Parce qu’elles sont dans la même situation.

Sans expérience, sans connaissance,
Sans y faire réflexion, de chasteté
Elle font vœu et profession.

Pauvres filles ! elles font pitié,
Car un jour ou l’autre elles s’apercevront
Qu’elles sont des barques sans timon,
Des vignes sans échalas,
Des portes que d’un coup de pied on jette par terre,
Puisqu’avec un doigt elles s’ouvrent et se ferment.

L’AUTEUR NE TROUVE PAS D’EXPÉDIENT POUR FAIRE
RELEVER LE CAS

L’Académie de France a bien découvert
Comment remédier à tant d’infirmités
Qui adviennent, par la succession des ans,
À notre malheureuse humanité ;

Mais pour le cas qui ne se tient pas droit,
Quoique ce soit là le plus grand des maux
Que puissent avoir les Princes Chrétiens,
Jamais on n’a trouvé aucun remède.

Un de mes amis, grand pandour, me disait,
Lui qui sur ce point délire tout à fait,
Qu’avec le vin de Florence il se le maintient dur ;

Quand j’appris cela, environ pour une livre
J’en bus le jour même, mais, je vous l’assure,
En boirais-je pour un ducat qu’il ne dresserait point.


PLAISANT AVIS D’UN AMI

« À Venise est venu, mon ami, un Monsieur[10]
« Dont nul ne sait qui c’est, et que chacun estime ;
« De l’Europe entière il est la meilleure tête,
« Tant il a d’esprit, tant il a de talent.

« Mathématicien, il l’est on ne peut plus,
« Philosophe, écrivain en prose et en rime ;
« Voyageur, comme le Soleil, par tous climats,
« Et riche d’or autant que l’est le Pérou.


« Il parle cinq langues, et toutes fort bien,
« À la perfection il danse, chante et fait de la musique,
« Il joue et fait l’amour comme il convient ;

« Mais j’estime surtout ce grand esprit,
« Parce qu’il possède un secret merveilleux
« Pour faire qu’un vieillard puisse aller en moniche. »


RÉPONSE DE L’AUTEUR

De l’avis que touchant Saint-Germain,
Cher ami, vous m’avez donné, je vous rends grâces ;
Sachez que d’en entendre parler j’étais las,
Mais vous m’avez écrit de la bonne encre.

À le lire j’ai éprouvé bien du plaisir,
Et je le prise plus qu’une belle dépêche
Qui serait venue de Vienne ou du Latium,
Ou qu’un rapport militaire du Zéno.

Je sais qu’il est lettré, qu’il en sait long,
Et que pour faire remplir le devoir conjugal
Il possède des secrets en quantité ;

Mais si à mon cas, j’en offre témoignage,
Il pouvait faire donner quelques saccades,
Je l’estimerais plus que saint Antoine.


L’AUTEUR NE SAIT S’IL DOIT LAISSER LE CIEL
POUR LE CUL

Dicéarque, Asclépiade, Épicure,
Diogène, Galien, Socrate, Horace,

Lucien, Lucrèce et le Pape Boniface,
Ont mis le souverain bien dans un cul dur.

On ne pourrait me faire connaître, je vous le jure,
Un plaisir dont je ne sois déjà rassasié,
Et si ne me vient à mon secours Saint Ignace,
Je reste par Dieu ! sevré de tout bonheur.

Je dis que je voudrais me faire Jésuite,
Et à mon indolent oiseau à moitié mort
Donner ainsi de nouveaux sens, une nouvelle vie.

Mais un scrupule me passe par la tête ;
Je ne sais s’il est d’une bête, en fait et en dit,
D’abandonner le Ciel pour le pertuis prohibé.


LA FEMME EST PLUS HEUREUSE QUE L’HOMME

Quelle grande bougresse d’injustice
A faite à l’homme la Nature,
Que par tous les temps il ne soit en état
D’administrer une bonissime saccade !

La femme est bien plus privilégiée,
Et en cela son Destin ne lui a été ingrat :
À moins qu’il ne s’agisse d’un cas réservé,
Elle peut se faire besogner même malade.

Qu’elle soit jeune fille, vieille ou pucelle,
Sans amour, sans envie et sans fatigue,
Elle peut toujours recevoir le gland.

Mais ce que je regarde comme un miracle,

C’est que fût-elle morte, dans son guichet
Il en est qui se sont introduits.


LE CAS PREND CONGÉ DE L’AUTEUR

Je suis vieux, c’en est fait, prenons patience ;
Je ne suis plus bon à faire des coïonneries,
Pour moi désormais sont finis les goûters,
Et mon cas m’a demandé à prendre congé.

Force m’est bien de consentir à son départ,
Puisque le pauvret ne se tient plus debout ;
Il ne peut plus servir, force lui est, malgré lui,
De s’en aller maintenant faire pénitence.

Adieu donc, putains, adieu, belles filles,
À toutes je vous tire mon chapeau,
Je ne suis plus bon à rien qu’à lécher.

Il me semble être un homme fait de guenilles
Et puisque mon oiseau ne bande plus,
Je puis aller me faire foutre.


BILLET DE FAIRE PART DE LA MORT DU CAS

Putains, tant que vous êtes, je vous fais savoir
Que mon cas est mort hier au soir,
Lui qui vous a toujours visitées volontiers,
Et qui a souvent avec vous joué aux cartes ;

Lui qui s’est toujours comporté en vrai Mars,

Dès qu’il s’agissait de l’amoureuse guerre,
Et qu’il n’hésitait pas à baisser la visière,
Pour pouvoir faire acquît de vous de toutes parts ;

Lui qui pour naviguer sur votre mer,
A tant de fois risqué la vie
Par les bourrasques qu’il eut à rencontrer ;

Lui qui s’est enfariné à votre moulin,
Et qui tant de fois a voulu aller au puits,
Qu’à la fin il y a laissé sa manivelle.


LES FUNÉRAILLES DU CAS

Canzone

À la mort du gros cas
De ce célèbre poète
Qui a tant célébré la femme,
Et son cul et sa moniche,
Tout ce qu’il y a de gourgandines,
Les plus choisies, les plus coquettes,
Comme autant de désespérées,
À la Lune[11] s’en sont allées.
Là elles se sont réunies en Conseil,
Congrégation ou Collège,
Et ont porté un décret
Pour qu’il fut élevé avec art
Un mausolée somptueux
À ce cas luxurieux.
Mais de chez l’Hôte une Signora
À ce décret s’opposa,
Et déclara en deux mots
Qu’elles y regardassent, qu’elles seules

Ne pourraient suffire à si grosse dépense,
Étant toutes pleines de mal Français.

Une putain répondit,
La seule d’entre elles qui fut saine,
Qu’on y gagne encore assez d’argent
Bien qu’à la force du poignet,
Et que qui a envie de jouir
Le plus souvent se fait branler,
De sorte que grâce à ce dire
Le décret en question passa.
Puis prit la parole l’Abbesse
Ou, si l’on veut, la grande prêtresse :
« Il est juste de faire honneur
« À ce cas si bon fouteur ;
« S’il accomplit de bonnes œuvres,
« Le savent bien nos moniches,
« Car pour nous faire la charité
« Il s’est tout consumé.
« Allons petites sœurs,
« Si gracieuses et belles,
« Allons le lever,
« Allons de fleurs le couronner. »

Toutes furent acheter des fleurs,
Et des baumes et des liqueurs
Pour aller l’embaumer
Et de fleurs le couronner.
Les crins épars sur les épaules,
Comme autant de grandes cavales,
Rassemblées toutes en bataillon
Elles allèrent où il était ;
Arrivées auprès du mort,
Elles l’ont tout embaumé
Et de fleurs mêlées de feuilles
Lui ont tressé sa couronne.

Terminée l’opération,
A défilé la procession.

Se tenait là, pleurant une telle perte,
Le Syndicat des Ruffians ;
Ces pauvres frères
Marchaient devant, avec des bannières
Sur lesquelles étaient peints
Les miracles, les hauts faits,
Et représentées à profusion
Les prouesses de ce grand cas.
On voyait sur un drapeau
De grandes secouées d’oiseau,
Et tout auprès une femme nue
Qui recevait une saccade ;
Sur un autre une fillette
Qui se retroussait la cotte,
En présentant son Martin,
Se le faisait mettre en levrette ;
Sur le quatrième apparaissait
Qui, pour lui causer plus d’agrément,
Se le mettait tout entier dans le derrière.
Puis on voyait, tristes et solitaires
Venir d’autres corporations ;
Comme autant de grosses marmottes
Apparurent les mange-moniches,
Qui avaient perdu l’avantage
De manger aux dépens de ce cas ;
Tout en larmes et sanglotants
Apparurent les bons fouteurs,
Et dans la main leur cas mollet
Leur servait de cierge.

Portaient le mort quatre putains,
De celles de la rue de Carampana,

Et derrière marchaient les bougresses
Qui se tiennent dans la Corte-delle-Colone ;
Celles des Case-Nuove
S’entendaient supplier Jupin,
Pour qu’en faveur de ce Saint
Elles eussent l’avantage
De jouir d’une bonne santé
Et de faire de l’argent plus que toutes.
Là, de tous les désespérés
S’entendaient les lamentations,
Mais plus que tous autres, les femmes
Qui restaient le bec essuyé,
Marchaient derrière pleurant,
Battant des mains et des pieds :
Telles se donnaient des coups de griffes,
Telles des pinçons sur le cul,
Telles s’arrachaient les cheveux,
Telles se pelaient la moniche,
Telles disaient : « Oh ! quel malheur
« Est arrivé à notre pertuis !
« Nous avons perdu un grand cas,
« Qui par l’endroit et par l’envers
« Avaient toujours bien mérité
« Du devant et du prétérit. »

Arrivés sur un parvis
Où se dressait un autel,
Elles le placèrent dessus,
Afin qu’à toutes fut permis
De pouvoir le bien contempler,
De le baiser, de le palper,
Dans l’espoir qu’en s’en signant
Elles pourraient se délivrer
De ce mal dont, un jour, la peste
A sur leur cul laissé les crêtes.

D’un cœur humble et contrit
Quelques autres faisaient vœu,
Si elles guérissaient en ce moment
D’un magnifique écoulement,
De se suspendre au col
L’argent de leur première saccade.
Ces oraisons une fois faites,
Toutes tant qu’elles étaient à genoux
Ensemble se mirent à chanter :
« Venez adorer ce saint cas. »

Arriva la première cette belle
Qui s’appelle la Cattinella,
Et la seconde fort jolie
Qui a nom Signora Oliva ;
Puis vint toute consternée,
Certaine Signora Valeria,
Et à la suite la Spina,
Certaine Signora Rosina,
La Signora del Priè
Qui a sur le front un beau toupet,
Enfin la Signora del Veniero
Fort habile dans le métier ;
Vint aussi Valentina,
Lavandière coquette,
Bonne amie complaisante
D’un laquais de Saint-Agnès,
Qu’on nomme signor Tonino,
Et à qui plaisent le vin,
Les femmes, le jeu, et rien de plus ;
C’est un joli bouc-foutu
Qui souvent au Lion-Rouge
Va la foutre à n’en plus pouvoir.

Après qu’elles l’eurent encensé,

Et qu’elles l’eurent toutes adoré,
Une d’elles enfin le prit en main,
Et l’une en faux-bourdon, l’autre en soprano,
Toutes se mirent à dire en chœur
Ce beau et sonore cantique :

« Toutes tant que nous sommes
« Nous vous adorons,
« Cas robuste, cas immortel,
« Solennissime instrument.
« Nous sommes sûres, pour le nombre
« Que vous avez fait d’œuvres pies,
« Que vers le Ciel de Vénus
« Vous vous êtes envolé comme oiseau,
« Cas amoureux
« Et généreux,
« Cas robuste, cas immortel,
« Solennissime Instrument.
« Si vous avez fait de bonnes œuvres,
« Le savent bien nos moniches,
« Car pour nous faire la charité
« Vous vous êtes tout consumé. »

Puis elles le firent bellement
Enlever de dessus l’autel,
Et en belle ordonnance
S’en retournait la procession,
Quand au milieu des assistants
Sont survenues les Patriciennes,
Qui avec des airs de souveraines
Se mirent à dire aux putains :
« Ce magnifique cas du Poète,
« C’est le cas d’un bel esprit
« Qui a spécialement produit
« Pour l’opulente noblesse

« Un idéal de liberté,
« Et vous autres n’êtes pas dignes
« De porter ses insignes. »
S’avança une gourgandine,
Des meilleures de la Piazza,
Et elle dit, hors de ses dents,
À ces orgueilleuses Dames :
« À cause de vous autres Patriciennes,
« Sont dans la panne nos moniches ;
« Oui, vraiment, à cause des Dames
« Nous mourons toutes de faim,
« Et pour nous faire toujours tort
« Vous voulez encore ce cas mort ?
Lui répond là-dessus
Une dame de haut parage :
« Pour vous autres, femmes ignobles,
« Ne sont pas faits les nobles cas :
« Prenez ceux des artisans
« Et des Pères Franciscains,
« Prenez ceux des balayeurs,
« Et non pas ceux de notre rang. »
En lui rivant son clou, une gredine
Répondit à cette matrone :
« Chez nous autres, grosse bougresse,
« Il vient toutes sortes de personnes ;
« Il vient des prêtres, il vient des moines,
« Il vient des hommes portant la toge,
« Des portefaix, des estafiers,
« Mais il vient aussi des cavaliers,
« Et ce cas véritablement,
« Est notre proche parent. »

Alors s’éleva une querelle
Et se livra une grande bataille ;
Ces Dames à l’une et à l’autre,

Donnaient de leurs cierges sur la tête ;
À cette grêle de coups
Les putains décampèrent
Et, comme étant la cause du combat,
Elles flanquèrent le mort par terre ;
Les Dames, au milieu du tapage,
Le mirent dans la main des fouteurs.
Puis elles envoyèrent un piéton
Chercher les congrégations
Des Cavaliers errants,
Ceux qui sont les plus constants,
Pour leur servir de réconfort
Et pour donner l’encens au mort.

Hors de toutes les auberges
Elles firent venir les grandes confréries
D’actrices et de cantatrices,
Des ballerines et de comédiennes,
Pour qu’elles se missent à chanter
Et danser derrière le mort.
Elles invitèrent par billets
La confrérie des Poètes,
Pour que de ce gros cas
Ils fissent l’oraison funèbre ;
Elles voulurent aussi des panneaux
Sur l’un desquels des Cavaliers
Seraient vus avec des Dames
Représentées d’après nature,
En train de goûter avec bonheur
La poésie de ce Cas.
Sur un autre, Prêtres et Moines,
Poètes et Littérateurs,
Autour d’une table ronde
Se verraient tout jubilants
Et faisant divers mouvements

En écoutant ces beaux vers.

Sur le troisième les Docteurs
Et les plus fameux professeurs
Au beau milieu discuteraient,
Les assistants les écouteraient
Et en écoutant leurs propos
Riraient comme des fous.

Vêtues de deuil marchaient devant
Les grandes Dames avec leurs amants ;
Derrière s’avançaient les Poètes
En train de chanter des versets,
Les sémillantes ballerines,
Avec leurs jolies jambes,
Venaient après en dansant,
En sautant de ci et de là.

En cette belle ordonnance
Elles se sont rendues à un Couvent
Et ont déposé l’instrument
Dans une urne de cristal ;
Puis tous ils ont chanté un hymne,
Et les Dames ont commencé :

« Salve, ô vénérable cas
« D’un si illustre Poète,
« Qui a basé tous ses écrits
« Sur la loi de Nature,
« Qui nous a délivrées des lacs
« Où se débattent les viédazes,
« Qui avec sa poésie
« Nous a illuminé la fantaisie,
« Et sans jamais nous faire injure,
« Augmente en nous la luxure.

D’un cœur sincère
Chantèrent ensuite les Cavaliers :

« Vive le Cas du Poète
« Qui a si bien chanté au naturel,
« Qui a débarrassé les Dames
« Des préjugés et de tous les vices,
« Qui les a rendues plus aimables,
« Plus dociles, plus traitables,
« Et en a fait des femmes de bon cœur
« Avec son Bannissement de l’Honneur. »

D’une voix fort sonore
Les cantatrices elles aussi
Ont entonné leur verset :

« Cher Cas bénit,
« Priez le Ciel que vive votre maître,
« Pour qu’il écrive encore les louanges
« De la moniche et de ses poils,
« De tétons et de leurs boutons,
« Et du cul, qui fendu en deux,
« Est un morceau du Paradis ;
« Encore qu’il reste sans cas,
« Qu’il ne perde pas le talent
« De si bien faire, que chacun s’évertue
« À désirer notre joyau. »

Parmi les Poètes, un gros Docteur
Fit ensuite cette oraison :

« D’un Poète que l’on honore
« Honorons encore le Cas,
« Car il a été l’Apollon.
« Lui seul a chanté les plaisirs

« Sur la montagne d’Hélicon ;
« Car il a tant loué la moniche,
« Il l’a tant louée, que nous autres Poètes
« Près de lui sommes bien peu de chose,
« Et pour autant que nos vers
« Soient limpides et corrects,
« Comme ils ne parlent pas de Moniche,
« Personne n’y prend plaisir,
« Personne ne veut les écouter,
« Parce qu’ils ne parlent pas d’enfiler. »

Achevée l’oraison funèbre
Et finie la procession,
Ces Dames ont commandé,
De pouvoir absolu,
Et toutes signé de bonne encre
Qu’il fût déposé dans un cloître,
Jusqu’à temps que fût construit
Un honorable mausolée
Érigé à sa mémoire,
Et que, pour son éternelle gloire,
Il y eut à ce mausolée
Une inscription faite à propos.

Sur le sépulcre il n’y avait
Ni de trophées ni de bannières,
Mais quantité de cas durs
Qui auraient troué des murs,
Et en face d’eux, bouche ouverte,
Attendant leur offrande,
Toutes prises sur le vif se voyaient
Des moniches qui larmoyaient.
Au-dessus de ces petits Cas
Étaient représentés des culs
Dont on eût dit qu’ils attendaient

Que quelqu’un les embrochât.

Se tenait au milieu de ces figures,
Comme un grand Docteur in jure,
Le magnifique cas du Poète,
Semblable à un anachorète,
La tête basse et pendante,
Pour montrer qu’il était le maître.
Il avait sur la panse
Et de plus autour, en abondance,
Non des manuscrits, des bouquins,
Mais des culs, des moniches, des cas
Pour faire voir qu’en cette science
Il avait eu la prééminence.

Une vertueuse bavarde
En lettres majuscules,
Pleine d’érudition
Composa cette inscription :

« Ci-gît du grand Baffo le cas défunt ;
« Il attend en coïon, sa résurrection. »


LAMENTATION SUR LA MORT DU CAS

Je veux mourir, maintenant que chez moi est mort
Mon pauvre cas à l’improviste,
Je ne puis rester séparé un brin de lui,
Qui dans mes peines était mon réconfort.

Dans cette mer de la vie il était le port ;
Qu’il soit allé en Enfer ou en Paradis,
J’ai résolu d’aller où il se trouve,

Et à tout prix ne lui ferais faux-bond.

J’ai résolu de le chercher sur terre et dans le Ciel,
Au fond de l’Abîme et jusqu’où loge Pluton,
Parce que je ne puis vivre sans lui.

Or, de même que sans vit je suis anéanti
Et ne trouve plus rien de beau dans le monde,
De même avec mon cas je serai bien partout.


ÉPITAPHE SATIRIQUE SUR LE SÉPULCRE DU CAS

Ci-gît de l’homme dénommé Baffo
Le membre le plus viril, dénommé cas
Qui en valeur surpassa tout autre cas,
Et donna d’infinis plaisirs à Baffo.

Maintenant qu’est sevré le misérable Baffo
D’un si rare, si adorable et si gros cas,
Près de cette pierre il pleure son cher cas
Que la mort emporta bien avant le Baffo.

Or, son cas étant mort, que deviendra le Baffo ?
Comment pourront séparément et Baffo et son cas
Subsister, si toujours le cas fit partie de Baffo ?

Ah qu’il meure également et suive son cas,
Cet illustre écrivain dénommé Baffo,
Car il ne fut au monde rien d’autre qu’un cas !

CRITIQUE DIRIGÉE CONTRE CHIARI

Avec poétique licence, sur le Parnasse
La Comédie a fait un grand discours,
À tel point que sans aucun remords
L’assemblée a expédié Chiari en son absence.

Mais je veux appeler de cette sentence,
Je veux aller en recours près d’un autre juge,
Puisque la loi me donne ce secours,
Car je ne veux pas que subsiste cette médisance.

Comment ? sur le dire seul du plaignant,
Qui réclamait avec tant de fracas,
On juge de la sorte, sommairement ?

J’entends avec raison et à bon droit faire casser
Cet arrêt, et que tout le monde puisse voir
Que cette grande harangue ne vaut pas un cas.


DÉFENSE IRONIQUE

Le Baffo sait que les Pères Jésuites
Ont une morale contre laquelle Rome a fulminé ;
Il sait tous leurs trafics et tous leurs négoces,
Il connaît leurs déportements au Malabar ;

Il les sait parricides, il sait que pleins d’audace,
À la vie des rois ils ont souvent attenté ;
Il sait quelle longue guerre ils ont soutenue
Contre les Espagnols unis aux Portugais.


Il sait qu’ils semblent donner, et toujours vendent ;
Il sait comme ils séduisent, ces fourbes,
Les moribonds, et fraudent le droit du sang ;

Il sait combien de leurs millions à Pondichéry
Les Anglais ont trouvés ; mais il les défend,
Parce qu’il ne peut dire du mal des Sodomites.


SUR LA SUPPRESSION DES JÉSUITES

Une grande Société d’hommes doctes,
Entièrement étrangers aux choses humaines,
Qui, pour répandre les maximes chrétiennes,
Sont allés dans les pays les plus lointains ;

Qui ont été des prêtres exemplaires,
Qui jamais n’ont eu à subir de condamnation
Pour avoir été trouvés chez des putains,
Ou pour faire les galantins avec les femmes ;

Tous gens menant une vie retirée,
Qui jamais par la ville ne se promènent seuls
Et qu’on n’a jamais vu pisser dans les rues.

Qui étudient du soir jusqu’au matin
Et ne vont ni au théâtre ni dans les cercles,
Comment sont-ils aujourd’hui dans une telle ruine ?


TESTAMENT DE LA NENI BAVELLERA

« Maintenant que je suis aux dernières limites,
» Je veux disposer de tous mes revenus ;

» Que l’on envoie au coin des rues
» Où il y a des couvents, tous mes filleuls

» Les Moines blancs, noirs et gris,
» Je vous les lègue, bougresses de putains,
» Et de plus pour vous coller au ventre vos hernies,
Je vous laisse quelques bouteilles de sperme,

» Sous condition qu’à ce cher ami de Moine,
» Qui avec tant d’autres m’a servi d’escorte,
» Vous donniez à foutre pour l’amour de Dieu.

» Fermez l’étable, la vache est morte,
» Et que mon mari me fasse un Mausolée
» Où il plantera ses cornes sur la porte. »


SUR LA MORT DU PÈRE LODOLI

Ce gros étron de Père Lodoli,
Ce véritable déshonneur de Saint François,
Ce fléau des patriciens en style Bernesque,
Ce vilipendeur de gens de bien ;

Celui qui faisait avec ses apologues
Tant de fracas, d’un ton insolent et pédantesque,
Qui n’a jamais cru qu’au pain frais,
Et qui mangeait, qui buvait en animal ;

Cet architecte nouveau et chimérique,
Ce philosophe souillé de tous les vices,
Ce lettré d’une si grande témérité,

Celui qui rendait aux femmes le petit service,

Et élargissait le trou de guêpe aux gamins,
Le voilà mort, ô Dieu, quel bénéfice !


SUR LA MORT DE LA SIGNORA CHIARA DE VICENCE

Arrivée au Ciel, où l’on s’emparadise,
La signora Chiara, saluant les Saints,
Leur a dit bonjour à tous tant qu’ils étaient,
Avec une révérence de Marphise ;

Puis se retroussant les jupes et la chemise,
Et montrant à tel le derrière, et à tel le devant,
S’est donné les gants d’être encore pucelle,
Et les Anges en crevaient de rire.

Elle voulait recevoir une couronne de lys,
Quand saint Pierre, perdant patience,
Lui cria : « Hola, taisez-vous, vieille coïonne ;

» Je sais que vous avez été une femme à sperme,
» Et que vous entremêliez le cas et le rosaire ;
» Allez conter ces bourdes à Vicence. »


SUR LE GOUVERNEMENT PONTIFICAL

La justice des prêtres est une bougresse ;
Allez dans les États du Pasteur Romain,
Et vous verrez par Dieu ! que pis qu’un chien
Y est traitée par la loi toute personne.

Là par le Christ ! il faut avoir bonne bourse,

Sinon, vous allez aux galères, la rame en main,
Ou bien mendier votre pain par les rues,
S’ils savent que par goût vous allez en moniche.

Puis chose horrible, qui vous atterre !
Leurs chefs sont tous de cette faction infâme
Qui crie vengeance au Ciel et même à la terre.

La moniche ne leur suffit point, bellement
Ils cultivent les bardaches, les tiennent sous clef,
Et leur fourrent derrière tout ce qu’ils ont de cas.


L’AUTEUR VEUT CONTINUER À ÉCRIRE CONTRE LES MOINES

Je ne puis me retenir ; une Ruffiane
M’a dit tant de choses, ce matin,
Contre les Moines, qu’il faut que je consacre
À ces vilains fourbes une autre semaine.

J’ajoute ce cent en langue Vénitienne ;
Cette Gabrina m’a mis tout en liesse
À m’en conter de Checca et de Cattina ;

L’une est grosse, l’autre a le cul en pièces,
Tel est l’ouvrage des Moines, Majesté suprême !
Comment supportez-vous de telles saletés ?

Ainsi opère la religion moderne !
Chrétiens, qu’en dites-vous ? c’est là que va l’argent
Que nous leur donnons pour un Requiem æternam.

MOYEN DE RETROUVER LES MOINES

Pour avoir des habits, des masques, des dominos
J’ai vu l’autre jour tous les Moines au Ghetto ;
Tels laissant là leur froc, et tels leur rochet
En gage, pour aller chez leurs putains.

Adieu cloîtres, adieu églises ! sont terminées
Toutes les dévotions, ils s’en vont à la noce ;
Les Moines ont le vilain défaut
De passer au fil du cas belles et laides.

Putains, femmes mariées, cuisinières bourgeoises,
Chambrières, ce sont toutes chasses réservées
À ces frocards, bons amis des bougresses.

Je voudrais que leur cas fut une épée,
Et que quand ces salopes le reçoivent,
Chaque poussée devînt une estocade.


DIALOGUE RELATIF AUX MOINES

« Laura, que te semble-t-il de l’Anzoletta,
» Depuis qu’elle est collée avec ce Moine ?
» Elle est bien vêtue, encore mieux chaussée,
» Et un de ces jours elle prendra le voile.

» Moi aussi, quand j’étais jeunette,
» Je me souviens que toute ma jeunesse je fus
» Bien vêtue, bien nourrie et mieux pelotée ;
» Avec les Moines je ne fus jamais pauvre.


» Comment font-ils pour résister à ce train-là,
» Et rester gras comme porcs, avec de gros bedons ?
» Qu’en dis-tu ? — Tu n’as point de cervelle ;

» La messe seule et la pitance
» Qu’ils dérobent, sans en compter la rente,
» Suffisent à entretenir la putain, et il leur en reste ».


SUR LA SANTINA SCHIAVONA

N’amène pas si grand concours une Indulgence
Qui nous absout de peine et de péché,
Que la Santina n’a de monde autour d’elle,
En adoration devant ses tétons.

Elle a eu sur la Piazza la première audience,
On a de toutes parts abandonné la Redoute,
Et maintes femmes s’en sont données au Diable,
D’être restées sans leur cavalier servant.

J’en ai entendu une, poussée par la rage,
Dire, toute pleine de venin et de mépris
« N’en aurons-nous pas, nous aussi, notre part ?

» Boutez-vous la sur le cul, quand vous la tenez ;
» Quand une marchandise se voit en étalage,
» On peut y toucher en débattant le prix. »


  1. Serie degli scritti impressi in dialetto veniziano compilata ed illustrata di Bartolomeo Gamba, giuntevi alcune ode d’Orazio tradotte da Pietro Bussolin Venezia dalla tipografia di Alvisopoli MDCCCXXXII.
  2. BAFFO,
    qui à pénétrer, à célébrer
    de l’humaine nature
    les prérogatives et les qualités
    mit toute son étude et tous ses soins,
    fut un enfant de l’adriatique,
    apparenté de fait
    avec la dynastie de l’empire d’orient,
    il excellait à se concilier les cœurs
    par son urbanité, son badinage ;
    la promptitude de son esprit
    à traverser de maintes manières
    toutes les faces de son sujet
    excuse en quelque sorte
    l’extrême lubricité de sa poésie,
    fort avancé en âge
    il n’était affligé d’aucun chagrin.
    il mourut pleuré de tous
    l’an
    MDCCLXVIII
  3. Ancienne monnaie de Venise qui valait au xviiie siècle trois livres dix sous.
  4. Madame, signora.
  5. Deux livres.
  6. Sorte de gâteaux.
  7. Les menstrues ; en France, aujourd’hui on dit : les anglais.
  8. Plaisanterie arétinesque, on la rencontre souvent dans les « Ragionamenti ».
  9. C’est à-dire le dernier tiercet.
  10. Le comte de Saint-Germain.
  11. Fameuse « Osteria » de Venise.