L’œuvre des gouttes de lait à Montréal
21 Rue ST-PIERRE | MONTRÉAL |
L’Œuvre des Gouttes de Lait à Montréal
MESSIEURS,
Les bruits de la rue, les cris des locomotives et des usines surmenées, le vertige du mouvement rapide de l’activité, tout ce qui constitue la course effrénée du combat de la vie, se multiplient sous toutes les formes et tout cela semble jusqu’ici avoir étouffé les plaintes des enfants mourants et les sanglots des mères désespérées.
Cependant une grande réaction s’est faite depuis quelques années. La France, la première, s’est alarmée, en face d’une natalité décroissante, au point de permettre à certains économistes de fixer la date de sa disparition comme peuple. Impuissante à combattre une fécondité calculée, d’après la formule de Malthus, elle s’est écriée : « Sauvons nos enfants, conservons ceux que nous avons, fortifions-les afin de pouvoir répéter la réponse du lion de la fable au renard se moquant de lui : « Mes enfants sont peu nombreux, mais ce sont tous des lions. »
Le mouvement, parti de France par intérêt, a fait le tour du monde par contagion, et partout des efforts multipliés se sont groupés pour aider le nouveau né à franchir l’étape si mortelle de la première année, car tout le mal est là.
La moitié du chiffre des morts de tous les âges se recrute dans cette première période de la vie, au point que la mesure de la vitalité d’un peuple, nous la trouvons dans la survivance de cet âge.
(Année 1909, 6 111 décès, 2 938 au-dessous d’un an).
Aux États-Unis, on s’est dit : 300 000 enfants sur 1 500 000 nouveaux-nés n’atteignent pas la deuxième année, et nous ne faisons rien pour conserver cette force numérique si facile à conserver, quand nous sacrifions des millions pour sauver les 160 000 tuberculeux qui meurent tous les ans, si difficiles à sauver.
Alors, aux États-Unis comme en France, on a commencé la lutte.
En France on a fondé il y a dix ans, la « Ligue contre la Mortalité Infantile. »
Aux États-Unis « l’American Association for Study and Prevention of Infant Mortality » avait son premier Congrès à Baltimore, l’année dernière et aura son deuxième à Chicago, en novembre prochain.
Cette année, Montréal travaillant au « BETTER MONTREAL, » a voulu aider aux mouvements d’initiative privés déjà en organisation et en assurer le fonctionnement.
ont été mises en opération.
Je viens vous rendre compte du travail de quatre de ces institutions naissantes, situées dans les quartiers SAINT-JOSEPH, SAINT-JEAN-BAPTISTE, SAINT-DENIS et HOCHELAGA.
Vous trouverez ci-annexés les rapports de ces quatre quartiers, faits sur un questionnaire, préparé par moi-même, et dont voici les points essentiels :
Inscription |
242 | enfants |
Guérison |
190 | " |
Amélioration |
20 | " |
Mortalité |
17 | " |
Distribution du lait homogénéisé (LAURENTIA), 4,276 chopines.
Distribution aux pauvres, 1,000 chopines.
Service médical, tous les matins de 8 à 10 heures, par MM. les docteurs : C. Campeau, Monette, Jasmin, L. Gratton et J. P. Thibault.
Inscription |
123 | enfants |
Guérison |
111 | " |
Amélioration |
7 | " |
État stationnaire |
7 | " |
Mortalité |
… | " |
Distribution du lait homogénéisé (LAURENTIA), 1,940 chopines
Nombre de consultations, 922.
Service médical, tous les matins, par MM. les docteurs : A. Germain, Moreau, Rivet, J. Langevin, Delvecchio, C. Bernier, L. P. Degrandpré, V. Barrette, Albert Duhamel, J C. McIntosh, A. Fortin, A. Meunier, L. Verner, M. Massé, A. Lachapelle, H. Lavallée, J. V. Thibault, J. A. Thibault, J A. Chopin, H. Dorval.
Inscription |
103 | enfants |
Guérison |
84 | " |
Amélioration |
4 | " |
État stationnaire |
6 | " |
Mortalité |
9 | " |
Distribution du lait homogénéisé (LAURENTIA) 1,400 chopines
Médecins : MM. O. Vézina, A. Sylvestre, J. A. Champagne, J. A. Champagne, J. A. Rousse, J. H. Bibaud, A. Bélanger, A. J. Alain, Ernest Poulin, E. Cooke.
Inscription |
122 | enfants |
Mortalité |
0 | " |
Médecins : MM. E. Garceau, P. Marin, G. H. Baril, Bonnier, Lafortune, Grenier, Chouinard, Martineau.
D’après ces tableaux nous avons eu un service pendant les mois de juillet et août.
avec une mortalité un peu plus de 5 pour cent seulement, ce qui est plusieurs fois moins que la mortalité ordinaire des enfants de la première année dans ces mêmes localités.
Ce résultat est le fruit du travail d’un groupe de médecins, qui ont donné gratuitement plus de 3,000 consultations et distribué près de 20,000 chopines de Lait homogénéisé (LAIT LAURENTIA).
Les chiffres ci-dessus n’ont pas besoin de commentaires. Ici, nous avons eu les bons résultats obtenus ailleurs. Et la conclusion à tirer s’impose : Multiplier le nombre des GOUTTES DE LAIT est un des meilleurs moyens de diminuer la mortalité infantile.
Donner une assistance pécuniaire suffisante à chaque paroisse de la Cité de Montréal, qui possédera une société du même genre, et dont les opérations seront satisfaisantes, et toute notre population infantile en bénéficiera de la même manière.
Nous disons chaque paroisse, parce que nous croyons que la garantie du succès est de faire de la GOUTTE DE LAIT, une œuvre paroissiale.
Nous avons la Saint-Vincent de Paul des pauvres, ajoutons la Saint-Vincent de Paul des Petits Enfants.
Les médecins de chaque paroisse, organisés en société régulière, seront les instruments du travail à accomplir, le curé de chaque paroisse en sera l’âme ; il considérera cette œuvre nouvelle comme toutes les autres œuvres paroissiales, et comme toutes les autres œuvres, elle marchera bien.
Car il faut bien se souvenir que la GOUTTE DE LAIT n’est pas seulement une distribution de lait en quantité et en qualité proportionnées à chaque enfant, mais aussi et peut-être plus une distribution de conseils aux mères, un véritable cours de Puériculture Populaire, par des conférences multipliées et répétées à domicile, par de véritables nurses ou bonnes d’enfants, formées spécialement pour cette fin ; or le groupement des mères, nul plus que le Curé de la Paroisse peut réussir à l’organiser.
Avec un travail continu, persévérant, les erreurs populaires tomberont, les préjugés de l’ignorance diminueront, le zèle des éducateurs triomphera et l’enfant malade sera mis sur un pied d’égalité avec son père et sa mère.
La confiance acquise, le médecin ne sera plus demandé pour une maladie qui finit, mais bien pour une maladie qui commence, ET LES GUÉRISONS MULTIPLIÉES DU JEUNE ÂGE, FERONT COMPRENDRE PROMPTEMENT UNE VÉRITÉ BIEN INCOMPRISE, C’EST QU’UN ENFANT QUI N’EST PAS SOUILLÉ DANS SON ORIGINE, ET QUI N’EST PAS PLACÉ DANS UN MILIEU ANTIHYGIÉNIQUE NE DOIT PAS MOURIR.
Quelles sont les causes de la mortalité infantile ?
Pauvreté, ignorance et négligence, a dit un grand spécialiste américain.
Nous renverserons les termes, et nous serons plus justes, au moins pour nous, en disant : Ignorance, négligence et pauvreté, voilà la triade infanticide.
IGNORANCE : C’est le grand mal.
Il y a l’ignorance qui consiste à méconnaître les choses les plus simples, les plus élémentaires, v. g. les règles de l’allaitement maternel, artificiel, mixte, etc.
Il y a aussi l’ignorance qui consiste à croire à tous les préjugés, à toutes les erreurs populaires v. g. les médecins ne soignent pas les enfants, etc.
Ce sont les dents, ce sont les vers qui rendent les enfants malades, etc.
L’éducation maternelle au couvent ou dans des conférences publiques, comme il est dit plus haut, ou à domicile… L’éducation maternelle, disons-nous, est le grand remède au grand mal, et les merveilleux résultats de la GOUTTE DE LAIT, nous les devons à l’éducation qu’on y vulgarise, plus qu’au lait qu’on y distribue.
De toutes les méthodes de Puériculture populaire, la plus pratique est celle qui se fait par l’intermédiaire de la GOUTTE DE LAIT ; par les médecins de service et par les gardes-malades compétentes, répétant dans leurs visites à domicile, les instructions déjà reçues. Les gardes-malades d’enfants, ou les véritables « bonnes », voilà une création nouvelle à faire.
L’ignorance, voilà l’ennemi.
Elle est partout, à tous les échelons de la société.
Les lois de l’alimentation infantile sont absolument ignorées ; les notions les plus fausses continuent à exister à ce sujet, elles ont cours même parmi un grand nombre de médecins, et des efforts considérables sont nécessaires pour vulgariser les notions vraies et saines.
Nous devons comprendre qu’une direction compétente s’impose, qu’un enseignement uniforme est nécessaire, et que les bons résultats seront en relation de sa mise en pratique.
La mortalité excessive des quartiers pauvres s’explique plus par l’ignorance que par les mauvaises conditions hygiéniques, qui constituent le milieu de l’enfant.
NÉGLIGENCE : C’est peut-être plus de l’indifférence.
L’enfant est d’une venue si facile, que l’on comprend presque cette indifférence, cette insouciance paternelle, surtout, à son égard ; l’enfant ne compte pas.
Elle est pourtant criminelle cette négligence.
Comment se fait-il que la loi protège plus l’enfant, avant sa naissance qu’après ? Elle est juste quand elle punit le moindre attentat pendant la vie intra-utérine, ne serait-elle pas également juste, si elle empêchait certaines conditions de milieu qui tuent plus lentement peut-être, mais aussi sûrement.
PAUVRETÉ : Si la pauvreté est mise en tête des causes de la mortalité infantile, ailleurs, chez nos voisins surtout, nous croyons que nous, nous devons la mettre au dernier plan : nous avons moins de millionnaires, mais moins de pauvres aussi. D’ailleurs, l’étude des rapports ci-dessus, nous prouve combien est vraie cette affirmation, le chiffre du lait donné étant insignifiant dans trois quartiers, et peu élevé d’ailleurs dans le quatrième.
L’IGNORANCE, LA NÉGLIGENCE et la PAUVRETÉ sont les causes principales de la MORTALITÉ INFANTILE ; nous sommes en face de causes évitables, et conséquemment nous pouvons les atteindre et arriver à un MINIMUM considérable de mortalité.
Car lorsqu’on l’étudie, le problème de la mortalité infantile se simplifie sérieusement et la confiance s’impose dans les moyens, les seuls moyens, que nous avons à notre disposition, pour atteindre ce MINIMUM déjà bien établi partout ailleurs.
Bien connaître les règles de l’allaitement maternel, de l’allaitement mixte, du sevrage, de l’alimentation nouvelle, voilà tout.
Les troubles mortels du premier âge nous viennent du côté des voies digestives, dans une proportion de 50 à 75 pour cent. Or ces troubles des voies digestives sont causés par des erreurs alimentaires, erreurs dans la composition physique, chimique et biologique du lait, erreur dans sa distribution, au point de vue de la qualité et de la quantité, erreur surtout, erreur grandissante de jour en jour, et qui fait que le nombre des mères qui nourrissent diminue d’une manière alarmante.
Or, toutes ces erreurs sont combattues, sont corrigées dans ces GOUTTES DE LAIT, qui sont plus encore une consultation des nourrissons qu’une distribution de lait.
La première vérité qu’il faut enseigner « c’est l’allaitement maternel. »
Les GOUTTES DE LAIT qui ne se font pas un devoir de convaincre les mères de la double nécessité au point de vue de l’enfant et à leur point de vue, de donner à l’enfant la nourriture, préparée longtemps à l’avance par la nature, ignorent le premier article du programme à suivre.
Le lait de la mère appartient à son enfant, et le grave problème de la mortalité infantile ne sera peut-être jamais résolu complètement, si cette vérité, que l’on trouve au berceau du genre humain, ne redevient pas comme autrefois, gravée dans le cœur de toutes les mères. Ce n’est que lorsqu’il y a impossibilité absolue de pratiquer l’allaitement maternel qu’on aura recours au lait de commerce.
Le nombre des troubles des voix digestives est considérablement réduit par la mise en pratique rigoureuse de toutes les règles alimentaires des nouveaux nés. Et puis lorsque les troubles surviennent, la maladie est prise à point et enrayée promptement dans sa marche.
Le plus souvent nous avons affaire à de véritables dyspepsies intestinales, et la disparition de l’erreur qui en est la cause, suffit à rétablir l’ordre. Mais quelquefois, nous avons de véritable choléra infantile, dont la marche est si promptement mortelle et qui fait place quelquefois à un état chronique dangereux.
Cette dernière variété de troubles échappe le plus souvent au contrôle médicamenteux dans les grands centres, et le seul moyen efficace est de soustraire, le plus tôt possible, les petits malades aux influences du milieu où ils sont condamnés à mourir.
Les GOUTTES DE LAIT doivent être doublées d’un sanatorium à la montagne ou sur bateaux.
La ville de Montpellier possède un sanatorium de montagne, où la mortalité des enfants atteints de gastro-entérite fébrile, et de choléra infantile, a été de 3.8 pour cent contre 80 pour cent, pour les choléras infantiles, soignés en ville.
Le sanatorium de la montagne sert aussi comme préventif chez les enfants qui avant les chaleurs, ont souffert d’infection intestinale.
Les Américains semblent obtenir les mêmes résultats avec les bateaux fixes.
Notre cité de Montréal possède ses montagnes, et peut facilement avoir ses bateaux mais elle peut avoir mieux encore : elle a ses petites îles échelonnées à ses portes, qui sont comme des berceaux de verdure et d’ombrage attendant les petits.
Oui, faites de ces îles, des BERCEAUX-SANATORIA.
Que la Cité s’empare d’une de ces îles, et la transforme en station de santé.
Que les pauvres puissent avoir tous une place ; qu’il y ait de grands pavillons à leur disposition.
Qu’il y ait aussi de petits pavillons pour tant de familles, pour tant de mères trop fières pour plaider pauvreté, mais aussi trop dévouées pour ne pas faire un sacrifice pour sauver leurs nourrissons malades.
Montréal n’aura jamais rien fait de plus beau pour son embellissement.
Les conclusions de ce rapport son faciles à tirer.
1. Une GOUTTE DE LAIT dans chaque paroisse.
2. La formation de BONNES pour les visites à domicile.
Cette formation peut se faire par un stage de 6 mois dans nos grandes Crèches des Sœurs de la Miséricorde et des Sœurs Grises et un cours suivi régulièrement. Afin d’avoir un nombre suffisant de BONNES pour 1912, une décision immédiate est nécessaire.
3. Le service de la GOUTTE DE LAIT sera quotidien, pendant les mois de juin, juillet et août, et hebdomadaire, ou bi-hebdomadaire, les autres mois de l’année.
4. L’éducation maternelle étant le mobile principal de la création d’une GOUTTE DE LAIT, cette École de puériculture populaire se fera par les médecins de chaque GOUTTE DE LAIT, dans des conférences hebdomadaires, surtout pendant la saison morte de l’hiver, et à chaque consultation, et à domicile par les BONNES.
L’organisation de la Crèche de l’Enfant-Jésus peut servir de modèle dans le genre.
5. Une subvention de $300.00 par GOUTTE DE LAIT est suffisante pour en assurer le fonctionnement, pendant une année.
Ce qui représente la somme de $12,000.00, frais d’administration compris qui devrait être portée au budget infantile de 1912.
6. Le sauvetage infantile opéré démontrera combien la dépense imposée constitue une véritable économie.
Je souhaite que ces conclusions aient leur accomplissement sans délai.
L’année 1912 va voir la grande Exposition pour le Bien-être des Enfants, qui met en mouvement déjà toute la population des mères.
C’est une belle année pour l’inauguration dans tout Montréal d’une organisation puissante contre la mortalité infantile.
N. B. — La somme de $1,200.00 a été dépensée, laquelle somme a suffi pour payer les dépenses faites, et est suffisante pour maintenir en existence jusqu’au mois de juin 1912 les GOUTTES DE LAIT SAINT-JOSEPH, SAINT-JEAN-BAPTISTE, SAINT-ÉDOUARD et HOCHELAGA.
Il reste donc une balance en caisse de $800.00 sur le montant que vous aviez mis à ma disposition.
J’ai bien l’honneur d’être,