L’Abbaye de Fontenay et l’architecture cistercienne/8

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LES VOÛTES

Les églises bâties dans toute l’Europe occidentale sur le plan de Fontenay ont été couvertes de voûtes fort différentes les unes des autres par leur tracé et leur construction, ou même parfois de charpentes. Les Cisterciens adoptent la voûte d’ogives pendant la seconde moitié du XIIe siècle et s’en font les « missionnaires ». Dans les abbayes provençales, dont les églises comptent parmi les plus anciennes de l’Ordre de Cîteaux, la voûte en berceau de la nef principale est épaulée par des demi-berceaux continus qui occupent toute la longueur des bas côtés.

Ph. C. Enlart.
148. Église de l’abbaye Notre-Dame à Châtillon-sur-Seine.

Les moines constructeurs de Fontenay ont adopté pour leur église un parti remarquable : les travées des bas côtés, séparées par des murs largement percés d’arcades, forment une succession de voûtes en berceau dont l’axe est perpendiculaire à celui du berceau continu de la nef. Les origines de cette disposition des berceaux restent obscures : Choisy les faisait remonter aux édifices royaux de la Perse Sassanide[1] ; peut-être faut-il les chercher dans les monuments romains de la Gaule qui eux-mêmes conservent des formes hellénistiques ou « gréco-orientales ». C’est un problème dans lequel nous ne pouvons nous aventurer.

Ph. L. B.
149. Église de l’abbaye de Hauterive (canton de Fribourg).

Le système des berceaux transversaux avait été employé en Bourgogne dès le xie siècle pour couvrir la nef principale d’une grande église, Saint-Philibert de Tournus. Cet emploi reste exceptionnel. Au contraire l’emploi des berceaux transversaux établis sur les bas côtés d’une église pour contrebuter un berceau bâti suivant l’axe de la grande nef devient usuel dans toute la moitié méridionale de la France pendant l’époque « romane ». L’un des plus anciens exemples est donné par l’église du monastère augustin de Bénévent-l’Abbaye (Creuse) ; les exemples du xiie siècle sont trop nombreux pour qu’il y ait intérêt à les citer.

Les Cisterciens ont emprunté le parti des berceaux transversaux à d’autres moines, bénédictins ou augustins. Est-ce à Fontenay que ce parti de voûte est adopté pour la première fois par les constructeurs du nouvel Ordre ? Nous l’ignorons. Il est certain, en tout cas, que les voûtes de Fontenay ont servi de modèle à celles des églises de Châtillon-sur-Seine (fig. 148) et du Mont-Saint-Vincent[2] (Saône-et-Loire).

150. Église de Bonmont[3].

Des voûtes analogues à celles de Fontenay ont été bâties sur les deux églises cisterciennes de Silvanès (Aveyron) et de Bonneval-l’Abbaye (Creuse). Ce sont des architectes cisterciens qui ont fait connaître ce système de voûtes dans les régions septentrionales de la France ; il a été employé dans l’église de Saint-Pathus (Seine-et-Marne), qui appartenait à l’abbaye cistercienne de Molesmes. Les berceaux transversaux ont été adoptés dans la Suisse monastique, qui était en rapports directs avec la Bourgogne : les églises de Hauterive (fig. 149) et de Bonmont (fig. 150 et 151), les parties anciennes

Ph. L. B.
151. Intérieur de l’Église de l’abbaye de Bonmont (canton de Vaud).
de Maigrange, près de Fribourg[4], ont la plus étroite ressemblance avec celle de Fontenay. L’église anglaise de Fountains a conservé des berceaux transversaux sur quelques travées des bas côtés en ruines. Ce système de voûtes a été transporté par les Cisterciens jusque dans une des régions les moins accessibles de l’Italie méridionale, parmi les forêts des monts Gargano où M. Bertaux a retrouvé l’église abandonnée de Santa Maria di Calena[5] ; les moines bourguignons ont reproduit le même système de voûtes en Sicile, dans la robuste église de San Nicola de Girgenti, près des temples grecs d’Agrigente.

Les églises cisterciennes voûtées de berceaux transversaux sur les bas côtés sont les édifices les plus étroitement apparentés à l’église de Fontenay. Elles sont très probablement ses filles. L’abbaye de Fontenay, seule survivante en Bourgogne des abbayes qui ont donné au xiie siècle des modèles à toute l’architecture européenne, paraît avoir exercé une action « personnelle », par les voûtes de son église, qui ont été imitées depuis l’Angleterre jusqu’à la Sicile.

Ph. L. B.
152. Cloître de l’abbaye de Hauterive.
(xiie et xve siècles.)
  1. ↑ Choisy, Histoire de l’Architecture, t. II, p. 197.
  2. ↑ Cité par C. Enlart, Manuel d’Archéologie, p. 272.
  3. ↑ D’après le Dr Rudolf Rahn, die Mittelalterlichen Kirchen des Cistercienserordens in der Schweiz, Zurich, 1872, fig. 3.
  4. ↑ Josef Zemp, die Klosterkirche in der Magerau bei Freiburg (Sonderabdruck aus dem Anzeiger schweizerische Altertumskunde, no 4, p. 290, 1906).
  5. ↑ E. Bertaux, l’Art dans l’Italie méridionale, fig. 326-327, Paris, 1904.
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