L’Absence (Ronsard)
ELEGIE VII.
Ce me sera plaisir, Genévre, de t’escrire,
Estant absent de toy, mon amoureux martyre.
Helas je ne vy pas ! ou je vy tout ainsi
Que vit dedans le lict un malade transi,
Qui deçà qui delà se tourne et se remue :
Ayant dans le cerveau la fiévre continue,
Il resve et se despite, et ne sçait comme il faut
(Ore entre la froideur et ore entre le chaut)
Gouverner sagement sa raison estourdie
Des differens accez de telle maladie.
Ainsi quand le Soleil se plonge dans la mer,
Quand il vient le matin les Astres enfermer,
Et quand en plein midy tout ce monde il contemple,
Je brusle impatient : et mon mal sert d’exemple
Aux jeunes Poursuivans de jamais ne guarir,
Mais d’apprendre en vivant à doucement mourir.
Certes celuy meurt bien qui meurt par fantasie,
Lors que l’ame amoureuse est tellement saisie,
Qu’en fuyant de son corps pour re-vivre autre part,
A son hoste laissé ses vertus ne depart :
Mais privé d’action demeure froid et palle,
Sans force et mouvement et sans humeur vitalle,
Comme un image fait de bronze ou de metal,
Qui (pour n’estre animé) ne sent ny bien ny mal.
Je ne voy rien icy que douleur ne m’ameine :
Le jour m’est ennuyeux, la nuict me tient en peine :
Et comme un ennemy tresdangereux je fuy
Le lict, qui toute nuict redouble mon ennuy.
Quand le Soleil descend dans les ondes sallées,
Je me desrobe és bois, ou me perds es vallées,
Je me cache en un Antre, et fuyant un chacun
(De peur qu’à mes pensers il se monstre importun)
Je parle seul à moy, seul j’entretiens mon ame,
Discourant cent propos d’amour et de ma Dame :
D’un penser achevé l’autre soudain renaist,
Mon cœur d’autre viande en amour ne se paist :
Il mourroit sans penser, le penser est sa vie
Et ta douce beauté que seule j’ay suivie.
Ainsi par les deserts tout le jour je me deulx,
Puis quand l’obscure nuict se perruque de feux,
Le solitaire effroy hors des bois me retire,
Et jusques au logis Amour me vient conduire.
Quand je suis en ma chambre, encore pour cela
Je ne suis à repos : Amour deçà delà
M’esgratigne le cœur, et ma playe cruelle
Lors que je voy mon lict, s’aigrist et renouvelle.
Pour ne. me coucher point je cherche à deviser,
Je lis en quelque livre, ou feins de composer,
Ou seul je me promeine et repromeine encore,
Trompant d’un souvenir l’ennuy qui me devore.
A la fin mes vallets qui portent sur les yeux
Et dans le nez ronflant le dormir ocieux,
Entre-sillez du somme, ainsi me viennent dire :
Monsieur il est bien tard, un chacun se retire,
Jà my-nuit est sonné, qu’avez vous à gemir !
La chandelle est faillie, il est temps de dormir !
Alors importuné de leur sotte priere
Je laisse tout mon corps pancher en une chaire
Nonchallant de moymesme, et mes bras vainement
Et mon chef paresseux pendant sans mouvement,
Je suis sans mouvement paresseux et tout lâche.
L’un m’oste la ceinture, et l’autre me detache,
L’un me tire la chausse, et l’autre le pourpoint :
Ils me portent au lict, et je ne le sens point !
Puis quand je suis couché, Amour qui me travaille,
Armé de mes pensers me donne la bataille :
Le lict m’est un enfer, et pense que dedans
On ait semé du verre ou des chardons mordans :
Maintenant d’un costé, maintenant je me tourne
Desur l’autre en pleurant, et point je ne sejourne.
Amour impatient qui cause mes regrets,
Toute nuict sur mon cœur aiguise tous ses traits,
M’aiguillonne, me poingt, me pique et me tormente,
Et ta jeune beauté tousjours me represente.
Mais si tost que le coq planté desur un pau
A trois fois salué le beau Soleil nouveau,
Je m’habille, et m’en-vois où le desir me meine
Par les prez non frayez de nulle trace humaine,
Et là je ne voy fleur ny herbe ny bouton,
Qui ne me ramentoive ores ton beau teton,
Et ores tes beaux yeux ausquels Amour se jouë,
Ores ta belle bouche, ores ta belle jouë.
Puis foulant la rosée, en pensant je m’en-vois
Trouver quelque Genévre au beau milieu d’un bois,
Où loin de toutes gens je me couche à l’ombrage
De cest arbre gentil, dont l’ombre me soulage :
Je l’embrasse et le baise, et l’arraisonne ainsi,
Comme s’il entendoit ma peine et mon souci.
Genévre qui le nom de ma Maistresse portes,
Au moins je te suppli’ que tu me reconfortes
Couché sous tes rameaux, puis qu’absent je ne puis
Ny baiser ny revoir la Dame à qui je suis.
Je te puis asseurer que l’arbre de Thessale,
De Phœbus tant chery, n’aura louange egale
A la tienne amoureuse, et mes escrits feront
Que les Genévres verds les Lauriers passeront.
Or-sus embrasse moy, ou bien que je t’embrasse,
Abaisse un peu ta cyme, afin que j ’entrelasse
Mes bras à tes rameaux, et que cent mille fois
Je baise ton escorce, et embrasse ton bois.
Jamais du Bucheron la cruelle congnée
A te couper le pied ne soit embesongnée,
Jamais tes verds rameaux ne sentent nul meschef :
Tousjours l’ire du Ciel s’eslongne de ton chef,
Vents, gresle, neige, pluye : et jamais la froidure
Qui éfueille les bois, n’éfueille ta verdure.
Tous les Dieux forestiers, les Faunes et les Pans
Te puissent honorer de bouquets tous les ans
Sacrez à ta maistresse, et leur bande cornue
Face tousjours honneur à ta plante cognuë.
A l’entour de ton pied, soit de jour soit de nuit,
Un petit ruisselet caquete d’un doux bruit,
Murmurant ton beau nom par ses rives sacrées :
Où les Nymphes des bois et les Nymphes des prées
Couvertes de bouquets, y puissent tous les jours
En dansant main à main, te conter mes amours,
Pour les bailler en garde, en faisant leur carole,
A la Nymphe des bois, qui vit de la parole.
Ainsi je parle à l’arbre, et puis en le baisant
Et rebaisant encor je luy vois redisant :
Genévre bien-aimé, certes je te resemble,
Avecq’toy le destin heureusement m’assemble :
Ta cyme est toute verte, et mes pensers tous vers
Ne meurissent jamais : sur le Printemps tu sers
A percher les oiseaux, et l’Amour qui me cherche,
Ainsi qu’un jeune oiseau desur mon cœur se perche :
Ton chef est herissé, poignant est mon souci,
Ta racine est amere, et mon mal l’est aussi :
Ta grene est toute ronde, et mon amour est ronde,
Constante en fermeté qui toute en elle abonde :
Ton escorce est bien dure, et dur aussi je suis
A supporter d’Amour la peine et les ennuis.
Tu parfumes les champs de ton odeur prochaine,
Et d’une bonne odeur m’amour est toute pleine :
Tu vis dedans les bois, solitaire, et je vy
Solitaire et tout seul, si je ne suis suivy
D’Amour qui m’accompagne, et jamais ne me laisse
Sans me representer nostre belle maistresse :
Nostre, car elle est mienne et tienne : puis je croy
Que tu languis pour elle aussi bien comme moy.
Ainsi je parle à l’arbre, et luy branlant la cyme
Fait semblant de m’entendre, et d’apprendre ma ryme,
Et la rechante aux vents, et se dit bien-heureux
D’estre honoré du nom dont je suis amoureux.
Voylà, chere maistresse, en quelle frenaisie
Amour m’a fait tomber, pour seule avoir choisie
Vostre jeune beauté, que l’imaginer sent
Au profond de l’esprit, bien qu’il en soit absent.
J’ay certes esprouvé par mainte experience
Que l’amour se renforce et s’augmente en l’absence,
Ou soit qu’en revassant, le plaisant souvenir
Ainsi que d’un apast la vienne entretenir,
Ou soit que les portraits des liesses passées
S’impriment dans l’esprit de nouveau ramassées.
Soit que l’ame ait regret au bien qu’elle a perdu,
Soit que le vuide corps plus plein se soit rendu,
Soit que la volupté soit trop tost perissable,
Soit que le souvenir d’elle soit plus durable :
Bref je ne sçay que c’est : mais certes je sçay bien
Que j’aime mieux absent qu’estant pres de mon bien.
Car quand il me souvient ou de ta belle face,
Ou de l’heure, ou du lieu, du temps, ou de la place
Qu’Amour si doucement me fist parler à toy,
D’un extreme plaisir je suis tout hors de moy.
Puis quand il me souvient de tes douces parolles,
De tes douces chansons desquelles tu m’affolles,
Me souvenant encor de tes honnestetez,
Et de ta courtoisie, et de tes privautez,
Et de l’affection envers moy si naïve
Quand mon corps est malade, ou mon ame pensive :
Et bref me souvenant de l’extreme douceur
Qui part de tes beaux yeux dont je nourris mon cœur,
Plus mon amour s’augmente, et plus mon estincelle,
Estant loin de mon feu, s’accroist et renouvelle.
Voylà mon naturel, et si trompé je suis,
La faute vient d’Amour, non de moy qui ne puis
M’eslongner de l’ardeur de te re-voir presente :
Si je suis abusé, mon abus me contente.
Maistresse, en attendant le bien de te revoir,
Je suppli’ humblement ta main de recevoir
Ces vers que de la sienne Amour mesme te porte :
En escrivant de toy, mon cœur se reconforte.