L’Activité de Ludendorff

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L’Activité de Ludendorff
Revue des Deux Mondes7e période, tome 12 (p. 121-152).
L’ACTIVITÉ
DE LUDENDORFF

Pour n’être plus en activité de service, le général Ludendorff n’en reste pas moins actif. Après la guerre, alors que la révolution prenait mauvaise tournure et menaçait de dévorer ceux qui, comme lui, avaient joué naguère un rôle politique trop marqué, il chercha refuge en Suède. Il y composa ses « Souvenirs de Guerre, » qu’il publia dès 1919, comme s’il avait hâte de démontrer que la défaite allemande ne pouvait être imputable qu’à ses alliés, à son Gouvernement, à son Parlement, à tout enfin, sauf à ses propres faiblesses. Plus tard, lorsque Berlin fut rentré dans le calme, il réintégra son domicile. Il n’y demeura que peu de temps, mais ce fut assez pour que sa main pût se reconnaître dans le coup d’Etat manqué de von Kapp de mars 1920 ; après quoi, il se dirigea vers la Bavière et s’installa définitivement à Munich.

Il y habite, au Sud de la ville, le faubourg de Ludwigshöhe ; c’est un quartier de gens riches où banquiers, hauts fonctionnaires en retraite, commerçants d’importance, conseillers de toute espèce, possèdent des villas ; la sienne est la plus belle.

Qu’y fait-il ? Mais d’abord, pourquoi ses préférences se sont-elles portées sur Munich plutôt que sur toute autre ville de l’Allemagne ? Y possédait-il des proches parents, des amis préférés ? Non. Jadis y avait-il tenu garnison et gardait-il de ce passé un souvenir particulièrement attachant ? Pas davantage. Alors ? Alors la question se pose de savoir si Munich n’offrirait pas cette particularité d’être la seule grande ville du Reich où certaines personnalités peuvent librement déployer leur action. Si nous apprenions, par exemple, que Munich est la capitale d’un Etat de bourgeois et paysans catholiques, réactionnaires, nationalistes, monarchistes, conservateurs, exempts, ou presque, de toute contre-partie ouvrière, prêts à relever le trône des Wittelsbach, — les Wittelsbach, en comparaison de qui les Hohenzollern ne sont que des parvenus, — c’est-à-dire capables de donner le bon exemple au reste de l’Allemagne et, au besoin, de le lui imposer, qu’en déduirions-nous ? Que le milieu est essentiellement favorable à qui professe des opinions réactionnaires, à qui ne se borne pas à avoir des convictions personnelles, mais entend aussi convaincre les autres et, le cas échéant, les contraindre, pour qui le vieux dicton : « Qui veut la fin veut les moyens, » est autre chose qu’une vaine formule. Nous en déduirions qu’un homme de cette sorte ne risque, en Bavière, d’être inquiété ni pour ses opinions, ni même pour ses agissements, et qu’en des circonstances graves, il pourrait compter sur la complicité occulte, sinon déclarée, des citoyens et des pouvoirs publics.

En vérité, si la Bavière et Ludendorff étaient bien le pays et l’homme que nous venons de dire, nous saurions pourquoi celui-ci habite celui-là


I. — LA RÉACTION EN BAVIÈRE

La Bavière est-elle cela ? Elle l’est, à n’en pas douter. Au lendemain de la guerre, un mouvement révolutionnaire y éclata comme dans toute l’Allemagne. Un certain Kurt Eisner détrôna les Wittelsbach et proclama la république ; c’était une république communiste bien rose en comparaison de la rouge dictature de Moscou. Ce coup de surprise, une intime minorité l’avait pu réussir dans le désarroi de l’heure, mais la durée n’en pouvait être qu’éphémère en un pays centralisé, à population instruite et disciplinée, où 80 pour 100 des habitants, — un député bavarois l’a déclaré à la tribune du Reichstag, — étaient foncièrement monarchistes. Dès que bourgeois et paysans furent revenus de leur stupeur, la république d’Hoffmann, successeur de Kurt Eisner assassiné, fut balayée en un instant. Le même mouvement de réaction, tenté à Berlin où les partis avancés dominent, n’avait pu réussir ; il se fit à Munich sans difficulté.

Cependant, l’étiquette républicaine fut provisoirement conservée ; mais on mit à la tête du Gouvernement un von Kahr, réactionnaire avéré, dont le premier soin fut d’instituer l’état de siège, afin d’être mieux à même de réprimer toute tentative, — qu’elle s’exerçât par la parole, par l’écrit ou par l’action, — en faveur du régime disparu. Armée et police, sérieusement reconstituées, se mirent naturellement à la dévotion du nouveau pouvoir. Les troubles d’ailleurs ne présentèrent aucune gravité ; ils furent d’autant moins sérieux que, dès le début de son administration, von Kahr avait su faire usage d’arguments assez frappants pour décourager les récidives.

Cependant, un beau jour, le Gouvernement de Berlin, harcelé par ses socialistes, s’aperçut que l’état de siège, disparu du reste de l’Allemagne avec les circonstances qui l’avaient justifié, demeurait toujours appliqué en Bavière. Il fit à Munich des observations. La fraction la moins fanatique du parti réactionnaire bavarois, désormais assez fort pour faire lui-même sa police conservatrice, comprit que l’état de siège, gênant à certains égards pour tout le monde, lui était inutile. Elle en accepta donc la suppression, malgré l’opposition des monarchistes intransigeants [1]. Von Kahr, qui trouvait le moyen commode, refusa de s’en dessaisir et donna sa démission. L’opération une fois faite, on lui offrit de nouveau le ministère qu’il refusa pour accepter de devenir préfet de Haute-Bavière, la province la plus conservatrice de tout le pays.

Avec le comte Lerchenfeld, dont l’étiquette politique était de même couleur, mais moins accentuée que celle de son prédécesseur, les choses continuèrent à marcher comme auparavant, l’état de siège excepté. Le nouveau chef du Gouvernement resta forcément prisonnier des mêmes hommes dont von Kahr inspirait les actes, les anciens ministres de ce dernier étant à peu près tous demeurés en fonctions. Sur six, quatre appartenaient au parti populaire ou « populiste, » c’est-à-dire nationaliste et monarchiste ; un seul était démocrate ; celui de l’Intérieur était tout dévoué à son ancien chef ; quant à celui de la Justice, — si paradoxal que cela puisse paraître, — il était le protecteur attitré des sociétés plus ou moins secrètes qui s’épanouissent librement en Bavière.


Si des associations secrètes existent en Allemagne, c’est évidemment qu’elles poursuivent des buts difficilement avouables. Beaucoup sont issues de sociétés que le Reich dut interdire pour satisfaire nos justes réclamations et qui maintenant se dissimulent ou se masquent ; un plus grand nombre abritent leurs véritables tendances sous le couvert de statuts licites. Des groupements ouvertement monarchistes pourraient être considérés comme abusifs par le Gouvernement de Berlin. En adoptant des buts inoffensifs ou mêmes dignes de ses encouragements, — entretien du sentiment patriotique ou de la culture allemande à l’intérieur comme à l’extérieur ; prédication de la paix et de la liberté ; accession de l’Allemagne à la Société des nations ; défense du germanisme, notamment dans les pays de langue allemande, etc., — on le met dans l’impossibilité de sévir, à supposer qu’il en ait le pouvoir. Comment, en effet, blâmer, d’aussi louables intentions ? Comment encore s’opposer à la formation d’associations amicales entre gens de même profession,-— celle des armes spécialement, — qui cherchent à s’entr’aider ? Les anciens combattants, les sous-officiers et soldats d’un régiment, les ex-officiers, ceux ayant appartenu à une même arme en particulier, ,de même les sous-officiers, ne peuvent être régulièrement exclus du droit d’association. Ils en profitent largement.

Tout cela serait bien, si ces unions se mouvaient dans le cadre mutualiste que leur assignent généralement leurs statuts. Or les groupements civils, — nous parlerons plus loin des militaires,— sont stipendiés par les partis de droite ; sous prétexte de patriotisme, ils font ouvertement campagne pour le rétablissement de la monarchie. Par le fait même, ils sont pangermanistes, attaquent le traité de Versailles, attaques interdites, en toute légalité, puisque le dit traité est devenu loi de l’Etat allemand au même titre que les autres lois.

Malgré cela, les 2 et 6 mars 1922 à Berlin, les 7 mars et 2 avril à Magdebourg, le 15 mai à Hanovre, de grandes réunions se sont tenues pour protester contre la responsabilité allemande dans la déclaration de guerre. Le même sujet est développé, — on imagine dans quel sens, — par les publications émanant du « Comité exécutif des grandes associations allemandes, » de la « Ligue pour la protection de la culture allemande, » de l’« Association Fichte. » D’autres groupes s’adressent au Gouvernement pour le sommer de rendre publics les documents qui peuvent être de nature à innocenter l’Allemagne de toute complicité dans les événements de 1914 : « Office central des associations patriotiques de Dresde, »« Ligue populaire de vigilance allemande de Munich, » « Ligue pangermaniste, » « Groupement de propagande patriotique, » « Ligue de protection des populations de race allemande, » etc. La « Ligue féminine internationale pour la paix et la liberté » proteste avec violence contre l’occupation par les Alliés des territoires rhénans.

Ou n’en finirait pas de noter les formes diverses que les Allemands savent donner à leur campagne de protestation contre les conséquences de leur défaite militaire. Ils ne se bornent d’ailleurs pas à gémir sur les faits accomplis, ils préparent aussi l’avenir. Une foule d’associations se sont donné pour objet la réintégration dans le Reich des Allemands qui en ont été séparés ou sont menacés de l’être, — Memel, Dantzig, Silésie, Schleswig, Alsace, Sarre, — et même l’incorporation de ceux qui n’en ont jamais fait partie, — Vorarlberg, Tyrol, Styrie, Carinthie, Bohême, etc. — D’autres, visant plus loin, cherchent à atteindre ceux de leurs compatriotes qui vivent à l’étranger de manière à les rassembler en un seul faisceau. L’« Association pour le germanisme à l’étranger » s’est entendue avec la « Ligue de protection des populations de race allemande, » pour réserver à cette dernière le monopole de l’action dans les pays limitrophes du Reich, tandis qu’elle opère elle-même au-delà. Elle compte bien d’ailleurs conclure un accord avec la « Ligue mondiale des Allemands à l’étranger » et la « Ligue des Allemands à l’étranger, » afin d’éviter toute dispersion d’efforts et de diminuer les frais généraux. L’idée a même été lancée et mise à exécution d’une « Ligue mondiale des Allemands, » — tout court, — et si l’essor de cette nouvelle institution demeure encore incertain, c’est que son étiquette pangermaniste est tout de même un peu trop transparente et que certains Allemands trouvent prématuré un aussi rapide affichage de visées encore bien capables d’effaroucher le monde. En revanche, les unions germano-quelque chose se multiplient : germano-suédoise, géorgienne, mexicaine, turque, flamande, grecque, russe, chinoise. De même, la hantise de récupérer les colonies perdues se perpétue par le moyen de la « Société coloniale allemande, » de la « Ligue des amis des colonies, » de la « Fédération des colons de l’Afrique orientale, » etc.

Les anciens militaires ne se sont pas, plus que les civils, renfermés dans les limites de leurs statuts légaux. On sait que les associations connues sous le nom d’« Einwohnerwehr » (Défense des habitants) ne devaient tout d’abord pourvoir qu’à la protection des citoyens paisibles contre les violences révolutionnaires. Mais, pour protéger quelqu’un contre des périls de ce genre, des armes sont nécessaires. Or, lorsque d’anciens soldats ont entre les mains des fusils et des mitrailleuses, il est bien tentant pour leurs chefs de leur en faire mésuser, si ces chefs sont tous, comme en Allemagne, d’anciens officiers dont la disparition du régime impérial a froissé les sentiments et compromis les intérêts. La pente étant naturelle, les Einwohnerwehren sont rapidement devenues des associations monarchistes. Bien plus, par devoir patriotique dans une nation où l’armée nationale est réduite à ne plus pouvoir légalement se mobiliser, elles constituent les noyaux tout indiqués d’une éventuelle levée en masse ; c’est une armée extra-légale de réservistes.

L’« Organisation du forestier Escherich » ou « Orgesch, » spécifiquement bavaroise, était analogue, mais avec cette circonstance spéciale qu’après avoir étendu ses ramifications dans toute l’Allemagne, elle débordait hors des frontières, notamment sur le Tyrol et le Vorarlberg dont les Bavarois espèrent et préparent l’annexion ; sa filiale en ces pays est maintenant la « Ligue André Hofer. » [2].

La « Technische Nothilfe » (Aide technique d’urgence) est, de même, censée représenter une sorte de garde civique composée de spécialistes de diverses professions, tous volontaires, prêts à se substituer aux ouvriers en grève. En apparence, son seul but est d’assurer le fonctionnement des services publics et de satisfaire ainsi aux besoins impérieux des populations. Mais sous la direction d’anciens officiers, elle est devenue une institution militariste et monarchiste qui servirait en outre à multiplier les cadres spécialistes de la Reichswehr, si la levée en masse venait à être ordonnée. Certains journaux de droite ont même été jusqu’à réclamer sa convocation périodique, afin de la maintenir en constant état d’entraînement. Naturellement, le Gouvernement, sans parler de certains personnages opulents, lui vient pécuniairement en aide. N’est-il pas juste qu’elle soit rémunérée des services rendus ou à rendre ? Aussi le nombre de ses adhérents va-t-il sans cesse en croissant et ses tendances s’orientent-elles de plus en plus vers la réaction [3].

A côté de ces organisations à caractère nettement militaire, il en existe une foule d’autres qui tendent indirectement au même but : Unions d’anciens combattants, Associations régimentaires, Ligues ou Associations nationales d’officiers, Fédérations de soldats nationalistes, Casque d’acier, etc. Toutes semblent avoir pour unique objet le développement de la solidarité entre leurs membres, mais le Reich n’a pas manqué de tirer parti d’une aussi excellente occasion pour bâtir un système de mobilisation acceptable, à défaut des procédés normaux qu’il ne peut plus employer. Dans chaque régiment de la Reichswehr, une unité : compagnie, escadron, batterie, est officiellement dépositaire de la tradition d’un corps de troupe de l’ancienne armée. L’unité de tradition entretient avec la société régimentaire correspondante des relations étroites qui se traduisent par des réunions communes où, pratiquement, le régiment se trouve reconstitué, hommes et cadres. On y peut même, avec un peu de doigté, passer une revue d’appel, éliminer les soldats trop âgés ou les classer dans des unités territoriales, remplacer les disparus, établir, en résumé, le contrôle nominatif du régiment mobilisé et des formations auxiliaires auxquelles il donnerait naissance en cas de levée générale. Il va sans dire que tout prétexte est bon pour provoquer de ces rassemblements où, si l’on prépare en secret la mobilisation, on ne se gêne nullement pour faire publiquement de la politique nationaliste, exalter les sentiments patriotiques, prêcher la revanche, regretter le régime impérial et en souhaiter la résurrection.

Les ligues d’officiers opèrent un travail analogue. Elles se sont récemment agglomérées en une fédération portant le titre de « Sauvegarde de l’honneur » et se sont efforcées, en mars et avril derniers, de provoquer dans toute l’Allemagne, et notamment à Munich, sous l’égide de Bismarck, d’importantes manifestations monarchistes. Une revue intitulée Armée allemande a été fondée en vue de maintenir vivace le souvenir de la gloire militaire de l’armée et de la marine impériales et de resserrer les liens unissant leurs anciens membres.

Quant à la « Fédération des soldats nationalistes, » au « Casque d’acier » et autres associations du même genre, — car il en existe beaucoup d’autres, — elles sont toujours prêtes, de même que les corps francs qui n’ont disparu qu’officiellement : corps Rosbach et Oberland, brigade Ehrhardt (devenue Organisation Consul, quoiqu’on nie), à fournir de ces détachements plus ou moins importants, mais toujours bien armés que nous avons vus récemment opérer, — avec quelle audace et quelle organisation ! — en Haute-Silésie. Le meurtre même ne les effraie pas.

Or, la Bavière est la terre de prédilection de toutes ces sociétés dont l’action reste toujours plus ou moins occulte. C’est là que se sont réfugiées toutes les personnalités qui, en d’autres Etats, pourraient avoir à craindre les indiscrétions de magistrats trop zélés ; c’est de là qu’elles donnent leurs instructions ; elles y sont sûres de pouvoir se livrer à leurs intrigues, qui ailleurs seraient probablement considérées comme séditieuses. Lorsque le Gouvernement bavarois fut sommé par le Reich, — lequel en était lui-même activement sollicité par la Commission de contrôle interalliée siégeant à Berlin, — de dissoudre les Einwohnerwehren et l’Orgesch, il résista longtemps et, s’il consentit finalement à la dissolution, c’est après avoir trouvé le moyen de laisser ses prétendues victimes subsister sous d’autres noms et avec un caractère moins apparent. Quant au désarmement, il l’effectua à sa manière, c’est-à-dire qu’il profita très habilement de la circonstance pour faire rendre leurs armes aux seuls groupements soupçonnés de pactiser avec la République ; aux autres il laissa le temps et les moyens de tout mettre en lieu sûr, même hors de la frontière bavaroise.

La République, en effet, voilà l’ennemi. Et cela parce que tout Bavarois bien pensant identifie république et bolchévisme dont il a horreur. Contre lui, tout moyen est licite. On a pu entendre au Landtag un orateur du parti populaire désavouer de la manière suivante ses coreligionnaires politiques du Reichstag qui avaient approuvé les lois sur la défense de la République dont nous aurons bientôt à parler : « Les nationalistes qui, depuis la Révolution, ont assassiné des républicains n’ont agi que par idéalisme... et aussi pour maintenir les organisations militaires édifiées pour la défense de la Patrie. »

Le Gouvernement central étant républicain, et même quelque peu socialiste, c’est-à-dire révolutionnaire, donc bolchéviste, les Bavarois, par réaction, exagèrent leurs sentiments monarchistes. Ils ne perdent aucune occasion de manifester en faveur de l’ancienne famille royale. Lorsqu’on présence du Gouvernement, l’Université de Munich fêta son quatrième centenaire, l’assistance, qui se composait en majeure partie d’étudiants et d’officiers, — dont le général commandant la Reichswehr, — réserva une enthousiaste ovation à « son cher kronprinz Ruprecht, » et le ministre de l’Instruction publique en exercice se fit l’apologiste des Wittelsbach. Le jour des funérailles de l’ex-roi Louis III, tous les princes furent l’objet des plus grands égards de la part des ministres et des hauts fonctionnaires, sans parler de la foule des gens énergiques qui demeurent en Bavière pour y conspirer contre la République. Vers le milieu de juin dernier, les paysans du haut pays réclamaient ouvertement le rétablissement de la royauté aux cris de « Vivat Rupertus ! » Le plan était fait ; d’aucuns prétendent même que la date du coup d’État était fixée : 28 juin. Par l’assassinat de Rathenau (24 juin) et la vague d’indignation qu’il souleva dans une grande partie de l’Allemagne, contribuèrent à faire retarder l’échéance. Le 27, à un congrès comprenant les représentants de plus de 500 groupes monarchistes, le conseiller de commerce Zenz fut obligé de faire la démonstration de l’inopportunité de l’heure et, comme on lui faisait remarquer que les paysans pourraient bien ne plus être retenus, il dit : « Faites-les patienter, ce n’est que partie remise. » Le 28 juillet, quand les quelques socialistes du Landtag réclamèrent l’expulsion des membres de l’ancienne famille régnante, le rapporteur fit rejeter la proposition en prouvant surabondamment que les Wittelsbach avaient droit à la reconnaissance du peuple bavarois et que nulle loi, fùt-elle d’Empire, n’étoufferait ce sentiment dans les cœurs.

A la fête du 15e régiment d’infanterie , à Neuburg, Ruprecht fut salué par l’ancien colonel du titre d’Altesse royale, la Reichswehr lui rendit les honneurs et défila devant lui, le peuple lui fit des ovations sans nombre et les divers orateurs renouvelèrent entre ses mains le serment de fidélité aux Wittelsbach ainsi qu’à l’étendard noir, blanc et rouge de l’Empire [4].

Le Reich, depuis quelques mois, a interdit ces sortes de manifestations ; la Bavière ne songe pas à imiter son exemple.


Donc, en Bavière, le bolchévisme s’identifie avec la république qui, à son tour, est personnifiée par le Gouvernement de Berlin ; ceci suffirait, sans même tenir compte de tendances particularistes datant de loin, pour que la Bavière prit ombrage de toute injonction venant de la capitale du Reich. L’histoire récente des lois pour la défense de la République en est une bien frappante illustration.

Après Kurt Eisner, Gareis, Karl Liebknecht, Rosa Luxemburg, Erzberger, — Maximilien Harden et Scheidemann ne doivent qu’au hasard de ne pas faire partie de cette énumération, — Rathenau vient de payer de sa vie le tort d’être ou de paraître républicain. L’ombre de gouvernement qui siège à Berlin n’a encore pris aucune des mesures qu’il avait déclarées indispensables, après l’assassinat d’Erzberger, pour protéger le nouveau régime et ses fidèles. Cette fois, l’opinion publique s’émeut et l’appareil gouvernemental ose se mettre en mouvement. Le président Ebert prend des ordonnances qui, soumises par le chancelier Wirth au Reichsrath et au Reichstag, se proposent de conjurer les dangers dont la République est menacée. « Le péril est à droite, » dit, à la tribune, le chancelier. En effet, deux lois sont présentées. La première, dite « de Défense de la République » et qui peut avoir effet rétroactif, punit les crimes et les délits commis contre les institutions légales et leurs représentants. Criminels et délinquants seront désormais jugés par un tribunal spécial, sorte de haute cour de justice composée de magistrats et de personnages choisis par le Président de la République. Les Etats, comme le Reich, sont autorisés à dissoudre toute association et à interdire toute manifestation ou publication de nature soit à troubler l’ordre public, soit à nuire au régime établi ; les membres des anciennes familles régnantes peuvent être l’objet d’arrêtés d’expulsion, s’ils participent à des actes anti-gouvernementaux. La seconde loi, qui n’est qu’une conséquence de la première, institue au ministère de l’Intérieur à Berlin un « Office central de police criminelle, » dont les pouvoirs de recherche s’étendent à l’ensemble du territoire allemand.

Tous les Etats adhèrent, sauf un : la Bavière. Dès avant le vote, son ministre à Berlin, M. von Præger, a protesté brutalement contre les empiétements du Gouvernement central sur la souveraineté de son pays. Il a déclaré que « la Bavière était lasse du Reich, » — lire République, — parce qu’après s’être vu ravir ses droits souverains en fait de législation, d’armée et de finances, elle constatait maintenant qu’on s’attaquait à sa justice et à sa police. Or, elle n’admettra jamais que ses ressortissants soient jugés par un tribunal non bavarois ; jamais elle ne tolérera que des agents de police viennent instrumenter sur son sol au nom d’une autorité extérieure. Les Dernières nouvelles de Munich, journal relativement indépendant, déclarent que le calme ne renaîtra en Bavière que quand les lois seront retirées. Les populistes, en effet, se sont fortement émus ; ils sont partis en guerre, non contre l’unité allemande, — von Præger dit lui-même que ses compatriotes sont fidèles au Reich jusqu’à la moelle des os, — mais contre le Gouvernement républicain, coupable d’attentat contre les libertés bavaroises.

Lerchenfeld, influencé par le bruit qu’ils font, adresse à von Præger des félicitations pour son attitude, mais n’en est pas moins embarrassé, car si les monarchistes, à qui ce geste doit plaire, l’assaillent de sommations à la résistance, la fraction modérée de la droite et les quelques démocrates du Landtag penchent vers un compromis, tandis que socialistes et communistes, trop peu nombreux pour imposer leur volonté par des moyens légaux, parlent de grève générale. Dans cette alternative, il fait télégraphiquement rentrer dans leurs garnisons toutes les troupes de la Reichswehr qui sont en train de s’exercer dans les camps et se met ainsi en mesure de réprimer les troubles, de quelque côté qu’ils naissent.

Cependant, la force du parti réactionnaire est telle que le Gouvernement bavarois ne veut, ni ne peut lui résister. A la majorité des voix, il décide de faire paraître une ordonnance spéciale acceptant les lois de défense de la République, mais sous réserve que l’exécution en sera exclusivement confiée au ministère public et aux tribunaux bavarois ; de même, la police criminelle d’Empire ne pourra pas exercer de mandats en Bavière.

Lerchenfeld, qui ne fut peut-être pas personnellement très chaud partisan de cette décision destructrice de l’œuvre du Gouvernement central, en tente cependant la justification. Il dit : « Le tribunal d’Empire, tel qu’on le prépare, ne sera composé ni de juges de profession, ni d’échevins, ni de jurés, mais au contraire de personnages non indifférents aux questions politiques ; le peuple bavarois en grande majorité voit dans ces dispositions une violation des droits fondamentaux du citoyen et des principes d’une vraie démocratie(î) Aussi manifeste-t-il une émotion considérable et menace-t-il de troubler l’ordre. Or, l’article 49 de la constitution de Weimar autorise les États à prendre d’eux-mêmes des mesures lorsqu’il y a péril en la demeure. C’est incontestablement le cas pour la Bavière ; donc l’ordonnance bavaroise est légale. » Lerchenfeld ne manque pas non plus de s’élever contre la rétroactivité dont le principe vient d’être inscrit dans la loi, « ce qui est en opposition avec les règles du droit. » Il manque d’autant moins d’élever cette protestation qu’il sait quelle émotion produit parmi ses administrés la perspective de poursuites possibles contre les auteurs de la série de crimes et d’attentats commis depuis deux ans avec la connivence de la police, de l’armée et du Gouvernement bavarois. Il n’ignore pas que les assassins de Gareis et d’Erzberger vivent en paix sous sa propre protection et que celui de Kurt Eisner jouit, en fait, non seulement d’une complète liberté, mais d’une grande popularité. Et puis il faut bien aussi que le procès, pour la forme, qui vient d’être intenté à l’Organisation Consul, ce repaire de can brioleurs et d’assassins, n’échappe pas aux juges bavarois qui, gagnés à la réaction, sont seuls assez experts pour régler, à la satisfaction de l’opinion publique, les affaires politiques de ce genre. À aucun prix, le Reich ne doit avoir droit de regard, et encore moins de direction, dans ces sortes de débats.

L’apparition de l’ordonnance bavaroise, annoncée à Berlin par von Præger, y jette un profond émoi. Tout d’abord, on y parle de l’envoi à Munich d’un commissaire extraordinaire muni de pleins pouvoirs ; on y envisage même l’idée (l’une exécution militaire de la Bavière ; tout cela est en effet constitutionnel. Mais on se rend bientôt compte que nulle mobilisation n’est possible contre un État aussi puissant ; d’ailleurs, la Reichswehr consentirait-elle à servir d’instrument de contrainte ? Quant à l’emploi que préconisent les socialistes du grand remède déjà utilisé contre von Kapp, la grève générale, que signifierait-il dans un pays où la grande majorité de la population est précisément organisée pour lui faire échec ? On réfléchit donc.

De son côté, Lerchenfeld en fait autant, car la Bavière du Nord, — la seule qui comprenne quelques centres industriels importants, — lui fait savoir, par la voie de 21 municipalités, qu’elle n’admettra pas la mise en question de son attachement à l’Empire. Nuremberg, en particulier, affirme sa fidélité au Reich et proteste contre l’inobservation par Munich de lois conformes à la Constitution. Le chef du parti populiste, lui-même influencé, déclare au Landtag qu’à Berlin, en réfléchissant calmement, on doit pouvoir trouver une formule qui respecte les droits des Etats particuliers, tout en accordant au Reich ce qui lui/est dû. C’est un évident appel au compromis, à la condition toutefois que le Reich commence par en faire les frais.

A Berlin, si l’on déclare l’ordonnance « inconstitutionnelle et non valable, » on n’en note pas moins avec satisfaction que le gouvernement bavarois n’a pas mis en cause la formule républicaine de l’Etat, et l’on exprime l’espoir qu’il ne se dérobera pas davantage aux exigences que, dans l’intérêt de l’unité allemande, le Gouvernement du Reich se verra dans l’obligation de formuler. En attendant, la parole est passée au président Ébert.

C’est un homme prudent qui sait fort bien à quelles extrémités monarchistes il acculerait la Bavière, s’il se montrait par trop intransigeant et usait de tous les droits à lui conférés par la Constitution. D’accord avec son chancelier et avec le président du Reichstag, il adresse à Lerchenfeld une lettre bien douce pour lui conseiller de retirer son ordonnance, moyennant quoi des concessions lui seront faites.

Lerchenfeld ne peut rien décider sans l’assentiment de ses chefs de partis ; il met plusieurs jours à répondre et, lorsqu’il le fait, en restant d’ailleurs sur ses premières positions parce qu’on ne lui permet pas d’autre attitude, il prend soin de laisser la porte ouverte à de nouveaux pourparlers : « son ordonnance n’est pas contraire à la Constitution ; c’est lui qui est responsable de l’ordre en Bavière ; la surexcitation y est grande et, si tout accord était réellement impossible, il ne prendrait pas la responsabilité des graves événements qui se produiraient infailliblement ; or, il veut bien s’entendre, mais a la condition que Les Etats confédérés aient leurs droits souverains sauvegardés dans le présent et qu’on ne les supprime ou ne les modifie désormais qu’avec leur préalable assentiment. »

Appelé à Berlin pour conférer avec Ébert et Wirth, il emmène son ministre de l’Intérieur et son ministre de la Justice. Il a l’intention de demander que la Bavière reste maîtresse de sa justice et de sa police, ce qu’il espère assez facilement obtenir, mais il voudrait aussi que la Constitution fût amendée dans un sens fédéraliste, c’est-à-dire que 14 voix suffisent dorénavant au Reichsrath — la part de la Bavière est déjà de 10 — pour faire repousser toute modification à la Constitution.

Sur le premier point, l’entente se fait et tout semble réglé, car la seconde prétention est évidemment insoutenable, tant une Bavière de 7 millions d’habitants seulement prendrait d’importance dans un Reich qui en compte plus de 60 [5]. Rien au contraire n’est fini, parce que Lerchenfeld n’a pas de pleins pouvoirs ; il doit retourner à Munich pour consulter et son Gouvernement et ses chefs de partis.

Or, s’il est approuvé par le premier [6], les autres ne sont pas satisfaits. Ils refusent de le suivre et se livrent à une active propagande auprès des paysans pour leur prouver que l’adoption du texte de Berlin, même amendé, serait le signal de l’expulsion des Wittelsbach. Les manifestations se multiplient ; on parle de plébiscite ; des placards injurieux pour le Reich sont affichés et répandus dans la foule, distribués dans le Parlement ; des manifestants qui soupçonnent le Landtag de vouloir sanctionner l’accord de Berlin, envahissent l’assemblée aux cris de « démission ; » repoussés par la police, ils se ruent, — drapeaux et musiques en tête, — vers la légation de France où, cette fois sans obstacles, ils peuvent proférer injures et menaces contre notre pays. Les nationalistes reprochent amèrement à Lerchenfeld son voyage à Berlin ; ils l’accusent de capitulation, l’invitent à céder la place à un Gouvernement plus énergique, — présidé par von Kahr sans doute, — qui saura soutenir, selon les principes de Bismarck, les droits des Etats confédérés contre la tendance du Reich à l’absorption. Von Kahr triomphe en effet ; il prend la direction de la résistance ; il détourne la question et va partout discourant contre la France, « cette ennemie héréditaire qui demeure armée jusqu’aux dents, pour mieux réduire l’Allemagne à l’esclavage ; » il rappelle comment, en 1807, la Prusse sut préparer la régénération du peuple allemand ; aujourd’hui, c’est lui, von Kahr, qui, combattant les lois du Reich, lutte pour les libertés du peuple !

Le Landtag apeuré, — tous les chefs des groupes réactionnaires de province se sont réunis à Munich, — repousse le compromis de Berlin ; tout est à recommencer. Le Vorwaerts a bien raison d’écrire qu’il existe en Bavière deux Gouvernements : l’un officiel qui n’est rien moins que solide et l’autre, pas officiel du tout, qui organise la réaction contre la République en attendant qu’il s’empare du pouvoir.

De nouveau les ministres de l’Intérieur et de la Justice sont dépêchés à Berlin. Lerchenfeld, instruit par l’expérience, se tient cette fois sur une réserve absolue et ne les accompagne pas. En revanche, il use de sa propre ordonnance pour réclamer du Gouvernement central l’interdiction en Bavière du journal communiste berlinois le Drapeau rouge qui a pronostiqué la continuation de la « haute-trahison » de la Bavière, et il suspend de son propre chef le Moniteur de Miesbach, — feuille bavaroise, — qui s’est permis d’inviter ses lecteurs à marquer leur mécontentement du soudain revirement du Gouvernement bavarois dans son conflit avec le Reich.

A Berlin, les deux ministres annoncent que Munich n’approuve pas sans réserves le précédent compromis et demandent qu’il soit procédé à un nouvel examen des points litigieux. En fait, ils ne réclament que des éclaircissements destinés à donner quelques apaisements aux irréductibles, — du moins ils le croient, — et ils les obtiennent sans beaucoup de peine. Le chancelier est trop heureux de prendre l’engagement de respecter désormais les droits des États en général et de la Bavière en particulier. Finalement, l’accord se fait.

Mais, pour les monarchistes, à quoi servirait l’accord ? A ramener le calme, donc à consolider la République et, par suite, à compromettre le retour de la monarchie ; ce n’est pas ce qu’ils veulent. Un des leurs, député, avait déjà dit : « Le parti populaire bavarois a pour tâche actuelle d’examiner de quelle façon et par quels moyens il doit lutter contre la dictature berlinoise ainsi que, » — la différence est pour lui inexistante, — « contre la dictature du prolétariat. » L’opposition monarchiste ne désarme donc pas, et nous pouvons être assurés qu’elle ne désarmera pas. Elle entend arriver à ses fins ; rien ne l’arrêtera. La guerre est déclarée par les réactionnaires bavarois au régime républicain [7].

Si l’on en veut d’autres preuves, point n’est besoin de les aller chercher bien loin. Lorsque le baron Léoprechting qui avant d’habiter Munich, avait pris une plus ou moins grande part au coup d’Etat de von Kapp, fut convaincu d’avoir servi d’informateur au ministre du Reich en Bavière, — le comte Zech, — on le condamna pour haute trahison. Interpellé à ce propos par les socialistes, Lerchenfeld déclara qu’il avait déjà fait des représentations à Berlin et qu’en tout cas il considérait la présence du comte Zech à Munich comme désormais inutile Il ajouta qu’il espérait bien voirie Reich ne plus solliciter de ses agents des rapports secrets sur la Bavière, « de tels procédés ne se pouvant admettre que vis-à-vis d’un Etat étranger. » Zech, après une courte absence, est rentré à son poste, mais tout porte à penser qu’il n’y vieillira pas.

La comparaison entre les visites que firent à Munich, à quelques semaines d’intervalle, le président Ebert et le maréchal Hindenburg, offre aussi un bien instructif contraste. Sans doute, lorsque vint le Président, les personnages officiels ne se montrèrent pas discourtois et le sujet de leurs discours était tout indiqué : union des Etats et du Reich. Mais l’attitude de la population fut bien différente. La nouvelle de la visite déchaîna les nationalistes ; l’un d’eux, dans une réunion publique à Wurzbourg, couvrit le Président d’injures ; ceux de Munich votèrent une motion sommant le Gouvernement de faire le nécessaire pour que le voyage n’eût pas lieu, « attendu qu’Ebert personnifie la révolution, qu’il ne peut être considéré comme un président légal et que son arrivée apparaîtrait à la population bavaroise comme une provocation monstrueuse. » En guise de bienvenue, le Président put lire dans les journaux une lettre ouverte, à lui adressée, où toutes les associations patriotiques protestaient contre la Constitution « de fortune » de Weimar et le système politique qu’elle a inauguré. Quand il débarqua, sociétés nationalistes et ligues d’officiers s’en furent, en signe de protestation, déposer une couronne, enrubannée aux anciennes couleurs impériales, sur la tombe du roi Louis III, tandis que la foule s’efforçait de brûler le drapeau de la République que les autorités s’étaient difficilement résolues à faire hisser sur un bâtiment ministériel. Pour amener le cortège de la gare au domicile du comte Lerchenfeld, on dut procéder à de nombreuses arrestations et, sur le parcours, on entendit plus de sifflets que l’on ne vit se soulever de chapeaux.

Hindenburg s’annonce, et tout change. Les partis monarchistes mobilisent tous leurs adhérents pour lui faire une entrée triomphale. Les murs sont littéralement couverts d’affiches invitant les habitants à pavoiser aux couleurs bavaroises [8] et impériales : de leur côté, les ligues militaires ont convoqué le ban et l’arrière-ban de leurs membres, car elles veulent présenter au maréchal, lors de la parade qui doit avoir lieu au Jardin royal, tout ce que la Bavière compte d’officiers ayant servi dans l’armée et la marine. La question est posée de savoir si la Reichswehr participera officiellement à la réception ; le ministre central de la Guerre refuse, mais l’indignation des monarchistes est telle que Lerchenfeld est obligé de demander le retrait de cette décision ; le ministre capitule : sans doute la Reichswehr n’ira pas au Jardin royal où doivent se tenir toutes les associations dont un certain nombre sont d’ailleurs interdites, mais Hindenburg la pourra passer en revue sur un autre emplacement !

A la gare, le maréchal est reçu par von Kahr, son hôte, et par Ludendorff ; il en sort au milieu des acclamations frénétiques d’une foule immense. Le lendemain, il se rend d’abord chez les étudiants qu’il exhorte à conserver, « par le moyen de l’instruction militaire, le sentiment de la grandeur et de l’unité allemandes, grâce à quoi la patrie sortira un jour de sa misère et de sa honte présentes. » Il fait visite, non seulement aux autorités, mais encore aux princes Ruprecht et Léopold ; il dépose une couronne sur le tombeau du roi Louis III. Près de la porte de la Victoire, le général von Moehl, commandant de la Reichswehr, lui présente ses troupes dont il fait les dépositaires des traditions militaires d’autrefois et, « si certains Allemands n’étaient pas assez fiers pour se souvenir de leur glorieux passé, la Reichswehr se chargerait de le leur rappeler. » A cette allocution, Hindenburg répond qu’avec l’aide de Dieu, l’Allemagne reprendra bientôt sa place en Europe, à la condition qu’elle observe ses anciens principes de fidélité. Il salue la Reichswehr, aujourd’hui gardienne de l’esprit de l’ancienne armée qui, sous son inspiration, vola de victoire en victoire.

Ceci fait, sous des ovations indescriptibles, le maréchal se rend au Jardin royal où sont rassemblées, avec bien d’autres, toutes les associations d’officiers et d’anciens combattants. Beaucoup de ces hommes ont revêtu l’uniforme, contrairement d’ailleurs aux prescriptions de Berlin ; tous sont rangés autour d’étendards noir, blanc et rouge.

Au musée de l’Armée, l’apparat militaire revêt la forme des cérémonies d’avant 1914. Des généraux, — dont Ludendorff, — tous les ministres, y compris leur président, tous les princes sont présents. En accueillant le maréchal, le général bavarois comte Bothmer, parlant au nom de l’armée « royale » bavaroise, déclare « qu’un jour viendra où, dans un cliquetis d’armes et un fracas de tonnerre, un immense appel préludera à la restauration de l’Allemagne ; » ce jour-là « les Bavarois n’oublieront pas leur vieille devise, In treue fest [9] ; ils seront prêts à mourir pour l’Empereur et le Reich, pour le Roi et la Bavière. » Ses vœux ne vont pas seulement au glorieux chef des armées, mais « au fidèle nautonier qui tint ferme la barre du commandement jusqu’au jour où la trahison terrassa l’armée allemande jusqu’alors invaincue. » De son voyage, « Hindenburg emportera la certitude que la Bavière est encore aussi fidèle a l’Empire allemand qu’elle le fut à l’heure où elle partit pour la guerre sacrée. » Ruprecht prend à son tour la parole, et il le fait non point à titre d’ancien commandant de groupe d’armées sur le front français, mais « comme chef suprême de l’armée bavaroise. » Dans sa réponse, Hindenburg emploie vis-à-vis des princes toutes les formules de l’ancien régime. Il entend consacrer au service de la patrie jusqu’au dernier jour de sa vie ; il presse chacun de faire son devoir, afin que reviennent des jours meilleurs dont il annonce d’ailleurs le retour. Pour finir, il lance trois « Hoch » en l’honneur de l’armée bavaroise, laquelle, — personne vraiment ne s’en douterait, — a officiellement cessé d’exister en même temps que la monarchie.

La ville, qui est somptueusement pavoisée de drapeaux bavarois et impériaux, n’étale pas une seule bannière républicaine. Le ministère de la Guerre lui-même, tout couvert de blanc et de bleu, n’a pas osé se soustraire à la règle !

Hindenburg est parti pour la Haute-Bavière, mais on peut être sûr que, si cela ne dépend que des monarchistes, il reposera par Munich. L’essai qu’ils ont fait de lui comme instrument de propagande a tellement réussi qu’ils ne voudront pas perdre l’occasion de recommencer.

Telles furent les réceptions réservées par Munich au président Ebert et au maréchal Hindenburg ; l’une fut manifestement antirépublicaine et l’autre notoirement monarchiste.


Naturellement, la haine qu’on porte en Bavière à tout ce qui rappelle la Révolution entraine d’autres conséquences. Si la Révolution a fait la République, celle-ci a signé le « honteux » traité de Versailles. Monarchistes et nationalistes ont donc le devoir de combattre, avec la République, le traité qu’elle s’efforce, soi-disant, d’appliquer et dont elle perpétue la honte ; ils haïssent non moins évidemment la France qui en réclame l’exécution.

La liste serait longue de leurs manifestations, et fastidieuse l’énumération des discours qu’ils y prononcent. Pour la bonne compréhension de la Bavière d’aujourd’hui, il en faut cependant savoir quelque chose. Voici quelques exemples, pour la seule ville de Munich et pour la courte période d’un mois de l’été 1922.

Fin mai, dans une conférence faite à une section du parti populaire, von Kahr dit que tous les efforts de l’Allemagne doivent tendre vers le rétablissement de son armée, malgré le traité de Versailles, car « une grande Puissance ne peut se passer de la force et du courage d’en user. » Il joint à cette déclaration une profession de foi monarchiste.

Le 1er juin, un congrès du parti du Centre décide, lui aussi, de reprendre vigoureusement la lutte contre « l’infâme traité de Versailles.

Le 9 juin, le cirque Krone déborde d’une foule considérable qu’une savante publicité est parvenue à réunir pour entendre parler du mensonge des responsabilités de la guerre. La même question est reprise le 28 et une page ne contiendrait pas la liste des sociétés signataires de l’affiche de convocation.

Le 13 juin, la « Ligue pour la protection des populations de race allemande » procède à la bénédiction d’un nouvel étendard. A cette occasion, elle déploie le drapeau impérial, chante la « Garde au Rhin » et fait un accueil enthousiaste à un descendant de Bismarck qui exalte l’esprit de lutte comme étant seul capable de sauver l’Allemagne de la ruine.

Le lendemain 14, c’est la ligue « Oberland, » — aussi dangereuse que l’organisation Consul, parce qu’elle poursuit des fins et fait usage de moyens analogues, — qui donne une grande fête. Un Germano-Américain qui a gratifié de 15 millions de marks les soldats atteints de maladies nerveuses, dit « qu’à l’exemple de milliers et de milliers de ses compatriotes, il est convaincu que l’Allemagne n’est pas responsable de la guerre, que les 14 propositions de Wilson n’ont jamais correspondu à la mentalité américaine, que le monde entier considère les Allemands comme les véritables vainqueurs de la guerre, » et il conclut : « Comptez sur vous, l’avenir vous appartient. » On l’applaudit frénétiquement et on le porte en triomphe.

Ce même jour, « l’Association contre la honte noire » tient ses assises au cirque Krone devant plusieurs centaines de personnes. L’orateur, un conseiller d’Etat, refait le discours qu’il a prononcé huit jours auparavant à Lindau. La violence de son langage et aussi sa crudité sont inconcevables. Il commence par faire le procès de l’impérialisme et du militarisme français qui, depuis des siècles, « font le malheur de l’Europe. » Richelieu, Louis XIV, Turenne, Napoléon, Poincaré-la-Guerre, tout y passe. Il dénonce, chemin faisant, le « vol » de la Silésie, puis, abordant le sujet même de sa conférence, il brosse un terrifiant tableau des méfaits commis par les troupes dites « noires » en pays rhénans ; s’aident de statistiques soi-disant officielles, il énumère complaisamment les vols, les viols, les meurtres qui leur sont imputés ; il étale les dangers que font courir à la population les tares physiologiques et les maladies endémiques des troupes exotiques ; il insiste sur l’ignominie de l’administration française qui jette à la rue d’honorables et paisibles familles allemandes, pour installer à leur place des maisons publiques dont, suprême impudeur, elle met l’entretien à la charge du Gouvernement allemand.

Le thème est bien connu, mais la fréquence de son usage, nos démentis, les publications d’enquêtes menées par des alliés ou même des neutres, l’absence de troupes réellement noires sur le Rhin, rien n’en affaiblit l’action sur les auditoires allemands. Ce jour-là chaque période du discours est scandée par des applaudissements, des cris de haine, des vociférations et des injures contre la France. L’orateur excite lui-même son public par de grossières saillies et finit par déclarer que les frères allemands de Rhénanie ne peuvent pas plus longtemps demeurer dans la souffrance, et qu’il faut immédiatement voler à leur secours. Le président, qui sait cependant bien que la réunion n’a été autorisée que sous la réserve de garder la forme d’une manifestation en faveur de l’hygiène publique (?), renchérit sur l’orateur, propose « au nom de la race blanche et de la civilisation » et fait adopter une motion de flétrissure contre la France. A la sortie, on chante la « Garde au Rhin, » « l’Allemagne au-dessus de tout, » et l’on part en cortège, manifester devant les hôtels habités par les membres de la commission de contrôle interalliée. La police locale arrive, mais reste inerte ; pour une circonstance aussi peu intéressante, ses officiers n’ont pas daigné l’accompagner. Certains agents encouragent même les manifestants : « N’hésitez pas à frapper fort ! Sortez cette engeance ! Nous ne ferons rien contre vous ! » La police d’État finit par intervenir, car le cas pourrait s’aggraver et le Gouvernement encourir des responsabilités. Nul doute que sans cette circonspection, la bande des énergumènes du cirque Krone ne se serait livrée aux pires extrémités contre les représentants alliés.

Au cours du mois de juin, d’autres cas analogues se produisent, toujours en Bavière, mais, hors de Munich. Du 23 au 27, à Nuremberg, à l’occasion d’une exposition de machines agricoles, une série de fêtes se déroulent. Là, en temps normal, les partis de gauche dominent ceux de droite, mais les organisateurs ont pris soin de faciliter le voyage à une foule de paysans qui, eux, ne sont rien moins que républicains ; aussi l’exposition dégénère-t-elle en manifestation nationaliste et monarchiste. Un concours hippique présidé par le général Liman von Sanders, le même qui fut en Turquie avant et pendant la guerre, détermine une explosion d’enthousiasme en faveur de l’armée. Une collecte au profit de l’aviation et des exhibitions de propagande correspondantes fournit une excellente raison de protester contre les traités et leurs auteurs. Un cortège de paysans revêtus de costumes régionaux est une occasion, trop favorable pour qu’on la néglige, de faire défiler des Hauts-Silésiens, des Schleswickois, des Alsaciens et même des Tyroliens ; leur passage provoque de bruyantes ovations. Le ministre de l’Agriculture passe inaperçu dans le temps que Ludendorff et le grand-duc de Mecklemburg sont reçus en triomphateurs. Le drapeau républicain est arraché à la caserne de police et à la gare ; partout on chante « l’Allemagne au-dessus de tout » et on moleste ceux qui, par hasard, ne se découvrent pas. Il faut qu’arrive la nouvelle de l’assassinat de Rathenau pour que les partisans de la République, indignés, osent se livrer à quelques contre-manifestations.

On se tromperait d’ailleurs en pensant qu’en Bavière, les partis de gauche professent moins de haine que ceux de droite pour le traité de Versailles et pour la France. Tout dernièrement, un député qui porte cependant l’étiquette « démocrate, » réclamait, à l’occasion de la discussion du budget de l’Instruction publique, la suppression de l’enseignement obligatoire du français et son remplacement par l’anglais ; la commission du Landtag l’approuva unanimement. Les républicains purs, ou supposés tels, ne font eux-mêmes à la France aucun crédit ; au cours d’une réunion de protestation contre l’assassinat de Rathenau, un ancien ministre socialiste dénonçait notre pays comme le foyer de la réaction, le complice de l’Angleterre et de l’Amérique en vue d’une restauration monarchique. Le chef des socialistes-nationaux de Munich ne s’est pas montré moins violent : « Nous ne reconnaîtrons jamais le traité de Versailles ; il doit être déchiré et jeté aux pieds de nos adversaires. »

Et tout cela se passe dans le temps même où les fêtes régimentaires succèdent à d’autres fêtes régimentaires. En l’espace de quelques jours seulement : fête des anciens gardes du corps ; assemblée générale de soixante-neuf sociétés d’officiers qui votent leur rapprochement, par régiment, avec les associations de sous-officiers et de soldats ; fête commémorative des troupes de communications ; grande manifestation en l’honneur de la marine. Dans toutes ces occasions, le traité de Versailles est copieusement honni et la République ouvertement bafouée !

Ce n’est pas tout. Les anciens du 1er régiment d’infanterie défilent au pas de parade devant les princes Ruprecht et Alphonse ; ils applaudissent à tout rompre d’ex-généraux qui célèbrent leur participation à la guerre, vantent leur fidélité à la monarchie et insistent sur l’impérieuse nécessité de restaurer l’ancienne armée allemande. Les soldats de l’ancien 20e régiment d’infanterie se réunissent pour faire honneur au prince François, lequel compte à leur association et protège la ligue des officiers ; ils s’entendent prédire par un colonel de naguère qu’ils seront encore dans l’avenir « un sujet d’effroi pour l’ennemi. »

Telle est la Bavière d’aujourd’hui. Si incomplet qu’il soit, le tableau suffit cependant pour donner une idée de l’atmosphère qu’on respire à Munich et pour faire présumer des opinions comme des occupations de ceux qui, libres de leur choix, viennent là faire une cure et chercher l’air le plus favorable à leur santé politique.


II. — LUDENDORFF ET LA RÉPUBLIQUE

Ludendorff est un de ceux qui profitent de la villégiature munichoise. Que fait-il à Munich ? A l’en croire : la guerre au bolchévisme, rien de plus. La guerre au bolchévisme est en effet le leit-motiv de toutes les déclarations qu’il fait aux journalistes étrangers. A son sens, le bolchévisme, s’il n’est vaincu, submergera l’Europe. Or, il ne sera vaincu et la Russie ne sera restaurée, — la résurrection de cette Puissance, intimement liée à la disparition de ses maîtres actuels, commande l’équilibre économique de notre continent, — que si les grandes nations, et notamment l’Angleterre, la France et l’Allemagne, se liguent contre leur commun adversaire. Seulement, cette entente, Ludendorff ne la considère comme possible qu’après toute concession faite par un seul camp, — le nôtre naturellement, — c’est-à-dire après révision en faveur de l’Allemagne du traité de Versailles.

Pour donner plus de poids à son opinion, il ne se borne pas aux paroles, mais passe aux actes ; il opère lui-même en Allemagne et confie à son ancien subordonné, le colonel Bauer, établi à Vienne, le soin de travailler en Europe centrale ; seulement, quand il parle aux Allemands, ses discours, — comme on va le voir, — ne restent pas empreints de la même discrétion que ses confidences à nos journalistes.

Les exemples de l’activité de Ludendorff sont innombrables ; comme il faut se borner, nous ne relaterons ici que les plus caractéristiques ou les moins connus, mais le lecteur ne devra pas oublier que Ludendorff donne de sa personne dans la plupart des manifestations munichoises.

En février 1921, la société « Maréchal Schlieffen » composée d’officiers ayant servi sous les ordres de ce célèbre général, fusionne avec l’ « Association des anciens officiers d’état-major. » Ludendorff préside. Il invite ses auditeurs à poursuivre leurs études militaires en vue du règlement de comptes qui, tôt ou tard, aura lieu avec la France, « ce mauvais génie de l’Europe, cet ennemi héréditaire de l’Allemagne. »

En mai s’organise à Munich une « Journée des aviateurs allemands. » Il s’agit d’honorer la mémoire de ceux qui sont tombés pendant la guerre. Hindenburg et Ludendorff sont présidents d’honneur du comité. Le Journal du soir de Munich, célébrant les fastes de l’aviation, fait précéder son article d’une lettre autographe de Ludendorff : « Le corps de l’aviation allemande a remporté, durant la guerre, de brillantes victoires ; partout il a récolté gloire et honneur ; il a mérité les éloges de son chef suprême, » — l’Empereur, — « ce qui l’engage envers lui pour toujours. Que les anciens aviateurs, et aussi leurs camarades des autres armes, servent la patrie, dans sa détresse actuelle, avec le même courage, la même fidélité et la même énergie que pendant la guerre. » Il réclame, — et il donne l’exemple, — « des actes et non des paroles. » En présence des princes, car ils sont de toutes ces réunions, et, fait plus étrange, devant tous les ministres en exercice, un ancien aviateur dit : « Dans la misère commune, nous devons tous redevenir des camarades... Il nous faut être nationalistes jusqu’à la moelle... Ayons confiance dans notre propre force ; n’oublions pas qu’il existe encore dix millions d’Allemands sur les douze qui ont, pendant quatre ans, résisté victorieusement à L’ennemi ; il n’y a donc pas lieu de désespérer... Plus d’adversaires de droite ou de gauche ; l’adversaire est sur le Rhin. Tout ce qui est allemand doit rester allemand, tout ce qui était allemand, toutes les régions de langue allemande doivent redevenir allemandes. Nous sommes aujourd’hui les esclaves de l’étranger : libérons-nous. » Les autres discours sont à l’avenant et soulèvent, cela va sans dire, d’enthousiastes acclamations.

En juillet 1921, alors que certains milieux réclament à grands cris l’annexion du Tyrol à la Bavière et préconisent un raid à la manière de d’Annunzio à Fiume ou de Zeligowski à Wilna, Ludendorff fait le voyage d’Innspruck pour déconseiller l’entreprise, mais seulement parce que le moment n’est pas favorable et qu’il vaut mieux attendre le règlement de la question de Haute-Silésie.

Du 10 au 13 août 1921, il assiste à la réunion générale et secrète des organisations militaristes. Il accepte le titre et les fonctions de chef suprême qui lui sont offerts, non sans faire remarquer combien il est surveillé par les espions de l’Entente et du gouvernement de Berlin. Cela ne l’empêche ni d’accuser le chancelier de lâcheté, ni d’exhorter les chefs des organisations à conserver leurs commandements effectifs jusqu’à nouvel ordre, c’est-à-dire jusqu’au moment où, sortant de l’ombre, il jugera l’heure venue de faire sentir publiquement son action.

En septembre, il retourne à Innspruck où il prend part à une nouvelle réunion des principaux conspirateurs monarchistes de Bavière et des régions limitrophes. Il y parle dos sociétés régimentaires de l’Allemagne du Nord qui se sont substituées à l’Orgesch officiellement disparue ; il assure que, sous sa direction supérieure, le « Casque d’acier » et « l’Ordre des jeunes Allemands » donnent l’impulsion à l’ensemble ; il prêche l’abstention dans les luttes politiques intérieures, mais indique le but à poursuivre, à savoir l’épanouissement grandissant d’un immense mouvement nationaliste qui finira par imposer à la France la révision du traité de Versailles.

Après une longue tournée en Allemagne du Nord auprès des sociétés dont il est devenu grand maitre, il revient à Munich où il préside une réunion d’officiers et de chefs d’associations occultes. Il y note avec satisfaction l’accroissement des effectifs des groupements analogues de l’Allemagne du Nord et les régularités des réunions, ce qui ne peut que contribuer à la force du mouvement. Il assure que quatre millions de citoyens en font partie et que, si les sections fonctionnent comme elles le doivent, il pourra toujours envoyer quelques centaines d’hommes là où besoin sera. Le malheur est que ces hommes sont à peu près exclusivement équipés et armés en fantassins ; artillerie et aviation leur font défaut et plusieurs années d’un dur labeur seront nécessaires pour mettre sur pied une armée capable de résister à l’ennemi.

Le 8 avril 1922, Ludendorff célèbre son 58e anniversaire. Il remercie la foule de ses partisans qui lui apportent leurs félicitations et fait appel à l’union du peuple allemand en vue de la revanche ; à défaut du mot, le sens y est.

En mai de la même année, il se multiplie. Il est le 11 à Berlin à une séance du Comité de la « Ligue des soldats nationalistes » dont il est président d’honneur [10]. Il y prononce l’allocution suivante : « Tous les efforts de l’association doivent tendre vers ce but suprême : la résurrection de l’Allemagne libre. Nous voulons l’épuration à l’extérieur comme à l’intérieur ; tout ce qui n’est pas proprement allemand doit disparaître... Nous traversons en ce moment une grave période de difficultés intérieures ; seule une monarchie, parce qu’elle est forte, parce qu’elle domine tous les partis, est capable de ramener l’union entre nous et d’écarter les sujets de discorde entre États ; seule elle nous offre les garanties d’ordre, faute de quoi il n’y a pas de relèvement national... A mon avis, la situation ne s’améliorera que le jour où l’esprit qui régnait au front pendant la guerre animera, la nation tout entière. L’œuvre de régénération exige le concours de tous les hommes de bonne volonté. A ce point de vue, c’est un véritable scandale que de voir nos gouvernants se priver de l’appui de tous ceux qui ont bien servi la patrie. Pour mon compte, j’éprouve une joie profonde à constater que, dans l’association des soldats nationalistes, toutes les classes de la société sont confondues, ainsi qu’elles l’étaient dans l’ancienne armée. C’est là votre force. Puisque vous voulez travailler dans le sens que je vous indique, je vous appuierai de toutes mes forces et collaborerai intimement avec votre président. »

Le 18 mai, au cours d’une manifestation organisée par le « Cercle d’étudiants de Munich » et à laquelle assiste le prince Ruprecht avec une foule d’officiers, Ludendorff déclare dans l’enthousiasme général : « Fidèle aux principes de Bismarck, le peuple allemand doit rester plus uni qu’aucun autre peuple... Notre premier souci doit être de libérer notre pays de l’étranger ; tout ce qui peut nous séparer n’est, auprès de cela, que secondaire. Nous avons malheureusement oublié les leçons de Bismarck sur la force et quand le glorieux chancelier eut donné sa démission, nous n’avons pas su utiliser la nôtre... Le mensonge de la responsabilité allemande dans la guerre a été percé à jour lors du récent procès Fechenbach [11]... L’Allemagne n’a plus aujourd’hui ni liberté, ni droits, parce qu’elle est sans force. Il est trop tard pour suivre la grande leçon donnée par Bismarck, mais il est de notre devoir d’y revenir et de rétablir la volonté du peuple allemand ; nous y parviendrons en reprenant l’esprit de l’ancienne armée : sacrifice, désintéressement, discipline et obéissance. »

Le 24 mai, à la manifestation ultra-réactionnaire de la « Ligue nationale des officiers, » à Augsbourg, il recommande au peuple de « rester fidèle à lui-même, uni dans toutes ses classes, de garder opiniâtrement la volonté de défendre la patrie et de croire en ses chefs. »

Le 24 mai, à la fête commémorative des troupes bavaroises de communication, il prétend qu’avant la guerre, l’Allemagne n’appelait sous les armes que 54 pour 100 de ses hommes valides, tandis que la France en enrôlait 82 pour 100, « ce qui prouve bien que les Allemands ne voulaient pas la guerre. »

Au début de juin, à Erfurth, à l’assemblée de l’« Ordre des jeunes Allemands, » il prononce un discours sur lequel la presse a fait le silence mais qu’une petite feuille de province a publié : « C’est toi, simple feldgrauer [12], qui es le héros de la guerre mondiale. C’est devant toi que nos ennemis tremblent encore aujourd’hui, car ils ont fait ta connaissance pendant la guerre. Que les Anglais, ces égoïstes qui ne songent qu’à leurs intérêts, se claquemurent dans leur île, mais nous, Allemands, nous vivons sur le continent, entourés d’ennemis ; notre devoir est de nous unir, de nous sentir les coudes et de présenter un front unique à nos oppresseurs. Que faut-il pour cela ? L’esprit des rois de Prusse, l’esprit d’avant 1914, celui qui nous animait lorsqu’on nous força à faire la guerre. Nous ne devons avoir qu’un but et vous le connaissez : libérer le pays de ses oppresseurs. Nous n’y parviendrons pas sans la force. Un jour naitra où nous ferons appel à chacun de vous pour la liberté de la grande Allemagne. »

Si, le 25 juin 1922, Ludendorff n’est pas avec les 25 à 30 000 pangermanistes qui ont choisi le village de Caub comme lieu de réunion parce que Blücher y passa le Rhin en 1814, c’est que l’assassinat de Rathenau date de la veille ; cet événement fait véritablement trop de bruit en Allemagne pour que Ludendorff commette l’imprudence de tenir la promesse qu’il a faite au Comité d’organisation. De beaucoup de côtés, en effet, son arrestation est réclamée ; peut-être même, après une perquisition opérée à son domicile, — pour la forme sans doute, — est-il astreint à demeurer prisonnier sur parole durant quelques jours. Mais, lui présent, les discours de Caub n’auraient pas été modifiés. Or, tous furent d’une violence inouïe, tous célébrèrent la gloire de l’ancien régime, condamnèrent la République et dénoncèrent l’occupation des Pays rhénans comme une insulte insupportable ; plusieurs se terminèrent par un appel non déguisé au coup d’Etat : « En avant sains crainte ! Haut la tête pour l’audacieuse aventure ! La jeunesse allemande, sur les bords du Rhin allemand, rebâtira ce que le (festin est parvenu à détruire. »

A Munich, au sein de l’« Association des sous-officiers bavarois, » Ludendorff rappelle les exploits des sous-officiers pendant la guerre ; puis, passant à l’examen de la situation politique, déclare : « A présent, nous ne sommes plus les maîtres chez nous, nous ne sommes que des esclaves travaillant au profit des capitalistes étrangers ; notre patrie ne peut être sauvée par aucun régime, aucun parti, si tous les vrais patriotes ne s’unissent pour la restaurer. Naguère encore, notre peuple accomplit des prodiges ; cela lui donne le droit de vivre. Réapprenons la fierté d’être Allemands ! »

Tout récemment, une nouvelle association s’est formée entre titulaires de la croix de fer de 1re classe ; Ludendorff en assume la présidence. Son but ? Cultiver par tous les moyens les vieilles traditions de la monarchie.


Tout cela est-il assez clair ? Et n’est-il pas vraiment remarquable que Ludendorff, si enclin à jeter le cri de guerre contre les seuls bolchévistes lorsqu’il s’adresse à des étrangers, n’effleure que peu ou point le sujet lorsqu’il parle à des Allemands ? En ce dernier cas, c’est la République qui, directement et indirectement, fait tous les frais.

Il n’y a point là de contradiction. Si l’armée allemande qui, sous le commandement de Ludendorff, volait, — comme chacun sait, — de victoires en victoires, fut finalement battue, c’est que des traîtres la frappèrent par derrière. Les coupables ? Les révolutionnaires qui proclamèrent la République avec son inévitable cortège : la défaite hideuse, les désordres intérieurs, les humiliations extérieures, les mesures antinationales, le bolchévisme pour tout dire. Ludendorff, comme tout Bavarois conservateur, assimile donc bolchévisme à république. Interrogez-le sur ce sujet et il vous dira que le traité de Rapallo lui donne raison, et aussi l’assassinat de Rathenau, car il ne douta pas, — au début du moins, — que les meurtriers de cet homme d’État ne fussent des adeptes de la dictature du prolétariat !

En fait, les bolchévistes de Moscou ne sont là que pour la façade, celle que regarde l’étranger ; mais ce sont ceux de Berlin qu’il vise. Sans doute, si, comme il le désire, les grandes Puissances parvenaient à s’entendre pour détruire les Lénine, Trotzki et consorts, ce serait tout avantage, car l’armée allemande devrait participer à l’opération, il faudrait donc qu’elle fût et Ludendorff proclame qu’à l’heure actuelle, elle n’existe pas ; cela revient à dire qu’elle serait d’abord à renforcer. Première aubaine ! Les nouveaux maîtres de la Russie, d’autre part, ne manqueraient pas de lui garder quelque reconnaissance de son intervention. Deuxième avantage, puisque l’opération, qui resterait à accomplir en Allemagne même, pourrait d’abord se faire avec un instrument de lutte bien supérieur à celui d’aujourd’hui et que la restauration monarchique, bien loin de se heurter à une propagande antagoniste, serait regardée avec bienveillance par les gouvernants russes. Car, pour finir, il faudra toujours en arriver à combattre les bolchévistes de l’intérieur, c’est-à-dire les républicains ; à ce point de vue, la situation serait donc excellente. A défaut de lutte préliminaire contre les soviets de Moscou et des avantages y afférents, le but à atteindre n’en demeure pas moins fixé, mais force est alors de se contenter des moyens avoués ou provisoirement inavouables qu’on est parvenu à garder ou à se procurer.

De tout ce que nous savons, il résulte qu’en Allemagne la guerre est ouverte entre la réaction et la république. Reste aux monarchistes, conduits par Ludendorff, à engager ouvertement la bataille, — on n’en est encore qu’aux marches d’approche, — ou plutôt la première bataille, car, à coup sûr, plusieurs devront être livrées. Pour le moment, il s’agit de conquérir la Bavière et d’y rétablir la royauté ; l’exemple, la persuasion et, au besoin, la force entraîneront le reste de la nation [13].

De tout ce qui précède on peut conclure avec certitude que la bataille de Bavière serait aujourd’hui sûrement gagnée. Les républicains eux-mêmes ne se font aucune illusion. Voici ce que disait à la « Ligue de la Jeune République, » en mai dernier, un de ses plus actifs propagandistes : « La puissance des royalistes et séparatistes », — toute réserve est à faire sur ce dernier qualificatif, — « du Sud de la Bavière est telle que, sans résistance appréciable, ils pourraient, d’un moment à l’autre, proclamer la restauration de la monarchie et même l’annexion du Tyrol et de Salzburg... Dans les cols des Alpes, ils possèdent assez de dépôts d’armes... La Reichswehr et la police de sûreté sont avec Ludendorff : il ne faut pas compter sur une sérieuse opposition de la bourgeoisie. » D’ailleurs, si le Gouvernement de Berlin a mis tant de formes et pris tant de précautions dans sa lutte avec Lerchenfeld à propos des lois de défense de la République et s’il a finalement capitulé, c’est qu’au fond, il partage, lui aussi, cette opinion ; il a évité le pire.

Mais, dira-t-on, puisque la victoire est assurée, au moins en Bavière, pourquoi Ludendorff ne livre-t-il pas bataille ? D’abord, tout s’accorde à faire penser qu’à une certaine époque, le jour de l’attaque était fixé, 28 juin, lorsque survint l’assassinat de Rathenau, en admettant que ce meurtre n’ait pas lui-même marqué le début des hostilités actives. Alors on a dû donner contre-ordre. Le spectacle offert par le reste de l’Allemagne a paru montrer, en effet, qu’au premier succès, nécessaire mais insuffisant, il serait probablement plus difficile qu’on ne l’avait imaginé d’en faire succéder d’autres.

Depuis ce moment, le parti monarchiste bavarois et plus généralement allemand, bien qu’il n’ait qu’un chef, est divisé en deux fractions : l’une, celle des violents, pousse à une action immédiate ; l’autre, celle des modérés, veut attendre encore, développer ses moyens et augmenter ses troupes avant de se lancer dans l’aventure. Les extrémistes de droite appartiennent naturellement à la première fraction. Ce sont les plus dangereux adversaires de la République allemande, parce que, dédaignant l’arme actuelle de leurs coreligionnaires politiques, la persuasion, ils veulent attaquer tout de suite et sont par conséquent obligés de se préparer dans l’ombre. La plus puissante de leurs sociétés secrètes est la fameuse organisation « Consul » dont il a tant été parlé à propos du meurtre de Rathenau, et dont Escherich a tenu dernièrement à se dégager, preuve du passage aux modérés du trop célèbre forestier.

Sans vouloir faire de prédiction, chose toujours dangereuse, on peut avancer, en effet, que von Kahr et Escherich sont aujourd’hui sortis du camp des violents. Leurs nombreuses proclamations de la fin d’août, en vue de refréner l’ardeur de leur partisans, trop pressés à leur gré, en sont des confirmations.

Ludendorff qui, au printemps 1922, penchait plutôt pour une action rapide, semble aujourd’hui vouloir temporiser, mais, comme le disait le conseiller de commerce Zenz, ce n’est que partie remise. Sait-on même si, dans la période difficile que traverse actuellement le Reich, le chef ne sera pas entraîné par ses propres troupes ? L’avenir nous le dira.

Quoi qu’il en soit, aucune illusion n’est possible ; extrémistes et modérés marchent vers le même but ; leur vitesse seule diffère. Et ce but, bien loin de comporter, comme certains le croient, la séparation de la Bavière d’avec le Reich, tend, au contraire, à une unification plus complète que jamais de l’ancien Empire tout entier, peut-être même agrandi, sous l’égide d’une monarchie nationale et forte, capable de dominer tous les partis et, au besoin, de les réduire à l’impuissance.

Une fois la situation intérieure ainsi réglée, on avisera, que les Alliés le veuillent ou non, à donner à la situation extérieure une solution bien allemande. Ce sera la deuxième phase, depuis l’armistice, de l’activité de Ludendorff ; il indiquera les moyens, car il est de taille non seulement à les faire naître, mais encore à les diriger.

Spectateurs au plus haut point intéressés, nous n’apporterons jamais trop d’attention à suivre le déroulement du drame et si, quelque jour prochain, la République allemande, qui déjà n’est certes pas inoffensive, venait à succomber sous les coups du redoutable adversaire qu’est pour elle l’ancien premier quartier-maître général, disons-nous bien qu’après un entr’acte de plus ou moins longue durée, la pièce continuerait avec des acteurs supplémentaires que la France, quoi qu’elle fasse, ne pourrait éviter de fournir.


  1. Notamment le parti de Ludendorff qui entrevoyait la possibilité de faire de von Kahr, victorieux du Reich à Munich, un chancelier de l’Empire.
  2. Il est assez piquant de rappeler qu’en 1809, lorsque Napoléon donna le Tyrol à la Bavière, son alliez, André Hofer fut le chef de l’insurrection populaire en faveur de l’Autriche !
  3. Les Einwohnerwehren ont été dissoutes, mais elles se sont reformées sous différentes formes : Burgerwehr, pompiers, sociétés sportives, etc. La Technische Nothitfe existe toujours.
  4. On sait que, depuis la révolution, le drapeau national est noir, or et rouge.
  5. La Haute-Cour comprendra une Chambre spéciale à l’Allemagne du Sud ; les policiers du Reich qui auront à enquêter dans un Etat s’y devront tenir en étroit contact avec ceux de cet État ; ils n’auront même à intervenir que dans les affaires graves intéressant la collectivité. Pour le choix des juges de la Cour de justice, on ne tiendra compte que de l’aptitude. Enfin les membres des ex-familles régnantes ne pourront être expulsés qu’en cas de récidive. La rétroactivité des lois est abandonnée.
  6. Le seul ministre démocrate a démissionnée ; il a été aussitôt remplacé par un réactionnaire modéré.
  7. Il est juste de dire que communistes et socialistes indépendants ne sont pas sans quelque responsabilité en cette affaire. Leurs appels à la révolution sociale ont pour effet certain d’incliner vers les partis de droite tous les adversaires du désordre et, en Bavière, le règne de Kurt Eisner a laissé un tel souvenir que son retour est envisagé comme une insupportable calamité.
  8. Bleu et blanc.
  9. Inébranlable dans la fidélité.
  10. A la suite de la promulgation des lois de défense de la République, les réunions de cette société, avec beaucoup d’autres, ont été légalement supprimées dans tous les États du Reich, hormis la Bavière.
  11. Fechenbach était un ancien secrétaire de Kurt Eisner. Il s’était réfugié à Halle qui n’est pas en Bavière, soit dit en passant : c’est là que le Gouvernement bavarois, moins pointilleux pour lui-même que pour les autres, le fit arrêter par ses policiers. Traduit devant un tribunal pour crime de haute trahison, il y fut l’objet d’une véritable parodie de justice. Son crime ? Avoir communiqué au journal français le Temps, — qui proteste d’ailleurs, — une lettre dérobée aux archives des Affaires étrangères bavaroises. Il est vrai que cette lettre, datée de juillet 1914, était adressée par le ministre de Bavière à Berlin (comte Lerchenfeld) au président du Conseil bavarois (comte Hertling, devenu depuis chancelier) et prouvait que, dès le 20 juillet 1914, l’Allemagne, qui le nia toujours, était au courant du contenu de l’ultimatum de l’Autriche à la Serbie. Le tribunal, naturellement, tout en reconnaissant l’authenticité du document, conclut qu’il avait été inexactement communiqué et condamna le coupable.
  12. En France, on dirait : petit soldat bleu horizon
  13. On peut constater déjà que la maladie nationaliste et monarchiste est contagieuse et c’est bien sur quoi comptent les royalistes de Bavière. Le Gouvernement de la république badoise, et notamment son ministre de l’Intérieur, un social-démocrate, avait, en 1921, interdit les réunions des sociétés régimentaires, sachant fort bien qu’elles favorisent l’esprit de réaction et justifient le soupçon de tous ceux qui estiment que le pangermanisme, loin d’être mort, n’a rien abdiqué de ses prétentions de jadis. En 1922, le même Gouvernement et le même ministre de l’Intérieur, non seulement tolèrent les fêtes régimentaires, mais les encouragent en y assistant aux côtés du grand-duc détrôné ou de ses représentants. La violence des propos qui sont tenus dans ces réunions (6, 7 et 8 mai, 10, 11 et 12 juin, 1er, 2 et 3 juillet, 12, 13 juillet, 9 et 10 septembre ne le cède en rien à celle des discours prononcés dans l’Etat voisin.