L’Actrice nouvelle

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Prault (p. 2-36).
ACTEURS.

LA BARONE.

LA COMTESSE.

L’ACTRICE NOUVELLE.

LE CHEVALIER.

LE CONSEILLER.

LE FINANCIER.

L’ABBÉ BIDET.

FRONTIN, Valet de l’Actrice.

LISETTE, Suivante de la Barone.

UN LAQUAIS, du Conſeiller.

Pluſieurs Laquais de la Barone.

La Scene eſt chez la Barone.
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* *
*


AVIS  DU
LIBRAIRE,


Cette petite Piéce que je donne aujourd-huy au Public fut envoyée il y a quatre à cinq ans aux Comédiens de Paris par un Auteur Anonime, Mr. Quinaut l’Ainé l’un des Semainiers, en fit la Lecture à la Troupe, & comme ce gracieux Comedien a le talent de prendre les inflexions de voix de qui bon luy ſemble en liſant le Rôle de la nouvelle Actrice, il donna quelques tons d’une comedienne dont les talens pour le Theâtre font autant les délices du Public que ſes graces, & ſon eſprit font les charmes de ceux qui la voyent dans un moins grand jour. Cette Actrice n’étoit pas préſente à la Lecture ; mais en ayant appris quelques circonſtances & croyant ſe reconnoître à queluns de ſes traits, elle obtint par ſes cabales un Ordre qui déffendit à ſes camarades de repreſenter cette Pièce, & les priva par une imagination chimerique de l’avantage réel que leur auroit procuré une Nouveauté auſſi agréable.

Cette Pièce m’étant tombée entre les mains à l’inſû même de ſon Auteur, j’ay cru devoir dédommager le Public du tort qu’on luy a fait, en le privant de la répreſentation. Il y trouvera un comique noble, une verſification aiſée des penſées brillantes, des Portraicts nouveaux & naturels, des caracteres particuliers qui n’avoient point encor paru ſur la Scene. Si l’on en croit les connoiſſeurs une bonne comedie en un Acte en Vers doit être regardée comme le chef-d’œuvre de l’eſprit comique ; des bornes auſſi étroites, exigent une preciſion que le feu & l’imagination produiſent, mais qu’une raiſon exacte ſcait diriger.

D’ailleurs j’eſpere que l’impreſſion de cette comedie deſabuſera l’excellente Actrice qui s’en étoit crû l’Objet mal à propos : outre qu’il n’y a aucun trait marqué qui la ſingulariſe. Le Public décidera s’il y a quelque comedienne qui puiſſe pouſſer aſſez loin la vanité & l’Amour propre pour ſe trouver dans ce portrait.

Se Meſle du Barreau de la Cour de la Guerre,
Et rien je crois n’eſt fait que par ſon miniſtere,
Qu’un employ ſoit vaquant elle le fait avoir.
Sans trop ſolliciter a qui le peut vouloir,
Entre dans les détails des Charges, des Offices,
Des Fonds des Hopitaux, de ceux des Bénéfices.
Par elle celui-cy devient Introducteur,
Celui-là Secretaire, & l’autre Ambaſſadeur,

D’un Fripon qui voloit par tout impunément,
Elle en fit d’un ſeul mot hier un Sous-traitant.

cette application pourroit peut être convenir à la Maîtreſſe d’un Miniſtre, mais quel raport peut elle avoir à une comedienne qui n’a daigné juſqu’à préſent exercer ſon Empire que ſur quelques uns de nos beaux Eſprits.

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L’ACTRICE
NOUVELLE.

COMEDIE
EN  UN  ACTE.

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Scène PREMIERE.

LISETTE, FRONTIN.
LISETTE.

Que veut le beau Frontin aujourd huy dans ce lieu ?

FRONTIN.

Te tendre ce Billet, & tembraſſer.

LISETTE, lui donnant un Soufflet.

Adieu.

FRONTIN.

Si j’avois cru devoir m’attendre à la Ripoſte,
Je vous l’aurois Madame envoyé par la Poſte.

LISETTE.

Tiens-tiens, baiſe ma Main & ne te fâche plus ;
C’eſt donc pour ma Maitreſſe pourquoy point de deſſus ?

FRONTIN.

Oh ! dans notre maiſon nous aimons le Miſtere.

LISETTE.

Ta Maitreſſe renferme un rare Caractere,
Le manege qu’elle a paſſe l’eſprit humain ;
Mais quand debute t’elle ?

FRONTIN.

à cinq heures demain.

LISETTE.

C’eſt ſans doute pour faire applaudir ta Maitreſſe
Qu’on voit venir icy des Gens de toute eſpece ;
Le Chevalier, l’Abbé, le Conſeiller auſſi,
Avec le Financier doivent ſouper icy.

FRONTIN.

Oh depuis quinze jours j’ay bien fait des affaires !
Que de Billets portés, de Lettres Circulaires ;
Dans les Hotels garnis, les Caffés & le Cours :
Il faut que j’aye eſté quinze fois chaque jour,
Elle aura des Batteurs, ou le diable me tuë,
Jamais Actrice enfin ne ſera plus battue.

LISETTE.

Moy je blame ſes ſoins & ſes précautions,
Et pourquoy mandier des approbations ?

Si ſon merite eſt ſur, il parlera pour elle ;
Eſtre loüé de gré, vaut bien mieux que par Zéle ;
Je ne ſuis point la dupe & je le dis tout net.
D’une Actrice qui vient aprés ſon Rôle fait,
D’un air de ſupliante entrer de Loge en Loge
Et de chaque payant arracher un éloge.

FRONTIN.

Ma Maîtreſſe fera bien pis encor, crois moy,
Je connois ſon eſprit, & te donne ma foy,
Que s’il en eſt qui vont dans les Loges pour plaire,
Celle-cy pourroit bien aller juſqu’au Parterre :
Tiens, Liſette elle eſt Folle, & d’elle il eſt cent traits,
Que l’on ne pourroit croire, & qui pourtant ſont vrais
De Fables, de Romans, ſa chambre eſt toute pleine ;
Sans ceſſe elle s’habille en Princeſſe Romaine ;
De ſa fille de Chambre elle a changé le nom.
Je crois qu’elle l’appelle : attendés : Charmion.
Elle me nomme Arcas, & puis tantot Auguſte.
Et celle qui nous fait la Cuiſine… Laucuſte.
Mais êcoute la peur qu’un jour elle me fit,
Quand j’y penſe j’en ſuis encor tout interdit :
Morbleu qu’on eſt à plaindre avec telle Maitreſſe :
Une nuit repetant ſon Rôlle de Lucrece
Elle entra dans ma chambre un Poignard à la main,
Et vouloit malgré moy, que je fiſſe Tarquin.

LISETTE.

Et : comment finit donc cette plaiſante Scene ?

FRONTIN.

A reprendre mes ſens j’eus d’abord quelque peine ;
Mais je revins à moy, pour finir ce detail,

Quand je vis le Poignard n’eſtre qu’un évantail.

LISETTE.

Parlons de ſon manege il ne ſe peut comprendre,
J’en ſçais auſſi des traits qui pourront te ſurprendre ;
Il faut qu’elle ait entrée en vingt mille Maiſons ;
Car avec tout le monde elle a des Liaiſons ;
Se meſle du barreau, de la Cour, de la guerre
Et rien je crois n’eſt fait, que par ſon miniſtere :
Qu’un employ ſoit vaquant, elle le fait avoir,
Sans trop ſolliciter à qui le peut vouloir
Un Mariage fait, elle le fait defaire ;
Une Terre vendüe, elle la fait retraire ;
Brouille tous ceux qui ſont étroitement liés,
Et racommode auſſi tous ceux qui ſont brouillés ;
Entre dans les détails des Charges, des Offices,
Des Fonds des Hopitaux, de ceux des Benefices ;
Par elle celuy là devient introducteur,
Celui-cy Secretaire, & l’autre Ambaſſadeur.
Non je ne penſe pas que perſonne en la vie,
Aye avec tel ſuccés ſceu pouſſer l’induſtrie
D’un Fripon qui voloit par tout impunement,
Elle en fit d’un ſeul mot, hier un Sous-traitant.
Cette Condition eſt ma foy ta Fortune.

FRONTIN.

Je l’achette bien cher, helas ſi c’en eſt une !
Je ne ſuis pas heureux dans mes conditions ;
J’ay toujours eſſuyé des tribulations :
Je me ſouviens d’avoir ſervy chez certain Homme,
S’il m’y falloit rentrer j’irois plutot à Rome.
Morbleu que celuy là me menoit joli train ;

Il m’auroit fait crever, quoiqu’il fut Medecin ;
Tiens, dans cette maiſon je faiſois tout ſans aides,
Je Raſois, je Frotois, je portois les Remedes ;
Je faiſois la Cuiſine, & battois les Habits,
Je Balayois la Cour, & je faiſois les Lits ;
Ratiſſois le Jardin, habillois la Maitreſſe
Que te diray je enfin, courant, veillant ſans ceſſe,
Tantôt valet de Chambre, & tantôt Palfrenier,
Tantôt à la Toilette, & tantôt au Grenier,
Travaillant pour l’Epoux, agiſſant pour la Femme,
Je penſois le Cheval, & je peignois Madame

LISETTE.

Il falloit y reſter, peut être qu’à la fin,
Tu ſerois comme luy devenu Medecin.

FRONTIN.

Vous penſez vous moquer, mais apprenés la belle,
Que toujours le Valet, au Maître ſe modelle ;
Tel eſt nôtre deſtin chez ceux que nous ſervons,
Nous ſommes, mon enfant, de vrais Caméleons ;
Nous imitons leurs mœurs, leurs diſcours, leurs allures,
Et ſouvent nous prenons juſques à leurs figures.
Avec les Conſeillers, nous devenons Galans ;
Nous prenons un air grave avec les Preſidens ;
Servons nous un jaloux, il nous faut eſtre traittre,
Nous ſommes comme foux avec un petit maitre ;
Nous prenons un air doux chés le Beneficier ;
Et ſommes inſolents derrière un ſous Fermier ;
Mais ta Maitreſſe à toy, madame la Baronne,
Qui tranche de l’eſprit, & ſans raiſon raiſonne,
n’en parlerons nous point ?

LISETTE.

Son Stile precieux,
Devient depuis un tems, tout-a-fait ennuyeux ;

FRONTIN.

Mais que dit-elle encor ?

LISETTE.

De la nouvelle Actrice,
Tant que dure le jour, elle eſt l’admiratrice ;
Et la rage qu’elle a pour entendre (des Vers,
Mettra je crois, bientôt, ſon eſprit à l’envers ;)
De ta Maitreſſe enfin, elle a la maladie
Et ne parle à preſent qu’en vers en Tragédie :
Si la jeune Comteſſe aujourd’huy la vient voir,
On n’entendra que vers du matin juſqu’au ſoir.

FRONTIN.

Je n’y viendrai donc pas, je ſuis las d’en entendre.

LISETTE.

Si ta Maitreſſe y vient il faudra bien t’y rendre.

FRONTIN.

Tu crois que la Comteſſe auſſi déclamera :

LISETTE.

Non mais elle a toujours ſon jargon d’Opera ;
De ſorte que quand l’une a dit un vers Tragique,
L’autre prend la parole avec un vers Lirique,
Et ce fol entretien regne ſi frequemment,
Qu’elles ne peuvent plus ſe parler autrement.

FRONTIN.

Nous nous verrons tantôt, à dieu, je me retire,

LISETTE.

Je crois avoir encor quelque choſe à te dire,

Je voulois te parler touchant le Chevalier ;
Dis moy donc promptement, crainte de l’oublier ;
Pourquoy nous le voyons toûjours chez ta Maitreſſe ?

FRONTIN.

Il eſt amoureux fou, de la jeune Comteſſe,
Et jaloux qui plus eſt, mais jaloux à mourir,
Et quoiqu’il ſoit aimé, rien ne peut le guérir,
Il ſe brouille ſouvent pour une bagatelle ;
C’eſt toujours au logis quelque ſcene nouvelle ;
Et comme ma Maîtreſſe a de l’ambition,
Quelle veut des amis, de la protection,
Elle cherche à ſe rendre à chacun neceſſaire.
Et pour le ménager l’un & l’autre, & leur plaire,
Le ſcrupule qu’elle a, te le dirai-je net :
Elle veut les unir par un hymen complet,
Elle en veut faire autant, je crois, de la Barone
Avec le Conſeiller, du moins, je le ſoûpçone.

LISETTE.

J’en ſerois aſſes aiſe, & te dis franchement
Que pour parler pour luy j’ay quelqu’engagement.
Pres d’elle j’ay promis de faire mon poſſible,
Pour les cœurs généreux ; moy j’ay l’ame ſenſible,
Mais j’entend ma Maîtreſſe.

FRONTIN.

adieu juſqu’au revoir,
Je vais continuer mon fatigant devoir,
Et porter au plûtôt des billets de parterre,
Chez les étudians & les Clercs de Notaire


Scène II.

LA BARONE, LISETTE.
LA BARONE.

Liſette ſçavez-vous ce qu’on joüe aujourd’huy ?

LISETTE.

Voulez-vous aller à la Comedie,

LA BARONE.

Ouï,

LISETTE.

La Pièce que l’on joue eſt plus belle que rare
Car je penſe avoir lu ſur l’affiche l’Avare

LA BARONE.

Oh, je n’y iray donc pas.

LISETTE.

Pour demain nous irons

LA BARONE.

Je veux eſtre à midy dans les premiers Balcons,
Je ne veux pas manquer nôtre Actrice nouvelle.

LISETTE.

Tenés, liſés.

LA BARONE.

Quoy donc ?

LISETTE.

C’eſt une Lettre d’elle !

LA BARONE, lit.

Je ne ſçai quel ſera le Sort
De la mal’heureuſe Chimene ;
Mais je tremble d’avance, Et friſſone ſi fort,

“ Que je crains de tomber dès la premiere ſcene ;
“ D’aignés donc avertir pour demain vos amis,
“ A vos ordres d’abord ils ſeront tous ſoumis,
“ Quand vous leur aurez dit que Chimene vous touche,
“ Ils prendront tous pour moy des ſentimens humains
“ Et même me batront des mains,
“ Avant que j’aye ouvert la bouche ;
“ C’eſt mon peu de perfection
“ Qui fait que je vous ſollicite,
“ Si je me croyois du mèrite,
“ Prendrois-je ces precautions ?
“ Adieu belle & charmante Dame,
“ Que j’aime de toute mon ame,
“ Et que j’aimeray même audelà du trépas ;
“ Cet Oracle eſt plus ſur que celuy de Calchas ;

LA BARONE.

Pour moy la pauvre Enfant eſt pleine de tendreſſe ;
Je veux qu’à l’aplaudir tout le Public s’empréſſe :
J’ay déjà prevenu bon nombre d’officiers ;
Demain dans le Parterre ils ſeront des premiers ;
Ils prieront leurs amis de devenir les nôtres,
Ils n’aplaudiront qu’elle, & ſiffleront les autres ;
Et de cette façon dès la première fois ;
Ils la recevront tous d’une commune voix.

LISETTE.

Tout le Public je crois, ſera fort content d’elle :
Pour changer de propos, ſçavez vous la nouvelle,
Que l’on debite ?

LA BARONE.

Non, quelle eſt-elle ? dis-moy.

LISETTE.

Vous faites l’ignorante.

LA BARONE.

Ah ! je jure ma foy,
Que je ne ſçai non plus ce que tu me veux dire.

LISETTE.

Le jeune Conſeiller n’a pas ſur vous empire,
Et vous ne devés pas au plûtôt l’épouſer ?

LA BARONE.

Je l’avouerai Liſette, & ſans rien deguiſer ?
Que depuis quelques jours on m’a ſeu faire entendre,
Qu’il reſſentoit pour moy la flamme la plus tendre,
Et que l’Himen m’en fut ſur l’heure propoſé
Que mon cœur à cela ſe trouvant oppoſé,
La reponſe pour luy ne fut pas favorable.

LISETTE.

Il a beaucoup d’eſprit, il eſt bien fait, aimable ;
Il a de la Nobleſſe & je ne ſçai comment,
On peut le recevoir d’un œil indifferent ;
A ne pas l’accepter quel ſujet vous engage ?

LA BARONE.

Mais je l’avouëray.

LISETTE.

Quoy ?

LA BARONE.

Je le trouve trop ſage ;
Il n’a pas l’enjouëment & la vivacité,
Que font voir aujourd’huy nos gens de qualité,
J’aime l’air petit Maître, il m’enchante la vûe.

LISETTE.

De ces petits Meſſieurs je ſuis bien revenuë ;
Ah qu’ils ont ſelon moy, l’air vain, fou, ſot & plat ;
Et je voudrois ſçavoir quel fut le premier fat,
Qui fit naître à Paris cette Secte nouvelle ;
Ou le colifichet qu’ils prirent pour modelle :
Eſt-il rien de plus ſot que l’eſt leur entretien ?
Ils vous parlent toûjours & ne vous diſent rien.
Quel plaiſir trouve-t’on à leur entendre dire ?
Ah te voilà Marquis, vas-tu chez Artemire ?
Où ſoûpe-tu ce ſoir, mon Caroſſe viendra ?
le revins yvre hier, as tu vu l’Opera ?
Cephiſe eſt de retour ! que dit de moy Beliſe ?
Donne moy du Tabac, as tu vu la Marquiſe ?
Et cent autres diſcours, jargons des étourdits ;
Qui pourroient rendre fou tel à qui l’on les dit,
Moy je prendray bîen-tôt un Mari, je l’eſpere ;
Mais il ne ſera pas d’un pareil Caractere ;
Si vous faiſiez ainſi vous ne feriez que bien.

LA BARONE, en récitant :

Donne moy donc Liſette un cœur comme le tien.

Elle continuë naturellement.

Mais : deſaprouve tu l’air naturel & tendre,
Qui ſe fait remarquer dans le jeune Clitandre.
Je ne vois rien en luy qui lui ſoit reproché
C’eſt un eſprit pliant qui n’a rien de caché :

LISETTE.

Non il ne cache rien, il eſt plein de franchiſe
Car il montre par tout les lettres de Beliſe.

LA BARONE.

Et Damon qu’en dis tu, n’eſt il pas beau bien fait ?

LISETTE.

Helas Madame à qui faites vous ſon Portrait ?
Je ne ſuis pas encor à ſçavoir, je vous jure,
Qu’il peche par l’eſprit & non par la figure,

LA BARONE.

Sa voix fait aſſez bien les honneurs d’un répas.

LISETTE.

Qu’il y chante toûjours & qu’il n’y prie pas.


Scène III

LA BARONE, LISETTE, UN LAQUAIS, du Conſeiller.
LE LAQUAIS.

Monſieur le Conſeiller m’a chargé de remettre
Entre vos mains, Madame aujourd’hui cette lettre

LABARONE, aprés avoir lu bas.

Dictes luy que tantôt il ſe rende chez moy.
Liſette que je ſuis êtonée.

LISETTE.

Et de quoy ?

LA BARONE.

De cette lettre en vers ſi galament écritte,
Tu ne m’avois pas dit qu’il avoit ce merite ;
Comment, il fait des vers, Liſette il me plaira,
Il veut avoir mon cœur, & je crois qu’il l’aura ;
Pour ſe faire écouter, il ſait ce qu’il faut faire,

LISETTE.

Sans ce trait de folie, il n’auroit pu vous plaire ;
Liſons donc ce billet ſi joliment écrit »
Voyons la Poëſie,

LA BARONE.

Elle eſt pleine d’eſprit.

LISETTE.

“ L’amour ! ô charmante Baronne,
“ Va vous intenter un Procés,
“ Ne doutés point de ſon ſuccés,
“ Car je ſçay que ſa cauſe eſt bonne ;
“ Il faut à l’amiable en arêrter le cours,
“ Il peut juſqu’au trépas, vous chicaner ſans ceſſe ;
“ Et quand on a paſſé ſa jeuneſſe
“ A Plaider contre les Amours,
“ Il vient un tems où nous perdons toûjours ;

LISETTE.

De traits vifs & galans, la Lettre eſt aſſortie,
Plaider contre l’Amour, oh la forte partie !
Il faut accomoder cette affaire au plûtôt.

LA BARONE.

Va, pour l’accomoder je feray ce qu’il faut :
Mais j’entend un Carroſſe entrer avec viteſſe,
Si c’eſt le Chevalier & la jeune Comteſſe,
Dis leur bien que je ſuis dans un moment icy
En vers au Conſeiller je veux écrire auſſi.


Scène IV.

LISETTE, ſeule.

La Lettre ſera longue à ce que j’imagine,
Et ne s’écrira pas ſans Corneille, ou Racine.


Scène V.

LA COMTESSE, LE CHEVALIER, LISETTE.
LISETTE.

Madame va venir & vous prie inſtament
De vouloir bien l’attendre en cet apartemen


Scène VI.

LA COMTESSE, et LE CHEVALIER.
LA COMTESSE.

Chevalier faites trêve à cette humeur reveuſe,
Ou je vais devenir plus que vous ſerieuſe :
D’un mot dit en riant, vous devenés jaloux,
Je ne puis plaiſanter ſans vous voir en courroux,
Quoy parceque j’ay dit ſans avoir nulle idée,

Elle chante Eſt-ce ma faute à moy
Si Licas me plaît plus que toi.

Votre ame eſt contre moy de fureur poſſedée.
Je le dis franchement, ſi vous voulez m’aimer,
A mon humeur badine il faut s’accoûtumer.

CHEVALIER.

Mais Madame ai-je tort, rendez-moy donc juſtice ;
Mes mouvemens jaloux viennent-t’ils du caprice ?
Quoi : dans le même inſtant que je jure à vos yeux,
Qu’excepté mon amour rien ne m’eſt précieux,
Que je fais mon bonheur de vous aimer ſans ceſſe
Que j’atteſte le Ciel que ma vive tendreſſe,
Juſqu’au dernier moment de mes jours durera,
Morbleu, vous repondez par un trait d’Opera ;
Et pour comble de maux ce trait eſt un paſſage,
Que je ne puis tourner qu’a mon deſavantage.

LA COMTESSE.

Mais quand j’ai dit cela, c’eſt ſans reflexion.

LE CHEVALIER.

Vous me pretiez vraiment beaucoup d’attention.

LA COMTESSE.

Qu’aurois-je du répondre expliqués le vous même ?

Le Chevalier veut Parler & ſe tait.


LA Comteſſe continuë en chantant ce paſſage de Roland.
J’aimerai toujours mon Berger.

LE CHEVALIER.

Eſt-ce en chantant, morbleu, qu’on doit dire qu’on
aime ?

LA COMTESSE.

Comment donc en pleurant » je hais le ſerieux,
Et ne veux point aimer un mouchoir ſur les yeux ;
Croyez-vous dittes-moi, changer mon caractere ?
Avec cet air chagrin avec ce ton colere.
Je veux bien raiſonner un inſtant avec vous,

Je vous l’ay déjà dit, j’abhorre les jaloux ;
Et ſi vous ne changés avec moy de langage,
Il ne faut plus compter ſur nôtre Mariage.
Je ne fais point un choix pour vivre dans l’ennui,
Si je prends un Epoux, c’eſt pour rire avec luy.

LE CHEVALIER.

Croyez-vous que de rire on puiſſe avoir envie,
Quand on vous fait mourir tous les jours de la vie ;
Et qu’on ne prend jamais ſoin de vous radoucir
Sur un doute, un ſoupçon qu’un mot peut éclaircir.
Voilà ce qui fait ſeul aujourd’huy mon ſuplice.

LA COMTESSE.

Et ſur quoy voulez-vous que je vous éclairciſſe ?

LE CHEVALIER.

Par exemple tantôt j’ai veu.

LA COMTESSE.

Par exemple tantôt j’ai veu. Quoi Chevalier ?

LE CHEVALIER.

Ouy j’ay vu de chez vous ſortir le Conſeiller.

LA COMTESSE, rit.

Et quoi le Conſeiller à preſent vous occupe.
Serez-vous donc toûjours de vous même la dupe ?
Mais quel plaiſir prend on à faire ſon tourment ?

LE CHEVALIER.

Sachons.

LA COMTESSE, en chantant.

Pour moy, l’Amour eſt un plaisir charmant.

LE CHEVALIER.

Encor.

LA COMTESSE, en riant.

Le Conſeiller puiſqu’il faut vous le dire

LE CHEVALIER.

Eh bien quoy vous rirés toûjours ;

LA COMTESSE, en chantant.

Ie prétend rire.


Scène VII.

LA COMTESSE, LE CHEVALIER, LISETTE.
LISETTE, à la Comteſſe.

Ma Maîtreſſe vous prie en ce même moment,
De vouloir bien paſſer dans ſon apartement,
Elle a quelques ſecrets à vous dire je penſe.

LA COMTESSE au Chevalier qui veut ſortir.

Attendés moy je vais… comment donc vous ſortés.

Elle chante.

Vous partez, Renaud, vous partez.
Liſette retenez le empêchez qu’il ne ſorte.


Scène VIII.

LISETTE, LE CHEVALIER.
LISETTE en le ramenant.

Qu’avés vous donc monſieur pour fuir de la ſorte ?

LE CHEVALIER.

Ah Liſette ! tu vois un homme au deſespoir.

LISETTE.

Et de quoy s’il vous plait ne puis-je le ſçavoir ?

LE CHEVALIER.

Que je ſuis mal’heureuz !

LISETTE.

Que je ſuis mal’heureuz !Queſt-ce qui vous dèſole ?
Quel ſujet de chagrin ?

LE CHEVALIER.

Quel ſujet de chagrin ?Morbleu j’aime une Folle.

LISETTE.

Quoy la Comteſſe eſt folle & comment, & par où ?
Mais n’eſt-ce point plutôt qu’elle aimeroit un fou ?
Je remarque en vos yeux un amour peu tranquille ;
L’amour eſt ennuyeux quand il ſe tourne en bile.

LE CHEVALIER.

Eh qui ne ſeroit pas de fureur animé !
Quand on s’eſtoit flatté que l’on étoit aimé.

LISETTE.

Eh vous n’ettes aimé que trop de la Comteſſe.

LE CHEVALIER.

Ah quand on aime bien, doit-on rire ſans ceſſe ?
Mais Liſette ſçais tu, quel ſecret aujourd’huy
Peut avoir la Barone avec la Comteſſe ?

LISETTE.

Peut avoir la Barone avec la Comteſſe ?Ouy.

LE CHEVALIER.

Ah ! dis le moy Liſette !

LISETTE.

Ah ! dis le moy Liſette !Et pourquoy, je n’ay garde,
Ce n’eſt pas vous monſieur que ce ſecret regarde ;

LE CHEVALIER.

Tu ne le diras pas, Liſette je me meurs.

LISETTE, bas.

Oh je vois bien qu’il faut adoucir ſes fureurs

(haut.) Raſſurés vous monſieur tachés de vous remettre
Au Conſeiller en vers on écrit une lettre,
Voila tout le miſtere.

LE CHEVALIER.

Voila tout le miſtere.Ah quelle trahiſon !

LISETTE

Comment l’accez redouble, & par quelle raiſon.
Mais j’aperçois Frontin. Ta maitreſſe vient elle ?


Scène IX.

LE CHEVALIER, FRONTIN, LISETTE
FRONTIN.

Liſette elle me ſuit.

LISETTE.

Liſette elle me ſuit.La réponſe eſt nouvelle
C’eſt à vous ce me ſemble à marcher ſur ſes pas,
Monſieur,

FRONTIN.

Monſieur, C’eſt qu’elle donne audiance là-bas.
A peine a t’elle mis un pied hors de ſa chaiſe,
Que de nos curieux environ quinze ou ſeize,
Du Café ſortons tous avec empreſſement,
Luy ſont venus donner la main fort poliment ;
Le Conſeiller enſuite empreſſé, plein de zele,
A ſçû percer la foule, & ſe ranger prés d’elle ;
Et je crois qu’elle monte à preſent l’eſcalier
Avec l’abbé Bidet, & le gros Financier ;
Mais la voicy.

LISETTE, au Chevalier.

Je vais avertir ma Maitreſſe,
Et compter vos fureurs à la jeune Comteſſe.


Scène X.

L’ACTRICE, L’ABBÉ, LE FINANCIER, LE CONSEILLER, LE CHEVALIER.
L’ACTRICE, au Chevalier.

Vous pouvés acheter ce nouveau Regiment,
Monſieur, j’en ay pour vous obtenu l’agrément ;
Je vois avec plaiſir que l’on vous eſt propice,
Et que par mon canal on vous rende Juſtice.

LE CHEVALIER.

Vous eſtes adorable, & je ne ſçais comment
M’aquitter envers vous d’un ſervice ſi grand.

L’ACTRICE.

En vous faiſant plaiſir, moy même je m’oblige,
Soyés de mes amis c’eſt tout ce que j’exige.
Dans peu monſieur l’Abbé vous aurés vôtre tour,
Quoique vôtre nom ſoit peu connu de la Cour,
J’ay fait pour vous un trait de veritable amie,
Et vous aurés dans peu place à l’academie.

L’ABBÉ, d’un ton doucereux.

Mademoiſelle ;

L’ACTRICE.

Et vous Monſieur le Conſeiller,
Au Theatre demain viendrés vous babiller ?

LE CONSEILLER.

Je me garderay bien de rompre le ſilence ;

L’ACTRICE.

On vous ſçaura bon gré de cette violence.

LE FINANCIER.

Moy je parle toûjours à table ou bien au jeu ;
Mais à la Comedie, oh par la ventrebleu !

Perſonne mieux que moy n’obſerve le ſilence,
Car toujours je m’endors d’abord qu’elle commence.

L’ACTRICE.

J’eſpere que demain vous veillerés pour moy.

LE FINANCIER.

Hé, mais, J’aplaudiray, mais ſans ſçavoir pourquoy ;
Car enfin mon malheur, eſt d’avoir la foibleſſe,
d’ignorer le mauvais, ou le bon d’une piece.

L’ABBÉ.

Comment jugés vous donc d’une ouvrage d’eſprit ?

LE FINANCIER.

Je regle mon avis, ſur ce que chacun dit.
Par exemple, en voyant pleurer dans une Scene,
Je m’attendris, je ſens que cela me fait peine ;
Et ſans ſçavoir auſſi, n’y pourquoy, ni par où,
Quand le Parterre rit, ôh je ris comme un fou.

LE CONSEILLER.

Vous voyés qu’il n’eſt pas un homme qui déguiſe.

L’ACTRICE.

Il parle comme il penſe, & j’aime ſa franchiſe.


Scène XI.

LA BARONE, LA COMTESSE, L’ACTRICE, LE CHEVALIER, LE CONSEILLER, L’ABBÉ, LE FINANCIER, LISETTE, UN LAQUAIS DE LA BARONE.
LISETTE.

La lettre au Conſeiller l’a rendu furieux

LA BARONE, en déclamant.

Si Titus eſt jaloux, Titus eſt amoureux,

Je vais le détromper.

LA COMTESSE.

Vous croira t’il madame ?

LA BARONE.

Monſieur le Conseiller, j’aprouve votre flamme.
Vous avez ſçû me plaire & je veux devant tous
Le déclarer icy, vous ſerés mon époux.

LE CONSEILLER.

Madame à ce bonheur aurois-je du m’attendre ?
Vous comblés les ſouhaits de l’Amant le plus tendre.

LA BARONE.

Qu’en dit le Chevalier ?

LA COMTESSE.

Le Chevalier croira,
Que c’eſt encor icy quelques traits d’Opera.

LE CHEVALIER.

Helas ! que voulés vous que je penſe Madame,
Quand vous tardez toujours à couronner ma flamme ?
Je ne ſuis point tranquile, & ne puis vivre heureux,
qu’au moment que l’hymen nous unira tous deux.

L’ACTRICE.

Madame il faut ſe rendre & ſa raiſon eſt bonne ;
Imités croyez-moy, Madame la Barone,
Comblés du Chevalier & l’amour & les vœux,
Cela peut pour moy même eſtre, un augure heureux,
Et crois ſi je voyois ce double Mariage,
Que j’en joüerois demain avec plus de courage.

LA BARONE.

Vous vous aimez tous deux, hatés ce doux lien,

LA COMTESSE, en chantant

Helas ! que ſon amour eſt different du mien ;
Mais je me ſacrifie à ſon humeur jalouſe ;

C’en eſt fait Chevalier je ſeray vôtre Epouſe.

LE CHEVALIER.

De mes jaloux tranſports ne craignés plus l’effet,
Je ſuis ſur d’eſtre aimé, mon cœur eſt ſatisfait.

L’ABBÉ, d’un ton dont doucereux.

De voir ce double hymen je ſuis charmé Mesdames,
Et je veux faire en Grec vos deux épitalames.

LE FINANCIER.

Il s’agit bien icy du Grec & du Latin,
Moy je parle François, jauray ſoin du feſtin.

LA BARONE.

Puiſque nous voila tous dans la rejouiſſance,
Donnons à notre Actrice un moment d’audiance,
Quelques Scenes du Cid, ſi vous le voulés bien.

L’ACTRICE.

Il ne m’eſt pas permis de vous refuſer rien.

LA BARONE, à la Comteſſe.

Elle ſera demain l’ornement de la Scene,
Vous y viendrez ſans doutte.

LA COMTESSE.

Oh je veux voir Chimene

(en chantant,)

Sangaride ce jour, eſt un grand jour pour vous.

LA BARONE.

Claqués la bien Meſſieurs

tous les Hommes enſemble.

Nous la claquerons tous.

L’ABBÉ, toujours doucereuſement.

Pour la faire jouër avec plus de courage,
Je feray de Rodrigue icy le Perſonage,
Au College autrefois, je recitois des mieux.

LE FINANCIER.

Je crains bien que ceci ne devienne ennuyeux
Qu’en dis tu Chevalier ?

CHEVALIER.

Moy je penſe au contraire
Qu’il va nous divertir, il faut le laiſſer faire

LE FINANCIER, à l’Abbé.

Allons Rodrigue, allons, alerte à repartir.

LA BARONE, à un Laquais,

Quand on aura ſervi qu’on nous vienne avertir ;

Ils s’aſſeyent tous, excepté l’Actrice & l’Abbé.

L’ACTRICE.

“ Quoy Rodrigue en plein jour, d’où te vient cette audace ?
“ Va, tu me perds d’honneur ;

LA BARONE.

Quel ſon de voix flatteur

L’ACTRICE, continuë.

Retire toi de grace.
l’Abbé ſans faire de geſte & froidement ſur le ton du Colege.

“ Je vais mourir Madame, & vous viens en ce lieu,
“ Avant le coup mortel, dire un dernier adieu.
“ Mon amour vous le doit, & mon cœur qui reſpire,

LE FINANCIER.

Le mien étouffe,

LA BARONE.

Paix.

L’ABBÉ

Je ne ſçay plus que dire.

L’ACTRICE, à l’Abbé.

Ne ſongés qu’a vous ſeul, c’eſt là l’unique point.

LE FINANCIER.

Allons Abbé, bidet, ne vous deferrés point.

l’Abbé continüe toûjours de même.

Et mon cœur qui reſpire,
“ N’oſe ſans vôtre aveu ſortir de vôtre empire.

L’ACTRICE.

“ Tu vas mourir.

L’ABBÉ.

“ I’y cours & le Comte eſt vengé
“Auſſi-tôt que de vous j’en auray le congé.

L’ACTRICE.

“ Tu vas mourir,

LE FINANCIER.

Qu’il meure donc, parbleu cela m’inpatiente.

LA BARONE.

Vous ne vous taîrés point, quelle humeur étonante ?
Moy je n’ay jamais vu rien d’égal à cela.

LE FINANCIER.

Il dit qu’il va mourir, & reſte toujours là.

L’ACTRICE, continüe.

“ Celui qui n’a pas craint les Maures & mon Pere,
“ Va combattre Dom Sanche & déjà deſeſpere.

LA BARONE.

Ah ! quelle expreſſion, elle met dans ſon jeu.
Je crois être Chimene & je ſuis toute en feu ;

LE FINANCIER.

Pour moy je ſuis gelé quelque choſe qu’on faſſe,
Et Rodrigue me vaut une taſſe de glace.

L’ACTRICE, continuë.

“ Ainſi donc au beſoin ton courage s’abbat

l’Abbé toûjours froidement.

“ Je cours à mon ſuplice, & non pas au combat,

LA BARONE.

Jufqu’a ſon jeu muet, on voit qu’elle à de l’ame,
C’eſt une grande Actrice avoüés le Madame ;
Sur les autres demain on va crier haro.

LA COMTESSE.

Chimene eſt un prodige.

LE FINANCIER.

Et Rodrigue un Zero.

L’ABBÉ, continuë.

“ Et ma fidele ardeur ſçait bien m’ôter l’envie,
“ Quand vous cherchés ma mort, de deffendre ma vie ;
“ J’ay toûjours même cœur, mais je n’ay point de bras,
“ Quand il faut conſerver ce qui ne vous plaît pas.

LE FINANCIER.

Mr. l’Abbé, haut les bras.

L’ABBÉ.

Et pourquoi m’interrompre, il prend bien de la peine ;
C’eſt gâter à plaiſir le plus beau d’une Scene.

CHEVALIER.

Il a raiſon, ſilence, il récite aſſez bien.

LE FINANCIER.

Qu’il geſticule donc, je ne diray plus rien.

LA BARONE.

Qu’on le laiſſe achever moy j’en ſuis fort contente
Avec un air aiſé je vois qu’il ſe prefente,
Et trouve qu’il ſeroit excellent dans ſon jeu
S’il avoit de la voix, des geſtes, & du feu.
Mais venons je vous prie à la fin de la Scene,
C’eſt à vous à parler.

L’ABBÉ.

Non pas, c’eſt à Chimene.

L’ACTRICE, continuë.

“ Puiſque pour t’empécher de courir au trépas,
“ Ta vie & ton honneur ſont de faibles appas,
“ Si jamais je t’aimay, cher Rodrigue en revanche,
“ D’effends toy ſeulement pour m’oter a Dom Sanche ;
“ Combats pour m’affranchir d’une condition.

LE FINANCIER.

Luy combattre l’Abbé ;

LA BARONE.

Vous ne ſçauriez, vous taire
Monſieur.

LE FINANCIER.

D’un coup de Buſque il tomberoit par terre.

L’ACTRICE, continuë.

“ Et ſi pour moy tu ſens ton cœur encor épris,
“ Sors vainqueur d’un combat dont Chimene eſt le prix.
“ Adieu ce mot laché, me fait rougir de honte.

L’ABBÉ, toujours froidement.

“ Eſt-il quelque ennemy qu’à preſent je ne dompte ;

LA BARONE, en ſe levant.

On ne peut jouer mieux il le faut avoüer ;
Qu’en dittes vous, Meſſieurs ?

LE CHEVALIER.

On ne peut que loüer, ſur tout monſieur l’Abbé.
Madame il a fait rage

L’ABBÉ, doucereuſement.

Vous penſez vous moquer mais je ſuis tout en n’age,
Avec elle en joüant on ſent je ne ſçay quoy,
Qui dans la paſſion fait entrer malgré ſoy,

LA BARONE.

Elle ſera reçûë, elle s’y doit attendre ;

Monſieur le Financier, vous l’a venés d’entendre,
Dittes nous votre avis qu’en penſez vous.

LE FINANCIER.

Dittes nous votre avis qu’en penſez vous. Morbleu,
Je n’ay point vû d’actrice avoir un ſi grand jeu.

L’ACTRICE.

A trop flatter les gens, on ſe rend condamnable.


Scène DERNIERE.

UN LAQUAIS.

On a ſervy Madame

LA BARONE.

On a ſervy Madame Allons nous mettre à table.

L’ABBÉ.

Je veux auparavant vous dire un mot icy,
Au Parterre demain j’anonceray cecy :
Meſſieurs ſi l’Actrice Nouvelle,
A vous plaire aujourd’huy met des ſoins ſuperflus
Je le dis devant elle, ne la revoyés plus,
Mais ſi vous la trouvez en merite feconde
Venés la voir en foule, elle aime le grand monde.

FIN.