L’Agro romano, la vie agricole et la vie pastorale dans les anciens états de l’Église

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L’Agro romano, la vie agricole et la vie pastorale dans les anciens états de l’Église
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 97 (p. 367-400).
L'AGRO ROMANO

LA VIE AGRICOLE ET LA VI PASTORALE DANS LES ANCIENS ETATS DE L'EGLISE

Les états de l’église étaient-ils viables ? avaient-ils en eux, surtout depuis qu’ils étaient réduits au seul patrimoine de Saint-Pierre, les conditions nécessaires à leur subsistance normale ? Telle est évidemment la question qu’auraient dû se poser les défenseurs du temporel des papes avant de faire des tentatives pour entraîner de nouveau la France dans une politique funeste à tant d’égards. Ce vieux temporel pouvait-il encore se tenir debout ? même protégé par les armes étrangères, n’était-il pas trop usé, trop appauvri de sang et d’or, trop irrémédiablement impuissant, pour ne pas aboutir lentement à la mort par inanition ? Ainsi s’éteignent certains vieillards auxquels la charité publique jette quelques deniers en passant.

Ce n’est ni la question de droit, ni la question de convenance religieuse ou politique d’une intervention que l’on se propose de traiter ici. Nous limiterons le problème à l’une de ses faces les plus simples, à la face économique, et là encore nous ne choisirons qu’un seul point, celui de l’économie rurale dans l’agro romano. Ce point a son importance dans le renouvellement de l’Italie. A défaut de détails statistiques, trop arides et difficiles d’ailleurs à obtenir en un pays où les calculs de cette science n’étaient pas du domaine public, nous produirons les résultat, d’observations suivies, lentement recueillies en un séjour de seize ans dans la contrée et dans le voisinage. Un coup d’œil sur les solitudes des campagnes romaines, un aperçu de leur économie rurale au point de vue de la propriété, une étude du mode d’exploitation des bois, des pâturages, puis des terres labourées, nous conduiront à chercher les moyens de ramener la vie là où elle semble éteinte depuis des siècles. Ce travail n’est pas seulement à l’ordre du jour pour la nouvelle capitale de l’Italie, il peut servir à rectifier des préjugés en France même. Ce sera notre réponse à la question par laquelle nous commencions ces lignes : les états de l’église étaient-ils viables ?


I

Qui n’a rêvé de voir le désert, au moins une fois dans sa vie ? Mais partir pour l’Égypte ou pour le Sahara, c’est une perspective peu rassurante ; l’occupation française des états de l’église a fourni l’occasion de se passer cette fantaisie sans presque sortir de France. Rome était devenue comme un département français, et, sans quitter l’ombre de notre drapeau, nos bons bourgeois ont pu voir le désert.

Le désert à Rome ! Sans doute, n’est-ce pas le sort des vieilles capitales ? Ne voit-on pas les poulains et les bœufs paître l’herbe qui pousse entre les pavés de Ravenne, cette métropole du bas-empire latin ? Ce n’est pas en vain que le Forum romanum s’appelle aujourd’hui le Forum boarium. Il est rare de trouver autre chose sur le Célius et l’Aventin que l’ombre épaisse de quelques moines, ou de rencontrer plus de dix personnes à la fois sur l’immense place de Saint-Jean-de-Latran, cette mère des basiliques ; le silence et la solitude règnent dans les deux tiers de l’antique enceinte abandonnée aux maraîchers. Et s’il en est ainsi au dedans des murs, que sera-ce donc au-delà ! Après une demi-heure de course en voiture dans n’importe quelle direction, quand on a franchi la ligne de villas qui forment les faubourgs de Rome et le cordon de vignes qui entoure les murailles séculaires, voici le vide. De grands espaces désolés, des plateaux où il n’y a rien, coupés par des dépressions qui sont à peine des vallons et où il n’y a rien.

Avant de s’arrêter aux monts sabins, l’œil trouve, il est vrai, de rares contours, des points de repère ; mais ne demandez pas si ces amas de murs sont des fermes ou des villages, il n’y a là que des ruines, des aqueducs écroulés, des tombeaux, — des tombeaux surtout : c’est la mort qui survit le mieux. Cette longue ligne qui monte et se continue durant six lieues jusqu’aux monts albains ressemble à une rue de village bordée de huttes, c’est la voie des tombeaux, le cimetière des anciens ; ce tertre oublié dans la plaine, une tombe ; cette tour qui domine la solitude, un sépulcre. Ces espaces désolés sont la nécropole du peuple-roi, qui, ici même, a vécu, travaillé, joui, souffert. Cela fut quelque chose, ce n’est plus que le néant.

Ce néant, on l’appelle l’agro romano. Deux cent mille hectares environ, terrains d’alluvion au bord de la mer et plateaux volcaniques le long des montagnes, voilà le patrimoine de Saint-Pierre tel que les siècles, les révolutions, les incapacités des papes, viennent de le léguer à la nouvelle Italie. L’Italia risorta s’établit dans un cimetière. De la Toscane aux provinces napolitaines, sur une longueur considérable, le désert ! Les plages où le commerce affluait, où Antium, Laurente, Ostie, florissaient : désert ! Les campagnes fertiles où Veïes combattait Rome naissante, où Fidènes rivalisait avec le Palatin, — Numente, où l’on se battait naguère (Mentana), — les Marais-Pontins, où s’étalaient jadis vingt-trois cités : désert ! on parle bien de Porto-d’Anzio, Nettuno : n’allez point à ces bourgs délaissés, les brigands vous rançonneraient en route, dans ces mêmes bois où les patriciens romains se faisaient porter en litière jusqu’aux bains de mer. On parle encore de Monte-Rotondo, de Borghetto, de Civita-Castellana, de Ronciglione, de Montefiascone, ce sont des noms plutôt que des choses, de simples appellations géographiques ; le moindre bourg de France ou de Navarre a plus d’importance que ces groupes de bicoques oubliées dans la solitude. Les environs immédiats de Rome, en tout cas, ne sont qu’un territoire sans habitans. Il faut sortir du Latium et franchir les monts étrusques pour trouver avec Viterbe une véritable petite ville, épine rebelle dans la couronne de saint Pierre. Quant à Civita-Vecchia, c’est un bourg bâtard, moitié citadelle. moitié port de mer, qui depuis longtemps n’exportait plus que des chapelets ou n’importait que des zouaves croisés pour la guerre sainte.

On l’a dit avec raison : Rome a une sorte d’influence mortifère ; plus on s’en éloigne, plus on trouve de vitalité, de circulation, d’habitations. Contrairement à tous les organismes connus, c’est aux extrémités que la sève afflue surtout. Frascati, Albano, ne vivent qu’à l’état de lieux de plaisance, destinés à la villégiature pendant les saisons chaudes. Qui parlerait de Tivoli sans ses cascades, de Subbiaco sans ses paysages ? Mais éloignez-vous un peu : vous rencontrerez déjà Velletri avec ses vignobles, Terracina avec son cap épique, Sonnino, patrie d’Antonelli, Anagni, Ferentino, Frosinone, lieux dont on ne peut dire qu’une chose, c’est qu’ils sont devenus stations de chemin de fer, et dans le voisinage de ces noms obscurs ou fameux, autour, partout, le désert, — le désert parsemé non pas d’oasis, mais de roches nues aux aspérités desquelles sont suspendus ces nids d’aigle. Y sont-ils perchés pour le pittoresque du paysage ou pour la commodité des habitans ? Ni pour l’un, ni pour l’autre, mais pour la sécurité commune. Ici, nous sommes encore au moyen âge, à quelque cinq ou six cents ans en arrière ; la plaine n’est pas sûre, les chemins sont à peine praticables : il faut se grouper. Ces paysans n’osent bâtir leurs cabanes plus bas, dans les maigres champs qu’ils retournent à la bêche ; ils y seraient dévalisés par leurs voisins du bourg rival, par les jaloux de leurs familles. Que voulez-vous ? ce sont les mœurs d’il y a mille ou quinze cents ans, avec cette différence qu’alors le brigandage venait d’en haut, et que maintenant il vient d’en bas. Les descendans des barons ont trouvé leurs maîtres depuis qu’ils ne portent plus l’armure. Tout propriétaire a des envieux, et puis la frontière était si voisine, on était si vite sur le territoire napolitain ! Ces dernières années surtout, on a eu mainte occasion de continuer ces traditions d’un autre âge. La guerre était déclarée entre François II, roi légitime des Deux-Siciles, et le Piémont usurpateur ; le saint-père bénissait les défenseurs du trône ; la guérilla s’organisait au pied de ces roches. On s’est fait la main sur le territoire voisin ; on s’était levé en partisan, on est revenu brigand. Est-ce à dire qu’il faut répéter le proverbe : Romain, donc brigand ? Ce serait plus qu’une injustice. Les Romains ne sont pas responsables de ce que l’économie sociale des pontifes les a empêchés de marcher avec le genre humain.

On n’aperçoit pas de fermes disséminées à la façon des autres contrées européennes dans l’agro romano, ou si par hasard on en découvre une, on peut être sûr que c’est quelque reste d’une forteresse du moyen âge, hissée sur des substructions antiques, à demi crénelée, sans beaucoup de fenêtres à l’extérieur, à mine défiante, rébarbative, et habitée par des pauvres diables qui ne risquent pas grand’chose. Tout ce qui les entoure appartient à quelque prince romain. Leur mobilier est nul ; leurs vêtemens ne valent pas qu’on les ramasse ; les troupeaux ont seuls de la valeur, mais ces bestiaux, ils en sont responsables vis-à-vis du maître. S’il n’y a rien entre ces nids d’aigle, qui s’appellent ici des bourgs, de quoi vivent donc les habitans ? De bien peu de chose : les bœufs qu’ils gardent ne se tuent guère à leur usage ; c’était vendredi sept jours par semaine pour les sujets de l’église. Un peu de pain de mais récolté dans le vallon, quelques verres de vin du coteau voisin, quelques gouttes d’huile rance exprimée des olives de la montagne, en voilà pour tous les jours que le bon Dieu fait. Ce pauvre peuple n’a pas toutes les vertus, mais on ne peut lui contester la sobriété. Au reste la population n’est pas bien dense, comme on peut le penser. De rares montagnards descendent de leurs repaires, une bêche à la main ; ils s’unissent par petites troupes sous le commandement de quelques chefs, et courageusement se mettent à retourner une lande inculte qu’ils ensemencent à la hâte, où ils récolteront de même. Ainsi du moins dans le voisinage des bourgs. A part l’olivier et la vigne, qui forment oasis à de rares intervalles, c’est là toute la culture en pays accidenté. Si le maïs manque, tant pis ; au lieu de faire maigre, on jeûnera, et ce sera carême toute l’année. Quoi d’étonnant à ce qu’on profite des occasions dépasser la frontière, si voisine et si tentante ? La faim chasse les loups du bois, et il ne faut pas trop leur en vouloir. En plaine, au marais, le long des plages basses, le mal est bien pire, et nous aurons lieu d’en parler.

Pour qu’il y ait des hommes, il faut qu’il y ait du pain ; si l’on veut repeupler le désert, il faut qu’il soit fécondé. Pouvait-il l’être sous le gouvernement des prêtres ? Là est le nœud de la question économique qui s’impose à notre examen. Elle ne fut pas toujours une lande ; cette mélancolique campagne romaine qui fait de la cité papale un grand cloître isolé dans le silence. Il fut un temps où les peuples du Latium la cultivaient fructueusement, et la preuve, c’est qu’ils s’en disputaient la possession. Vêïes, Nomentum, Albe, Laurente, Ardée, Antium, avaient leur territoire, que fécondaient des travailleurs nombreux. Plus tard, sous la république romaine, il n’était pas besoin d’aller chercher des subsistances hors de la patrie latine. Rome, aidée des voisins qu’elle avait subjugués, fuit non-seulement assez forte, mais assez riche pour s’élancer vers des conquêtes toujours grandissantes ; la charrue lui en fournissait les moyens. Plus tard encore, sous l’empire, quand les richesses du monde, affluant à la capitale, permrent aux vainqueurs de faire venir les subsistances de Sicile ou d’Égypte, on cultiva moins les terres du Latium au point de vue du produit, mais on les transforma en villas splendides, en jardins, en parcs, en lieux de délices. On n’a donc pas affaire à un sol naturellement stérile. A présent même, malgré des siècles d’abandon, ce n’est pas un Sahara ou une Arabie Pétrée ; chaque printemps, cette campagne verdoie, la fécondité y est telle qu’un homme disparaît dans les hautes herbes de certains cantons. Je sais un rivage du Tibre où le blé verse presque immanquablement sans qu’on se mette en frais pour le fumer. Pourquoi travaille-t-on si peu ce sol fertile ? Pour bien des raisons, dont une seule suffirait : la législation s’y opposait. Voilà une assertion qui peut sembler étrange, mais l’étude des faits va nous l’expliquer.

Pour les deux tiers au moins, le sol est entre les mains des princes et des prêtres, c’est-à-dire sous le régime de la mainmorte. Quant à l’exploitation, elle appartient aux mercanti di campagna, sorte d’entrepreneurs qui font valoir de leur mieux, sans pourtant s’y fixer de leurs personnes, les territoires qu’on leur loue. Mainmorte, fermiers non résidens, voilà le résumé de toutes les misères agricoles du pays. En effet, qui pouvait s’inquiéter d’améliorations ? Le prince, le grand seigneur ? Mais dans l’aristocratie romaine il était de mode de ne mettre le pied sur ses terres que pour chasser, ou dans ses villas que pour y faire une courte villégiature. Se préoccuper de soins vulgaires, c’eût été déroger, on ne l’eût osé. Ce n’est pas d’ailleurs au Corso, ni au Monte-Pincio, encore moins dans les salons où se concentre et s’étiole la noblesse romaine, ni au séminaire ou sous la direction du précepteur-abbé auquel on confie la jeunesse, que tout ce petit monde doré eût appris l’importance des travaux rustiques. Aussi est-il presque sans exemple qu’un patricien de la Rome moderne se soit occupé de ses propriétés autrement que pour démêler des comptes embrouillés avec ses intendans, ou entretenir tant bien que mal ses villas. L’eût-il voulu d’ailleurs, il ne l’aurait pas pu. Ses rapides voyages à l’étranger n’ont été que des excursions d’agrément ; l’économie rurale n’a jamais fait partie de son éducation. Enfin le voulût-il essayer, il ne pouvait le faire pour des motifs qui méritent notre attention.

Lorsqu’un propriétaire veut exploiter lui-même son bien, il faut qu’il ait un capital disponible à employer en troupeaux, instrumens aratoires, semailles, salaires aux journaliers. S’il a le malheur de ne posséder qu’une terre nue, il faut qu’il commence par construire une maison d’habitation, des bâtimens ruraux, étables, bergeries, granges, etc. Or comment faire ces dépenses sur plusieurs lieues carrées de terrain ? Ce qu’on pourrait essayer en petit, on ne peut songer à l’entreprendre en grand, fût-on prince et presque roi. Prenons pour exemple l’illustre maison Borghèse. — On dit qu’elle possède environ le dixième du patrimoine de Saint-Pierre, possession complète, presque absolue, naguère du moins, puisque des villages et des bourgs lui appartenaient, lui payant impôt et la reconnaissant comme leur padrone après le saint-père ou de par le saint-père. Voudrait-on qu’un prince Borghèse s’avisât de tenter tout à coup la transformation de la dixième partie de ce royaume en une Beauce plantureuse ou en une verdoyante Normandie ? Cela dépasse les forces d’un homme qui n’est pas prince régnant, et qui ne peut imposer ses volontés que par cette force qui s’appelle l’argent.

L’argent, en ont-ils les pauvres princes romains ? L’ex-financier Torlonia a pu entreprendre de dessécher le lac Fucino pour le rendre à l’agriculture ; mais celui-là était banquier, il gagnait d’une main ce qu’il dépensait de l’autre. Quand il affermait les tabacs ou négociait des valeurs, il pouvait oser de grandes choses, plus éclatantes du reste que fécondes. S’il n’avait eu que les 1,500,000 francs de rentes de tel prince romain, il n’aurait pas dépensé 5 ou 6 millions à renouveler l’aqueduc de Claude, il n’aurait pas conquis le grand prix d’agriculture qui lui a été décerné à l’exposition universelle. Les 200,000 ou 300,000 écus de rentes que possèdent les Borghèse, les Doria, les Rospigliosi, les Massimi, que seraient-ils dans la résurrection agricole immédiate d’un pays entier ? Une goutte d’eau jetée aux sables du désert. Il y a plus, ces 200,000 ou 300,000 écus ne sont pas disponibles, l’emploi en est fixé d’avance ; le budget de l’année est tel qu’il emporterait avec la rente une partie du capital, si le capital était mobilisable, ou si l’on ne s’imposait des privations. Il n’est pas d’état grevé de charges comme le sont les principautés des patriciens de la Rome moderne. Couvens à entretenir, dotations à continuer, pensions à payer, œuvres pies à pourvoir, villas à replâtrer, à ratisser, à tondre, grand train à tenir, domesticité multiple à soudoyer : il y a de quoi effrayer les envieux mêmes. Mieux vaut être pauvre d’un petit avoir non grevé que riche comme ces princes. Il n’est pas besoin de leur supposer des vices brillans, ni le goût du jeu, pour comprendre qu’ils n’aient rien à consacrer à l’amélioration agricole de leurs domaines. On les sent même très embarrassés par l’entretien de leurs villas et de leurs palais ; plus d’un s’ingénie à en sous-louer ce qu’il peut. Le public jouit trop de leurs villas pour avoir le droit de leur faire des reproches, et on peut dire sans ingratitude que, si les constructions y sentent un peu la ruine, si les bosquets et les pelouses y sont moins bien en ordre que la ferme d’un gentleman anglais, la faute en est non pas à eux, mais au régime dont ils sont les plus éclatantes victimes.

En effet le majorat, qui jusqu’au changement de régime les conservait riches en apparence, est aussi ce qui les a en réalité appauvris. Si vous demandiez : à qui ces bois, ces près, ces oliviers ? et qu’on vous répondît : au prince X…, il n’en fallait rien croire avant examen ; le prince X… pouvait bien n’en avoir que la nue propriété. Des erreurs de conduite avaient fait confisquer ses rentes par les créanciers ; ce somptueux seigneur vivait de misère, la chronique parle d’aumônes qu’il recevait sur le modeste budget du saint-père. Vous vous étonnez, vous demandez pourquoi il ne vendait pas un coin de ses domaines ; il eût payé ses dettes et se fût retrouve riche après cela. Oui, mais le majorat, mais la législation pontificale ! Jusqu’à ces derniers temps, cette combinaison élémentaire ne se tolérait que par exception et sur autorisation motivée du pape même. A plus forte raison ne pouvait-on pas vendre une partie de son champ pour mettre l’autre en valeur. En rencontrant un de ces titres, vous étiez tenté de lui dire : — Mon prince, vendez donc la moitié de ces domaines qui ne vous imposent que des charges et créez des fermes-modèles ; au bout de dix ans, vos revenus. auront. triplé. — Il vous eût répondu fièrement : — Je suis prince et possède un majorat. — Le fait est que le majorat le possédait.

A cela, nous l’avouons, il y avait des compensations heureuses, non pour lui, mais pour le public. Si les princes avaient pu se défaire de leurs beaux tableaux, c’est à Saint-Pétersbourg ou à Munich qu’il faudrait aller les admirer ; si leurs splendides villas eussent été facilement aliénables, les touristes ne s’y promèneraient pas comme chez eux, à l’ombre d’une hospitalité qui n’a pas d’exemple chez les roturiers parvenus. La terre aurait repris alors ses droits, et les possesseurs d’un dixième ou d’un vingtième de royaume ne seraient pas de petits rentiers, obligés de baisser pavillon devant les valets de la finance européenne. La terre eût repris ses droits, c’est-à-dire qu’elle fût revenue à qui peut la faire valoir. C’est ce qui ne manquera pas d’arriver sous la législation italienne. Le désert reculera devant le capital envahisseur ; la vie reparaîtra avec la libre richesse là où la misère somptueuse a perpétué la mort.

Qu’en Angleterre, où la grande propriété n’exclut ni la richesse mobilière, ni l’esprit d’entreprise, ni l’instinct du progrès, il soit possible de féconder de grands domaines, on se l’explique aisément. Transformez le prince romain en lord anglais, on espérerait peut-être ; mais on ne peut rien attendre de qui s’est laissé étioler soi-même. Quelqu’un a dit : « Tant vaut l’homme, tant vaut la terre. » Au reste, les capitaux mêmes du lord anglais perdent une partie de leurs avantages quand il s’agit de propriétés en Irlande, car en Irlande il n’habite pas, donc il améliore peu. Le prince romain habite la capitale, par courts intervalles sa villa, jamais ses terres. Absent et besoigneux, il en tire au plus vite ce qu’il peut, sans jamais rien leur donner.

Ce que les princes romains ne voulaient, ne savaient ni ne pouvaient faire, les moines, les prêtres, les religieux de tous ordres, étaient encore moins propres à l’entreprendre. Le froc est brouillé avec le travail matériel : ce n’est point là d’ailleurs ce qu’on en attend. Créer des assolemens, composer des engrais, utiliser le semoir suisse, telle n’est pas l’affaire des prêtres. Ce n’est pas qu’ils ne soient intelligens et parfois instruits, mais la terre et ses biens ne semblent guère devoir entrer dans leurs attributions. Il est étrange que malgré cette incapacité naturelle ils n’aient rien si à cœur que de s’approprier le sol et de devenir possesseurs de biens-fonds. Dans le patrimoine de Saint-Pierre, il fallait donc s’attendre à trouver la mainmorte ecclésiastique. Si tout le pays n’était pas déclaré bien de l’église, il faut voir là une simple condescendance pour les anciens possesseurs, considérés du reste comme vassaux du saint-siège, et surtout pour ces princes romains, issus la plupart de familles pontificales. De temps à autre, paraissaient d’ailleurs des décisions qui revendiquaient le droit de toute possession de la part du saint-siège. C’est ainsi qu’en 1867 un acte émané de Mgr de Witten menaçait de confisquer les biens meubles, et mettait le séquestre sur les immeubles de tous ceux qui avaient trempé dans le mouvement garibaldien ; le considérant du décret portait qu’il était juste de dédommager aux dépens des coupables ceux qui avaient souffert de la secousse politique. Cette menace est restée sans exécution, on le conçoit : le décret même n’obtint qu’une publicité restreinte ; mais l’on voit que le gouvernement pontifical se croyait le maître de la propriété foncière.

Si le saint-siège, au lieu de confisquer tous les usufruits à son profit, s’est contenté d’un médiocre droit d’investiture pour la propriété privée, il n’en est pas moins vrai qu’une forte partie de la propriété dans les états du pape est encore désignée sous le nom de commune, c’est-à-dire qu’elle appartient à des communautés, et qu’elle constitue des bénéfices en faveur des princes de l’église, cardinaux, évêques, abbés, généraux des ordres religieux. Ajoutez à cela les chapitres des grandes basiliques, les diverses sociétés dites charitables, les administrations des hospices, les congrégations bienfaisantes, qui toutes, par donations surtout, se trouvent riches de biens-fonds immenses. San-Pietro dans la première catégorie, Santo-Spirito dans la seconde, passent pour être des plus opulentes.

Ici, comme pour les princes romains, nous devons dire que c’est une richesse plus apparente que réelle. Les revenus sont limités par le mauvais état de l’administration, par l’impuissance bien connue de la mainmorte, par l’abandon notoire du travail agricole. Les apologistes contemporains des institutions cléricales se sont enhardis jusqu’à plaider la cause du monachisme actuel en exhumant les mérites du monachisme passé. On a rappelé que certains ordres religieux avaient contribué au défrichement de l’Europe après les destructions des barbares. Hélas ! les temps sont bien changés ; nous avons visité bon nombre de couvens de tous les ordres, en Italie surtout ; il ne nous souvient pas d’en avoir vu un seul dont le jardin fût quelque peu bien tenu. Les herbes folles et les orties poussent comme chez elles autour de ces retraites où s’endort l’indolence de tant d’hommes vigoureux. Si l’on y compte quelques frères jardiniers, je les soupçonne d’être peu aidés des autres et plus jaloux de leur repos que du bon ordre de leurs plates-bandes. La plupart des couvens font cultiver leur jardin à prix d’argent par des paysans.

Si même un étroit potager souffre de la négligence et de la mollesse monacales, que voulez-vous que deviennent des biens-fonds, des domaines immenses confiés à ces mains inertes ou inhabiles ? S’il y a lieu de s’étonner de quelque chose, c’est que tout cela rapporte encore quelques revenus avec de tels maîtres, — et ce n’est qu’à la condition d’être exploité, géré par d’autres : pour les biens de ville les avocats, pour les biens ruraux les tenanciers à ferme, qu’on appelle ici « marchands de campagne. » Je ne sache que les vignes qui soient exploitées directement par les ordres réguliers ou séculiers, quand elles sont dans un rayon rapproché de la ville ou du couvent. Portez-vous sur les coteaux qui avoisinent Rome ou suivez l’aqueduc de l’Acquafelice, vous y trouverez quelques vignobles tant bien que mal tenus ; beaucoup sont de mainmorte, qui à saint Giacomo, qui à saint Domenico, qui à tel autre saint. Un paysan les cultive ; payé à tant par mois, mais engagé à l’année à titre de contre-maître responsable, il loue des ouvriers au compte de l’administration. Il reçoit les visites plus ou moins fréquentes d’un ou de plusieurs frères surveillans, qui se montrent surtout à l’époque des vendanges. Ce chef travailleur à gages mesquins, sans capital, sans intérêt dans l’entreprise, suit naturellement une routine appauvrissante. De là ce résultat, assez digne de remarque, que les vins les plus recherchés des anciens Romains, liquides généreux et pleins de qualités naturelles, sont si mal récoltés qu’ils ne peuvent pas être conservés longtemps ; ils ne se prêtent pas tels quels à l’exportation. Les vins sucrés de Marino se transforment en vinaigre, et tels nectars dignes de Marsala ne se consomment qu’au jour le jour, à la barrique, sans qu’on ait songé à les emménager pour les mettre en bouteilles. Les propriétaires sont réduits à les faire vendre en boutique par leurs propres agens, dans les rues de Rome, au détail, sous le titre de vini padronali. Ainsi de tout le reste. La condition la plus favorable pour les ordres religieux, c’est de louer leurs domaines aux laïques moyennant une rente fixe. Que sont ces entrepreneurs tenanciers ou mercanti di campagna, qui presque seuls représentent la classe agricole dans l’agro romano ? C’est ce qu’il importe de bien comprendre. Ce sont gens de la classe moyenne, plus citadins que ruraux, riches de quelques capitaux disponibles et d’un esprit d’entreprise souvent très hardi. Ils sauvent le pays d’un complet abandon, peuplent le désert de troupeaux, et font croître le peu de blé que consomme la population clair-semée. Les latifundia que leurs propriétaires livrent, ainsi au mercante di campagna peuvent se diviser en trois sections principales : la macchia (bois), la pastorizia (pâture), la tenuta (ferme). A proprement parler, celle-ci peut embrasser les deux autres, mais elle suppose quelques labours.

II

La macchia ne manque pas d’étendue. La grande propriété ne va pas sans des bois ; elle en pourrait tirer un bon profit, si les débouchés étaient plus faciles et la vente plus assurée. Le bois est cher à Rome ; il le deviendra bien plus quand la population augmentera et qu’elle s’y chauffera autrement qu’avec ses misérables pots à braise. Pourtant les forêts ne rapportent presque rien à leurs propriétaires dans l’agro romano. La raison n’en est pas seulement dans l’insuffisance des moyens de transport, elle est surtout dans ce fait incroyable : les forêts romaines ne produisent rien ou presque rien. Ne vous en prenez pas au sol, n’accusez pas la nature ; si on la laissait maîtresse, nous aurions ici la forêt vierge et une luxuriante végétation. A qui donc s’en prendre ? A une légère erreur dans les mœurs rurales : chez le saint-père, on n’avait pas établi une distinction bien nette entre forêt et pâturage. Les deux mots sont ici presque synonymes, et l’on y appelle simplement le bois una macchia, une tache dans la prairie. L’expression est pittoresque, mais de plus elle est exacte. Ces arbustes rabougris que les bestiaux ont tondus et les pâtres cent fois rognés ne font guère de loin l’effet que de grandes herbes qui dépassent un peu les autres. Vus dans la rase campagne, ils font tache au milieu des herbes folles.

Les propriétaires sont trop loin pour avoir des prétentions sérieuses à la surveillance ; les fermiers sont dans le même cas, puisqu’ils habitent la ville pour la plupart. Leurs baux sont rarement assez longs pour qu’ils aient intérêt à donner au bois le développement nécessaire et à mettre la macchia en coupe réglée. Nous verrons qu’ils en tirent un profit plus immédiat en les livrant à leurs bestiaux.

Bref, c’est l’abandon, le désordre, l’incurie, qui ont paralysé cette force vive et diminué, sinon détruit, cette précieuse ressource. Pas même l’idée d’un aménagement des bois ; tout va au hasard, comme les charbonniers, les bœufs, les moutons et les chèvres veulent bien que tout aille. Malheur surtout aux arbres isolés : quels qu’en soient l’âge et le prix, il faut qu’ils soient détruits tôt ou tard ; voyez plutôt ces gros troncs noircis qui semblent des rocs volcaniques sur les vastes pelouses : ce sont les restes de robustes chênes que l’on a tout simplement incendiés, les racines et les pieds tordus en demeurent comme pièces de conviction dans ce procès de barbarie. Questionnez les pâtres sur l’essence de ces autres troncs dénudés : ce furent des chênes-liège, vieux de cent ans au moins ; tandis que, pour alimenter leurs feux en plein air, vaccari et pecorari les ont dépouillés de leur chevelure de feuillage et de leur pelure de liège ; le buste, gris et haché, est seul debout, défiant la paresse des dévastateurs. Pourtant qui n’a entendu dire que la végétation assainit un pays, qu’elle contribuerait à diminuer la malaria, qu’en plantant un désert on en bannirait la mort ? Cette opinion est l’exagération d’un fait vrai. Bien des forêts luxuriantes de la côte sont précisément l’asile de la fièvre ; mais que penser de ce préjugé si répandu dans les états de l’église qu’un arbre est chose malsaine, qu’on risque de se refroidir à son ombre et d’y prendre la fièvre !

Des individus isolés passons à la macchia. Cette masse de broussailles parsemées de clairières, ce pêle-mêle d’arbustes toujours verts, chênes, lentisques, arbousiers, pourquoi tout cela ne grandit-il point ? Demandez-le aux pâtres de ces régions abandonnées, avec leurs jambes enveloppées de poil de chèvre et leur houlette de six pieds ; ils vous répondront en vous montrant, par-dessus la ligne des feuillages ondulans, de longues cornes qui surmontent des têtes inquiètes, des yeux aux aguets ; ce sont leurs grands bœufs noirs ou gris, farouches et peu rassurans. Ils sont poétiques sous leurs armures énormes, ces sauvages dévastateurs de bois ; mais aussi ils sont bien maigres sous leur manteau argenté. Que peuvent-ils trouver à paître à travers ces branchages qu’ils font craquer sous leurs bonds ? Des feuilles et de jeunes pousses ; or, si le régime leur va peu, les bois qu’ils foulent, brisent et tondent sans pitié ne s’en portent pas mieux. On se demande même comment un seul arbuste peut résister à ces épreuves.

La nature est souple dans sa fécondité ; trouvant les quadrupèdes si voraces, elle a donné naissance à des plantes si peu friandes que les bœufs ont bien dû leur laisser place au soleil. Les arbustes de plus noble essence, déformés par tant d’assauts, se hérissent de pointes, se contournent, se démènent ; leur ombre abrite des venins, leur pied porte des parasites amers ; d’acres plantes bulbeuses leur disputent les sucs nourriciers, des euphorbes au lait meurtrier envahissent le sol. Comment l’arbuste deviendrait-il un arbre ? Le bœuf lui a coupé la tête, le mouton dévore les basses branches ; ce que les deux premiers n’ont pu lui prendre, la chèvre le lui enlève sans pitié, l’écorce même y passe.

Telle étant la destinée commune de la majorité des bois dans le Latium, il y a lieu de se demander comment il se fait que la peinture rencontre précisément dans ce pays les plus beaux modèles d’arbres à imiter ? La raison en est simple : c’est que tantôt un pape a sauvegardé quelques ombrages aux abords du château, à Castel-Gandolfo par exemple, tantôt un neveu de pape a voulu se créer une villa splendide où trouver la fraîcheur en pleine canicule. Et comme tout est séculaire en ce pays, le bien ainsi que les abus, certains arbres ont obtenu le privilège de se développer plusieurs centaines d’années, tandis que leur essence semblait maudite dans le reste de la contrée. Il y en a de 8 mètres de tour que la foudre seule a le droit d’ébrancher ; mais ceux-là sont des nobles qui ont eu le bonheur de naître en terre princière. On dit que les princes Chigi se sont fait, de père en fils, une loi de ne jamais abattre un arbre sur leurs domaines. Aussi allez visiter leur villa de Larizia ou leur forêt de Castel-Fusano, et vous serez émerveillés de la beauté sauvage de ces géans qui de leurs bras noueux bravent les âges et narguent les exploiteurs. Chênes de toutes essences ou pins arrondis en dômes, ils ne ressemblent, pas à ces échantillons travaillés que nous fournissent nos forêts de l’état. Jamais ils ne furent ébranchés. ; on ne les a pas fait monter en futaies régulières. Mouraient-ils, ils pourrissaient sur pied. Cette prodigalité de grands seigneurs ne manque pas de poésie ; pourtant quelles inconcevables conditions économiques cela ne suppose-t-il point ? Un peuple moderne, une nation qui veut vivre, peuvent-ils se contenter de ce grandiose lascia stare ? Heureux quand le feu ne vient pas, sur des centaines d’hectares, consumer le peu qui reste des maquis. Le mauvais vouloir intéressé ou la sottise d’un pâtre suffisait pour amener de tels désastres dans un pays où la surveillance, prévue nulle, ne se faisait guère que par d’anciens repris de justice travestis en gardes forestiers. C’est ainsi qu’il y a quelques années, si je ne me trompe, le duc Grazioli vit incendier bonne part de ses bois aux environs d’Ostie. Le feu est souvent pour le berger un système de défrichement expéditif — et coercitif. A la forêt détruite succède alors un pâturage tel quel, où les repousses le disputent à l’herbe.

La pastorizia est ici le mode d’exploitation auquel on subordonne tout le reste. De la mer aux montagnes, les bergers règnent en souverains par leur rôle plus que par leur nombre. Comme les grands personnages, ils ne se prodiguent point. La campagne se peuple non pas d’hommes, mais de bêtes ; encore y sont-elles plus clair-semées qu’une exploitation normale ne le comporterait. Ces grands bœufs gris au cornage immense appartiennent à une race osseuse introduite par les Huns, exactement semblable aux animaux dits hongrois, que l’invasion a promenés à travers nos provinces de France. Propre au travail, elle semble le contre-pied du durham pour la chair ; elle s’accommode à merveille de l’état demi-sauvage dans lequel on la laisse. Une étable est chose absolument inconnue pour ces pauvres bêtes. Nées au milieu du maquis, elles y grandissent presque seules, s’y multiplient à leur tour, et ne sont un peu apprivoisées qu’au moment de la lactation. Des troupes de chevaux velus comme des ours vagabondent, et cherchent leur maigre vie sans autres trouble-fête que les oiseaux de proie qui passent et repassent en quête de quelque immonde pâture. Des bandes de buffles se vautrent d’un air farouche dans les marécages, et font penser aux jungles de l’Inde, leur premier berceau. Ce sont eux qui donnent un peu d’écoulement aux ondes malsaines des canaux, dans les Marais-Pontins, par l’agitation qu’ils produisent dans la vase. Enfin des troupeaux de moutons parcourent les coteaux élevés et les côtes arides.

Or tous ces bestiaux sont la propriété des mercanti di campagna. Dans les environs de la capitale et partout où ils le peuvent, ceux-ci parquent tant bien que mal leurs animaux entre des barrages grossiers, dont les longues lignes droites interrompent à peine la monotonie du paysage. Ces barrières sont leur œuvre, presque leur seule création locative ; parfois ils les font de compte à demi avec le propriétaire. Pieux et barres durent un peu plus d’un bail, une quinzaine d’années environ ; c’est la seule trace de la présence de l’homme. Point d’abris ; par tous les temps, on vit sub Jove : nuits froides et jours chauds, le bétail supporte tout cela. Telles sont les coutumes, résultat à peu près forcé de la dépopulation de l’agro romano. N’est-il pas curieux de trouver jusqu’aux portes de la capitale du monde chrétien une image aussi exacte de l’ancienne Scythie ou de l’actuelle Ukraine ? Si les barbares du nord, en envahissant l’empire romain, s’étaient proposé d’y importer leurs mœurs et une ressemblance de leur patrie, ils n’auraient pu mieux réussir. À ce parallèle ne manque pas même l’image dégénérée du Cosaque ou du Tartare. Les agens et les pâtres employés par les marchands de campagne, ce sont ces demi-barbares que vous voyez traverser les solitudes, montés sur leurs poulains sans ferrure, ou ces satyres peu récréatifs qui, vêtus de peaux de bouc, vous regardent arriver d’un œil curieux. Quoiqu’ils vaillent mieux que leur apparence, ne leur adressez pas la parole, s’ils passent sans saluer ; ils ne vous répondraient que par monosyllabes, d’un ton bref et bourru. Leur figure sévère n’est pas faite pour le rire. Ce qu’il y a de romain sous ces barbes noires ou fauves semble remonter au temps de Romulus et de Brutus l’Ancien. Hommes énergiques du reste, qui soutiennent avec leurs cavales indomptées des combats souvent périlleux, dont ils sortent vainqueurs par le sang-froid et l’adresse. En effet, l’état demi-sauvage étant celui de leurs chevaux, ceux-ci se laissent à la rigueur grouper et pousser çà et là par les pâtres ; mais nul, pas même le cavallaro, ne pourrait les toucher, tant ils sont farouches. C’est avec un hennissement de colère et un cabrement subit qu’ils éloignent les téméraires. Ainsi jamais l’étrille ne les nettoie ; à peine acceptent-ils quelques provendes jetées sur la terre nue aux jours de disette. Les chevaux des llanos ou des savanes américaines ne s’élèvent pas autrement. Aussi faut-il une dextérité et une hardiesse singulières pour les dompter, vers l’âge de quatre ans, quand le moment est venu de les utiliser. Les cavallari romains méritent certainement une plus notoire réputation ; on acquiert des qualités spéciales dans cette existence primitive. Cela vaut bien une visite aux tenute où l’on dresse des chevaux.

Rien d’intéressant comme de voir les dompteurs, montés sur leurs dociles coursiers, armés d’une longue houlette qui ne serait pas inoffensive dans leurs mains, chasser devant eux le troupeau bondissant, hennissant ; puis tout à coup en détacher l’étalon qu’ils ont choisi de l’œil parmi les autres, le pousser, malgré les bonds qu’il fait pour se dérober, jusque dans un parc réservé dont la barrière se ferme sur lui. Quand l’animal s’est un peu calmé et qu’il commence à se résigner à son emprisonnement, le dompteur descend de cheval, saisit un lacet, le lui lance adroitement au cou. L’autre bout de la longue lanière, préalablement enroulée au tronc d’un arbre fourchu planté au milieu de l’enceinte, va reprendre par la croupe l’animal qui se débat, le retient captif, le paralyse. C’est le moment choisi pour lui passer un licol du bout d’un long fouet. Le voilà retenu d’une manière moins dangereuse ; mais le toucher de la main serait impossible. Comment l’habitue-t-on à se laisser approcher ? Avec le manche du même fouet qu’on lui passe et repasse rudement sur le corps jusqu’à ce qu’il ne frémisse plus au contact, qu’il ne bondisse plus sous cet étrange massage, qu’il n’écume plus de colère ou de peur. Alors seulement on lui lâche un peu la longe ; il galope en tout sens, se cabre, rue, s’arrête, regimbe. Il n’y a qu’une manière de lui apprendre à marcher à galoper au commandement, c’est de le battre à grands coups de fouet, impitoyablement, jusqu’à ce qu’il sente une volonté plus énergique que la sienne. C’en est assez pour un jour. On le relâche, quitte à reprendre ce rude exercice la semaine suivante, avant qu’il ait oublié la leçon. Peu à peu ainsi on l’habitue à se laisser toucher, seller, brider. S’agit-il simplement de panser la blessure d’un poulain sauvage, on emploie de même le lacet, dans le même parc, pour terrasser l’animal.

L’éleveur de bœufs sauvages court presque autant de danger que le cavallaro, et déploie une dextérité souvent surprenante. Sa pauvreté égale son ignorance. C’est bien l’homme amoindri, tel qu’il convient aux aristocraties et aux théocraties de le posséder, apte seulement à quelques grossiers labeurs indispensables au maître, mais nul sur tout le reste. Dans la plaine, dans les marais, nous n’avons pas vu d’autre indigène que celui-là. Lequel de nos obscurs paysans voudrait changer avec lui ? Certes nos ruraux sont loin de jouir du bien-être normal, mais le plus pauvre a son toit, son lit, se nourrit d’une façon régulière sinon substantielle, est soutenu, soulagé, soigné plus ou moins. Quelle différence enfin entre cet état, tout mesquin qu’il puisse être, et la condition du pâtre romain, demi-vagabond qui couche dans les cavernes comme un troglodyte, sans se déshabiller, ou qui s’installe dans les murs dégarnis de fenêtres de quelque villa détruite, de quelque ferme abandonnée ! Regardez d’un côté nos bergers normands, si bien choyés à la ferme du maître, si grassement payés au bout de chaque terme, si tranquille, dans leur vie régulière, aidés de chiens qui font avec intelligence toute leur besogne, abrités par la hutte roulante qui, bien close, leur sert de maison d’été, ou par la bergerie proprette où chaudement ils sommeillent l’hiver ; puis songez à ces misérables pecorari romains, vêtus de guenilles ou de peaux de bêtes, nourris l’hiver exclusivement de pain et de fromage, l’été d’une soupe nauséabonde dont l’huile rance, le sel et l’eau font tous les frais, soldés souvent de 15 à 20 paoli par mois (de 7 fr. 50 à 10 fr. ), et couchés, quand ils sont de garde, au milieu de la plaine nue, sous une hutte de roseaux haute d’un pied et demi, longue de quatre ! Leurs chiens farouches ne les gardent que du loup. Les bergers eux-mêmes doivent courir autour du troupeau pour discipliner les brebis indociles. Leur houlette est une longue trique, et le couteau leur ultima ratio. Ce n’est pourtant pas la bonne volonté qui leur manque pour se civiliser. Nous avons eu l’occasion de constater que les bergers de moutons (pecorari) apprennent à lire pendant leurs longs loisirs ; les vieux servent de maîtres aux jeunes. Mais, hélas ! ils n’ont pas d’autres livres que l’almanach de Barbanera ou les légendes de saints les plus étranges. Ajoutons que cet état de sauvagerie n’est pas précisément volontaire. La pénurie n’est pas le résultat de l’abandon ou de l’inertie. Il y a déploiement d’intelligence et même ingénieuse organisation dans cette existence pastorale. En traversant l’agro romano, on remarque des cônes qui, disséminés comme des points dans le pacage nu, ressemblent à des meules de foin ou à des huttes de sauvages. Ce sont ou des monceaux de fourrage ou des habitations, selon la nature du troupeau. Auprès du gros bétail, si exposé aux disettes, quelques meules servent de ressources pour les temps de pénurie absolue où la terre ne peut plus nourrir ceux qu’elle porte. Auprès des bêtes à laine, ce sont des asiles pour la nuit où le chef en second du troupeau, sa femme quelquefois et ses bergers se retirent le soir, font leurs fromages et mangent aux jours mauvais. Une vingtaine de hautes perches fichées en terre et réunies par le sommet en forment la charpente ; des tiges de mais ou des bruyères en fournissent la couverture. Voilà pour l’extérieur : un cône parfait surmonté d’une croix ; l’intérieur ne manque pas non plus d’un certain pittoresque.

Tout le pourtour de cette enceinte ronde est subdivisé à hauteur d’homme en petites couchettes superposées comme les cabines d’un navire. Rarement la ménagère y prend place, et dans ce cas une simple claire-voie lui sert de rempart. Au-dessous, on entasse les ustensiles du métier, les fromages de la semaine, les provisions de la petite bande, les bardes de la colonie, les harnachemens des chevaux. Suivant l’importance du troupeau, le personnel s’accroît. Ordinairement chaque patron ou sous-locataire de l’herbage (le premier étant le marchand de campagne) a sous ses ordres une dizaine de pecorari. Un seul homme peut garder jusqu’à deux cents moutons, mais pour traire les brebis il faut un personnel plus nombreux. Les quelques gouttes de lait substantiel que donne chaque bête sont précieusement recueillies dans des vases, puis versées dans le grand chaudron qui occupe le centre de la pagliara, posé simplement sur deux pierres servant de foyer. Tandis que la fumée s’échappe comme elle peut par la porte entr’ouverte ou s’amoncelle plus dense au sommet du cône, le riche caseum (ricotta) se coagule ; on le verse ensuite dans des formes de bois rond plus ou moins grandes. Celui qui n’a subi qu’un instant la cuisson se mange frais ; lorsqu’on veut obtenir une conservation plus longue, on prolonge l’action du feu. Il se produit ainsi un fromage épais qui pèse parfois un demi-quintal. Le sel et les soins préservent ces grosses masses de toute corruption. Les bergers s’empressent de les vendre, tant pour éviter l’encombrement que pour assurer leur précieuse récolte contre tous les risques. Le défaut de sécurité exposait autrefois les chefs pecorari aux rançons des bandes, heureux quand ils en étaient quittes pour quelques moutons. S’il se fût plaint à la police, le capopastore eût vu saigner tout son troupeau, et n’eût eu qu’à bien se tenir lui-même. Armer ses hommes ? hélas ! combien d’entre eux ont fait partie des bandes à l’occasion ! Nous avons reçu à cet égard des confessions étranges. L’incohérence des ordonnances de la police pontificale désarmait les populations, mais laissait des fusils entre les mains des nombreux déserteurs napolitains ou romagnols qui venaient exercer quelque métier rural dans les domaines du saint-père. Bien accueillis par celui-ci, ils lui payaient en brigandages leur dette de reconnaissance.

Quels progrès pouvait comporter un tel état de choses ? Réduits à ne garder aucune valeur dans leurs exploitations au désert, contraints de bien dissimuler leur argent comme d’écouler au plus vite leurs produits, forcés eux-mêmes à des compromis démoralisans avec les coureurs suspects et les subalternes douteux, on conçoit qu’ils ne songeassent guère à l’amélioration de leurs troupeaux, au perfectionnement de la laine. La misère seule était ici une garantie de sécurité. L’étude attentive des conditions économiques et sociales dans lesquelles osaient vivre ces pauvres patrons, entrepreneurs, condamnés à ne jamais laisser voir leur aisance, nous a rappelé un souvenir poignant recueilli jadis au centre de la Sicile. Dans une vallée solitaire, à quelque distance de Lercara, nous trouvâmes une pauvre mère étendue devant la porte de sa cabane, pâle et gonflée par la fièvre, à côté de trois enfans non moins jaunis et bouffis par la maladie. En visitant son misérable réduit, nous lui demandâmes pourquoi elle ne mettait point de paille dans sa couchette : « Si nous avions l’air moins misérables, répondit-elle, on nous viendrait voler ! » La crainte manifestée par cette misérable créature était celle de bien des habitans de l’agro romano. L’honnête ambition du travailleur était dès lors arrêtée net. Tout progrès améliorant suppose sécurité. De ce côté-là du moins, le nouveau régime amènera des changemens incontestables.

Ce qui complique ici pour la classe des bergers les conditions d’existence, c’est l’obligation où ils sont presque tous d’émigrer deux fois par an de la plaine à la montagne, du Latium à la Sabine, c’est-à-dire, naguère encore, des états de l’église au royaume d’Italie. C’était chose grave de résider ainsi sur la frontière de deux pays ennemis. Depuis 1860, la plus lamentable comédie, mêlée de tragique, se jouait sur les limites des deux états, tant au détriment qu’avec l’aide des bergers. Les coureurs de montagnes avaient un pied dans chacun des deux royaumes hostiles. Poursuivis dans l’un, ils se réfugiaient dans l’autre ; fort longtemps ils ont été accueillis comme défenseurs de la légitimité (de François II) par la gendarmerie pontificale elle-même. Plus tard, celle-ci ne fut plus maîtresse de réformer ses anciens alliés ; il eût été heureux que, pendant l’occupation française, nos troupes elles-mêmes n’eussent jamais été contraintes de jouer en rougissant un rôle de protecteurs dont les guérillas de François II savaient trop bien profiter.

Pourquoi sont-ils obligés d’émigrer ainsi deux fois par an ? Pour la même raison qui forçait Abraham ou Loth à changer de pays : quand tout est dévoré par la sécheresse, quand l’herbe a fait place à un sol pelé, rougi, brûlé jusque dans ses entrailles, quand les troupeaux se groupent haletans, et que les animaux amaigris tirent la langue avec détresse, il faut bien les acheminer vers ces monts voisins dont les neiges fondues ont été remplacées par des pacages verdoyans. Là les pauvres animaux s’engraissent un peu, là bondit la chèvre agile, là ruminent les agneaux que le printemps a vus naître dans la plaine ; mais la montagne est vite dévorée à son tour, les coteaux se pèlent, les feuillages tombent, le froid arrive, l’Apennin reprend ses frimas, il faut redescendre dans l’agro romano. Le berger s’en fait un plaisir, car il a les mœurs des nomades. La transhumance est devenue un besoin pour lui, et puis, dit-il, il est encore mieux dans le bas pays si désert que dans ses montagnes natales. Il y a moins de peine, y vagabonde mieux, y souffre moins du froid, et, s’il laisse sa famille au pays, il retrouve dans l’agro romano des loisirs et de chaudes solitudes qui conviennent à son humeur indépendante. Cet état de choses est une institution qui se perd dans la nuit des temps. Tous les troupeaux de menu bétail émigrent ainsi ; presque tous les troupeaux de bœufs et de chevaux en font autant.

De la transhumance découle une conséquence économique regrettable, l’impossibilité pour les exploitans de s’approprier la jouissance du sol d’une façon permanente et de l’améliorer. Établis en nomades sur la plus grande partie des terrains vagues, ils ne sauraient avoir la prétention ni même l’idée de les débarrasser des ronces ou des chardons. Tout au plus, quand les herbes adventices sont sèches, se donnent-ils la peine d’en abattre les tiges mortes à coups de longue verge. Qui a la fantaisie de vérifier la prophétie biblique n’a qu’à se rendre dans l’agro romano en saison opportune : la terre n’y produit guère que des chardons. Cette plante y arrive à des proportions qu’on ne saurait craindre ailleurs. La sécheresse, il est vrai, la tue et la livre aux pieds des troupeaux, qui la brisent ; cependant la racine s’en conserve précieusement, et chaque printemps en voit ressortir de terre la tige plus drue et plus hardie. La campagne appartient aux graines volantes, aux légers duvets qui se ressèment d’eux-mêmes. La fougère, certains joncs marécageux, le pissenlit, la ronce, disputent le terrain au chardon, leur maître. Une plante plus gracieuse, mais non moins vivace, absorbe les espaces le plus naturellement fertiles : c’est une sorte d’asphodèle dont la vitalité est désespérante partout où la charrue n’en a pas raison. Ses belles tiges fleuries transforment la campagne, en une neige rosée, tandis que ses bulbes multiples s’assimilent les entrailles du sol. Rien de plus charmant : il y a de quoi égayer même la solitude ; toutefois pas un animal ne peut toucher à cette plante, et l’industrie seule a essayé d’en retirer des produits chimiques. N’est-il pas désolant de voir perdre au cœur même de l’Italie des terrains propres à nourrir de nombreuses populations ?

Qu’on se figure l’espace qu’il faut dans ces conditions d’abandon pour élever les troupeaux sous un ciel si peu favorable aux pâturages ! Si chez nous, en bonne agriculture, on s’efforce de nourrir une tête de gros bétail par hectare, sans préjudice des cultures normales de blé, de colza, de lin ou d’autres produits, ici, où on ne récolte que peu de grains et pas de plantes industrielles, il faut environ 4 hectares pour l’entretien d’un cheval ou d’un bœuf. C’est du moins la notion que nous avons pu recueillir sur les rapports vagues des pâtres et des exploitans, on ne calcule à Rome que par à peu près, et pourtant le fond de l’agro romano est incomparablement meilleur que la majorité de nos terrains, le tort, c’est de lui demander de produire ce qui ne réussit bien qu’en Normandie ou en Angleterre, de l’herbe. On exploite des plaines arides comme si c’étaient les monts eu les vallées des Alpes, on exige du vert là où six mois de l’année il ne peut y avoir que du sec. Il n’en peut résulter que des dommages au point de vue économique. Pourquoi attendre des graminées sur les pentes destinées au figuier ? Aussi, au lieu de prés, a-t-on de simples pacages. La distinction n’est pas subtile, elle n’est que trop réelle pour le bien du pays. Un pré, nous le savons, est chose aussi productive et bien moins onéreuse qu’un guéret, mais encore faut-il mettre chaque chose à la place sous peine de pertes incalculables. Le sol de Rome a une grande valeur latente qu’il serait sage de faire sortir du sommeil ; il ne souffre que d’une stérilité d’occasion.

Il est vrai que deux fois par an, après les pluies, les pacages reverdissent de manière à faire croire que l’herbe est là dans sa vraie patrie ; mais un homme expérimenté en ces matières ne peut se faire illusion sur la composition médiocre des pâturages romains. Les graminées y sont trop rares, les légumineuses fort espacées ; il y a plus de vides entre chaque plante que d’espace occupé par les plantes elles-mêmes. Celles-ci ne tallent pas assez ; au printemps, elles montent fort haut, trop haut même, puisque le pied s’en trouve appauvri, et, quand la fenaison est faie, la sécheresse tue la racine dénudée. La dent des bestiaux affamés qu’on y lâche hors de saison achève la destruction des meilleurs élémens de la prairie. La facilité des semailles spontanées, la maturité parfaite à laquelle arrivent les graines est probablement ce qui sauve le sol d’une nudité absolue. Il y aurait peut-être moyen d’exploiter ces solitudes à l’état d’herbages, mais il faudrait pour cela y semer des plantes résistantes, capables de s’approprier le terrain à la longue, comme aussi de verdir pendant la sécheresse. Le ray-grass est bon pour l’Angleterre, et la luzerne, le sainfoin, ne semblent-ils pas destinés aux ondulantes plaines du Latium ? Or le conseil de semer des herbages ferait sourire les pâtres romains, et, à vrai dire, les mercanti di campagna eux-mêmes ne pourraient guère l’essayer dans les conditions de leurs baux, de leurs charges et de leur mode d’exploitation. Tels quels en effet, ces prés négligés ou ces pacages mal tenus donnaient presque le seul produit qu’il fût possible d’en tirer sous le régime de la vieille économie pontificale. Tant que le cultivateur ne résidera pas sur place, tant qu’on ne lui fournira ni bâtimens ruraux ni manouvriers établis à poste fixe, il sera bien réduit aux procédés les plus élémentaires. Nous croyons même que les grands propriétaires n’avaient pas de meilleur parti à prendre jusqu’ici que de louer aux marchands de campagne, et que ceux-ci ne pouvaient pas non plus mieux utiliser le désert qu’en le couvrant de tous les bœufs et de tous les chevaux possibles, ou qu’en le sous-louant aux pecorari des Abruzzes et de la Sabine.

Ce qu’auraient pu faire les mercanti di campagna, c’est d’apporter plus de soins dans le perfectionnement de leurs troupeaux. Quelle que soit la difficulté de bien surveiller bêtes et gens sans résider au milieu de l’exploitation même, il était possible de ne pas laisser abâtardir les races, ou de les régénérer par la sélection et le croisement. Nous ne dirons pas de mal des chevaux romains ; ils montrent des qualités naturelles très appréciables. Quelques marchands et même quelques propriétaires sont supposés élever des races spéciales qui portent leur nom. Chaque animal est marqué à la cuisse du chiffre de son maître, afin qu’il puisse être retrouvé quand les rustiques barrages des enclos n’ont pas suffi à le retenir, C’est des pâturages de Serafini que sortent la plupart de ces énormes chevaux noirs à la tête busquée, à la puissante encolure, qui traînent, sous les torsades brillantes de leurs harnais, les carrosses dorés des princes de l’église. On leur reproche un peu de mollesse ; les chevaux de taille moyenne par contre ont dans l’agro romano des qualités auxquelles il faut rendre justice, une ténacité à l’épreuve du soleil le. plus caniculaire, une résistance qui permet de franchir de larges déserts sans débrider. Par une sélection plus intelligente et des soins plus attentifs dans l’alimentation, on obtiendrait certainement avec les races du pays même des résultats rémunérateurs. Malheureusement là, comme dans le reste, il y a eu jusqu’ici un incurable abandon. Comment par exemple des animaux qui jeûnent si souvent pendant les hivers froids ou les étés trop secs pourraient-ils acquérir toute la taille et tout le développement désirables ? Il n’y a que les sujets hors ligne qui puissent se vendre à des prix élevés ; la majorité s’étiole, et, tout en gardant les aptitudes inhérentes à la sauvagerie, telles que la sobriété et la ténacité, ces pauvres bêtes perdent beaucoup de la valeur qu’elles auraient pu atteindre avec des soins plus assidus.

Si le mérite des cavallari est incontestable comme dompteurs, il faut dire aussi que les connaissances leur font défaut pour qu’ils puissent bien choisir les reproducteurs et surtout améliorer l’espèce par l’éducation. Ni le propriétaire, ni l’entrepreneur principal de l’exploitation ne mettent à leur disposition les ressources nécessaires. Les bâtimens manquent, la surveillance manque aussi, et il suffit d’une année défavorable pour réduire le plus beau troupeau à l’état de squelettes ambulans. Voilà donc encore une source de richesses qui se trouvait à moitié tarie par suite de l’imperfection des procédés économiques du pays.

Quant aux bœufs gris de race orientale et barbare, ils ne sont pas l’idéal du genre : leur charpente trop osseuse se prête mal aux besoins de la boucherie[1] ; mais elle s’adapte à merveille aux besoins plus grands du labour. À ce point de vue, elle peut rendre des services incalculables, et nous voici amenés à parler du peu de culture qui s’est faite jusqu’ici par ce moyen.


III

Les pâturages dont nous venons de parler et les bois aussi fort souvent font partie des grandes exploitations rurales qu’on appelle tenute (tenues), parce que les entrepreneurs ou marchands ruraux les tiennent à loyer des propriétaires. Le centre de la tenuta est ordinairement un vieux bâtiment auquel le nom de ferme ne peut convenir qu’imparfaitement. Lorsqu’on parcourt du regard la solitude, l’œil s’arrête çà et là sur des points gris dont on ne sait de loin si ce sont des ruines ou des fermes. Ces points sont de grandes constructions plus ou moins régulières, d’aspect féodal, élevées pour la plupart en des temps plus prospères. Des murs en glacis les font ressembler par le bas à des citadelles ; souvent des grilles aux ouvertures inférieures complètent l’illusion. Beaucoup ont eu cette destination, mais les hommes d’armes en sont partis. Approchez : plusieurs de ces monumens n’ont plus de fenêtres, la porte seule est encore debout. Comme dépendance du bâtiment principal, on est surpris de trouver parfois des constructions voûtées d’époque romaine ; la ruine antique sert de substruction au délabrement moderne. Entrez, si les débris et les immondices vous le permettent. En bas, les bœufs et les chevaux ; au-dessus nichent des rustres, comme des oiseaux de proie dans les trous d’une tour. A quelque distance, un fenil moitié ouvert, d’où s’échappent des senteurs de fourrages entassés. Plus souvent une ou deux meules noircies à l’air indiquent l’amas de provisions. L’ensemble des cours, s’il y en a, dégage une odeur sui generis, mélange de fumier, de fange détrempée, de foins décomposés, de salpêtre et de plâtras, qui se sent aussi dans les faubourgs de Rome. La pelle ni le balai n’ont passé par là ; telle quelle, cette masure appartient ou à un prince qui n’y mit jamais les pieds, ou à des associations religieuses qui ne s’en soucient guère.

Connaissez-vous Palo ? Notre cavalerie, qui y a été casernée, ne paraissait pas charmée de la résidence. C’est une sorte de citadelle crénelée, une bastille peu engageante d’aspect ; ici et là quelques toits effondrés, — seul point habité du reste entre Civita-Vecchia et Rome. Est-ce un bourg, est-ce une ferme ? C’est un grand corps dont l’âme est partie ; l’âme fut l’administration de Santo-Spirito : cette célèbre et riche association chargée des hôpitaux de Rome, pour prix de ses soins aux malades, a reçu jadis toute un principauté par donations successives. Les alentours de Palo sont la propriété de Santo-Spirito ; tout cela est loué aux entrepreneurs de culture, qui ont profité du voisinage du chemin de fer pour labourer quelques landes. On prétend que l’administration des hôpitaux était plus maîtresse que le pape dans ses domaines il y a quelque trente ans, qu’elle jugeait, emprisonnait et suppliciait son monde, ni plus ni moins qu’un seigneur féodal. Pour le bon ordre de l’état, la papauté a confisqué à son profit cet autre pouvoir temporel.

Passons vite, et, puisque le chemin de fer traverse ces solitudes, demandez-lui de vous rapprocher de Rome. Après plusieurs arrêts en rase campagne, stations où l’on pourrait recueillir tout au plus une paire de chevaux en guise de voyageurs, on arrive à la Magliana. L’endroit est gracieux, le Tibre y trace des méandres à travers de grands prés. Tout ce qui se détache à l’œil dans cette vallée silencieuse, c’est un amas de constructions grisâtres : — trois corps de bâtimens, dont l’un, crénelé, fut un couvent ; les religieuses de Sainte-Cécilia-au-Transtevere en ont été chassées par la malaria, un marchand de campagne y a installé ses bouviers ; — un grand fenil voûté à deux étages soutenus de hauts contre-forts, plein de plus de foin qu’il n’en faudrait à un régiment de cavalerie ; — autour, des pacages pelés sur les collines, ou des prés humides au bord du fleuve. Là du moins le fermier pourrait venir souvent, puisqu’un chemin de fer le dépose chez lui ; mais il semble se plaire mieux à Rome. Une épidémie lui a tué quatre cents bœufs il y a quelques années ; c’est un troupeau de chevaux qu’il entretient maintenant. Grâce à l’amas de foin qu’il entasse dans son fenil, il pourrait dispenser son bétail de l’émigration pendant l’été.

Écartez-vous des voies fréquentées. Faites-vous conduire par votre voiturier à Lunghezza, à dix milles de Rome, sur un chemin de traverse entre la Via-Tiburtina et la Via-Prenestina. Le trajet est long et singulièrement solitaire à partir de Tor de’ Schiavi. Vous vous demanderez en passant si les grottes du Cervara, sorte de carrières de tuf, méritaient bien d’être choisies, au commencement du siècle, par les artistes allemands comme rendez-vous de fête. En approchant pourtant, le paysage s’accentue. Un donjon massif se dresse derrière quelques arbres hachés, robuste et digne d’un baron bardé de fer. L’entourage en est assez verdoyant. C’est une ferme pourtant, mais quelle ferme ! Huit mille moutons paissent de ci de là, trois cents bœufs de labour attendent qu’on les soumette au joug, autant de chevaux s’élèvent à la grâce de Dieu, tout cela dans la moitié de la propriété, car ce domaine a dû être divisé en deux pour que l’exploitation en devînt possible. Vous vous attendez du moins à trouver dans les bâtimens quelque chose qui rappelle l’aisance d’une grande exploitation. Entrez, tout est nu, sans meuble, pas même de femme pour tenir cet intérieur ; des pâtres ahuris, demi-farouches ; un ou deux contre-maîtres de culture plus intelligens, mais tout aussi peu empressés. À grand’peine, vous faites remiser vos chevaux dans un taudis qui s’appelle écurie. Dans la cour, pêle-mêle des fumiers en désordre et des moellons éboulés ; dans les corridors, les escaliers, des traces de destruction croissante, l’abandon le plus attristant. Vous voici dans une sorte de grande cuisine nue ; vous demandez à manger pour votre argent. — Il n’y a rien. — Quoi, rien ? vous avez du pain, pourtant ? — Oui, mais il est de quinze jours, assez moisi et tout noir. — Vous avez du lait ? — Non. — Comment, avec trois cents bêtes à cornes ? — Ce sont des bœufs de labour ; nous n’entretenons pas une vache. Rome est trop loin pour en vendre le lait. — Vous feriez des fromages. — Nous en achetons quelquefois. — En avez-vous en ce moment ? — Point. — Alors donnez-nous des œufs. — Nous n’avons pas de poules. — De quoi vivez-vous donc ? — Di acqua cotta, signore (d’eau cuite, monsieur). — Qu’est-ce donc que votre acqua cotta ? — C’est de l’eau avec du sel et un peu d’huile, quand nous en avons. — Vraiment ! et rien de plus ? — On peut y mettre aussi de la chicorée.

Ce régime en dit plus que bien des descriptions. Nous ne pûmes trouver un repas où ces cavallari, ces vaccari, ces pecorari, passent leur dure existence. Il est vrai que les chefs n’habitent pas là, que le ministro même, agent principal du marchand de campagne pour la surveillance générale, doit apporter ses vivres quand il visite son personnel et sa tenuta. Il produit du laitage, mais indirectement, et en sous-louant portion de ses pacages aux bergers montagnards. Ceux-ci font et vendent du fromage sous leurs huttes de paille ; la ferme n’en connaît rien. Cela ne passe point entre les mains de l’exploitant principal ni de ses agens directs. Il a de la viande sous forme de bœufs de travail ; il élève des chevaux, et il n’a pas d’attelages.

Lorsqu’on se rapproche de Rome, vers le pont Salaro, sur I’Anio, tout près des lieux où fut Fidènes, avant d’arriver à la bicoque entourée de dix oliviers qui s’appelle encore Villa-Spada, on rencontre une petite tenuta. C’est un nommé Ciavelli qui, de Rome, l’exploite, si rien n’est encore changé ; adressez-vous à son massaro ou plutôt à son chef cavalier ; si vous parvenez à le dérider, il pourra vous faire asseoir à sa table. Celui-là mange, parce que Rome est à proximité. Quelques volailles rôdent autour de son taudis. En tout cas, il peut vous offrir du lait, car il a de nombreuses vaches laitières. Lui-même n’est payé que 60 francs par mois ; mais on le gratifie d’un écu à chaque bête qui se vend, et il s’en vend une centaine par an. Ses inférieurs, qu’il paie au compte du mercante et dont il est responsable, ne reçoivent que 10 écus l’été, 8 l’hiver ; 10 hommes sont nécessaires pour 5 ou 600 bêtes, à cause des laitières qui demandent des soins. Ces soins consistent à les appeler à heure fixe autour du bâtiment à son de trompe. A demi apprivoisées par la lactation, ces bêtes accourent. Le vaccaro s’approche, jette un lacet autour des cornes de celle qu’il veut traire, enroule le même lacet à la jambe antérieure, de façon à forcer l’animal à infléchir la tête d’un côté. Ainsi retenue, la pauvre bête n’oppose plus aucune résistance ; le vacher a des procédés habiles pour l’adoucir et lui faire donner son lait. Voilà le parti qu’on tire des mères dont les petits mâles ont été livrés à la boucherie ; les autres sont laissées en liberté dans la macchia avec leurs produits, qu’elles y élèvent. Le lait, quand il n’est pas transformé en fromages, est porté à Rome dans des vases de cuivre, sur les carrozze bien connus des voyageurs. Ces chars, attelés d’un petit cheval courageux sont conduits d’ordinaire par un homme monté lui-même-sur un-autre petit ours qui galope à côté. Il faut une singulière dextérité pour jouer ainsi au postillon avec ces longs chars rudimentaires, à travers les rues de Rome.

Tout cela n’est point encore de la culture ; le labour occupe si peu de place dans la campagne de Rome ! et pourtant telle est l’étendue des exploitations que certains jours on pourrait voir trente ou quarante charrues tirées presque de front par soixante ou quatre-vingts paires de bœufs à la fois. On a besoin de ces forts attelages pour défoncer les landes dans la mesure où les baux permettent le défrichement. On y emploie des instrumens tout primitifs, qui doivent être de l’invention de Cincinnatus ; mais un certain travail se fait néanmoins. Malheureusement l’année suivante le labour retombe en friche. L’entrepreneur n’a pu perfectionner les procédés, parce que jusqu’ici il n’a pas vécu surplace. Les réformes agricoles ne s’opèrent que sous l’œil d’un maître énergique et toujours présent. Habitant de la ville, le mercante est obligé de s’en remettre pour la surveillance journalière à son ministro, ni plus ni moins qu’un roi constitutionnel. Le ministro fait agir son chef laboureur, son chef bouvier, son chef piqueur. Ceux-ci à leur tour ont sous leurs ordres plusieurs caporali qui commandent à des bandes de manouvriers. Ce nombreux personnel, tout hiérarchique, rappelle les factoreries coloniales, et procède avec assez d’ordre ; cependant un tel système est l’incarnation de la routine, et ces intermédiaires ne laissent pas que d’éloigner singulièrement l’entrepreneur lui-même de son travail. Il y gagne d’échapper aux brigands (ses propres manouvriers parfois) et à la malaria ; il y perd les bénéfices de l’œil du maître, et surtout la possibilité d’améliorer ses procédés agricoles. Ce genre d’exploitation en grand nécessite sans doute autant d’intelligence que de capitaux ; mais il ne peut faire progresser rapidement le pays. C’est tout au plus de la culture extensive, puisque l’exploitant ne peut sérieusement songer à s’approprier le sol. Les baux sont la plupart de neuf ans, quand il faudrait un siècle pour faire surgir la vraie propriété sur ce sol nu. Le fermier y passe comme un nomade, ou y fait passer ses hordes d’étrangers descendus des monts sabins aux saisons de travail. C’est tout ce qu’on peut raisonnablement demander de lui, tant que dure ce régime. La plus intelligente activité ne saurait aller à l’encontre des conditions qui lui sont faites. On ne lui fournit point de bâtimens, comment installerait-il en permanence ses travailleurs ? Il est obligé de louer ses hommes pour chaque saison ; on ne lui laisse même pas ordinairement la liberté de disposer ses assolemens à sa guise.

La culture épuise le sol, disait souvent au fermier le gros moine administrateur en lui montrant son bail ; vous ne labourerez que tant de rubbi de terre chaque année. L’homme le plus entreprenant se trouvait ainsi lié par ses engagemens avec d’ignorans propriétaires. Il est certain, d’un autre côté, que lui donner liberté illimitée de défrichement, c’eût été s’exposer l’année suivante à voir d’immenses jachères, encore moins désirables que les pacages anciens. Les défrichemens, pour être avantageux, supposent l’acheminement vers la culture intensive, le désir de continuer les semences dans la mesure du possible, la prétention de s’approprier le sol par un roulement régulier de produits. C’est ce à quoi ne pouvait jusqu’ici s’engager l’entrepreneur. Celui-ci est resté un exploitant, un spéculateur, un marchand ; il ne pouvait devenir un agronome.

Ce n’est pas sans raison qu’on a dit du mercante di campagna qu’il était à la fois agriculteur, bouvier, banquier, négociant, armateur. Il fallait qu’il fût un peu tout cela pour mener du fond de son cabinet de si grandes affaires. Son métier de laboureur souffrait nécessairement de la multiplicité de ses préoccupations. Indépendamment des lois restrictives, des ils et coutumes arriérés, il devait compter avec les conditions économiques du petit état pontifical tout entier. Là en effet la production devait être limitée, puisque l’écoulement était borné. Eût-il eu la liberté d’ensemencer de très grands espaces, la législation trop souvent prohibitive du saint-siège lui enlevait tout intérêt à le faire. Le gouvernement lui disait chaque année : Vous n’exporterez que la quantité de grains à laquelle vous serez autorisé pour la saison.

L’échelle mobile a été la règle des douanes sous les derniers papes. Quand le blé était abondant, c’est-à-dire à vil prix, on permettait au producteur d’en écouler ; mais, quand les grains étaient rares, c’est-à-dire coûteux, le producteur avait défense de s’enrichir par l’exportation. De cette mesure, il est résulté pour les états romains une certaine moyenne dans laquelle se maintenait toujours le prix du pain, et aussi une incurable atonie dans la production. Là, autant que dans la dépopulation des campagnes, il faut chercher les motifs du peu de développement donné à la culture des grains dans l’agro romano. L’ambition, l’espoir de s’enrichir, auraient seuls pu stimuler le zèle des exploitans. Les papes, quand ils voulurent étendre les champs de blé, ont échoué dans leurs efforts précisément par suite de cette fausse mesure. Les meilleures intentions se brisent contre l’écueil du préjugé. Le libre échange rencontrait assez d’adversaires ailleurs pour être mal vu en terre théocratique. Faute de liberté, on peut le dire hardiment, le blé mourait dans le patrimoine du saint-père. Nous ne doutons pas que l’annexion de Rome au royaume d’Italie, en autorisant les spéculations du producteur, ne stimule singulièrement la culture, et ne permette au marchand de campagne d’offrir un loyer supérieur à la condition de pouvoir étendre ses labours. Il est sûr désormais d’avoir un marché devant lui, un écoulement illimité pour ses grains. Ainsi, sans sortir des habitudes de la grande culture, qui seront en pratique peut-être pendant longtemps encore, on a l’espoir de voir peu à peu disparaître les landes de l’agro romano pour faire place aux guérets. Alors les grands troupeaux de bœufs seront des forces plus utiles. Pourquoi, au lieu de les employer au hersage, faire un coûteux cassage à la main ? La charrue en réclamera un plus grand nombre, et leur valeur augmentera par là même. Les pacages qui les nourrissent bénéficieront aussi d’une plus-value. La classe si intéressante des mercanti di campagna se multipliera par suite de l’esprit d’entreprise. Il y a longtemps déjà qu’ils étudient les cours des marchés européens pour y hasarder leurs gros capitaux ; ils seront à l’avenir plus spécialistes, plus producteurs et moins banquiers. Quand au labour ils pourront joindre l’industrie agricole proprement dite, ils seront dans le vrai de leurs attributions.

La première des conditions pour transformer l’économie rurale de la campagne romaine, c’est la division de la propriété. Nous n’entendons pas par là le partage en plusieurs lots de chaque grand domaine sans changement de propriétaires. Il y a longtemps que ce moyen terme a été conseillé et même essayé ; on devait échouer devant le manque de fonds, l’imprévoyance, l’insuffisance démontrée des grands propriétaires et des corporations religieuses. Des propriétaires moins grands seigneurs que les princes ou moins impersonnels que les couvents, des fermiers moins citadins, voilà ce qu’il faut souhaiter à la province nouvelle que l’Italie s’est annexée. Qu’en travaillant eux-mêmes les futurs maîtres du sol suppriment à la longue une partie des intermédiaires qui s’imposent aux exploiteurs actuels, que leurs domestiques mettent la main à l’œuvre au lieu d’être de simples surveillans, et la culture, grevée de moins de frais inutiles, s’améliorera promptement. Tenant moins que le mercante à éviter l’excès de la main-d’œuvre, ils diminueront les mauvais pâturages pour ensemencer ce qui n’est pas propre à faire des prés. Déjà l’on constate que les pâturages romains ont besoin d’être renouvelés de temps en temps, ce renouvellement deviendra le principe d’assolemens plus réguliers ; mais, pour réaliser de telles espérances, il faut rendre possible la vente de la terre. Celui qui l’achètera de ses deniers saura trouver les moyens de la faire valoir.


IV

Comment la pastorizia, déjà séculairement établie, ne se prolongerait-elle pas tant que subsiste la grande propriété ? Elle seule permet un certain emploi du terrain avec des capitaux limités, elle seule permet de se passer d’une nombreuse population. Disons-le enfin, dans les conditions économiques qui ont régné jusqu’ici, elle a été plus productive que les labours, parce qu’elle était moins onéreuse. On a calculé que grâce à ce nombreux personnel d’intermédiaires, les labours ne rendaient pas souvent en bénéfices nets plus du septième de la mise de fonds. Le pâturage au contraire peut donner jusqu’aux trois quarts des frais d’exploitation qu’il nécessite ; encore le mercante a-t-il la faculté de sous-louer une partie de ses pacages aux bergers des Sabines. Sans risques aucuns, il réalise souvent d’assez beaux bénéfices par ce dernier moyen. A de telles conditions, il a trouvé ordinairement plus d’avantage à élever qu’à ensemencer. L’espace ne lui manquait pas, et, vu le bas prix des fermages, il s’est attaché à la culture extensive, soignant mal pour moins dépenser. Il est vrai que par là il récoltait moins.

Assurément les fourrages artificiels lui eussent nourri trois fois plus de bestiaux ; mais à quoi bon faire le sacrifice d’ensemencemens pour créer ces légumineuses, quand avec un maigre déboursé il pouvait louer triple étendue de terrains vagues ? Que la propriété se subdivise, que la concurrence survienne pour les fermages, et vous verrez ces mêmes mercanti attacher plus de prix aux terrains qu’ils louent, les mieux soigner, obligés qu’ils seront d’en obtenir un beaucoup plus gros revenu. Le défaut de population mettra sans doute longtemps obstacle aux développemens rapides et complets du progrès agricole ; avant de s’attaquer aux plantes industrielles, qui exigent tant de main-d’œuvre, il faudra transformer l’agro romano. L’annexion, en changeant les lois économiques du pays, le soumet par là même à des influences vivifiantes.

Ce n’est pas que nous croyions à l’abolition immédiate de la grande culture. Longtemps encore l’organisation actuelle des vastes tenute devra fonctionner du plus au moins ; longtemps encore on verra le ministro partir à cheval pour porter in campagna les ordres du mercante son maître. Si jamais il parvient à se fixer sur le domaine, lui le fermier de fait, combien mieux il pourra commander à son chef laboureur, à son chef vacher, à son chef vergaro ! Tant que la ferme sera grande, on verra s’agiter au-dessous de ceux-ci jusqu’à vingt ou vingt-cinq surveillans subalternes. Les simples vachers, voituriers, bergers loués à l’année, composeront encore la seule population de ces tenute illimitées. Demi-sédentaires déjà, ils ne devront pas être congédiés avant la division du sol ; ils sont, eux, les domestiques de ferme.

Essaierait-on de remplacer l’homme par la machiné ? Nous ne conseillerions pas cette tentative dans les conditions du pays et du personnel. Ce serait un leurre, excepté peut-être pour la batteuse à vapeur, qui remplacerait avantageusement le dépiquage sous les pieds des bestiaux. La machine agricole, comme les autres, suppose le machiniste, c’est-à-dire l’homme civilisé ; elle suppose surtout le perfectionnement des procédés, l’amour du mieux. Tout cela manque dans la rude population semi-nomade des travailleurs de l’agro romano ; ils ne savent pas, et ne peuvent apprendre parce qu’ils ne sont pas sédentaires. Ils ne s’en soucieraient point, parce qu’ils ne sont que mercenaires. Les usines sont trop loin pour réparer les avaries inévitables des instrumens, le maître est trop ordinairement absent.

En tout cas, le mercante jusqu’ici a dû reculer devant l’augmentation des dépenses de son entreprise. Non-seulement la très grande culture exige d’immenses capitaux, ce qui réduit la concurrence et empêche la plus-value des fermages ; mais en réalité elle rapporte peu. La série d’intermédiaires dévore le plus clair de ses profits. Souvent on a constaté que, dans des tenute de milliers d’hectares, les frais d’exploitation balançaient à peu près les bénéfices. Le plus net du profit de l’entrepreneur était alors dans ses spéculations commerciales, dans ses opérations de banque de campagne, sorte d’industrie dont nos agriculteurs n’ont guère l’idée.

En définitive, quoique la petite propriété soit de longtemps impossible dans les plaines du Latium, il y aurait tout intérêt à diminuer la grande, à la diviser, à créer la moyenne propriété. On a proposé d’augmenter la longueur des baux : il en a été fait d’emphytéotiques ; mais le fermier pour cent ans est devenu une sorte de second propriétaire qui, à l’exemple du premier, a sous-loué son bail à des nomades du dehors. Si l’appropriation du sol par le paysan même est encore un desideratum irréalisable, il faut tout au moins que la terre passe aux mains des capitalistes. Ceux-là seuls ont l’énergie nécessaire pour réagir contre ce qu’on pourrait appeler à Rome l’étreinte du vide. L’activité privée, substituée au régime des domaines princiers et de la mainmorte, voilà donc le vrai remède. Il agira lentement, car ce n’est pas sans de puissantes raisons que la grande exploitation s’est perpétuée pendant des siècles dans ces plaines malsaines. Elle a fait place sur les coteaux aux petites entreprises, parce que les coteaux sont peuplés ; mais en bas l’homme meurt. C’est là une des graves difficultés du problème. Une révolution peut changer les lois économiques, peut-elle faire surgir des hommes là où il n’y en a pas ?

Tout ce qu’il est permis d’espérer, c’est de fixer un jour bon nombre des ouvriers nomades qui font dans cette campagne le peu de culture qu’on y trouve. Au-dessous des domestiques à l’année, qui habitent la tenuta pendant les mois salubres tout au moins, est en effet la foule des travailleurs, manouvriers de toute provenance dont on ne peut se passer, mais qu’on ne garde que quelques jours ou quelques semaines. Montagnards de la Sabine ou des Abruzzes, ils descendent comme des hordes demi-sauvages chaque année deux fois : la première, c’est pour les travaux préparatoires, labours, binages, sarclages, — la seconde, c’est pour le fanage ou la moisson. Enrôlés dans leur pays même par les agens du mercante, ils ne viennent que sous la condition de s’en retourner au plus vite. Les Aquilani exécutent les terrassemens, les Amatriciani font les plantations et tressent les haies d’épines mortes, les Marchezzini et les ciocciari di Frosinone binent, fanent, moissonnent. Tout ce monde n’a rien de plus pressé que de s’en revenir au pays. C’est que la plaine ne leur fournit pas d’asiles ; pendant les travaux d’été, ils en sont réduits à coucher à la belle étoile ; ils voient chaque soir emporter mortes ou mourantes les victimes de la journée, frappées par la malaria. L’étendue des exploitations empêche de donner des abris qui suffisent à ces masses d’hommes venus pour quelques jours. Chacun sait que les grandes agglomérations de travailleurs sont traitées plutôt avec les rigueurs de la discipline qu’avec les égards de l’humanité. Quand on comptera sur les champs les ouvriers par dizaines et non plus par centaines à la fois, on pourra s’occuper de chacun d’eux, on pourra leur procurer des abris. Lorsqu’ils auront moins de chances de succomber à la peine, un plus grand nombre cédera aux tentations du gain.

Les voyageurs sont parfois cruellement naïfs. Qu’un malheureux, hâve, livide, boursouflé, leur tende la main dans les rues de Rome : Va travailler, paresseux ! Hélas ! c’est pour avoir travaillé dans les champs que l’infortuné est en proie aux fièvres. S’il demande où trouver du travail, on lui montre sottement la campagne déserte. Non, ils ne sont pas paresseux, ces pauvres ciocciari qui affrontent la mort pour gagner dans ces plaines un morceau de pain. Qui leur eût cédé un pouce de cette campagne déserte ? Princes et moines les en auraient chassés, s’ils avaient voulu en remuer une motte de terre, y planter à leur compte un grain de mais.

Le travailleur ici est bien un étranger que rien n’a sollicité encore à s’établir sur le sol. Ce n’est pas sans sacrifices et sans deuils que les futurs propriétaires ou fermiers parviendront à s’y installer. Nous ne croyons pas possible le morcellement immédiat en petits lots ; mais on peut attirer un plus grand nombre de ces travailleurs à demi acclimatés déjà et fixer ces nomades. S’il y eut (nous parlons de trois mille ans) sur ce même sol presque autant de villes qu’il y a aujourd’hui de fermes, c’est que, sous le régime des petites républiques, des petits états qui s’y partageaient les terres, l’entreprise individuelle s’était approprié les champs. Chaque citoyen en avait une parcelle. Il fut un temps où il était défendu d’en posséder plus d’un arpent ou deux par tête. Curius, le vainqueur de Pyrrhus, refusait le don de 12 hectares comme mesure illégale. La conquête et la ruine des petits états indépendans par la république romaine ont commencé la ruine de la petite propriété. L’enrichissement de quelques familles après les guerres puniques, les agrandissemens territoriaux aussi, continuèrent le mal en substituant l’esclave au travailleur libre. Les dévastations qui accompagnèrent les guerres civiles et sociales contribuèrent à faire le vide. L’empire romain ne sut pas mieux utiliser son omnipotence qu’en partageant les campagnes, veuves de leurs travailleurs primitifs, entre des affranchis et des favoris d’empereurs. Le blé pour la subsistance du peuple romain, on le fit venir de Sicile, puis d’Égypte ; on le vendit à des prix dérisoires, quand on ne le distribua pas gratis au peuple-roi, devenu mendiant. Comment des importations faites dans de telles conditions n’auraient-elles pas tué la production locale par une concurrence impossible ? Enfin vint le flot des barbares. La dépopulation amena la pastorizia. Quand Rome ne comptait plus que 12 ou 13,000 habitans, à quoi bon ensemencer ? La féodalité d’ailleurs préférait les troupeaux aux moissons ; elle abritait ses bœufs contre les coups de main, tandis que les récoltes eussent été brûlées. Les papes, pour se venger de seigneurs hostiles, distribuaient souvent les terres de ceux-ci à leurs propres neveux, souches premières de la plupart des familles patriciennes subsistantes ; le reste appartint aux congrégations religieuses. Ainsi s’est établi, avec la grande propriété et la mainmorte, cet état rural d’où il est si difficile de sortir.

Mais cette leçon de l’histoire ne doit pas rester perdue. Il faut maintenant prendre le contre-pied des erremens du passé, ramener la sécurité dans ces campagnes, faire rentrer la propriété dans le domaine du vrai public, activer la production en facilitant les débouchés, établir des lois économiques en accord avec les besoins modernes. Le gouvernement du roi Victor-Emmanuel réagira contre ces mœurs qui font ressembler une ferme à une factorerie coloniale, où le travail prend des allures serviles, où le manouvrier est traité en esclave temporaire sous le bâton des contre-maîtres ; il restituera, fût-ce au bout d’un siècle, la terre au vrai travailleur, surtout et à tout prix repeuplera ce qui est désert. C’est ici que se rencontre la plus grave difficulté. Le régime de la mainmorte n’existant plus, les majorats s’en iront grand train sous le nouveau régime ; la fièvre seule sera encore debout.

Redoutable fléau que cette malaria ; en quelques heures, elle peut tuer. Les mieux acclimatés en subissent durement les atteintes ; leur teint en certaines saisons est livide, leurs chairs deviennent œdémateuses, leurs forces s’épuisent. Que peut la quinine quand le poison, neutralisé un instant, est de nouveau absorbé dès le lendemain, et que l’économie du malade reste sous l’influence maudite ? Si le corps humain pouvait aussi impunément affronter les terres basses, humides et chaudes que le peut celui de l’animal, les plus malsaines contrées du globe deviendraient des greniers d’abondance. Depuis qu’on étudie le problème, c’est à peine s’il a fait un pas. La canalisation des eaux stagnantes ne suffit point, car elle n’a pas d’action immédiate. Du fond des marais desséchés s’échappent des émanations morbides ; les débris végétaux contenus dans cet humus décomposé en recèlent les germes ; les terres remuées pour ces travaux sont elles-mêmes des foyers d’infection[2].

Au reste, la fièvre règne presque aussi implacable sur les plateaux arides quand ils sont déserts ; les landes les plus sèches sont presque aussi inhabitables que les marais. C’est que partout où la vie recule, la mort semble avancer. On a espéré dans les plantations pour assainir. Il est certain que la végétation absorbe bien des miasmes, que des bouquets d’arbres abritant une habitation contre certains vents venus des marais peuvent être des préservatifs ; mais quelle illusion est possible quand la côte la plus malsaine est toute plantée de forêts, de Nettuno à Ostie ? quand le chêne vert, le pin parasol, l’arbousier et des myriades de lianes végètent luxurieusement là où les repris de justice seuls osent venir chercher asile ? Dans la solitude des bois comme dans la nudité des plaines, la fièvre atteint l’homme, comme si elle voulait y régner et y habiter seule ; on ne parvient à lui échapper qu’après une lutte corps à corps qui dure plusieurs générations. Terrible cercle vicieux : il faut des hommes pour chasser la malaria, et c’est elle qui empêche de peupler les plus riches terres d’alluvion ! Ce n’est donc point par de brusques mesures de colonisation qu’on y parviendra ; il faudra la lente acclimatation des voisins immédiats. Les âpres montagnards sabins, qui déjà trouvent la plaine plus féconde que leurs rochers, viendront la coloniser, comme ils la parcourent déjà pendant huit mois de l’année, lorsqu’on saura l’offrir à leurs instincts d’appropriation. La patiente contribution de l’intérêt privé, les hardiesses obstinées de la rapacité humaine aux prises avec le danger, voilà ce qui vaincra l’hydre de Lerne et lui coupera une à une toutes ses têtes. La vie sédentaire naîtra forcément avec la vente du sol lui-même et le partage en milliers de lots. La culture se substituera peu à peu à la pastorizia, la ferme au pacage.

L’étude des faits et l’histoire entière du pays nous donnent raison. Les quartiers de Rome les plus bas, autrefois malsains, le Campo di Marte par exemple, sont les seuls habitables, parce qu’ils sont seuls habités. Sur plusieurs des sept collines, jadis très peuplées, la fièvre fait assez souvent des victimes, parce qu’elles sont désertes ou peu fréquentées maintenant. Les nonnes de la villa Mills paient tribut au fléau sur les ruines mêmes de la maison d’Auguste et du palais des césars ; c’est que le Palatin n’est plus peuplé que des ombres de ses anciens hôtes. Ostie, inhabitable aujourd’hui, même aux galériens qu’on chargeait naguère de l’exhumer des limons du Tibre, Ostie fut une grande ville, le rendez-vous du commerce, le port, le Pirée de Rome, et cependant les environs en furent marécageux de tout temps. Ils étaient même plus bas autrefois, puisque les atterrissemens du fleuve ont exhaussé le niveau de la côte. On y vivait néanmoins, et cela pendant plusieurs siècles de l’ère chrétienne. Antium fut une ville importante, Ardée un lieu très recherché pour la villégiature ; tout prouve pourtant que ces localités subissaient les influences paludéennes du voisinage. Un exemple plus frappant nous est fourni par les Marais-Pontins. Les anciens aussi s’y plaignaient de la fièvre ; mais ils l’avaient domptée par des soins séculaires, appliqués à ce sol aussi riche que dangereux. Que de villes installées sur ce territoire aujourd’hui maudit ! Il y en avait jusqu’à vingt-trois, et des plus prospères. Les Volsques de Suessa, de Longula, de Pometia, de Polusca, de Mugilla, de Nimfa, habitaient même la partie la plus basse. La mort du reste a mis du temps à établir définitivement son domaine aux Marais-Pontins. L’empereur Auguste y avait encore une villa, et bien plus tard Théodoric, après quelques canalisations, put établir à Terracine le siège de son empire.

Ces faits sont de bon augure pour le Latium, bien moins malsain par lui-même. Les difficultés sont sérieuses, mais ce qu’ont obtenu les anciens, pourquoi l’activité moderne ne l’obtiendrait-elle pas à la longue ? Plusieurs papes l’ont noblement essayé. C’est ainsi que Pie VI osa poursuivre la fièvre jusque dans les Marais-Pontins. Que pouvaient devenir ces excellens fonds de terre, même desséchés, entre les mains de trois ou quatre familles princières qui en devaient la rente au saint-siège sans être toujours en état de s’acquitter ? Il y a cinquante ans, les Gaëtani, qui louaient 130,000 hectares de ces marais 25,000 francs pour la pêche, firent opposition au dessèchement. Comment ressusciter un monde abandonné à l’exploitation inqualifiable de tels propriétaires ? Il fallait plus que les entreprises intermittentes d’un gouvernement aussi routinier que bien intentionné, plus que les ressources de la science, plus même que les grands capitaux, jusqu’ici absens ; il faut surtout les intérêts multipliés, divisés entre mille propriétaires, pour rendre à la culture et par suite à la vie ces terrains d’alluvion qui feraient la joie des maraîchers de nos grands centres. Il n’y a que l’intérêt privé, sous l’impulsion des libertés modernes, qui soit capable de surmonter le grand obstacle de la malaria ; il faut l’âpreté du gain, la soif de vivre, pour faire reculer cette forme de la mort.


TH. ROLLER.

  1. Qui croirait qu’en ce pays de grand élevage on importait des bœufs de boucherie, tant les soins d’entretien étaient insuffisans pour produire la viande !
  2. Les recherches récentes de M. Balestra tendent à faire croire que ces miasmes ont pour cause les spores d’une algue. Voyez la Revue du 1er août 1871 (les Impuretés des eaux).