L’Algonquine/Chapitre 13

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La Compagnie de Publication de La Patrie (p. 54).

XIII

FLÈCHES MORTELLES.

Plume-de-Faucon et Oroboa marchaient depuis le lever de l’aurore.

Se guidant d’après la mousse des arbres, ils se dirigeaient vers le nord. Tous deux étaient épuisés de fatigue. Ils n’avaient pas pris une bouchée depuis la veille, et n’avaient étanché leur soif qu’à de rares ruisseaux, en buvant dans le creux de leurs mains.

Le jour baissait rapidement, et bientôt le soleil allait disparaître derrière une grande ligne de rochers.

Pas une bête, pas un oiseau ne s’étaient encore offerts à leurs yeux.

Soudain, Plume-de-Faucon fit entendre un cri de joie.

Sur la cime d’un orme aux feuilles jaunissantes, un corbeau venait de se percher.

Cette grosse tache noire, qui se détachait sur l’azur du ciel et le safran des feuilles, faisait une excellente cible à l’œil de chasseur du Huron.

Il sortit une flèche de son carquois et banda son arc.

Il allait tirer, quand l’Algonquine se jeta sur le sol, enroulant les jambes de Plume-de-Faucon de ses bras.

— En garde, dit-elle, à mi-voix.

Devant eux se déployait une vaste clairière. À l’extrémité de cette clairière, dissimulé dans les hautes herbes d’une pièce marécageuse, un Iroquois, le bras gauche tendu, tenait son arc bandé, tandis que la main droite ajustait la flèche empoisonnée qu’elle allait lancer droit au cœur du Huron.

Cet Iroquois était un Indien superbe.

La partie inférieure de son corps était cachée, mais il devait être très grand, à en juger par son buste large et élancé, son thorax bombé, ses bras immenses et musculeux. Sur sa peau brune et huileuse serpentaient des arabesques rouges, jaunes et noires. La tête légèrement penchée sur l’épaule, était ornée d’une longue plume blanche striée de jaune.

Quand Plume-de-Faucon, baissant les yeux, eut découvert l’ennemi qui tenait ses jours au bout de la flèche redoutable, il ne manifesta pas le moindre signe de frayeur.

Plus prompt que l’éclair, il rabattit son arc et lança sa flèche dans l’espace.

Deux sifflements se firent entendre, deux flèches se rencontrèrent et deux hommes tombèrent.

La flèche de l’Algonquin avait frappé l’Iroquois à l’œil droit.

Ce dernier s’était écroulé dans les herbages, la face contre terre, cassant, en tombant, le bois de la flèche dans l’orbite qui répandit un filet de sang visqueux. L’œil gauche s’était ouvert démesurément.

Le cadavre présentait un objet d’horreur et d’épouvante.

Plume-de-Faucon, atteint au cœur, était resté tout droit un moment.

Puis, ses bras avaient battu l’air, sa bouche s’était ouverte toute grande, comme pour appeler de la vie dans ses poumons, ses yeux avaient roulé dans leurs orbites, et il s’était affaissé dans les bras d’Oroboa, témoin muet et terrifié de ce duel étrange au sein des solitudes de l’Amérique.