L’Allemagne et la psychologie des peuples

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L’Allemagne et la psychologie des peuples
Revue des Deux Mondes6e période, tome 32 (p. 366-389).
L’ALLEMAGNE
ET
LA PSYCHOLOGIE DES PEUPLES

Au nombre des sciences que l’Allemagne se flatte d’avoir créées, il en est une, la psychologie des peuples (die Völkerpsychologie), à qui elle a peut-être la première donné ce nom, mais qui ne lui doit, certes, ni la naissance, ni les œuvres le plus remarquables, et qui surtout ne lui a guère servi à elle-même dans la connaissance des peuples, dans l’art de les comprendre, de se les concilier, d’établir entre eux et elle des rapports d’intelligence, de confiance, de sympathie. — S’il est, en effet, dans la longue et intense préparation que l’Allemagne avait faite de la présente guerre, un point défectueux, une lacune et une tare, c’est précisément le manque de psychologie, c’est l’ensemble, je devrais presque dire le système des erreurs qu’elle a commises, sur elle-même d’abord et ses alliés, puis sur ses adversaires, en troisième lieu sur les neutres, enfin, et d’une façon générale, sur les conditions dans lesquelles elle provoquait et engageait la lutte contre le monde civilisé, au moment où la civilisation était le moins disposée à subir le joug de ce qu’il faut bien, du seul nom qui convienne, appeler la barbarie.


I

L’Allemagne n’a jamais eu, il est douteux qu’elle puisse avoir jamais le sens psychologique. Elle n’a pas même celui de la vie, de la vie humaine et sociale. M. T. de Wyzewa faisait, il y a quelques mois, remarquer ici même, dans l’étude intitulée la Faillite de la littérature et de l’art allemands, comment, faute de ce don de la vie, il n’y a vraiment, dans toute la littérature allemande, aucune création proprement dite, aucune figure vivante, aucun personnage capable, comme ceux d’un Shakspeare, d’un Cervantes, d’un Molière, d’un Balzac, d’un Tolstoï, de faire concurrence à l’état civil. Chez Goethe lui-même, qui cependant avait senti la puissance de vie de l’art français, de l’art italien, de l’art grec, le héros le plus humain, Faust, se métamorphose presque aussitôt en symbole, et, comme si le symbolisme du premier Faust n’avait pas suffi, il y ajoute la symbolique plus impénétrable du second. — Mais c’est la philosophie allemande qui a le mieux démontré peut-être cette impuissance du génie germanique à ressentir et réaliser la vie, s’il est vrai qu’après Kant, et lorsque ses successeurs tentèrent de sortir de la prison subjective où la Critique de la Raison pure les tenait enfermés, l’âme humaine et ses diverses facultés, le « moi » lui-même, la conscience, la raison, l’imagination, la volonté, ne servirent, chez Fichte, Schelling, Hegel, Schopenhauer, qu’à des constructions métaphysiques qui n’ont rien laissé subsister de l’âme humaine et du « moi, » noyés dans l’infini, l’absolu, l’univers ou le néant. — L’œuvre d’absorption et d’unification, ainsi accomplie dans la philosophie allemande, se poursuivit, après 1848, dans la nation elle-même où l’achèvement de l’unité se fit par l’absorption de l’Allemagne dans la Prusse. La nation eut en politique le sort que l’âme et le « moi » avaient eu dans la philosophie : elle fut noyée dans le régime prussien, et l’unité ne se consomma que par la servitude. — Ces précédens ne formaient pas l’Allemagne, il faut l’avouer, à l’intelligence, à la science, à la psychologie des peuples : l’expérience n’allait pas tarder à le démontrer. Si, vers la fin du XVIIIe siècle, Hamann et Herder, inspirés d’ailleurs de Voltaire (l’Essai sur les Mœurs), de Montesquieu (l’Esprit des Lois), de J.-J. Rousseau, eurent et projetèrent d’assez larges lueurs ou divinations sur l’origine, sur la préhistoire des grandes civilisations, si Hegel, au XIXe siècle, fut, par sa métaphysique du devenir, l’initiateur d’un mouvement historique qui n’a pas été sans éclat, si Lazarus et Steinthal fondèrent vers 1860 la Revue (Zeitschrift de la Völkerpsychologie, l’objet même de cette science, le sens de la vie propre, de l’originalité de l’âme des peuples, ne se découvrait pas, ne se rendait pas à ces savans.

L’Allemagne, pour commencer par elle, s’est, comme nation et comme Etat, ignorée, ou mieux encore, elle s’est déformée elle-même. Elle a pratiqué sur son propre peuple, ou sur l’ensemble des variétés et espèces qui le composent, une série d’opérations artificielles dont l’effet a été la création d’un être de laboratoire, d’un monstre de sociologie, « homunculus » ou « surhomme, » selon le miroir dans lequel il se reflète. Elle a entrepris, à partir de 1870 et plus encore de 1890, de s’ « organiser, » comme le docteur Faust avait entrepris de se rajeunir. N’ayant que mépris et dédain pour ce qu’elle avait été, condamnant l’idéalisme et le sentimentalisme du passé, elle a manipulé, forgé, selon le codex de ses nouveaux docteurs, un Etat dont le seul objectif, le seul souci devait être le développement de la puissance matérielle sous toutes les formes. A l’Allemagne individualiste et particulariste d’autrefois, avec ses royaumes, grands-duchés, principautés ou villes ayant leur caractère propre, leur culture, leur originalité, était substituée en quelques années une Allemagne dans laquelle une brusque et brutale centralisation militaire, administrative, économique et scientifique était imposée comme un joug. Toute l’énergie, toute l’activité de la nation était, de force, détournée vers un but unique : la construction de l’énorme machine qui devait conquérir et asservir le monde. Henri Heine qui, Prussien libéré comme il s’appelait lui-même, connaissait à fond son pays et qui l’avait étudié dans la phase si instructive, si révélatrice, de 1830 à 1848, avait deviné et pressenti ce que deviendrait sous le régime prussien, sous le militarisme, l’Allemagne qu’avait vue ou cru voir Mme de Staël, et ce qu’une poigne de fer et d’acier ferait du pays du clair de lune romantique et de la métaphysique transcendantale. L’Allemagne de 1813 avait formé contre les armées de Napoléon la ligue de la vertu (Tagendbund). L’Allemagne de 1848 avait cherché au Parlement de Francfort l’unité dans la démocratie et la liberté. L’Allemagne créée par Bismarck, Moltke et de Roon, achevée par Guillaume II, von Bernhardi et von Tirpitz, est la Germanie casquée, cuirassée, pour qui il n’y a que la force, qui ne demande à la civilisation que de fourbir ses armes, d’enfler son trésor de guerre, et, à l’occasion, de dissimuler, pour un temps, sous le vernis de la culture et jusque sous le masque des traités, ses abominables desseins d’universelle convoitise et conquête. Tout en s’armant et se ceignant les reins dans ses arsenaux, ses casernes, ses chantiers, ses ports et ses banques, elle a voulu, pendant la paix, se réserver le bénéfice du droit ; elle a signé des traités et conventions qu’elle était d’avance résolue à violer ; elle n’est restée dans la compagnie des Puissances civilisées, elle n’a adopté ou paru adopter les idées, principes et mœurs qui constituent la communauté des nations et le droit des gens que pour mieux couvrir et abriter la préparation de ses forfaits.

Après s’être ainsi déformée et reforgée elle-même, sur un autre plan et modèle, pour l’œuvre qu’elle préméditait, l’Allemagne n’avait plus le regard très clair, ni le jugement très sûr, pour apprécier les autres peuples ou Etats, pas même ses alliés, auxquels elle n’a jamais d’ailleurs témoigné grande considération. L’Autriche-Hongrie, l’ancienne rivale et ennemie, exclue par elle de la Confédération germanique, et rattachée à sa politique par crainte et haine de la Russie, n’a jamais reçu d’elle qu’un assez médiocre traitement. L’Allemagne lui a, à certains momens, décerné le brevet de brillant second, lorsqu’elle était satisfaite de sa docilité, mais elle ne lui a pas même conservé dans la pratique de l’alliance les avantages qu’elle avait fait luire devant elle du côté de l’Orient. Dans la poussée vers l’Est (Drang nacfi Osten), c’est l’Allemagne qui s’est poussée elle-même le plus avant, du moins vers les points utiles et lucratifs, écrémant tout le dessus du pot au lait où l’Autriche-Hongrie avait cru placer ses espérances. Quand l’heure des réalisations a sonné, l’Autriche-Hongrie n’a recueilli que les deux provinces de Bosnie et d’Herzégovine, qu’elle détenait déjà sous un autre titre : encore a-t-elle dû les racheter à la Turquie, et cette annexion non gratuite, mais éphémère, va coûter de plus à la double monarchie une bonne moitié de ce qui lui restait, si le sacrifice n’est pas plus considérable encore. — Il est à peine besoin de mentionner ici la Turquie ; celle-ci n’a été qu’un instrument, une vassale, et elle achève ignominieusement, dans sa servitude présente, une existence dont elle n’a dû la prolongation inattendue qu’à la générosité des Puissances aujourd’hui unies pour y mettre un terme.

C’est, parmi ses alliés, l’Italie que l’Allemagne a le plus ignorée et méconnue. L’Allemagne et l’Italie avaient, dans leur histoire contemporaine, une similitude, presque une parenté : toutes deux avaient trouvé leur unité dans ce principe des nationalités, à qui aujourd’hui encore l’Italie donne un nouveau témoignage de fidélité, en se rangeant du côté de ceux qui, comme elle, le respectent, mais que l’Allemagne a, de même que tant d’autres idoles, foulé aux pieds et profané. L’Italie, en se rapprochant de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie, avait cru trouver dans le traité d’alliance une garantie, une sécurité de paix. L’Autriche-Hongrie ne pouvait être pour l’Italie, selon le mot du comte Nigra, récemment cité et médité, je pense, par le prince de Bülow, qu’une alliée ou une ennemie. Que l’Autriche-Hongrie ait laissé, par son aveuglement et l’égoïsme de ses propres desseins, l’alliance se transformer en inimitié, il n’y a pas lieu de s’en étonner. Mais que l’Allemagne n’ait été ni plus avisée, ni plus prévoyante, qu’elle n’ait pas compris, malgré des signes et des avertissemens réitérés, que l’Italie ne se prêterait pas à une offensive, surtout contre une nationalité menacée, cela vient de l’incurable impuissance de l’Allemagne à admettre qu’un État se sente lié par le respect de ses engagemens, par la foi aux traités, par le culte de l’honneur. L’Italie de 1914 n’oubliait pas l’Italie de 1848, de 1859, de 1866 : elle restait fidèle aux souvenirs de son affranchissement, elle ne pouvait être complice ni dupe d’attentats commis contre le principe auquel elle devait la vie. Elle est revenue tout naturellement se placer à côté de ses alliés de 1859 et des Puissances qui, avec nous, défendent, en même temps que le respect des nationalités, la liberté de l’Europe et la paix du monde.

L’Italie avait libéré son âme. La Triple Alliance, d’autre part, se rétablit et compléta son chiffre fatidique par l’accession définitive de la Turquie, associée prédestinée des Empires de proie, mais qui, comme l’Autriche-Hongrie, paraît appelée à fournir surtout un des plus gros lots du butin.


II

Vis-à-vis de la Triple Entente, soit dans son ensemble, soit dans chacun des membres qui la constituent, les erreurs psychologiques, les fautes de jugement et de pronostic de l’Allemagne, depuis vingt-cinq ans, ne se comptent pas.

Autant le prince de Bismarck avait pris soin d’empêcher, de prévenir le rapprochement, l’union entre la France, la Russie, l’Angleterre, autant, depuis 1890 et surtout depuis 1904, l’Allemagne de Guillaume II a, par la découverte de ses desseins, par ses faux calculs, par l’infatuation de son orgueil et l’ostentation de sa force, resserré elle-même les liens entre les Puissances que liguait la communauté du péril et de la menace. Son premier mouvement, d’abord envers l’alliance franco-russe, puis envers l’entente cordiale de l’Angleterre et de la France, avait été de méconnaître, de nier la réalité, ou tout au moins la portée d’actes qu’elle n’admettait pas, qui choquaient sa suffisance, qui risquaient de gêner, de déconcerter ses propres plans. Elle ne s’était résignée à l’alliance franco-russe que parce qu’elle l’avait présumée impuissante, et non sans chercher constamment, soit à intervenir en tiers entre les alliés, soit à susciter à chacun d’eux des difficultés et des embarras. Elle a cru de même pouvoir étouffer dans l’œuf l’entente cordiale anglo-française en s’opposant à notre politique marocaine. Elle n’a pas craint alors de prétendre s’immiscer jusque dans nos affaires intérieures et dans celles de l’Angleterre et peser sur l’attitude, sur les résolutions des partis dans les deux pays. Elle imagina un instant de se plaindre des tentatives d’encerclement qu’elle accusait le roi Edouard VII et la France de machiner contre elle. Puis, et sur la foi de succès qu’elle se vantait d’avoir remportés en soutenant l’Autriche-Hongrie dans la campagne d’annexion de la Bosnie et de l’Herzégovine, elle préféra penser elle-même et accréditer dans le monde l’idée que la manœuvre d’encerclement avait échoué, que désormais elle était, avec son brillant second, maitresse de l’heure et que la Triple Entente n’était qu’une combinaison diplomatique impropre à l’action et aux sanctions. A la veille de la guerre qu’elle préparait et préméditait avec tant d’ardeur et d’espoir, elle se demandait encore si cette guerre, elle aurait besoin de la faire, tant il lui semblait que les trois Puissances de l’Entente avaient, chacune pour des raisons différentes, le désir, la volonté de l’éviter. M. de Tchirsky à Vienne, le prince Lichnowski à Londres, M. de Schœn, à Paris, le comte Pourtalès, à Saint-Pétersbourg, étaient également convaincus qu’aucune des trois Puissances ne marcherait. Guillaume II, qui n’avait pas encore songé, comme il le fit après ses premières déceptions, à accuser, tantôt l’une, tantôt l’autre, des Puissances de la Triple Entente, de provoquer la guerre, pensait au contraire, avec quelque regret sans doute, qu’il n’aurait, le Quos ego une fois prononcé, qu’à croiser les mains sur la poignée de son épée.

L’Allemagne n’a jamais connu ni compris la France. Ses deux seuls hommes d’Etat qui aient eu parfois une intuition, une lueur de ce que la France pouvait être, le prince de Bismarck et, plus tard, le prince de Bülow, n’ont pu, devant les préjugés de leur entourage et du milieu où ils vivaient, agir en conséquence et donner le coup de barre du bon côté. Le prince de Bismarck a trop tiré parti lui-même de notre propre histoire pour nous ignorer et se tromper à notre égard autant que l’ont fait tous ses compatriotes. Le prince de Bülow, qui avait longtemps vécu parmi nous, qui lisait nos journaux et nos livres, qui avait réfléchi sur cette page profonde dédiée par M. de Tocqueville à la France, et qu’il cite tout au long dans son ouvrage sur la Politique allemande, qui avait le goût de notre esprit et de notre langue, n’a pas non plus partagé toutes les erreurs commises dans son pays sur notre compte. Mais, de fait, ils n’ont, ni l’un ni l’autre, dans leur gouvernement, mis à profit cette intelligence relative qu’ils avaient de nous pour orienter la politique allemande dans une autre direction. Ils ont pratiqué à notre endroit le système de la double douche, tantôt nous faisant, dans le détail (et avec quelle lourdeur !) des offres, des avances imprévues, le plus souvent nous menaçant, sans se rappeler qu’ils avaient affaire à un peuple fier, fidèle à ses souvenirs, prêt aux plus grands sacrifices, et qui, sur le chemin de l’honneur, ne bronche pas. Ils n’ont pas vu que, malgré mainte traverse, maint obstacle, la France, qu’ils s’étaient efforcés de réduire, de contenir, d’enfermer dans son isolement, se relevait, se conciliait l’estime, la sympathie, la confiance de Puissances sur lesquelles l’Allemagne croyait encore pouvoir compter. Le prince de Bülow et son successeur n’ont pas senti battre, l’un en 1905, l’autre en 1911, le pouls de la France, dont la consultation eût dû suffire à éclairer leur diagnostic. Ils n’ont pas compris que leurs provocations, leur arrogance, retrempaient le patriotisme français et l’unité nationale, et que c’était là l’unique influence que leurs maladroites manœuvres pouvaient exercer sur l’orientation de notre politique.

Quant au jugement que l’Allemagne portait sur notre état moral et social, sur notre littérature et nos arts, bien qu’elle crût en emprunter les élémens à quelques-uns de nos propres écrivains, à certaines de leurs œuvres, là encore elle trahissait son irrémédiable inaptitude à nous connaître. Alors que ses naïfs et malveillans compilateurs collationnaient les citations, extraits ou analyses, d’articles de journaux, de brochures, de romans, de pièces de théâtre, qui n’attestaient que notre étrange manie de nous dénigrer nous-mêmes, de nous faire pires que nous ne sommes, la vie et les mœurs de la France, le travail de la nation sur elle-même, les aspirations nouvelles, tout ce mouvement de la génération montante, et dont l’effet apparaît aujourd’hui, leur échappait. Ils ne voyaient chez nous que ce qui attire si facilement l’étranger, un étalage cosmopolite, le faux et décevant miroir d’une vie considérée comme parisienne, qui n’est pas la nôtre, et qui répond bien plutôt au grossier idéal des snobs de Berlin et de Vienne. Depuis lors, l’Allemagne a essayé de nous rendre un peu plus justice. Au lendemain de la bataille de la Marne, elle nous a découverts.

L’Allemagne eût pu avoir une connaissance moins inexacte de l’Angleterre, à laquelle la rattachaient certaines origines ethniques, le souvenir d’une ancienne alliance, des relations commerciales et financières parfois assez étroites, une commune admiration pour Shakspeare. Mais, et quoique, depuis 1870 jusqu’à la fin du règne de la reine Victoria, l’Angleterre, malgré son isolement, n’eût pas marqué d’éloignement pour la politique allemande, l’Allemagne n’a jamais bien compris le génie, les mœurs, les institutions britanniques, et, surtout, elle n’a pas vu la transformation qui s’opérait chez nos voisins d’outre-Manche. Elle s’en est tenue à la légende de l’Angleterre insulaire, conservatrice, égoïste, chez qui elle croyait remarquer des traces de ralentissement et de décadence. Elle pensait pouvoir égaler bientôt la puissance navale de sa rivale, qu’elle se promettait de déposséder ensuite de la suprématie si longtemps exercée sur toutes les mers, ainsi que de son immense empire colonial. Elle a essayé de hâter l’heure de cette dépossession par de décevantes négociations sur la limitation des armemens ou sur la neutralité. Elle s’efforçait aussi d’affaiblir l’Angleterre par toutes sortes d’intrigues intérieures, de divisions que ses agens suscitaient, soit dans les cercles politiques et financiers, soit dans la population industrielle et ouvrière. Elle se flattait d’y avoir réussi, d’avoir d’avance désarmé nos voisins, — et elle demeurait persuadée que jamais l’Angleterre ne dépasserait, dans l’entente cordiale avec la France et la Russie, les limites de l’action diplomatique. Elle était prête, dans la guerre qu’elle désirait et préparait, à faire provisoirement la part de l’Angleterre, dont elle escomptait l’abstention, et qu’elle se réservait ensuite, ses autres adversaires une fois vaincus, d’accabler de toute sa force.

Pour ce qui regarde la Russie, l’Allemagne se targuait, non seulement de la connaître, mais, et même en pleine paix, de la dominer. Les relations anciennes entre les deux Cours, l’origine et les affinités, germaniques d’une partie de la bureaucratie russe, les habitudes commerciales et industrielles, certaines traditions financières qui avaient survécu à l’alliance franco-russe, les influences d’Universités, de culture et de langue, lui donnaient l’illusion d’avoir et d’exercer sur le vaste Empire russe je ne sais quelle maîtrise. L’alliance franco-russe elle-même n’avait pas fait perdre à l’empereur Guillaume II l’espoir de conserver encore son action personnelle sur la Russie et sur le Tsar. Dans ses heures de fantaisie et de rêve, le Kaiser s’est même parfois bercé de l’idée que, par la Russie, il apaiserait l’inimitié française, comme, plus tard, dans sa dernière conversation avec sir E. Goschen, le chancelier de Bethmann-Hollweg prétendait qu’en cultivant l’amitié de l’Angleterre, l’Allemagne avait espéré aussi se rapprocher de la France. La vérité est que tout l’effort allemand s’appliquait à énerver, à alanguir la Triple Entente, à séparer en détail les Puissances amies, à intervenir dans les rapports des unes avec les autres, à susciter entre elles des causes ou occasions de divergence, et, chez chacune d’elles, des difficultés domestiques. L’Allemagne s’était attachée à capter, en Russie, à la Cour, dans le Gouvernement, dans l’armée et la marine, dans le haut commerce, l’industrie et la finance, dans la presse, diverses sources de pouvoir, de richesse et d’influence. En Russie, comme en Angleterre et en France, elle avait poussé très loin cette première campagne d’avant-guerre ; mais son erreur a été de ne pas voir que, dans chacun des trois pays, il y avait des forces de résistance, des ressources d’énergie, et, entre les trois pays eux-mêmes, une solidarité, une union étroite, qui ne les laisserait pas isolément exposés aux menaces d’une provocation germanique. L’Allemagne en était venue à tellement identifier l’idée de l’ « organisation » avec celle de la préparation mécanique et matérielle, qu’elle n’attribuait plus d’importance et de valeur aux forces morales, aux liens et engagemens entre États, aux traités. Elle se figurait que la seule entrée en scène et en jeu de sa puissance organisée suffirait à contenir ou à dissoudre la coalition d’Etats qui, n’étant pas géographiquement contigus ou similairement préparés, ne résisteraient pas à un choc dont la violence serait égale en soudaineté implacable à celle d’une catastrophe physique, d’un cataclysme de la nature. Elle croyait avoir, par l’organisation et la science, de même que par l’élimination de tout scrupule de conscience, de morale et de droit, porté l’exécution de ses desseins à un tel degré d’infaillible certitude que l’hypothèse même d’une résistance, à plus forte raison d’un échec, était exclue.


III

Parmi les calculs que ne troublait pas la considération de la conscience, de la morale et du droit, était la liberté que l’Allemagne s’accordait de disposer, dans l’exécution de ses plans, non seulement de ce qui ne lui appartenait pas, mais de ce qu’elle s’était solennellement engagée, par contrat signé et scellé avec quatre autres Etats, à respecter elle-même, plus encore à garantir. Son plus grand crime, mais aussi sa plus grande faute, sa plus grave erreur de psychologie, a été la violation de la neutralité de la Belgique.

Les Pays-Bas avaient été constitués en 1814-1815, la Belgique avait été maintenue en 1830, non certes de par la volonté des Belges, mais par la diplomatie de l’Europe, comme une barrière contre la France. Il se trouva, quarante ou cinquante ans plus tard, que, le péril d’hégémonie ayant changé de camp, la barrière opposée à la France commença à -être considérée par l’un des membres de l’ancienne alliance comme une tentation ou facilité de passage. Le comte de Bismarck en 1870 avait trop perfidement dénoncé les prétendus projets de la France, il avait aussi trop d’intérêt à ménager l’Angleterre pour qu’à cette date la Prusse osât franchir la frontière belge. L’Allemagne de Guillaume II et du général von Bernhardi n’avait plus de telles hésitations. Longtemps avant 1914, ce n’était plus en Europe un mystère que l’Allemagne, si les circonstances l’exigeaient, ne se laisserait nullement arrêter par la neutralité de la Belgique. Les plans de son état-major, le réseau de ses chemins de fer, étaient nettement dirigés vers le pays de Liège. Elle avait prémédité et arrêté l’invasion de la Belgique comme étant la voie qui lui était nécessaire pour atteindre et frapper vite la France. Ses préparatifs de mobilisation étaient faits dans ce sens et avec ce but. Tandis que la France, avec une loyauté impeccable, mobilisait sur l’Est, considérant la frontière du Nord et du Nord-Ouest comme hors de la zone des hostilités, l’Allemagne mobilisait sur la Belgique même. Lorsque, dans les derniers jours du mois de juillet 1914, la Grande-Bretagne, garante comme l’Allemagne et comme la France de la neutralité de la Belgique, demanda aux Cabinets de Berlin et de Paris de l’assurer de leurs intentions à l’égard de cette neutralité, la réponse de la France fut aussi immédiate que satisfaisante. L’Allemagne se récusa, alléguant que répondre serait découvrir ses plans. Elle les découvrait par là même et avouait, mais en même temps elle cherchait à gagner l’Angleterre par les éhontés marchandages de la dernière heure qu’a révélés le Livre bleu britannique, comme si la neutralité belge, garantie par cinq grandes Puissances, pouvait faire l’objet d’un marché entre deux d’entre elles. L’Allemagne, dès longtemps habituée à ne voir dans les traités et le droit que ce qui la sert, n’admit pas un instant que l’Angleterre pût faire de cette question de la neutralité belge un casus belli. La stupeur du chancelier et de M. de Jagow devant l’ultimatum anglais montre la profondeur et la sincérité du mépris dans lequel ils tenaient le respect des traités, des « chiffons de papier : » elle trahit aussi l’inconscience avec laquelle les ministres allemands avaient compté, non seulement sans les sentimens de droiture et d’honneur des gouvernemens belge et anglais, mais même sans le souci de légitime défense qui ne permettrait pas au gouvernement britannique de tolérer, de laisser s’accomplir impunément ce guet-apens contre le droit de l’Europe, contre la sécurité de la France, contre la sienne propre. La violation de la neutralité belge avait donc pour premier effet de ranger l’Angleterre à côté des Alliés contre l’Allemagne, et de disqualifier l’Allemagne elle-même, ennemie déloyale qui, pour atteindre son adversaire par un coup oblique, ne craignait pas d’attaquer traîtreusement la Puissance garantie par un traité portant sa signature.

Un autre effet que l’Allemagne, dans son aveuglement, n’avait pas prévu, c’est que cette violation du territoire belge, après l’avoir disqualifiée, allait l’affaiblir et révéler le défaut de sa cuirasse. La résistance de la Belgique, en retardant de deux ou trois semaines la ruée des armées allemandes contre la France, laissait aux armées françaises le temps d’achever leur concentration et de se reporter peu à peu sur la frontière Nord Nord-Ouest. Le gain que l’Allemagne avait prétendu s’assurer en frappant la France d’un coup rapide au cœur, avant que la mobilisation russe ne fût avancée, ce gain se trouvait compromis, et l’Allemagne risquait de ne pouvoir plus faire, en temps utile, les déplacemens de troupes, les mouvemens de navette entre les deux fronts de l’Ouest et de l’Est.

Ajoutez que le dépit, la fureur éprouvée par l’Allemagne à l’échec et au retard que lui infligeait la résistance belge, l’amenait à faire à la Belgique une guerre inexpiable, une guerre d’atrocités et de tortures, qui non seulement lui aliénait à jamais les populations ainsi sacrifiées et immolées, mais qui allait mettre l’armée allemande au ban de la civilisation.

Pour échapper à cette condamnation, à cette flétrissure, l’Allemagne essaierait d’abord de nier, puis de retourner l’accusation contre la victime elle-même. Elle n’a pas craint, en effet, de prétendre que c’était la population civile qui avait, par ses sévices, provoqué les représailles des troupes, les incendies et les massacres. Elle est allée plus loin, s’efforçant de découvrir dans les archives saisies à Bruxelles la preuve que c’était la Belgique elle-même qui la première avait manqué à ses devoirs de neutralité par des ententes préparées avec l’Angleterre, sinon même avec la France, et qu’elle était la seule responsable de la catastrophe qui avait fondu sur elle. Dans cet enchevêtrement de fautes et de crimes s’engendrant les uns les autres, l’Allemagne en venait à oublier ce qu’elle avait pourtant reconnu, et que c’était bien elle qui, délibérément, pour se tirer d’affaire, et parce que nécessité n’a pas de loi, avait, au mépris des traités, violé la neutralité de la Belgique. De ce que son plan avait en partie échoué, de ce que la Belgique avait résisté et l’avait retardée, elle aurait voulu conclure qu’elle n’était plus si coupable. Le chancelier de Bethmann, réputé jusqu’ici comme un philosophe et un juriste, n’a pas eu honte, après avoir tout avoué le 4 août 1914, après avoir reconnu publiquement l’offense faite au droit des gens, de rétracter, au mois de décembre suivant, puis au mois d’août 1915, les aveux qu’il avait faits. Mais le monde ne s’y est pas trompé. Les neutres qui, aux Pays-Bas, dans les Etats scandinaves, en Suisse, aux Etats-Unis, ont contrôlé les documens, n’ont pu suivre le chancelier dans sa vaine tentative d’apologie ou de palinodie. L’opinion, qui ne fait que devancer l’histoire, a déjà prononcé. La violation de la neutralité belge, si elle est tout d’abord un crime contre le droit, est aussi la plus lourde faute politique, peut-être même militaire, que l’Allemagne pût commettre. Elle pèse de tout son poids sur la suite des événemens. Elle est comme la Justice du célèbre tableau de Prud’hon, la Justice poursuivant, dans l’ombre de la nuit, le meurtrier qui ne peut lui échapper.


IV

Après avoir traité de cette façon, et comme le pire ennemi, la Puissance neutre, de neutralité perpétuelle et garantie, — il est aisé de penser que l’Allemagne ne devait avoir, vis-à-vis des autres neutres, que, je ne dis pas les sentimens, tout sentimentalisme étant une fois pour toutes exclu par elle, mais que l’attitude et la politique conformes à ce qu’elle considérait comme son strict intérêt. Mais là encore, jusque dans la notion même de cet intérêt, et, en tout cas, dans la connaissance et appréciation exacte de la situation, des dispositions, de l’état d’âme des neutres, elle n’a le plus souvent cessé de se tromper. Le principal don et la plus sûre méthode en psychologie, c’est la sympathie, c’est-à-dire l’art d’entrer dans la pensée, le sentiment ou l’intérêt des autres, de se mettre un moment à leur place. L’Allemagne, elle, n’a d’autre méthode que de préférer, et tout aussitôt de substituer sa pensée ou son intérêt à la pensée et à l’intérêt des autres. Elle ne se met à leur place que pour la leur prendre : sa psychologie n’est que de l’annexion.

Vis-à-vis de la Hollande, par exemple, que, surtout après l’immolation de la Belgique, elle avait tant d’intérêt à épargner, à rassurer, à se concilier, quelle a été son attitude, quel a été son langage ? Après avoir laissé entendre que l’occupation de la Belgique, sans la possession des bouches de l’Escaut et du Rhin, n’était pas suffisante, elle a cru faire merveille, dans les interviews de M. Zimmermann avec l’un des membres du Parlement néerlandais, en déclarant n’avoir aucun mauvais dessein, aucune convoitise à l’égard des Pays-Bas, mais qu’il était clair que l’avenir des Pays-Bas était de se rattacher économiquement au Zollverein allemand. — La neutralité suisse et l’armée de la Confédération helvétique lui ont inspiré d’abord quelque respect. Mais elle n’a pas tardé à s’émouvoir de la liberté laissée à certains journaux, à des conférenciers, dans les cantons de langue française, ou même de langue allemande, de se montrer francs, c’est-à-dire sévères pour elle. Et, dans ce problème difficile du ravitaillement de la Suisse, en consentant à exporter chez ses voisins la houille, le sucre, et autres matières ou produits qui pouvaient leur être nécessaires, n’a-t-elle pas aussitôt, ne songeant qu’à elle-même, exigé comme condition et contre-partie que la Suisse lui livrât des denrées, matières premières ou produits que la France ne pouvait expédier à ses voisins d’outre-Jura que s’ils n’étaient pas réexportés dans les Empires germaniques ? — Aux Etats scandinaves, si peu suspects de vouloir la gêner, si prêts, au contraire, à lui adoucir les amertumes du blocus, elle n’a témoigné, à eux et à leur marine marchande, que de rares ménagemens.

Elle avait, dans les Etats balkaniques, par diverses parentés de Cours, par des relations commerciales ou financières d’une assez grande importance, et malheureusement aussi par les divisions et rivalités de quelques-uns de ces Etats, des moyens d’action et d’influence. Elle ne s’en est pas contentée. Se doutant bien que sa propre politique, sauf pour la Bulgarie secrètetement gagnée et félonne, ne pouvait être la leur, et que son alliance avec l’Autriche-Hongrie et la Turquie ne lui permettait guère de paraître très favorable à la satisfaction de leurs désirs, elle s’est efforcée de corrompre une opinion qui ne pouvait lui être autrement acquise. L’or allemand a coulé à flots dans les capitales balkaniques, comme à Constantinople, non seulement pour soudoyer la presse et ébranler les consciences, mais pour créer des dissentimens entre les partis et les personnes, pour entretenir les hésitations, les obscurités, les défiances. Ce n’est jamais, et pour cause, aux sentimens généreux, à un idéal élevé, que la propagande allemande fait appel. Elle ne peut, par ses propres tendances, comme par ses liens avec l’Autriche-Hongrie et la Turquie, compter que sur les puissances de ténèbres et de réaction. Et c’est ainsi que, peu à peu, ses efforts se retournent contre elle, et qu’en usant ses médiocres ou fâcheux instrumens, elle achève de se discréditer elle-même. La diffusion de l’intrigue et du mensonge obscurcit jusqu’aux milieux dans lesquels elle se meut, et, comme les gaz asphyxians de ses tranchées, étouffe et paralyse ceux qui ont mission de les répandre. La propagande qui lui a coûté si cher, qui lui a fait semer à travers le monde tant de papiers, de brochures, de livres, de gravures et tant d’or, n’a pas empêché la vérité de se faire jour. Et la seule apparition de la vérité a été déjà la revanche des Alliés.

Il y a une neutralité que l’Allemagne avait par-dessus toutes les autres à cœur de garder, de préserver, celle de l’ancienne alliée, de l’Italie. — La déclaration de cette neutralité, au début de la guerre, lui avait été une pénible déconvenue, attestant et proclamant à la face du monde le caractère offensif de la guerre, rendant plus difficile l’exécution de sa tâche militaire, lui fermant les accès et les débouchés du Sud. Et maintenant, elle s’attachait, se cramponnait à cette neutralité, comme à une ancre de salut. Non, certes, dans l’espoir de proroger le bénéfice de l’alliance même, mais pour conjurer du moins une rupture entre l’Autriche-Hongrie et l’Italie, pis encore un rapprochement entre l’Italie et la Triple-Entente. Pour prévenir et exorciser ce suprême péril, l’empereur Guillaume Il n’hésita pas, malgré d’anciens froissemens, à réaccréditer sur les bords du Tibre le plus habile de ses diplomates, son 420 diplomatique (comme l’appela aussitôt le Pasquino de Rome), le prince de Bülow lui-même. Mais c’est alors qu’apparut la différence entre une diplomatie qui connaît vraiment la psychologie des peuples, qui a elle-même une âme, et la diplomatie allemande faite alternativement de fausseté, de corruption, de menace. L’Italie, restant sur le terrain des traités, n’invoquant que son droit, avait ouvert avec le Gouvernement austro-hongrois une négociation dont l’objet était non plus d’établir qu’elle n’avait pas à suivre ce Gouvernement dans une guerre offensive, mais que l’agression contre la Serbie et le trouble apporté à l’équilibre de la péninsule balkanique obligeaient l’Autriche-Hongrie, en vertu de l’article VII du traité d’alliance, à lui donner, à elle-même, des compensations. L’Italie ajoutait qu’étant neutre, et ne pouvant réclamer, à titre de compensation, des territoires placés sous la souveraineté de tiers, les territoires qu’elle réclamait étaient des territoires appartenant à l’Autriche-Hongrie, et que c’étaient, d’ailleurs, les seuls dont la possession pût satisfaire ses aspirations nationales. Ici, comme l’Autriche-Hongrie se récrie, et que l’Italie, de son côté, déclare que, dans ces conditions, si elle n’obtient pas la satisfaction qu’exigent ses aspirations nationales et son avenir, elle reprendra sa liberté d’action, l’Allemagne s’inquiète, elle intervient pour décider l’Autriche-Hongrie aux sacrifices nécessaires. L’Allemagne n’hésite jamais, lorsqu’il s’agit de se tirer d’affaire, à disposer des territoires de ses alliés. Comme tout de même le Gouvernement austro-hongrois trouve la pilule difficile à avaler, le Gouvernement allemand insiste, mais sans succès. L’Autriche-Hongrie se refuse à céder les territoires que l’Italie réclame, et surtout elle se refuse à les livrer immédiatement, comme l’Italie l’exige, c’est-à-dire en pleine guerre.

L’Italie, en conséquence, et après avoir résumé d’une façon magistrale les argumens qui ne lui permettaient pas, lorsque le traité d’alliance a été violé, d’observer une neutralité contraire à ses intérêts comme à ses droits, dénonce le traité et reprend sa liberté. Il faut lire, dans le Livre Vert, où toute cette négociation est consignée, les lumineuses dépêches du baron Sonnino, qui poursuit avec une cinglante justesse, une logique indéfectible, la démonstration de son droit, et qui aboutit sans un faux pas à l’inexorable conclusion. On y verra à quelle sûre et infaillible balance une diplomatie inspirée de la tradition de Cavour et fidèle à la doctrine des nationalités a pesé le traité d’alliance, et, dénonçant dans l’ultimatum du 23 juillet à la Serbie, dans la déclaration de guerre qui l’a suivi, la violation flagrante de la lettre comme de l’esprit du traité, reprend en effet son entière liberté d’action et conclut que le traité d’alliance avec l’Autriche-Hongrie est désormais annulé. Quant à l’Allemagne, plutôt que de s’incliner devant le résultat fatal d’une négociation qui ne pouvait avoir d’autre issue, elle essaya encore in extremis, selon les procédés qui lui sont familiers, par la corruption ou la menace, de provoquer à Rome une crise ministérielle et parlementaire dont le seul effet fut de donner à la libération, à l’affranchissement de l’Italie, par la protestation indignée de la nation comme du Parlement, le caractère d’une sorte de plébiscite, la sanction d’un acte de justice solennellement accompli par tout un peuple. Le prince de Bülow a pu entendre, de sa terrasse de la villa Malta, les cris de la foule acclamant sur la Piazza del Popolo, outre le Roi, les deux ministres, Salandra et Sonnino, qui avaient déjoué l’intrigue et vengé la conscience nationale. Il a dû ainsi constater et vérifier une fois de plus ce qu’il en coûte d’ignorer ou de mépriser dans ses calculs l’âme d’un peuple.

L’Allemagne avait une autre et décisive expérience à faire encore en ce genre. Elle n’y a pas échappé, et cette dernière leçon lui est venue des Etats-Unis. Elle avait là cependant, au début, par la nombreuse population allemande ou germano-américaine établie dans les divers Etats, par ses immenses relations d’affaires, par une partie de la presse, par sa propagande enfin qui fut d’une activité, d’une hardiesse, d’une prodigalité sans pareilles, une atmosphère favorable. Dans les premières semaines de la guerre, la violation même de la neutralité belge ou les atrocités commises en Belgique n’eurent pas tout de suite le retentissement et l’effet qu’elles devaient avoir plus tard. La presse allemande dissimulait, atténuait, expliquait. Ce n’est que quand des Américains notoires, hommes d’Etat, diplomates, membres du Congrès, banquiers, journalistes, eurent fait eux-mêmes leurs enquêtes, que peu à peu la vérité se fit jour, pénétra et commença à inspirer l’indignation et l’horreur. Quelques esprits énergiques et vigoureux, comme l’ex-président Roosevelt, n’avaient pas eu besoin d’attendre des informations plus complètes pour flétrir, dès le premier jour, l’attentat contre le droit des gens et les traités, et pour regretter que le Gouvernement fédéral n’eût pas aussitôt élevé sa protestation. Le mouvement toutefois ne s’étendit et ne se généralisa que quand l’incendie de Louvain, le bombardement de la cathédrale de Reims, les massacres de femmes, d’enfans, de vieillards, de prêtres furent connus dans leurs affreux détails, et surtout quand l’Allemagne, par les « raids » de ses Zeppelin, par les exploits de ses submersibles, par la prétention monstrueuse de bloquer les côtes et certaines zones de mer à l’aide de ses sous-marins, par le torpillage des bâtimens de commerce et des grands paquebots, jeta un sanglant défi à l’ensemble du monde civilisé. L’Allemagne, au lieu de s’arrêter devant cette explosion d’horreur et de colère, sembla prendre plaisir à la braver. Les chefs de sa propagande, M. Dernburg en tête, l’ambassade elle-même, en annonçant les catastrophes qui attendaient les Américains assez obstinés pour continuer à prendre passage sur les steamers anglais, osaient les justifier comme des mesures de représailles contre le blocus des flottes alliées et contre le transport, par les divers bâtimens anglais, français ou autres, de matériel de guerre et de munitions destinées à l’ennemi. Lorsqu’un certain nombre de citoyens américains eurent péri dans ces exploits de sous-marins, lorsque le torpillage de la Lusitania eut anéanti plus de quinze cents existences humaines, le Gouvernement fédéral ne put manquer de s’émouvoir et de demander des explications au Gouvernement allemand. Ce qu’a été la longue négociation entre les Cabinets de Washington et de Berlin, comment à l’émotion de tout un peuple l’Allemagne n’a d’abord répondu que par des arguties dilatoires, puis par la prétention d’imposer un nouveau code de guerre maritime, puis, après les ripostes nécessaires et péremptoires des États-Unis, par le silence, puis par le nouveau torpillage de l’Arabie, le monde le sait, le monde en est témoin. C’est à la dernière heure, lorsque la rupture paraît imminente, lorsque d’autre part le Gouvernement allemand a dû s’avouer à lui-même la faillite de la piraterie sous-marine, et qu’il pressent l’avantage qu’il a à ne pas s’aliéner définitivement les États-Unis, la grande Puissance dont l’influence morale peut, au jour de la paix, être si précieuse, c’est alors seulement que l’Allemagne s’incline, se soumet, paraît venir à résipiscence. Elle s’est dit que tant d’atrocités commises, tant d’autres en voie d’exécution ou préméditées sur le sol même de l’Amérique contre la liberté du travail, de l’industrie, des transactions, des communications, tant d’or dépensé pour la corruption, l’intrigue, l’embauchage de criminels, finiraient par crier vengeance et se retourner contre elle. C’est la première fois que, sans comprendre encore son ignominie et les motifs de la réprobation universelle qui l’atteint, elle se demande si sa doctrine d’orgueil, de mépris et de haine ne l’expose pas à un terrible danger. Ce n’est pas par respect pour le droit, pour la conscience, pour la loi du monde civilisé qu’elle s’arrête ; c’est par intérêt et par peur, parce qu’elle sent que sa doctrine, au lieu de terroriser et de dompter l’univers, est menacée de faillite et de ruine, que tout d’un coup elle s’interrompt. Ce n’est ni le remords, ni la lumière tardive de la vérité qui opèrent cette conversion ; c’est l’impuissance d’aller plus loin, le nec plus ultra dressé soudain devant son inutile fureur.


V

Plus encore peut-être que son ignorance et son mépris de l’âme, des idées, sentimens, aspirations des peuples et des États, ce qui caractérise l’Allemagne présente, l’Allemagne de ce dernier quart de siècle (de 1890 à 1915), c’est surtout la parfaite suffisance, sérénité ou inconscience avec laquelle elle est demeurée insensible ou plutôt étrangère à l’esprit du temps (Zeitgeist), à cette sorte de fonds et de patrimoine commun d’une génération, à cette atmosphère intellectuelle et morale dans laquelle se meuvent les contemporains et qui, d’une façon générale, est ou semblait être à peu près la même sous toutes les latitudes. Il faut, à cet égard, faire exception pour l’Allemagne qui, précisément sans doute parce qu’elle s’était elle-même fabriquée et réorganisée de toutes pièces, parce qu’elle se considérait comme la nation supérieure et élue, ne s’est plus souciée de rester en communion avec les autres peuples. Elle n’appartenait plus que de nom et d’apparence à une civilisation qu’elle croyait vraisemblablement avoir dépassée, dont elle retenait encore cependant les bénéfices et avantages, mais à la condition de s’affranchir de tout ce qui, dans cette civilisation, pouvait être pour elle une gêne ou un obstacle.

Pour qui évoque et se représente avec quelque précision la façon dont l’Allemagne a préparé cette guerre, dont elle l’a déclarée, dont elle l’a faite, il est clair qu’elle n’avait plus, qu’elle ne se reconnaissait plus de commune loi et mesure avec les autres nations, qu’elle ne se sentait plus liée par le code moral et international de l’humanité, que toutes les acquisitions faites, tous les progrès accomplis à l’honneur de la race humaine étaient à ses yeux comme nuls et non avenus, qu’elle était vraiment au-dessus de tout, über alles, non plus seulement le « surhomme, » mais la « surnation. » C’est ainsi que, pour préparer plus sûrement ses desseins, elle avait, en pleine paix, fait résolument l’avant-guerre, par l’espionnage universel, par l’invasion des marchés, des industries, des banques, par l’occupation des situations commerciales, industrielles, financières, destinées à lui servir d’étapes, par la propagande et l’imposition de tout ce qui était allemand, par l’intervention dans le domaine intérieur, dans la vie politique et sociale, dans la littérature, la science, l’art, la presse, des différens pays. C’est ainsi encore que, sans égard pour les traités qu’elle avait signés, pour les garanties solennelles qu’elle avait données, elle a réclamé de la Belgique le droit de passage à travers son territoire, comme s’il s’agissait d’une servitude de mitoyenneté qu’un grand voisin ne s’attend pas à se voir refuser. C’est ainsi que, dans ses déclarations de guerre, elle a cherché, sans y réussir, à rejeter sur d’autres une responsabilité qui était exclusivement sienne. C’est ainsi enfin que, pour hâter le dénouement et s’assurer à bref délai la victoire qu’elle escomptait comme certaine, elle a donné à la guerre, par la barbarie des engins employés, par la cruauté des sévices contre les non-combattans, par l’incendie, le pillage, la destruction systématique des œuvres d’art et des sanctuaires, le caractère le plus contraire au droit des gens et à toutes les conventions d’humanité si noblement consacrées par les actes des conférences de La Haye.

Il y a eu, par la volonté de l’Allemagne, une ostentation, non seulement d’inhumanité, mais de véritable monstruosité dans la remise en pratique, sous le nom de prisonniers civils et d’otages, de l’antique esclavage, dans le but assigné aux « raids » des Zeppelin, dans les entreprises absolument déloyales et barbares de la guerre sous-marine. L’Allemagne, après s’être elle-même transformée, par l’artifice et le sortilège de ce qu’elle appelle l’ « organisation, » en une sorte de monstre de la culture, a mis son point d’honneur et sa gloire à produire et à inaugurer dans cette guerre les pires raffinemens de l’art de tuer et de détruire, les Zeppelin, les sous-marins, les gaz asphyxians, les canons d’énorme calibre, et à en faire usage, non seulement, ce qui serait légitime, contre les combattans et les ouvrages ou engins militaires, mais contre la population civile, contre les villes ouvertes, les paquebots, les chalutiers et barques de pêche. C’est ici que se trahit, que se découvre le plus manifestement la résolution de rompre avec les mœurs, lois et usages de l’humanité, la prétention d’appartenir à une autre espèce, titanique ou démoniaque, avec laquelle l’humanité n’a rien de commun.

Que l’Allemagne s’étonne encore, dans ces conditions, d’avoir suscité la haine du monde entier, qu’elle considère, avec le maréchal von der Goltz, celle unanimité de haine comme une énigme, n’y a-t-il pas là encore une autre preuve, singulièrement significative, de l’abîme par lequel elle s’est séparée elle-même du reste du monde ? Dans la doctrine et le système qu’elle avait adoptés, l’Allemagne s’est condamnée, s’est vouée aux plus mauvais rôles. Elle représente, comme dans le Faust de Goethe, l’esprit du mal, l’esprit qui nie (der verneinde Geist). Ajoutez : l’esprit qui ment. Tout en se proclamant supérieure et victorieuse, l’Allemagne, en effet, ne compte jamais sur la vérité. Si elle a organisé dans le monde une propagande universelle, c’est pour y répandre, non la vérité, mais le mensonge. Et, comme il arrive à celui qui ment, force lui est de se contredire sans cesse. Au début de la guerre, c’est la Russie qu’elle accuse de l’avoir provoquée. Au bout de quelques semaines, c’est l’Angleterre qui est considérée comme la provocatrice, et qui, à ce titre, doit être, suivant la devise allemande, punie de Dieu (Gottstrafe England). A l’égard de la Belgique et de la violation de la neutralité, mêmes variations. Le premier jour, M. de Bethmann-Hollweg et M. de Jagow reconnaissent, l’un devant le Reichstag et l’ambassadeur d’Angleterre, l’autre devant le ministre de Belgique, que l’Allemagne a, en effet, manqué au droit des gens, et violé le traité, mais que c’est la nécessité qui l’a poussée et que nécessité n’a pas de loi. Puis ils se ravisent, ils découvrent dans de soi-disant documens d’archives que c’est la Belgique qui a elle-même violé sa neutralité en faisant appel à l’Angleterre. Le chancelier de l’Empire non seulement ne craint pas de se contredire, mais il revient sans cesse sur le sujet, comme un malfaiteur qui rôde autour du lieu de son crime. Quand il essaie d’évoquer l’histoire, quand il rappelle les négociations engagées avec l’Angleterre pour la limitation des armemens navals, pour un engagement préventif de neutralité, il altère les textes, intervertit les rôles et calomnie le co-négociateur qu’il n’a pas réussi à duper. Ses discours au Reichstag forment, depuis le 4 août 1914 jusqu’à la date présente, une collection prodigieuse d’aveux, de démentis, d’apologies, de contradictions, de redites, et surtout de mensonges. Toute l’intellectualité allemande, les quatre-vingt-treize signataires du manifeste de la culture se sont réunis pour affirmer vainement que ces mensonges étaient la vérité et pour se solidariser avec les crimes commis au nom de la « Kultur. » Sur le théâtre même de la guerre, même recours perpétuel au mensonge. Non seulement les communiqués de l’état-major et de l’agence Wolff dénaturent sans cesse les faits, mais les soldats, les officiers même se déguisent, empruntent les uniformes de l’ennemi, truquent les pavillons et les drapeaux, se servent frauduleusement de la Croix de Genève, feignent de lever les bras et de se rendre, tuent les prisonniers, achèvent les blessés.

Dans un monde où le respect de la vérité, où la correspondance étroite entre la parole et l’acte est la seule garantie, le seul gage des relations sociales, l’Allemagne a systématiquement miné et ruiné ce fondement élémentaire de la vie des hommes en société. Elle s’est ainsi, tout en l’exploitant, retranchée elle-même du monde civilisé. Sa devise, qui est le contraire de la belle maxime de Térence : Homo sum, humani nihil ame alienum puto, devrait être ainsi formulée : « Je ne suis pas humaine, tout ce qu’il y a d’humain m’est étranger. » C’est ce que M. de Bethmann-Hollweg a, dans un de ses discours, traduit crûment par ces simples mots : « Nous en avons fini avec le sentimentalisme. »


VI

L’humanité, heureusement, n’est pas de cet avis : elle continue de se prononcer pour ceux qui défendent son idéal et son droit. Elle s’est reconnue en nous. Et c’est pourquoi, dans la guerre actuelle, ceux qui s’appellent de ce beau nom : les Alliés, qui ont fait de sa cause la leur, qui lui appartiennent, ont vu, tandis que la haine allait à l’Allemagne, venir à eux la sympathie, la gratitude, et nous pouvons bien ajouter l’admiration et l’espoir du monde.

Chacun des Alliés, en même temps qu’il combat. pour son sol, pour sa liberté, pour sa vie, sent sa cause se fortifier et s’ennoblir, non seulement du concours prêté à ses compagnons de lutte, mais du service rendu à ceux mêmes qui ne combattent point avec nous, et qui, par nous, cependant, échapperont au joug, à l’absorption dont les menaçait l’orgueil, l’égoïsme de l’Allemagne. Ce que nous offrons au monde, c’est, non pas ce qui, sous le nom de culture et d’organisation supérieure, n’est, avec le régime allemand, que l’unité dans la servitude, mais, au contraire, la liberté des peuples, l’indépendance des petits comme des grands Etats, le respect des civilisations nationales, l’union dans les pensées, les sentimens, les aspirations qui sont communs à l’humanité tout entière. Tandis que l’Allemagne, qui a déchaîné la guerre, y poursuivait l’exécution d’un plan de conquête universelle, la France revendique, avec les réparations du droit, le retour au foyer national des deux provinces qui lui ont été arrachées ; la Russie défend l’indépendance de la Serbie et de tout le slavisme menacé ; l’Angleterre s’est armée pour l’indépendance de la Belgique et la liberté du monde ; l’Italie, dégagée d’une alliance dans laquelle elle avait été sacrifiée, libère les terres qui lui avaient été ravies, rectifie les frontières, et concourt à l’œuvre commune d’affranchissement ; le Japon, après avoir purgé le continent et les mers d’Asie des établissemens, soldats et bâtimens allemands, s’acquitte loyalement de ses devoirs d’allié ; la Belgique, la Serbie, le Monténégro, soutiennent énergiquement, à côté des grandes Puissances libératrices, la lutte contre les Empires oppresseurs. Tous les Alliés mènent en outre le grand combat contre la vraie cause et le redoutable instrument de cette guerre, contre le militarisme prussien, qui, après avoir conquis et uni l’Allemagne, l’avoir façonnée à sa mode et selon ses desseins, l’avoir absorbée dans un rêve monstrueux d’orgueil et de domination, l’a détachée de l’humanité et précipitée comme un fléau contre l’Europe. Ce qui doit sortir de cette lutte gigantesque, c’est, avec la victoire des Alliés, celle de l’humanité et de la civilisation, telle que l’humanité l’a voulue et faite, non pas celle de Thor et Odin, et du vieux Dieu qu’invoque Guillaume II, mais celle que, depuis l’origine des siècles, la conscience des hommes et des peuples a conçue et appelée de ses vœux, celle que le monde gréco-romain, le Christianisme, la Renaissance, le magnifique effort des trois derniers siècles, ont inlassablement rapprochée de l’idéal ; celle à laquelle toutes les nations ont concouru, celle à laquelle l’Allemagne seule a osé préférer sa « Kultur, » mais qu’il ne lui appartient pas, qu’il ne lui sera pas permis de détourner de ses voies.

Si la bataille de la Marne a été, dans la campagne de France, le rétablissement stratégique qui a brisé sur notre front l’offensive allemande, la victoire des Alliés sera le rétablissement dans ses droits, sur les esprits, sur les âmes, sur les peuples, de la vieille et éternelle civilisation que l’Allemagne, comme un autre Xerxès ou comme un despote d’Assur, a pu, dans son impudence, défier et menacer, mais qui les rejette et leur survit. L’humanité n’a jamais accepté ceux qui l’ignorent, la méprisent ou la bravent. « Connais-toi toi-même, » disait la sagesse antique, qui enseignait ainsi la vraie méthode de la psychologie. Dans la psychologie des peuples, de même, la première règle, pour les connaître, est non pas de prétendre s’élever au-dessus d’eux, hors d’eux, mais de se retrouver en eux, comme de les retrouver en soi. C’est la sympathie, au sens original du mot, qui permet de les connaître tout ensemble et de les aimer. Et l’amour, quoi qu’en pense l’Allemagne, est, en même temps que la meilleure méthode de la connaissance, le plus sûr moyen de se faire aimer. Les Alliés ont aimé l’humanité et les peuples, ils les ont ainsi mieux connus et se sont fait aimer d’eux. L’Allemagne a fait juste le contraire : d’où les erreurs qu’elle a commises et la haine qu’elle inspire. Que le maréchal von der Goltz veuille bien voir dans cette simple constatation le mot de l’énigme qu’il paraît avoir tant de peine à résoudre.


A. GÉRARD.