L’Amant de Gaby/06

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Éditions Prima (Collection gauloise ; no 13p. 33-38).

vi

La confusion du mari


Gabrielle cependant, que l’attitude bizarre de son mari a confirmé dans cette impression qu’Anselme a des doutes sur sa fidélité conjugale, veut éclaircir le mystère qu’elle sent autour d’elle.

Il y a un danger. Évidemment, on doit pouvoir le parer,



— Est-ce le sommeil de l’innocence ? (page 38).

mais encore faut-il le connaître et surtout savoir d’où il vient.

Qui a pu, en effet, commettre une indiscrétion qui ait mis Anselme sur la piste ? Quel indice a-t-il pu se procurer ? Sur quoi étaye-t-il ses soupçons ?

Ceux-ci en tout cas, doivent être très légers, car Anselme n’a fait, au cours de la soirée que des allusions indirectes. Par conséquent, il n’a aucun indice précis et il ne doit posséder que de vagues renseignements…

C’est ce dont il faut se rendre compte à tout prix.

Précisément, voici qu’Anselme a changé complètement d’attitude. Maintenant, il est gai comme tout ; il est vrai qu’à la fin du repas, il a vidé plusieurs coupes de champagne. Mais, quand même cela n’a pas suffi pour le mettre dans un tel état de gaîté… Anselme a même des coups d’œil et des mots pleins de sous-entendus auxquels Gaby ne saurait se tromper. Et il espère que cette soirée ne se terminera pas uniquement sur le bon dîner…

Gabrielle a compris. Tout d’abord, elle fait la moue. Puis, elle se ravise. Mais non, au contraire, si Anselme a des idées amoureuses, il sera plus facile à confesser par sa jeune femme qui veut absolument connaître les mobiles qui lui ont dicté cette étrange attitude.

Elle sourit, car elle est bien sûre de triompher… lorsqu’Anselme et elle seront tous deux dans le lit conjugal.

Et lorsqu’ils se retrouvent seuls dans leur chambre, elle ne peut s’empêcher de lui faire remarquer :

— J’espère que tu es gai, aujourd’hui | Que t’est-il donc arrivé de si heureux ?

— Rien. Je suis gai… parce que je suis content de ma journée, de ma soirée surtout…

— Diable ! Et pourrais-je savoir pourquoi tu es si content ? Cette soirée n’avait rien de particulièrement joyeux… Au contraire, il y eut même un moment où l’on discutait âprement…

— Bah ! Cela n’a pas d’importance ! Ce qui vaut le mieux, c’est l’atmosphère d’affection, d’amitié, de bonne entente qui régnait entre nous. Roger a été charmant… As-tu remarqué la façon dont il a affirmé qu’il n’avait jamais apporté le trouble dans le ménage d’un ami ? À ce moment, on sentait en lui un accent de sincérité comme on en voit rarement…

Et Anselme, radieux, ajoutait :

— J’aime, moi, les hommes comme ça !… Et toi, les aimes-tu ?… Aimes-tu Roger ?

— Bien sûr… Je trouve que c’est un bon ami pour toi ? Avec moi, il est très correct, très poli…

— Et dire !… dire qu’il y a des gens pour écrire sur lui des saletés…

Emporté par son entrain, Anselme avait lâché un peu de son secret, relevé un coin du voile…

Gabrielle était subitement intéressée…

— Quoi ? dit-elle. Quelles saletés ?

Mais Trivier comprend soudain qu’il est allé trop loin… et il essaye de battre en retraite.

— Rien… Non… Oh ! des choses sans importance !

— Ce ne sont pas des choses sans importance puisque tu as dis toi-même des saletés !… Déjà ce soir tu parlais des maîtresses de M. Brémond… Enfin, il faudrait savoir, oui ou non, si nous devons continuer à le recevoir…

Gabrielle s’en veut beaucoup de charger ainsi son amant, mais elle n’a pas d’autre moyen de connaître la vérité… il lui faut bien une raison pour questionner ainsi son mari…

Celui-ci est lui-même très embarrassé… Finalement, il se décide :

— Écoute, dit-il, je ne voulais rien te dire. Mais, après tout, il vaut mieux que tu sois au courant.

Et, sortant de son portefeuille la lettre anonyme, il la tendit à sa femme.

— Lis, lui déclare-t-il… Lis et juge toi-même !…

Au fur et à mesure que Gabrielle parcourt la fameuse missive dénonciatrice, Anselme la suit des yeux, essayant de deviner, sur les traits de sa femme, la répercussion des émotions intérieures…

Naturellement, Gabrielle est toute bouleversée…

— Oh ! Mon Dieu !… s’écrie-t-elle… Quelle infamie !

Et, prenant l’attitude de toutes ses sœurs en pareil cas elle se laisse tomber en sanglotant sur un fauteuil…

Les larmes coulent abondamment sur ses joues… et elle répète en hoquetant :

— C’est épouvantable !… Et dire que tu as pu croire une chose pareille !…

Là, Anselme croit bon de protester…

— Penses-tu ?… Moi, que j’ajoute foi une seule minute à une semblable calomnie !…

Mais il n’a pas mis assez de conviction dans sa protestation.

D’ailleurs Gaby sait bien que son mari a cru à ce que lui écrivait son mystérieux correspondant… Elle a maintenant l’explication des propos bizarres tenus par Anselme avant et pendant le dîner. Il cherchait à surprendre un mot, un geste, une attitude de Roger ou d’elle-même…

Cependant, il faut tenir tête à l’orage… Après la scène de larmes, la colère est nécessaire,

Gabrielle se relève, et c’est d’un ton irrité qu’elle crie à son mari :

— Tu caches la vérité !… Si, tu y as cru… Si… Tu as osé me soupçonner… Hélas !… J’en suis bien certaine… Je comprends tout, maintenant… toutes ces histoires d’adultère…

— Ma petite Gaby, je t’en prie…

Et Anselme, qui veut calmer cette fureur, s’approche de son épouse qu’il essaie d’embrasser.

Mais Gabrielle ne veut rien entendre, elle se recule au contraire…

— Non… Non… Tu m’as offensée trop gravement… Je ne veux pas que tu me touches… Tu n’es qu’un misérable…

— Mais je te jure, ma chérie…

— Ne fais pas de faux serment, par-dessus le marché, Avoue plutôt, avoue que tu m’as soupçonnée… que tu as soupçonné aussi ton ami… La prochaine fois qu’il va venir, ici je vais lui faire des compliments sur ses bonnes fortunes, je lui demanderai de me faire connaître son amie, cette dame brune si délicieuse que tu as vue avec lui…

Devant cette offensive si inattendue, c’est maintenant le mari qui ne sait plus comment résister, c’est lui qui fait mine de coupable, balbutie n’importe quoi pour se défendre… ne trouvant à dire que… « Je te jure que ». « Je t’assure bien ». « Je t’affirme »…

Lorsque Gabrielle lui parle de l’amie brune du lieutenant, il lui dit :

— Ne fais pas cela, surtout ?… Ne fais pas cela !…

— Eh quoi !… Aurais-tu inventé l’existence de cette femme ?…

— Oui… là… Je l’ai inventée pour voir ce que tu dirais…

Cette réponse tranquillise beaucoup Gabrielle, car, au fond, depuis le soir, elle se demandait s’il n’y avait pas du vrai dans cette affirmation de son mari qui disait connaître une maîtresse de Roger…

Mais, tranquillisée sur ce point, cela ne l’empêche pas de continuer à vouloir confondre son époux…

— Tu n’as pas honte d’inventer des choses pareilles…

— Écoute, ma petite Gaby… Tu sais ce que c’est, lorsqu’on aime, n’est-ce pas… Et puis, il y a tant d’histoires de maris trompés… Alors, on est un peu excusable… Mais je suis bien convaincu maintenant que j’ai eu tort, qu’il n’y a jamais rien eu entre toi et Roger…

— C’est monstrueux !… monstrueux !…

— Non jamais… Tu me pardonneras, n’est-ce pas ?… Tu oublieras…

— J’essayerai… Si seulement on pouvait savoir qui a écrit cette lettre de dénonciation…

— Oh ! ça… c’est absolument impossible. C’est une écriture qui m’est complètement inconnue…

Gabrielle sentant que son mari était définitivement vaincu et repentant, crut bon de s’adoucir :

— Et dire que tu nous as gâté une si bonne soirée…

Mais Anselme la reprit tout de suite :

— Oh ! Nous pouvons encore la finir de façon agréable… Gaby… si tu voulais être bien gentille… pour me prouver que tu me pardonnes…

— Voyons !… Anselme… Tu n’y penses pas !…

Mais Anselme y pensait beaucoup, au contraire, il ne pensait qu’à cela.

Et Gaby, couchée dans le lit conjugal, accepta de montrer à son mari qu’elle lui pardonnait complètement…

Même pour lui prouver qu’elle n’accordait à personne d’autre des faveurs auxquelles seul il avait droit, elle se montra très généreuse dans la façon dont elle lui pardonna… si bien qu’Anselme en fut ravi…

Il fut ravi… mais, faut-il le dire, revenu à lui, et méditant sur tous les événements de cette soirée, il se demandait encore s’il avait eu raison… des doutes lui revenaient… En somme, Roger avait affirmé, comme il l’eût fait même s’il était coupable, qu’il n’avait rien à se reprocher, quant à Gabrielle, elle avait pleuré, s’était mise en colère… comme toutes les femmes, qu’elles aient ou non quelque chose à se reprocher… On ne lui avait rien prouvé, et il n’était guère plus avancé qu’après avoir reçu la lettre anonyme…

Anselme contemplait sa femme couchée à côté de lui et plongée dans un profond sommeil… Son corps agité seulement par la respiration régulière… et il se disait :

— Est-ce le sommeil de l’innocence ?