L’Amant de la momie/03

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II

LA DÉCOUVERTE DE LA MOMIE


Lord Charing alluma un cigare dont il avait soigneusement coupé le bout. Il aspira quelques bouffées, et demanda sérieusement à Smith s’il croyait aux mauvais sorts.

Le savant bondit sur son fauteuil.

— Moi ! mylord ? Vous voulez rire…

— Je ne veux pas rire du tout, je vous pose cette question parce que mon histoire vous impressionnera d’une manière différente, suivant que vous croirez ou ne croirez pas aux sorts.

— Par le ventre d’Horus ! Vous me demandez à moi, John Smith, membre de la Société royale, si je crois à cette chose absurde, bonne pour les montagnards d’Écosse ?

— Bien, bien, M. Smith. Alors vous m’expliquerez la cause des événements que je vais vous raconter.

» Je me trouvais en Égypte l’hiver dernier. Je m’y étais rendu sur mon yacht ; je comptais passer la mauvaise saison au Caire, et remonter le Nil jusqu’à Khartoum.

» M’étant arrêté à Thèbes, ou plutôt à l’endroit que cette ville célèbre occupait autrefois, j’ai visité ses temples et parcouru les hypogées où reposaient les momies des pharaons. Je suis resté quelques jours à l’ancre devant Louqsor, et le bruit s’est vite répandu dans le pays qu’un riche seigneur anglais était arrivé, les poches pleines de guinées.

— Et les Arabes sont venus vous proposer des antiquités ?

— Naturellement. J’ai fait quelques acquisitions, que j’ai payées sans marchander.

— Bon moyen pour attirer ces filous !

— C’est ma réputation de générosité qui m’a sans doute valu la visite d’un vieillard, à mine patibulaire. Il se donnait comme le cheik d’un village voisin, situé sur la rive droite du Nil. Le vieux bandit vint un jour trouver mon interprète.

» Après une courte conversation, ce dernier m’apprit qu’un chef arabe désirait me faire des propositions relatives à une affaire merveilleuse.

» C’était un pilleur de tombes ; il avait déjà fait quelques trouvailles fructueuses, et subi quelques condamnations, incidents prévus, qui n’avaient pas entravé sa carrière, car il récidivait sans scrupules. Sa constance venait d’être récompensée ; il avait découvert, depuis peu, une tombe royale dans une gorge isolée de la chaîne libyque, à une assez grande distance des sépulcres actuellement connus.

— Le vieux misérable ! murmura Smith.

— Le cercueil, d’une grande richesse, était double, et renfermait une momie de femme, encore parée de superbes bijoux. Si j’étais disposé à payer sa trouvaille un prix convenable, le vieux cheik se chargeait de l’amener nuitamment à mon bord. Je commençai par refuser. Il insista si bien que, pour mon malheur, je finis par céder.

— Pour votre malheur ?

— Pour mon malheur, oui. Car cette momie a une influence maligne.

— Allons donc, mylord ! Vous ne pensez pas un mot de cela.

— Au contraire. Je n’ai jamais plus sérieusement parlé. La première victime fut le vieux cheik. Il tomba dans la rivière après avoir touché le prix de la vente et se noya.

— Coïncidence, par Isis, coïncidence !

— Attendez. Au moment où je donnais l’ordre de partir pour continuer la montée du Nil, le mécanicien vint m’avertir qu’une pièce importante s’étant brisée, il était impossible de continuer le voyage. Je dus par conséquent revenir au Caire à la voile, aidé par le courant.

» À partir du moment où la momie est devenue ma propriété, une malechance constante n’a cessé de me persécuter. Je veux que vous le sachiez, et j’insiste sur ce point encore une fois.

— Pourquoi, mylord ?

— Parce que c’est la raison qui me détermine à me débarrasser de cet objet. À mon arrivée, au Caire, je trouvai lady Charing alitée. Elle avait une forte fièvre, et les médecins craignaient une maladie infectieuse grave. Je ne supposais pas alors que l’influence pernicieuse de la momie pût avoir quelque relation avec la maladie de ma femme.

» Mon yacht demeura dans le port d’Alexandrie, tandis que je restais au Caire, occupé à donner mes soins à lady Charing.

» Afin de lui éviter un long voyage en mer, je pris avec elle le paquebot pour Brindisi et je la ramenai par l’Italie, la Suisse, l’Allemagne et la France. Rien de particulièrement surprenant ne m’arriva au cours de ce voyage ; la traversée de mon yacht a été au contraire remplie d’incidents extraordinaires.

— Vraiment ?

— C’est un bateau de 600 tonneaux. Il compte une trentaine d’hommes d’équipage. Parmi eux se trouve un matelot écossais, Mac Donald, qui passe pour avoir le don de seconde vue. C’est un très honnête garçon, dont la famille habite depuis cinq cents ans auprès de la mienne, dans le comté de Perth.

» Mac Donald a toujours eu peur de la momie. Il prétend qu’il voit son esprit et il assure que c’est une âme irritée qui croit avoir des torts à venger ; elle serait furieuse d’avoir été exhumée ; elle s’est aperçue que Donald pouvait entrer en communication avec elle et persécute le pauvre homme. Elle s’exprime dans une langue totalement inconnue de l’Écossais, qui cependant comprend le sens de ses discours, comme s’il percevait la pensée même de la momie.

— Je vous arrête ici, mylord. Votre Mac Donald est un fou, purement et simplement. Je dirai même un fou poltron, par les cornes d’Apis !

— Je ne suis pas de cet avis, M. Smith. J’ai interrogé Mac Donald ; le docteur Martins l’a examiné ; il est sain d’esprit. Les événements subséquents lui ont d’ailleurs donné raison.

» D’abord, dès la sortie du port d’Alexandrie, mon navire a failli s’échouer. C’est par un hasard providentiel que le Thistle n’a pas heurté le musoir de la jetée. Mac Donald était à l’arrière, chargé de je ne sais plus quelle besogne ; il se trouvait à une petite distance des hommes qui tenaient la roue du gouvernail. Tout à coup il vit une femme, vêtue d’une longue robe blanche collante, s’approcher rapidement de la roue, et faire le geste de la pousser.

» Le navire changea son erre aussitôt et se dirigea droit sur la jetée. Mon marin se jeta sur la roue, la fit tourner en sens contraire, et ramena le steamer sur sa gauche. La manœuvre de ce fou a certainement évité la perte du Thistle.

» Le commandant a fait une enquête sur le fâcheux coup de barre qui avait failli amener le naufrage de son navire. Les timoniers n’ont pu fournir aucune explication. Ils ont senti la roue leur échapper, comme sous l’effet d’un fort coup de mer, et tourner dans le mauvais sens. La décision et la présence d’esprit de Mac Donald leur ont porté secours au moment opportun.

» L’Écossais a l’habitude de ces visions particulières, et il reconnut vite qu’il avait affaire à ce qu’il appelle naïvement un esprit. Il identifia, à tort ou à raison, la femme qui avait poussé la roue avec la momie que nous transportions.

— Mais ce n’est là qu’une vulgaire hallucination, mylord, déclara Smith en invoquant la déesse Neith.

Lord Charing ne prit pas garde à l’interruption du savant et continua son récit :

— Mac Donald ne raconta pas tout de suite son étrange aventure. Il est prudent et réservé, car il redoute les moqueries auxquelles il est très sensible. Son hallucination, si vous préférez ce mot à celui de vision, réveilla la crainte qu’il avait déjà manifestée au sujet de la momie, dont il pressentait la néfaste influence. À dater de ce jour, l’ombre s’acharna sur lui, protestant contre la violation de sa sépulture, jurant qu’elle ferait sombrer le navire et périr tout l’équipage.

» Elle faillit tenir parole. Trois ou quatre jours après le départ, dans le détroit de Messine, une tempête soudaine éclata. Le vent soufflait avec une force inouïe, et les courtes vagues de la Méditerranée brisaient sans relâche sur le pont. Le navire fatiguait beaucoup et l’endroit était périlleux. C’est là que les anciens plaçaient Charybde et Scylla, dont ils redoutaient le voisinage. Le Thistle fut drossé par le courant, et c’est miracle s’il n’alla pas à la côte.

» Et savez-vous à quel moment la tempête commença à se calmer ? Lorsque Mac Donald eut fait une chute grave, qui détermina une fracture compliquée du bras.

» Malgré les soins qui lui furent prodigués, malgré les précautions prises, la plaie s’envenima, et l’on dut amputer mon marin quinze jours après l’arrivée du yacht à Cowes. »

Lord Charing, au point où il en était arrivé, n’avait pas terminé l’histoire de la momie, mais le temps marchait. Il ne pouvait prolonger sa visite. Il consulta sa montre et se leva brusquement :

— J’abuserais de vous en prolongeant cet entretien, M. Smith, d’autant plus que la suite de ma narration a été rédigée par mon secrétaire, et que vous pourrez en prendre connaissance. Je vous laisse mon manuscrit, je viendrai le chercher demain, en vous demandant votre décision au sujet de l’offre de ma merveille.

Et lord Charing prit congé de John Smith. Celui-ci ouvrit aussitôt le rouleau de papier que lui avait remis son visiteur. Pour plus de clarté, je résumerai le récit du secrétaire de lord Charing.