L’Amitié (Nemo)/V

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Nemo
Petrot-Garnier (p. 13-15).


CHAPITRE V

Bonheur de l’Amitié.


L’air grave ne sied pas mal, a de la dignité, annonce de l’élévation. Sans le perdre de vue, l’amitié est ouverte, prévenante, d’un commerce facile.

La douceur avec l’aménité est le sel de ses mœurs.

L’humanité, l’honnêteté, l’affabilité, les manières obligeantes, l’exquise politesse sont ses signes de marque.

Aussi, quand, dans un monde étroit, bizarre, qui marche des épaules, regarde du haut de sa grandeur et rit du bout des dents, on se voit heurté, malignement contrecarré, quel contentement que la rencontre d’un ami ! Quel charme ! Que les heures passent vite ! Elles glissent silencieuses, sans que pèse leur passage.

Qu’on se sent à l’aise ! C’est le soleil de l’âme !

À une teinte de tristesse, reflet des dispositions intérieures, succède un rayon de bonheur.

Quoi de plus agréable et de plus consolant qu’un être bon, vertueux, toujours le même, parce qu’il est vrai, avec lequel on peut tout dire comme avec soi-même ?

Rien que sa vue fait du bien, donne du calme.

On a le cœur serré, dans le vague et la mélancolie.

Il se dilate ; le doux contentement, la joie a reparu, et, si la rigidité de notre langue s’y pouvait plier, suivant une expression jolie, on cueille un instant de félicité.

En cette affable et mutuelle communication, pure comme la lumière qui se joue dans l’azur du ciel serein, on sent son âme et l’âme de son ami n’en faire qu’une, mais double en force.

Qui possède un ami et ne l’a pas senti ? Qui jamais n’en fit la remarque ? De ses yeux, de tout son visage, le nuage s’écarte, quelque chose de lumineux dans les traits, un jour nouveau se fait, tant l’état de l’âme est celui du corps.

Que d’ennuis accablants dissipés au contact d’un ami ! Que de peines et d’angoisses adoucies !

Souvent, on n’a rien à dire et l’on ne dit point tout ce qu’on avait à dire. Cependant, on n’est jamais à court.

Il semble une source qui coule, qui coule… les paroles sortent de la bouche comme d’une eau profonde. On parlerait éternellement.

Autant on s’aborde avec joie, autant on se quitte avec regret.

Avec celui qu’on voit par goût et par estime, il semble qu’on n’en ait jamais assez. Sans lui, l’on ne croit pas vivre d’une vie vivante.

L’amitié est-elle le plus doux et le meilleur des plaisirs. La joie qui naît d’elle satisfait l’âme et ne la corrompt pas, la vérité en étant le fond ; la vertu, la tige ; le cœur juste, le trône.

Ô grandes âmes, que de raisons à vous d’embellir par de tels charmes ce qui passe si vite !

En ce monde qui, sous l’œil de Dieu, n’est que le petit grain de sable qui fait à peine incliner la balance, que la goutte de rosée du matin, que pouvoir imaginer de si court et de si borné qui le soit moins que la vie la plus longue ?

Si la religion sanctifie d’aussi beaux sentiments, l’amitié n’est plus chose humaine ; c’est, je l’oserai dire, Paul, ce beau génie et le grand docteur des chrétiens, m’y autorise, quelque chose de divin.

Mais ce XIXe siècle exalte autre chose.