L’Amour aux Colonies/XLIII

La bibliothèque libre.

CHAPITRE XIV

Perversions de l’amour chez les Tahitiens. — Le Tané. — Corruption de la Vahiné au contact de l’Européen. — Perversions sexuelles de la Vahiné. — Masturbation et Saphisme. — Influence de la race sur les perversions génésiques.



Le Tané — Ce chapitre sera bref en ce qui concerne le Tané Maori. Dès sa puberté, il devient fidèle sectateur de la Vénus naturelle et l’adore avec ferveur jusqu’à la vieillesse. Il commence à faire l’amour dès qu’il trouve une petite Vahiné complaisante, sinon même une Vahiné nubile, qui veuille lui donner les premières leçons. Est-il, tout jeune, atteint du vice de la masturbation particulier à l’espèce humaine et à sa caricature, la race simiesque ? Je l’ignore ; mais du moment où il a eu affaire à sa première maîtresse, le Tané ne connaît plus que la femme. Qu’il y ait dans cette race, comme dans toutes, des Sodomites et des pédérastes, je l’admets ; mais ce sont de fort rares exceptions, et qui ne prouvent rien contre la moralité relative de la race Maorie. Le culte du panier et du boy Annamite n’a jamais existé à Tahiti, et, sous ce point de vue spécial, le Tané est moins dépravé que certains peuples Européens, les Italiens par exemple, où le culo a toujours compté de fervents sectateurs.

Corruption de la Vahiné au contact de l’Européen. — Les voyageurs Européens qui visitent à présent Tahiti se répandent en plaintes amères sur le peu de moralité et la vénalité de la Vahiné de Papeete, Desfontaines s’est fait leur écho fidèle ; il reconnaît d’ailleurs que si ce tableau de l’immoralité des Tahitiennes, « peint par les Français, en résidence à Papeete, reproduit assez bien le caractère des Indigènes de la capitale, il est absolument faux pour ceux de l’Intérieur. »

Et de quoi donc se plaint la race Européenne ? Ne recueille-t-elle pas les fruits amers de ce qu’elle a semé ? Les récits de Cook et de Bougainville nous ont montré la race Tahitienne parvenue à un degré de civilisation très avancé, digne d’être mis en parallèle avec celui des anciens Grecs. La race Tahitienne était à ce moment à l’apogée de son développement physique et moral. Les Tahitiens étaient bons, doux, hospitaliers, au point d’offrir leurs femmes, non pour de l’argent, mais pour le plaisir de voir faire l’amour. Dans cette île fortunée, la Vahiné donnait ses charmes, pour le plaisir qu’elle en retirait, et jamais par esprit de lucre. N’est-ce pas l’Européen, avec sa prétendue civilisation supérieure, qui a bouleversé ces mœurs, un peu cyniques, je le reconnais, mais simples et naïves ? Il a donné au Tahitien des besoins factices en lui apportant l’alcool, et l’a empoisonné moralement avec son or, comme il lui a pourri le sang en lui transmettant la syphilis, absolument inconnue avant la découverte de l’île. C’est l’Européen qui a rendu la Vahiné ivrogne, intéressée et lascive pour de l’argent. Le Tané est devenu, par la force des choses, maquereau et souteneur. La Vahiné de Papeete est la digne émule de la prostituée de Paris et de Londres, et elle n’a que trop bien profité des leçons de l’Européen.

Toutes les turpitudes de la prostitution vénale se trouvent maintenant à Papeete, je l’ai constaté de visu. Les grand’mères des Vahinés actuelles étaient des rizontales. Leurs petites-filles sont devenues des agenouillées à la mode de Paris. Comment ne veut-on pas que la Vahiné méprise l’Européen qui exige d’elle un rôle aussi abject ? Elle réserve son affection pour son beau Tané, son amant de cœur qui, lui, au moins, ne la bat pas, comme le souteneur de la Villette rossant sa marmite quand elle ne lui rapporte pas assez de galette. Dans sa déchéance morale, quoique devenu ivrogne et souteneur, le Maori conserve encore le respect inné de la femme. C’est là sa supériorité morale sur les êtres immondes qui grouillent dans les bas-fonds des grandes capitales Européennes. Il ne joue pas non plus du couteau pour faire son affaire à un pante et le barbotter ensuite à son aise. Pauvre race Maorie, que le contact du Blanc tue sans pouvoir altérer sa douceur et sa bonté !

Il est cependant un point sur lequel la Vahiné transige difficilement. Les habitudes Sodomitiques lui sont à peu près inconnues. On n’en saurait dire autant des femmes publiques et galantes de notre vieille Europe : la lecture des ouvrages de Tardieu et de Martineau nous éclaire assez sur ce point. Chez beaucoup d’entre elles, c’est une simple question de tarif. D’ailleurs, il faut l’avouer : l’Europe, la fille aînée en civilisation de la vieille Asie, n’a que fort peu à reprocher à sa mère, car elle est maintenant aussi corrompue qu’elle ; seulement, c’est plus caché.


Perversions sexuelles de la Vahiné. — Le contact du Blanc perverti avec une femme d’une nature aussi ardente et aussi passionnée pour l’amour physique que la Vahiné, a trouvé dans celle-ci un terrain bien préparé. La graine de luxure a germé : c’est d’abord dans les formes du coït qu’elle s’est montrée.

Je sais quel est l’introducteur à Tahiti du Manuel d’Érotologie classique de Forberg[1], mais, toutes les positions différentes du coït, indiquées par ce savant humaniste, sont connues et pratiquées par les Vahinés galantes. Il en est de même des trente-six postures attribuées à l’Arétin, à cause de ses Sonnets luxurieux, et sous le nom duquel elles circulent depuis trois cents ans. Il m’a été donné de voir un exemplaire de l’Arétin Français, qui passait de mains en mains et qui servait de bréviaire d’amour.

Mais le contact du Blanc a produit d’autres résultats plus désastreux. Il est la cause directe de l’introduction de deux vices inconnus aux anciennes Tahitiennes. Je veux parler de la masturbation et du Saphisme féminin, dont j’ai positivement reconnu l’existence chez un certain nombre de prostituées de Papeete. Ce renseignement m’avait d’ailleurs été fourni par mon collègue, le docteur S***.

Masturbation et Saphisme. — « La masturbation », dit Martineau, « consiste dans la friction de l’organe clitoridien. Cette friction résulte des manœuvres employées par la femme elle-même ou par une personne étrangère. La friction clitoridienne se produit le plus communément soit avec le doigt, soit avec le pénis, soit avec la langue. Dans ce dernier cas, il y a en même temps succion. C’est à cette variété de masturbation que j’ai donné le nom de Saphisme. Ce n’est pas tout : parfois la friction clitoridienne est produite à l’aide de corps étrangers. »

La masturbation des Vahinés a lieu surtout avec l’aide d’une autre personne, homme ou femme, et c’est le Saphisme qui est le plus fréquemment employé. Les observations que j’ai pu faire coïncident parfaitement avec celles de l’éminent médecin de l’hôpital de Lourcine. J’ai pu, notamment, en vérifier l’exactitude chez une Vahiné de vingt et un ans environ, à peau plus foncée que la moyenne des Tahitiens. Maîtresse d’un Blanc, elle présentait les signes positifs d’un Saphisme répété tous les jours deux ou trois fois, avec une Vahiné de ses camarades. Le clitoris était gros, volumineux, le capuchon avec la forme en casque et le gland très turgescent presque de la grosseur du pouce. Sa couleur était lie de vin foncée.

Influence de la race sur les perversions génésiques. — Je crois inutile de donner d’autres observations, mais je dirai quelques mots des couples Saphiques qui se forment à Tahiti entre Vahinés ayant les mêmes goûts. Cette liaison anti-naturelle, qui tendrait à se répandre dans nos antipodes, comme, hélas ! elle s’est répandue et progresse constamment dans la vieille Europe, est-elle, comme l’avance Moreau (de Tours), le résultat d’une aberration intellectuelle, d’un trouble psychique manifeste ? Le docteur Moreau étendrait sa théorie à toutes les dépravations génésiques présentées par les femmes et par les hommes. Le sujet est beaucoup trop vaste pour être traité ici. Ce que je tiens simplement à faire ressortir, c’est l’influence de la race qui me paraît prédominante. Nous avons vu l’Asiatique de l’Extrême-Orient, Sodomite et pédéraste ; le Noir d’Afrique, simple dans ses goûts, sectateur de l’amour naturel ; le Noir, ou plutôt le métis Mélanésien des Nouvelles-Hébrides et son cousin à peau un peu plus claire que lui, pédéraste faute de femmes ; le Maori, simple amant de la Vénus naturelle, mais sa Vahiné pratiquant, depuis le contact de la Civilisation Européenne, les vices de Lesbos. Enfin, brochant sur le tout, il est réservé à l’Européen de cultiver tous les genres de dépravation génésique.

Il y a là ample matière à un ouvrage que j’écrirai peut-être, quand j’aurai recueilli assez de documents pour sortir de l’ornière battue. Je pourrai alors discuter, pièces en main, les opinions des psychologues modernes, et rechercher quelle est la vraie influence de l’atavisme sur les dépravations génésiques, que, jusqu’à preuve du contraire, je regarde, avec Moreau (de Tours), comme une forme spéciale de la folie héréditaire.


FIN
  1. Paris, Liseux, 1882, 2 vol. petit in-8o, texte Latin et traduction littérale. — Imprimé à cent exemplaires et très rare ; il en existe des éditions Anglaises, plus faciles à trouver, mais sans le texte Latin.