L’Amour paillard/8

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Imprimé par ordre des paillards (p. 85-95).
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L’Amour paillard, Bandeau de début de chapitre
L’Amour paillard, Bandeau de début de chapitre


VIII


Jacques rencontra, rue de Longchamp, Annette Gressac seule. Sa nièce était à la pension, où elle faisait son instruction, et son mari dehors. Elle l’accueillit d’abord avec froideur, et ne prit une attitude aimable que lorsqu’il s’informa si sa création de l’avenue Matignon lui donnait satisfaction. Crut-elle qu’il revenait sur son refus, ou bien qu’il apporterait sa clientèle et celle de ses trois femmes, pour augmenter le clan des joueurs et des cocottes qui contribuaient à la fortune de l’entreprise ? Elle changea aussitôt de manière d’être et répondit à toutes ses questions, lui apprit les nouvelles du jour, appuyant sur ce qu’elle avait dû pourvoir à une compensation des tableaux vivants, par des mimeries que rendaient très volontiers les cocottes, habituées de ses salons.

À son grand étonnement, elle lui parla en termes très enthousiastes de La Férina, qu’elle dénigrait avec acharnement lors de leur dernière entrevue, la disant une femme très remarquable, richement entretenue par M. Bertrand Lagneux, qui prenait plaisir à la voir monter sur le tréteau et exécuter de jolies mignardises avec son amie Horacine, sous les étoffes légères et demi transparentes, où elles ne révélaient qu’une faible partie de leurs attraits, mais suffisamment pour suggestionner ces Messieurs, qui ne manquaient pas ensuite de se réfugier dans les chambres avec les belles hétaïres présentes dans les salles.

— Certes, conclut-elle, ça ne vaut pas vos tableaux vivants, mais cela les remplace très bien. Je ne vous le dissimulerai pas, La Férina vous a conservé un gros béguin ! Qui sait ce que vous eussiez pu en espérer en produisant ici vos femmes ; qui sait même ce que vous en obtiendriez, si vous veniez quelquefois passer la soirée avenue de Matignon ! Il est sûr qu’elle vous inspirerait le même béguin, et que vous y récolteriez de l’agrément, sinon plus. Elle vaut la peine que vous vous souveniez de sa beauté.

— Je viendrai, murmura-t-il.

Que s’accomplissait-il dans son esprit, dans son cœur ? La satiété n’existait-elle dans ses sens que vis-à-vis de sa femme, de sa belle-sœur, de Lina, par suite de leurs abus vénériens de la maison d’Asnières ? Rien qu’au nom prononcé de La Férina, rien qu’à l’évocation des minettes et des feuilles de rose dont il la gratifia, il avait senti renaître sa puissance virile, secouée par un désir subit, qui n’échappa pas à l’œil attentif de la belle Annette. Elle ajouta :

— Puisque vous consentez à venir, ne venez pas seul. Amenez votre femme, vos femmes, si vous voulez. Il peut se faire que vous finissiez par vous repentir de votre décision. Puis, j’ai intérêt à vous aider à regarder autour de vous. J’espère bien que vous n’êtes pas jaloux, et que l’escapade du passé, si elle se renouvelait, avantageuse cette fois-ci pour vos profits, vous ne la repousseriez pas ?

— Vous nourrissez une idée au sujet de ma femme ?

— Cette bêtise ! Je ne vous parlerais pas ainsi, s’il en était autrement.

— Qui… la désire ? Le petit jeune homme ?

— Bon dieu non ! L’ancien amant de La Férina, Arthur des Gossins.

— Vous n’ignorez pas que, malgré la raideur de nos tableaux vivants, nous n’admettions pas le don des personnes.

— Ceci était de l’enfantillage ! N’avez-vous pas, vous, personnellement, lardé de coups de canif votre contrat ? Et ne le mettriez-vous pas en pièces… pour La Férina ? N’en déchireriez-vous pas de morceaux pour d’autres, si ces autres se montraient disposées à être clémentes ? Vous devez être un bon mâle !

La conversation s’engageant sur cette voie, il bandait de plus en plus, et suivait avec plus d’attention Annette, remarquant l’ampleur de sa beauté, qui ressortait sous un déshabillé jaune et blanc ; elle jouait avec les attaches qui l’ornaient et la serraient, elle avançait et reculait les pieds chaussés de mules blanches, de bas à jour ; il admirait la finesse de la cheville, et se rappelait la superbe chûte des épaules ; il ne pouvait douter qu’elle coquetait sérieusement, il poussa un soupir, et dit :

— La Férina me doit son corps, je ne voudrais pas m’engager ailleurs sans en avoir goûté la saveur.

— Serait-il Dieu possible que vous fussiez un naïf, avec le cynisme de vos tableaux ? Voyons, voyons, mon cher ami, n’estimez-vous pas qu’il convient de nous entendre absolument, vous et moi ?

— Et votre mari ?

— Lui, c’est un monstre ! J’avais foi en son amour, je n’ai plus d’illusions. Savez-vous que votre femme y a passé ?

Le regard, qui accompagnait la phrase, en disait long. Il rapprocha son fauteuil, et elle fit de même ; il tendit la main, elle laissa tomber la sienne et il murmura :

— Vous mériteriez qu’on ne regardât pas plus loin ; mais nous sommes pour nous entendre, comme vous avez dit, et on s’entend bien mieux, quand on se connaît tout à fait ! Me favoriserez-vous pour La Férina, sans me conserver rancune ?

— À charge de revanche ! Je voudrais goûter… de votre femme. Elle est une gamahucheuse hors ligne… d’après certains rapports.

— Ah, ma femme !

Mais il s’assurait déjà des arrhes ; il avait glissé sur les genoux, et ses mains voyageaient entre les jambes d’Annette.

— Vous êtes douce au toucher, dit-il, vous devez être belle à contempler, voyons ?

D’un geste brusque il la retroussa et elle se renversa en arrière. Mais cette nouvelle chair qui se livrait à sa concupiscence réveillait ses ardeurs, éteintes depuis quelques jours. Le changement trahissait sa puissance fluidique. Les philosophes pourraient bien en étudier la vertu, au lieu d’accepter sans discussion les théories égoïstes de l’amour éternel.

À pratiquer les mêmes femmes, il s’affadissait, se dévirilisait, et leur inculquait le refroidissement génital qui le tourmentait. Les pores féminins, attractifs des énergies masculines, se fermaient et ne remplissaient plus leur office. La satiété, la lassitude provenaient d’un courant voluptueux trop activement employé et qui avait besoin pour se reconstituer de l’appoint de contacts étrangers : ainsi il retrouverait sa vigueur, ainsi il rouvrirait les pores féminins conjugaux. L’adultère se présentait comme régénérateur des liens matrimoniaux.

Jacques n’avait pas le temps de se lancer dans ces considérations, il ne réfléchissait pas, l’impatience de ses désirs ne lui laissait même pas la faculté de savourer les attouchements préventifs, d’essayer les caresses excitantes. La vue des nudités sexuelles d’Annette avait suffi pour le jeter dans la rage du coït. Apercevant à sa portée le con, ombragé d’une épaisse toison noire, il y poussait droit la queue, il se hissait sur les jarrets pour le prendre d’assaut, il luttait dans la frénésie de l’attaque, pétrissait les chairs d’Annette de ses mains crispées, la secouait de délicieuses violences qui la ravissaient, la disposaient à sa félicité ; elle se prêtait à sa fougue de son mieux, la comprenant, parce qu’elle jugeait la jeunesse de l’amant plus pressée que la maturité du mari, cette jeunesse étant d’un autre côté plus experte que l’adolescence d’Alexandre Brollé, qui lui fût soufflé par La Férina.

Elle s’abandonnait avec joie, elle apportait son con à la conquête de cette queue, qui le pointait, l’envahissait avec furie ; elle se sentait enfilée, maîtrisée, dominée, au milieu de spasmes furibonds, et pour la volupté qu’on versait dans ses veines, elle se fût prostituée en plein public. Bah ! qu’importe la morale, et qu’a-t-elle à voir en ceci ? La nature veut l’union des queues et des cons : les deux en présence se faisaient merveilleusement fête.

Jacques et Annette roulèrent en bas des fauteuils. L’attaque s’engageait passionnée ; sous la vaillante chevauchée d’amour, Annette râlait dans un désordre incomparable ; c’était à croire que jamais son mari ou d’autres, s’ils la labourèrent, ne surent provoquer ses vibrations à un tel degré. Elle s’épanouissait sous la puissance de cet homme, qui, la queue dans son vagin, la patouillait aux seins et aux fesses, lui léchait la bouche, lui meurtrissait le ventre sous la rudesse de ses secousses. Il ne décessait pas de la manœuvrer ; le sperme jaillissait à grosses gouttes épaisses et gluantes ; elle le recevait dans la matrice, elle se mourait, elle ne voulait pas laisser Jacques s’évader de ses bras, elle le pressait de toutes ses forces contre sa poitrine, elle le mangeait de baisers, elle lui susurrait dans l’oreille les plus doux propos, elle l’encourageait à tout oser, et il la bourrait de nouveau de gros coups de queue.

Puis, le calme renaissant peu à peu, ils furent aussi étonnés l’un que l’autre de ce robuste et forcené baisage. Leurs regards se fouillaient, ils se souriaient en rangeant leurs effets, ils se séparèrent en se promettant le secret réciproque, et d’accord pour s’aider mutuellement dans leurs projets futurs.

Jacques, tout étourdi de l’aventure, retourna à Asnières, où les questions l’assaillirent sur le résultat de ses visites. On devinait chez tous les membres de la famille le même besoin de quelque chose qui tranchât sur la monotonie de l’existence adoptée. Il fournit des explications plutôt vagues, tout en laissant entendre que la protection des Gressac serait indispensable si on voulait reprendre les tableaux, et on ne se formalisa pas qu’il allât seul avec sa femme, dès ce soir même, à l’établissement de l’avenue Matignon. Il fallait tâter le terrain avant de s’engager dans quoi que ce fût, prétexta-t-il, et si on s’y rendait tous ensemble on s’exposerait à être bêtement exploités.

De retour chez lui, ses sens, remis en branle par la passion d’Annette, s’étaient immédiatement réveillés pour les voluptés de sa femme, et par un contre-effet naturel, les pores fermés de celle-ci se rouvrirent pour attirer les idées sexuelles de son mari. Pensant qu’ils trouveraient avantage à retarder la satisfaction des désirs ressuscités, ils avaient décidé le voyage à Paris, par pressentiment que des agaceries altruistes ne serviraient qu’à les mieux mettre en train pour la nuit de félicités luxurieuses dans laquelle ils comptaient bien se ressaisir pour longtemps.

Étaient-ce leurs pressantes dispositions charnelles ? Dans les salles de l’avenue Matignon, ils s’ennuyèrent plus qu’ils ne s’amusèrent. Annette se montra très réservée ; il y avait peu de monde dans les salons, où l’on se défiait d’une trahison, menaçant d’amener une descente de police, malgré les précautions prises. Les gros joueurs, les horizontales de marque ne parurent pas. Jacques et Thérèse ne rencontrèrent aucune figure de connaissance et repartirent de bonne heure, sans qu’Annette intervint pour les retenir. Oh, qu’ils avaient hâte de se retrouver seuls ! Quoi ! la veille encore, après un court bonsoir, ils se retiraient chacun dans sa chambre, avec le besoin impérieux du sommeil et sous le poids d’un ennui insupportable ; ils éprouvaient à présent une fièvre intense à se frotter les épaules, à se regarder, à se pinçailler comme des gamins.

Le feu couvait dans leurs veines ; jamais Thérèse n’apparut aussi désirable au yeux de son mari, jamais Jacques n’afficha de telles gentillesses amoureuses aux yeux de sa femme. Ils furent vite sous les armes, ce qui n’empêcha pas les multiples gourmandises de la grande et de la petite oies. Au milieu des ébats polissons qui pimentaient leurs coïts, ils lurent à livre ouvert dans leur cœur ; ils ne doutaient pas de l’affection qui les unissait, ils acceptaient toutes les éventualités pour améliorer leurs conditions de vie, pour augmenter leurs chances d’ivresses sensuelles. Un souteneur exploitait salement et sottement sa marmite. Un mari et une femme d’accord pouvaient prétendre à une sécurité de vie heureuse, où la justice n’aurait rien à démêler.

Jacques et Annette avaient conclu un traité d’alliance ; le mari et l’épouse unissaient leurs intérêts et leurs plaisirs sur d’autres bases que celles fixées par les lois et conventions. Se donnant carte blanche pour la satisfaction de leurs caprices personnels, s’ils en éprouvaient au dehors du lien conjugal, ils se disaient que la franchise était ce qu’il y avait de mieux, et Jacques cependant ne parla pas du coup de queue dont il honora le con d’Annette, et Thérèse garda pour elle l’avis soufflé par Annette, qu’à côté de son mari, il lui convenait d’avoir un miché sérieux, ce dont elle se chargeait.