Aller au contenu

L’Amour qui saigne/Texte entier

La bibliothèque libre.



RENÉ MAIZEROY

L’AMOUR
QUI SAIGNE

Portrait en hélio gravure.
BRUXELLES
Henry KISTEMAECKERS, Éditeur
Tous droits absolument réservés.

MDCCCLXXXII



VIEILLE HISTOIRE


I



En ce temps-là, campé comme une sentinelle altière sur des falaises grises qui dominaient l’Océan, le lourd château des Penkaradec enveloppait de son ombre massive les landes immenses et les vergers de pommiers dont les verdures robustes l’étreignaient éperdûment. Ses quatre tours carrées trouaient la nappe bleue du ciel. Les goëlands tournoyaient au-dessus, d’un essor lassé. Et dégringolant vers la mer qui s’épandait immobile, tachée de voiles, jusqu’à la barre mystérieuse de l’horizon, les masures du village se pressaient, s’appuyaient les unes contre les autres comme un troupeau épeuré…

Mais, depuis la date lointaine où le seigneur baron, bardé de fer et son pennon brodé de la croix sainte flottant au vent, avait disparu avec ses hommes d’armes, au tournant du chemin qui mène à Vitré, le logis entier semblait avoir perdu son âme bruyante et sommeillait dans une paix morne ainsi qu’un cimetière abandonné. Toute la vie, toute la joie s’étaient enfuies derrière le maître qui guerroyait aux infidèles pays d’outre-mer. Les aboiements stridents des meutes, les fanfarades des oliphants, et le tumulte des chevaux inquiets s’ébrouant sur les dalles des cours ne réveillaient plus les échos muets. Une tristesse profonde s’alourdissait comme une chape de plomb sur les êtres et sur les choses.

Elle s’alourdissait aussi sur le cœur navré de la très haute baronne Stylite, abandonnée cruellement en plein rêve d’amour, telle que cette princesse Ariadne qui pleure et couvre de ses sanglots l’éternelle plainte de la mer, dans les légendes et doïnes païennes. Le seigneur Yves n’avait même pas défait les draps parfumés de la couche nuptiale. Il était parti pour la croisade — le jour du mariage — sans écouter les derniers épithalames que marmottait le chapelain, sans effleurer de ses lèvres rudes la bouche rose de sa jeune épousée.

Et elle attendait le retour, comptant les mois, comptant les heures, écoutant bourdonner à ses oreilles la mélancolisante complainte de l’ennui, tandis qu’elle égrénait son rosaire d’ivoire, ou que jouant du rebec, le coude appuyé sur des coussins, elle contemplait d’un regard fixe, par les vitraux entr’ouverts, l’Océan où n’apparaissaient pas encore les nefs impatiemment désirées. À la voir avec ses larges yeux avivés de cernures bleuâtres, ses joues pâlies, ses lèvres palpitantes qui s’offraient à quelque caresse inconnue, ses cheveux fauves enserrant comme d’un cercle d’orfévrerie son bonnet pointu de magicienne posé sur le front, on eût dit d’un lis frileux qui se mourait lentement loin du soleil…

Durant ses veillées monotones, elle avait appris, dans des manuscrits enluminés, les douces doctrines qu’elle ignorait et, savante maintenant en l’art d’aimer, brûlée de désirs inéluctables, rêvant de se donner, de connaître la morsure divine des voluptés, elle cherchait partout le bien-aimé qui l’enlacerait une nuit de ses bras ardents.

Des jours, elle feignait de dormir au fond de son fauteuil armorié, lorsque son page lui faisait la lecture pieuse des Évangiles, et, laissant son pellisson de soie s’entr’ouvrir discrètement, elle frôlait languissamment de son bras demi-nu la chair frémissante de l’enfant. D’autres fois, elle lui contait à voix basse ces devis galants qui troublent la cervelle comme une lampée de vin doux puisée au pressoir. Elle allait du page au sénéchal, du sénéchal à l’échanson, de l’échanson aux arbalétriers qui veillaient sur les tours. Elle s’offrait avec une naïve impudeur. Elle les grisait de folie. Elle les exhortait au péché mortel des yeux, des gestes, des soupirs et des paroles.

Cependant, ni les uns, ni les autres, ni le page, ni le sénéchal, ni l’échanson, ni les arbalétriers ne paraissaient comprendre la belle amoureuse. Volontiers ils se fussent bouché les oreilles de cire pour ne pas l’entendre, ils se fussent voilé les yeux d’un bandeau épais pour ne pas la voir, ils se fussent sauvés à cinq cents lieues du château pour résister à la tentation de trahir leur seigneur, car le baron Yves les avait accoutumés au poids de son gantelet d’acier et ils n’osaient encourir sa colère inflexible de justicier.

Et, désespérée, malade, tremblant ses oreillers de larmes, la très haute baronne Stylite se tordait les bras et se lamentait chaque nuit, dans son lit glacé, de ne pouvoir trouver l’adoré qui effeuillerait brutalement la floraison intacte de sa virginité…


II


Or, certaine après-midi de mai, tiède, parfumée de senteurs errantes, où les abeilles bourdonnaient dans l’air trempé de bleu, où les oiseaux se répondaient de buissons en buissons, poursuivie par son éternel souci, Stylite de Penkaradec longeait, toute seule, la tête basse, un étroit chemin que les herbes folles envahissaient et que les pommiers couvraient d’un dôme fleuri.

C’était dans les vergers du château ; — des vergers incultes, plantés depuis des siècles, et qui grandissaient sauvagement au gré de la nature comme une futaie inviolée. Les troncs énormes, trapus, des pommiers semblaient les colonnes bizarres d’un cloître. Leurs branches embroussaillées de larges bouquets de gui, vernissées comme d’une lèpre de plaques de mousse, s’entrelaçaient, bouchaient de leur végétation affolée les pans du ciel qui s’éparpillaient de-ci, de-là. Et elles étaient étoilées de fleurs si innombrables, si radieusement épanouies, que la lumière filtrée par tous ces pétales immaculés coulait comme une nappe de lait figé, limpide, transparente, noyant les fonds en une teinte unique qui les décolorait.

Stylite marchait à travers ces clartés d’apothéose, lorsqu’elle aperçut, de loin, un petit malingreux qui dormassait sur le dos, au milieu des herbes. Elle le reconnut aussitôt.

Bien souvent, en effet, elle l’avait rencontré sur sa route, ce pauvre déshérité que les manants chassaient à coups de pierres de leurs chaumines, et qui vaguait ainsi qu’une bête fauve dans l’épaisseur des bois ! Bien souvent elle s’était attardée à examiner à la dérobée sa longue chevelure qui lui tombait sur les yeux, ses membres souples qui se dessinaient entre les déchirures de ses mauvais haillons ! Bien souvent elle s’était sentie attirée par le sourire éternel qui découvrait les dents aiguës du mendiant !

Elle savait son nom et son histoire. Il s’appelait Jan, et il y avait quinze ans que des pâtours l’avaient ramassé sous une touffe de genêts, dans la lande. Jamais il n’avait prononcé une parole. Il chantait des sons inintelligibles. Il riait sans cesse d’un rire énigmatique d’idiot et les paysans avaient peur de lui comme d’une bête malfaisante.

Stylite regarda longtemps l’endormi. Elle frémissait nerveusement. Elle rougissait. Ses yeux luisaient. Ses deux mains se crispaient l’une contre l’autre. Une rébellion instinctive la retenait. Enfin, n’en pouvant plus, elle murmura d’un accent assourdi :

— Celui-là m’aimera peut-être !

Puis, comme prise d’une résolution soudaine, elle se dévêtit hâtivement derrière un arbre. Un à un, ses vêtements et ses linges glissèrent le long de son corps et, splendidement belle dans sa nudité virginale, elle se redressa alors, se cambrant en une pose triomphale de victorieuse. La lumière neigeuse l’illuminait de reflets éblouissants comme une statue de marbre. Ses cheveux dénoués ruisselaient jusqu’à sa croupe adorable. Elle n’était plus femme. Elle était la déesse souveraine qui foule sous ses pieds méprisants le troupeau prosterné des hommes.

Et, à pas lents, courbant à peine les tiges des plantes, elle s’approcha ainsi de l’idiot et le baisa très doucement aux lèvres. Il poussa un cri d’effroi et instinctivement, se croyant éveillé par une apparition, il s’agenouilla devant elle, les mains jointes, comme pour prier.

Elle le releva et l’attira contre sa poitrine. Elle lui parlait par gestes, lui faisant lire le poëme d’Amour, stations par stations, sur son corps enivrant. Elle répétait ses leçons en les interrompant par des flux de caresses, des mots tendres, passionnés qui vibraient ainsi qu’un roucoulement de ramier. Et ils se roulaient parmi la neigée de fleurs qui sans trêve tombait des branches.

L’enfant avait compris le langage muet de Stylite et, assoiffé de jouissances comme un fauve inassouvi, il se ruait sur ce corps abandonné à ses élans fougueux, il déchirait de morsures les épaules de la baronne, il ne voulait pas se désenlacer de son étreinte…


III


Stylite ne rentra au château qu’à la nuit tombante, brisée, éperdue, haletante, et l’âme inondée de joie. Le lendemain, elle retourna dans le verger. L’idiot l’attendait à la même place, les lèvres élargies par son éternel sourire. Et elle se donna de nouveau dans les fleurs…

Chaque jour, pendant des mois, elle vint en cette alcôve mystérieusement embaumée. L’enfant la suivait partout comme un chien fidèle ; il se jetait avec une jalousie rabide à la gorge de ceux qui osaient regarder son amoureuse. Elle finit par le garder toujours auprès d’elle. Il couchait à ses pieds ; il mangeait dans sa main ; et, la nuit, il redevenait le maître souverain, le dompteur très aimé devant lequel la hautaine baronne se traînait avide de baisers nouveaux, de monstrueuses chimères…

Elle avait oublié la Croisade. Elle croyait son époux endormi du sommeil éternel au fond de quelque ravin sinistre, là-bas, en Palestine. Elle se moquait des anathèmes du chapelain, des menaces sourdes que proféraient les arbalétriers indignés.

Et, une nuit d’hiver, sans faire sonner les oliphants, sans assembler les vassaux, le sire de Penkaradec revint en ses domaines, et surprit en plein sommeil les amants rassasiés, qui rêvaient d’amours éternisées dans les bras l’un de l’autre, au milieu de son grand lit surchargé de blasons.

Il jura leur male mort et se vengea horriblement.

Le bourreau planta deux potences solides sur la grande place du village. Tous les manants d’alentour furent convoqués à son de trompe et, — le dimanche de Lœtare, — la baronne Stylite et l’idiot furent pendus, sans confession et sans les derniers sacrements.

Auprès de chaque potence, le baron avait fait dresser une chaire tendue de draperies de deuil, et pendant deux journées et deux nuits, des moines farouches clamèrent aux paysans assemblés des homélies inexorables sur le péché d’adultère. Les gestes effarés qui soulevaient comme des ailes les manches de leurs frocs blancs chassaient loin des deux cadavres défigurés les impatientes envolées de corbeaux, et l’Océan sanglotait plus désespérément au pied des falaises, comme s’il eût pleuré la mort des pauvres amoureux.


LA MARGARÎDO


I



Bien des mois et des mois, Marius Barantane — Moussû Marius, ainsi qu’on le dénommait familièrement dans tous les villages — n’avait jamais aimé que ses trois arpents de vigne et sa baraque en briques juchée comme un pigeonnier sur les coteaux brûlés de soleil qui trempaient leurs verdures dans la paresseuse coulée du Mœou. Il était si calme, si bienheureusement endormi, le Mas-Jelus, avec son toit de tuiles envahi par les jaunes floraisons des pariétaires et son grand ormeau dont les branches entrelacées cachaient l’azur du vaste ciel ! Les vignes dégringolaient vers la berge pierreuse, bordées de cerisiers sauvages, où les grives gourmandes s’appelaient au temps parfumé des vendanges. On eût dit d’une tapisserie enluminée de colorations franches qui accrochait ses plis fantasques à la terre blonde. Et sur l’autre rive, pressées les unes contre les autres comme de bonnes voisines lassées qui se soutiennent, noyées dans la houle fougueuse des feuillages, les masures de Montélhijas-sur-Mœou bouchaient l’horizon…

Moussû Marius vivait là, avec une vieille servante du pays. Il portait des sabots, une blouse rapiécée de ménager, et jouissait placidement de la vie sans songer aux lendemains pleins d’ombres. Il philosophait sans le savoir, ayant désappris depuis longtemps toutes les choses savantes, toutes les radotailles latines qu’il avait ramassées en son enfance sur les bancs usés des écoles. Son coin de terre lui semblait un paradis de joie.

Il avait écrit dans son testament : « Je veux être enterré au milieu de la vigne, sous une souche. » Et il pensait en souriant jouisseusement que son sang refluerait plus jeune, plus rouge dans les pampres luisants, que toutes ses forces vives renaîtraient dans la grande nature. Son haleine deviendrait l’arome exquis des grappes mûres, ses cheveux, les filaments légers qui se tordent au milieu des feuilles nouvelles. Cela le faisait rêver profondément chaque soir, tandis qu’il soupait, et, son dernier verre lampé d’une main lente, il s’arrêtait à contempler les constellations épanouies dans le noir comme des fleurs d’or.


II


À la fin, il allait se coucher, pas à pas, avec d’interminables flâneries, se retournant pour entrevoir les fenêtres du village qui s’éteignaient, la rivière qui roulait des poignées d’astres. Et avant de s’endormir, il saluait gravement les antiques portraits suspendus aux murs. Le lendemain, la même vie recommençait, monotone, heureuse, mais de ce bonheur parfait qui fatigue. Et voici ce qui se passa certain soir de juin où les rossignols amoureux égrenaient leurs trilles aigus sous les feuilles immobiles.

Les ténèbres tombaient ; toutes les haleines de la campagne pâmée se fondaient en une musique assoupissante. Les cigales ne bruissaient plus. Et le charme infini des nuits d’été planait dans l’air vibrant comme une large bénédiction. Moussû Marius allait s’asseoir devant la nappe blanche sur laquelle fumait déjà la soupière pleine, lorsque derrière les cerisiers s’éleva une voix claire d’enfant qui chantait.

Des rires espiègles, de ces rires fous qui montrent les dents luisantes, palpitaient dans cette aubade sonore.

Et c’était aux dernières notes un roucoulement assourdi, plein de tristesses vagues, des appels pareils qui s’apaisaient tendrement. Marius était sorti. Il écoutait, les yeux entreclos par une jouissance étrange. Et brusquement une gamine blonde, toute décoiffée, apparut dans le fouillis des branches écartées. Elle était adorable avec ses lèvres trop rouges, entr’ouvertes par un sourire éternel, ses yeux larges, dont le regard effronté s’adoucissait en une langueur troublante, et son casque d’or de cheveux emmêlés. Les bras nus, la gorge nue dressant ses pointes roses, elle se cambrait comme une déesse victorieuse dans ses loques sales. Et des chèvres noires d’une odeur très forte se serraient autour d’elle, broutant les folioles des haies.

— Bonsoir, moussû Marius, cria-t-elle en lui envoyant un baiser de bienvenue du bout des doigts.

— Bonsoir, Margarîdo, répondit Marius extasié.

Que de fois cette gardeuse de chèvres était passée ainsi à l’aube des étoiles, lui disant bonsoir d’un ton joyeux !

Que de fois il avait entendu la complainte agreste qu’elle clamait à pleines lèvres en ramenant son troupeau de la lande ! Et pourtant, à travers ce flux de parfums qui montaient de la terre amoureuse, parmi le calme mystérieux des premières ombres, il se sentit, en la revoyant, remué dans tout son être.

Il remarqua combien elle était belle, combien elle rayonnait dans la puberté inviolée de ses seize ans en fleur.

— Bonsoir, Margarîdo, répéta-t-il encore. — Sa voix tremblait un peu. — Le soleil a bien flambé cette journée, n’est-ce pas ?

— Beau temps pour les cigales ! fit-elle, songeant aux bruyantes chanteuses des bois d’oliviers.

— Que tes lèvres doivent être sèches ! Veux-tu goûter les cerises du Mas-Jelus ?

— Il est trop tard ! Le maître me battra si les chèvres ne sont pas au bourg à la sonnerie des offices.

Elle prononça ces paroles avec des regrets. Les prunelles allumées de désirs gourmands, elle regardait les cerisiers de Moussû Marius. Ils se dressaient sur les bleus assombris du ciel avec leurs feuilles resplendissantes piquetées de taches rouges. Les rameaux pliaient sous les fruits, et des frelons attardés bourdonnaient autour de cette vendange printanière.

— Si vous permettez cependant, balbutia Margarîdo ; et, sautant par un trou de la haie, elle entra dans l’enclos.


III


Marius était monté sur l’arbre. Margarîdo recevait les cerises dans sa jupe relevée. Et les fruits tombaient comme une pluie embaumée dans l’herbe épaisse, dans la jupe, dans le cou de l’enfant. Ils s’en réjouissaient tous les deux. Elle avait accroché des cerises à ses oreilles, et elle s’arrêtait pour mordre les plus grosses de la cueillette.

— Merci, moussû Marius, merci !

La jupe était pleine. Il descendit et ils allèrent s’asseoir, tout haletants de leur travail, sur le banc de pierre accoté à la porte du Mas-Jelus. Alors, ils bavardèrent comme des amis anciens. Margarîdo lui contait son histoire. La mort de son père, un pauvre diable de bûcheron que la chute d’un chêne avait écrasé dans le bois. Puis, ses longues stations au milieu de la lande, sous le ciel blanc de midi et pendant les grises journées d’automne, tout cela pour un mauvais tortillon de pain noir qu’on lui donnait en rechignant au village et pour dormir la nuit auprès des chèvres. Le dimanche, les beaux danseurs se détournaient d’elle parce qu’elle était mal accoutrée dans ses défroques et elle se lamentait de ne pas avoir encore d’amoureux comme les autres filles du village. Quand elle eut fini, Marius lui prit les mains :

— Écoute, Margarîdo, dit-il gravement en patois. Je suis seul, et tu souffres. Veux-tu rester toujours au Mas-Jelus ? Ton rire réveillera ma maison. Ton haleine fera fleurir mes vignes. Veux-tu ?

L’enfant ne put répondre. Une grande joie illuminait ses yeux étonnés. Et, avec une innocence souveraine, enlaçant Marius dans ses bras, elle appuya longuement sur sa joue ses lèvres rouges encore du sang des cerises. Les rossignols chantaient plus éperdûment dans l’ormeau enseveli sous les ombres croissantes, et le lendemain les chèvres revinrent seules au village.


IV


Les commères en jasèrent beaucoup sur leurs portes. Elles se confiaient la chose tout bas, en ébauchant d’hypocrites signes de croix. Une fille si jeune, Jésus-Diou, si sauvage, qui eût pu croire cela ? Et se perdre avec un hérétique comme Moussû Marius, un paroissien qui ne croyait pas, qui n’allait jamais aux offices ! Les jeunes filles se montraient du doigt le Mas-Jelus avec des gestes insolents. Puis chacun oublia les deux amoureux. Et un jour — à pointe d’aube — les sonneuses entonnèrent le cantique allègre de la Notre-Dame-d’Août. On avait orné le portail de l’église des tapisseries antiques toujours endormies dans la sacristie. De longues guirlandes tressées de myrthe et de buis festonnaient le portail. Devant toutes les maisons, les cailloux luisants disparaissaient sous les jonchées florales.

Tout le monde était en fête. On avait déjà commencé la messe solennelle des jours fériés. Le chœur flambait auréolé de cierges qui faisaient danser des étoiles d’or sur les vitraux. Les gens recueillis écoutaient les jeunes garçons qui psalmodiaient au lutrin les antiennes virginales. Et, au moment où le curé articulait fortement, en encensant l’autel : « Assumpta est Virgo ! » Margarîdo entra dans l’église accompagnant Moussû Marius. Elle était très changée, plus rose qu’autrefois sous son bonnet blanc, les cheveux lissés et retenus par un peigne d’écaille. Et elle marchait indolemment avec une paresse suprême, qui la rendait encore plus femme. L’officiant s’arrêta interdit, embrouillant sa prière latine. Les chantres se penchaient par-dessus le lutrin pour mieux voir. Les vieilles marmottaient des malédictions confuses et les hommes s’écartaient du couple comme devant des lépreux. Moussû Marius haussa les épaules avec un sourire triste. Et il traversa toute la nef, les yeux fixés sur le Christ noir dont les bras se tordaient désespérément dans la lumière éclatante. Ils s’assirent au premier banc, impassibles, sans baisser le front.

— Tu vois, lui dit seulement alors Marius d’une voix douce ; que ne sommes-nous restés au Mas-Jelus, où nous étions si bien, loin de tous ces mauvais !…

Elle fléchissait peu à peu sous ces regards haineux qui l’oppressaient. Elle écoutait avec des frissons cruels les insultes que ces gens lui jetaient par derrière comme de la boue. Elle avait donc failli ? La malheureuse était donc condamnée à des afflictions éternisées, à la honte, parce qu’elle avait aimé comme s’aiment tous les êtres vivants ? Elle songea à son enfance sous bois. Elle se rappela son père, le puissant bûcheron qu’un arbre avait écrasé. Et toutes les misères de misères dans ce village maudit, et les chimères rêvées dans la lande aux heures où le soleil endort. Puis, le soir où elle avait cueilli les cerises, les joies grisantes du Mas-Jelus auprès de cet homme qu’elle aimait. Ainsi il y avait au monde des fronts marqués de naissance pour souffrir. Elle ne pourrait jamais être heureuse. Elle sentit qu’elle allait pleurer et, essuyant vivement ses paupières cernées, elle défia d’un regard révolté ce prêtre qui disait des mots inconnus, ce Christ toujours muet dans sa douleur sombre, et les croyants inflexibles qu’elle osait mépriser maintenant.

— Viens, Marius, murmura-t-elle avec un accent farouche ; tu avais raison. Tout cela est mort, bien mort, je n’y crois plus !

Et ils sortirent à grandes enjambées de l’église.

— Marius, lui dit-elle le soir, si tu souffrais, n’aimerais-tu pas dormir pour toujours sous la terre fleurie ?

Ses yeux brillaient dilatés par des visions nouvelles. Marius se taisait. Dormir ! Se sentir bercer éternellement par la paix infinie des choses ! Avait-il souvent souhaité cette accalmie divine ! Mais aujourd’hui, il se délectait de la vie. Il la désirait sans fin, près de sa caressante bien-aimée. Elle le regarda avec une fixité maladive.

— Tu es heureux, c’est vrai ! continua-t-elle âprement.

Alors, il lui avoua toutes ses tendresses débordantes, toutes les béatitudes que sa robe blanche mettait dans le Mas-Jelus. Elle était tout pour lui. Elle lui avait fait connaître des joies inoubliables. Leur enlacement était si doux qu’ils semblaient avoir oublié tous les deux l’église où elle avait été martyrisée. Mais Margarîdo souffrait sans le dire. Cette indomptée haletait des colères anciennes. Elle avait assez de son écœurement malsain et sa résolution était prise.

Un matin, Moussû Marius partit sur son bourriquet, au petit jour. Il y avait foire à Saint-Aventin, et Saint-Aventin était loin. Margarîdo le suivit des yeux jusqu’au tournant de la route. Elle monta ensuite sur le banc pour le voir encore, et quand il eut disparu dans la buée poussiéreuse, elle se tourna vers le Mas-Jelus et vers les cerisiers. Ses regards glissaient comme des baisers d’adieux sur les feuilles et sur les fenêtres ouvertes au soleil. Et, pas à pas, elle descendit par les vignes le chemin qui conduisait à la rivière.

Le village s’éveillait : des envolées de pigeons s’éparpillaient dans le ciel rose. Et l’eau coulait paresseusement, avec des sanglots sourds qui attiraient.

Margarîdo s’arrêta sur la berge. Elle avait cueilli un gros bouquet de tubéreuses ; et, respirant l’odeur énervante des fleurs, elle pensa au bon sommeil qu’elle allait dormir pour l’éternité au fond de la rivière, claire comme un berceau d’enfant.

— Pauvre Marius ! fit-elle une dernière fois.

Et elle se laissa glisser dans l’eau les yeux ouverts.

On retrouva le corps deux jours après. Les vêtements s’étaient déchirés dans les herbes. Et elle paraissait plus belle avec ses chairs d’une pâleur mate et ses cheveux ruisselants. Les lèvres décolorées se tendaient comme vers un baiser d’amour, et elle serrait étroitement dans sa main crispée son bouquet effeuillé. Moussû Marius avait espéré ainsi qu’un enfant. Il l’avait attendue nuit et jour sur le banc accoté à la porte. Et quand on rapporta au Mas-Jelus le cadavre de l’adorée, il devint comme fou. Il lui fit un linceul de toutes les fleurs du Mas-Jelus, et, ayant creusé une fosse au milieu de la vigne, il l’enterra lui-même. Les cigales et les grillons crécellaient. Les fenouils, les roses jetaient leur encensement musqué dans l’air. Et la fosse refermée, le cousin reprit le chemin du Mas-Jelus, courbé comme un vieillard par son immense douleur. Depuis, chaque jour, au crépuscule, il va s’asseoir sur le banc. Les rossignols égrènent leurs trilles aigus dans les branches. Mais Moussû Marius écoute le tintement lointain qui sonne aux clochettes des chèvres, par-delà les landes endormies.


LA TENTATION
DE SAINT-ANTOINE


I



Des quatre années de pensionnaire qu’elle avait passées sur les bancs capitonnés d’un couvent parisien, Mlle Andrée Boisselet gardait d’enfantines ferveurs de première communiante, l’habitude de s’agenouiller, dans sa chambre, devant ces Notre-Dame mièvres qui ouvrent leurs bras avec un geste de douce attirance, de murmurer des actes de foi, la tête humblement baissée, à l’église, tandis que le prêtre soulève l’ostensoir et que les orgues chantent les adagios graves d’Haydn ou de Palestrina. Elle n’enlevait son scapulaire bleu que pour se décolleter et elle se confessait de cela comme d’une faute sacrilège. Elle croyait aux miracles, à tout le bric-à-brac mystique qu’on apprend dans les catéchismes et qu’on répète en oraisons dans les livres de messe. Elle ignorait l’amour.

C’était pour elle le souvenir vague des billets échangés au couvent avec les petites amies, des lettres à emblèmes bébêtes lues derrière un pupitre, des mots jolis de romance murmurés deux à deux en se tenant les mains, pendant les récréations. Et parfois, maintenant, l’émoi furtif qui lui restait au cœur d’une valse longue ou d’un bouquet de cotillon galamment offert par quelque danseur préféré. Cependant, elle avait un désir profond de tendresses intimes, un instinctif besoin d’aimer et de se sentir aimée. Quand ses prunelles se fixaient sur le portrait de sa mère, morte en couches à dix-huit ans — morte à cause d’elle, — un pastel rose et blond où la chère absente souriait avec du bonheur calme dans les yeux et comme une bonté native émanant de son fin profil délicat et charmant, elle souffrait ne sachant pourquoi. Combien elles se seraient adorées toutes les deux, presque aussi jeunes, presque sœurs ! La vie eût été un enchantement. Et son abandon, sa solitude lui paraissaient alors plus cruels. Elle avait été élevée par une vieille gouvernante anglaise. Puis le couvent. Personne pour la soutenir, pour lui montrer la route, pour lui donner des conseils. Des tantes enterrées dans un trou de province. La gouvernante qui dormait ou enseignait le God save à son perroquet. Des amies de rencontre. Un père qui ne quittait pas la Bourse et qu’elle entrevoyait à peine, de-ci, de-là, à table, perpétuellement affairé, inquiet, griffonnant des chiffres, feuilletant des journaux, brassant des millions, obéissant aux moindres fantaisies de sa fille, la comblant de cadeaux, lui laissant la bride sur le cou comme à une miss de Regent-Street, mais ne s’occupant jamais d’elle, l’effleurant au front d’un baiser tous les trente-six du mois et ne pensant pas que l’esprit vient brusquement aux Renée Maupérin d’aujourd’hui, sans qu’il soit besoin pour cela de frère Philippe et de ses oies. Rien ne manquait au tableau.

Un dimanche, Andrée se fit conduire à la Trinité, où le R. P. Laterrade prêchait l’Avent. Ce moine avait conquis Paris par son audace farouche et sa parole ardente. On courait curieusement à ses sermons comme à une première de Sardou, comme à un concert de la Patti. Les reporters en rendaient compte. Les chaises se vendaient des prix invraisemblables. Cette église moderne, qui semble un théâtre avec son autel italien entouré d’élégantes colonnades, ses lustres à gaz, ses dorures trop neuves, était bien le décor indiqué à de pareilles représentations. Les femmes surtout raffolaient de ces homélies passionnées dont la rudesse violente les remuait et les domptait. Autour de la chaire, le froufrou des robes, le piétinement des talons s’assourdissaient discrètement. Et un remous troublant d’odeurs mondaines, la tiédeur musquée des fourrures, le parfum des violettes traînant dans les dentelles, des essences subtiles imprégnant la peau, montait aux narines du prédicateur.

Il parlait de l’amour triomphant dans la vie, de l’amour dédaigné par tant d’imbéciles, qui emporte en des Paradis inconnus, qui joint les lèvres ravies, qui unit pour l’éternité humaine et nous laisse la joie mélancolique du rappel pour les heures mauvaises. Il en parlait éperdûment, comme un ascète des Thébaïdes secoué par la tentation, qui se délivre en clamant vers le ciel sa nostalgie coupable, sa soif de béatitudes défendues. Son masque austère de Savonarole rayonnait comme allumé par la braise rouge d’un bûcher. Il s’exaltait. Il se grisait de ses tirades enthousiastes. On eût cru qu’il prêchait pour une sainte Thérèse inconnue, perdue dans la foule. Ses gestes planaient avec une envergure d’ailes. Son froc de bure blanche lui donnait une grandeur surhumaine. Et lorsqu’il termina son sermon par une âpre apostrophe à ces mères de famille qui renient l’amour comme une chose inutile, qui assimilent le mariage à un échange de parchemins ou de gros sous, qui vendent leurs enfants au plus offrant et préparent ainsi l’adultère et les deuils futurs, tous, même les prêtres effarés au fond de leurs stalles, frémissaient, haletaient, voulaient acclamer l’apôtre nouveau !


II


Mlle Boisselet revint toute songeuse de ce sermon. Son cœur battait. Elle cherchait à comprendre ce que les phrases éloquentes du moine ne lui avaient pas révélé. Elle voulait savoir, interroger cet homme qui commandait d’aimer, et le voir seul et lui avouer à voix basse, le visage collé aux grilles d’un confessionnal, ses rêves, ses aspirations, ses peines. Celui-là peut-être la consolerait, adoucirait l’amertume de son isolement et lui apprendrait la vie. Elle écrivit au prédicateur huit pages d’une sentimentalité naïve où le mot d’idéal revenait comme une roulade monotone de cavatine où elle se lamentait, ainsi qu’une colombe blessée, et racontait les angoisses de son âme. Il lui répondit aussitôt sur le même ton, l’alanguissant encore de citations bibliques, de comparaisons familières où il était question de cerfs qui soupirent après l’eau des fontaines, de lis immaculés embaumant les jardins de Sâron et d’un au delà bleu, d’un infini chimérique, traversé par l’envolement des anges.

« Venez, mon enfant, venez, écrivait-il en finissant, celles qui souffrent sont les bienvenues, celles qui rêvent sont les élues. Vous êtes de la race choisie de cette Marie, qui délaissait ses travaux pour écouter les paraboles de notre divin Sauveur. Je saurai trouver dans mon cœur du réconfort pour votre cœur meurtri ! »

Andrée lut et relut cette lettre timbrée d’un A.M.D.G. très pieux. Et chaque semaine elle alla s’asseoir, durant des heures entières, dans le parloir étroit où le P. Laterrade recevait tour à tour ses pénitentes accoutumées. Il avait quelque chose de plus recueilli, de plus imposant entre ces quatre murs nus, blanchis à la chaux que barrait le bois noir d’un grand crucifix et qu’éclairait un jour pâle de cour, filtré par des rideaux de cotonnade. Les conversations étaient des chuchotements. Et la jeune fille, immobile, ne se lassait pas de l’écouter, demeurait comme clouée à sa chaise de paille. Elle sortait de ces entrevues interminables énervée, fiévreuse.

Peu à peu, ce contact renaissant, ces obéissances molles, cette admiration surexcitée par une pensée unique, opéraient une métamorphose étrange dans son être. Le moine absorba toute sa vie. Elle devint jalouse des autres femmes qu’il accueillait avec un sourire affable, de la règle sévère la séparant sans espoir de la seule personne qui l’eût comprise, qui l’eût guérie. Elle n’en dormait plus. Dans ces maladives insomnies, elle rêvait d’être si belle, si tendre, si suppliante qu’il oublierait ses vœux, qu’il l’épouserait et qu’ils se sauveraient de Paris ensemble, dédaignant les médisances et oublieux du monde entier. Et, vaincue à la fin, elle avoua au P. Laterrade le mal qui la torturait, l’amour profond, désespéré qui la brûlait comme une plaie mortelle. Elle se traîna à ses genoux, balayant le plancher de sa toilette élégante, l’implorant de ses grands yeux bleus trempés de larmes, cherchant à lui prendre les mains, affolée, inconsciente de ce qu’elle disait, de ce qu’elle faisait. Le sang affluait à ses joues, les marquant de plaques rouges. Ses cheveux, comme une crinière d’or de Madeleine, se dénouaient. Le moine s’était détourné avec un dégoût implacable. Il glaçait de son regard méprisant la pauvre amoureuse prosternée. Sa haute taille se redressait. On eût dit d’un justicier inflexible rendant un arrêt. Il releva Andrée et durement il s’écria :

— Nous ne devons plus nous revoir après cette scène ridicule. Je vous plains, mademoiselle, et je prierai pour vous.


III


Andrée est retournée vingt fois au parloir. On l’a toujours éconduite. Elle n’espère plus, mais elle aime et aimera jusqu’à la mort. Elle s’affaiblit insensiblement, ne sortant pas de sa chambre, s’hypnotisant dans la contemplation silencieuse d’une photographie du R. P. Laterrade qu’il lui envoya jadis. Nuit et jour, elle lacère de coups d’aiguille son corps amaigri. Les piqûres de morphine l’enveloppent d’une somnolence morbide, lui donnent une jouissance lourde de folie, des hallucinations où elle le revoit, où elle l’entend. Un matin, ses grands yeux bleus ne se rouvriront pas et ce sera fini.

Le moine recommencera au carême ses prédications énervantes et il flétrira le péché d’une voix sonore, étalant son orgueil de prêtre chaste.

M. Boisselet ne s’aperçoit pas de l’agonie lente de sa fille. Il a gagné trois millions, l’autre mois, sur la Banque moldave.


MÂME CACHEMIRE


I



C’était au Luxembourg — près de la fontaine Médicis — un de ces jours frileux d’octobre où l’air vibrant est rayé de fils soyeux qui ondulent. Le vent d’automne défeuillait les grands platanes. L’eau du bassin avait des teintes froides d’ardoise, et des ellipses argentées s’élargissaient démesurément sur sa nappe vaguement remuée chaque fois que tombait des branches grises une feuille sèche. Dans les urnes de marbre, les hortensias grelottaient, fanés. Les pelouses, d’un vert maladif, disparaissaient, malgré les râteaux des jardiniers, sous une épaisse toison rousse. Une musique militaire jouait au loin un morceau bruyant. Les sons se répondaient affaiblis, en sourdine, entre les arbres nus, à travers l’immense jardin. Et des cris d’enfants, le roulement lourd des omnibus qui descendaient de l’Odéon, couvraient de-ci, de-là, les retentissants accords des cuivres…

Je la vis alors pour la première fois.

Elle s’accotait des deux mains contre un banc de bois, immobile, écoutant comme avec des jouissances avides le concert qui venait de là-bas. Seule, coiffée d’une de ces capotes extravagantes qu’on voit sur les estampes de modes de la Restauration, vêtue de loques déteintes, rapiécées, mais très propres, cassée en deux ainsi qu’un bâton sur lequel on s’est trop longtemps appuyé, on eût dit une de ces très vieilles fées des contes bleus qui, clopin-clopinant, descendent sur la terre par les fantastiques nuits de lune.

Et, comme par une ironique moquerie, elle se drapait dans un large cachemire de l’Inde, un cachemire merveilleux aux couleurs d’apothéose, ramagé de nuances étranges, brodé d’arabesques éblouissantes, superbes, royales, auxquelles la lumière bleue accrochait de fugitives étincelles.

Le visage ridé, tanné comme un antique parchemin, gardait, parmi ses plis une douceur attendrie, la calme expression des pauvres gens qui croient aux extasiantes chimères. Le menton et le nez se touchaient presque. Et dans les yeux fixement ouverts, luisants,

… comme ces trous où l’eau dort dans la nuit,


rayonnait une étrange lueur de folie.

Les moineaux voletaient autour de la petite vieille, pépiant, se posant effrontément sur le banc, enhardis par sa pose de statue, par son grave silence, et comme s’ils eussent attendu qu’elle sortît une croûte de pain du cabas en tapisserie suspendu à sa main gauche.

Mais elle y pensait bien, la malheureuse, à émietter son pain aux moineaux, elle qui avait à peine quatre sous pour vivre, et qui les dépensait à acheter des drogues chimiques, des cornues et du charbon !


II


J’appris cela plus tard en causant avec ses voisins, avec la fruitière, avec la blanchisseuse de fin et les boutiquiers de sa rue. Tout le monde la connaissait. Et on l’avait baptisée familièrement « Mâme Cachemire ».

Mâme Cachemire demeurait en haut, tout en haut du quartier de l’Observatoire, au cinquième étage d’une ancienne maison. Elle descendait très rarement de sa mansarde. Seulement, parfois, les jours où il ne pleuvait pas, où les musiques militaires jouaient au Luxembourg, et aux dates fixes où elle devait toucher sa modeste pension…

Autrefois — que d’eau avait coulé depuis sous les ponts ! — elle avait été riche. Tous les malchanceux n’ont-ils pas, dans leur triste existence, un chapitre de joies ? Mariée à un officier de la garde impériale, elle avait eu son hôtel, son salon, ses voitures. Sa beauté triomphait partout. On s’agenouillait humblement devant elle comme devant une souveraine adorée.

Puis, la dégringolade tragique. L’Empire démoli. Napoléon à Sainte-Hélène. Les officiers en demi-solde. Et, une nuit, le mari qu’on rapporte sur une civière, la poitrine trouée d’un coup d’épée, après s’être battu en duel avec un mousquetaire à la porte du café Lamblin. Il ne rouvrit pas les yeux. Elle l’aimait de toute son âme. Il était son idolâtrie sacrée. Tout s’écroulait autour d’elle. Tout disparaissait derrière ce cercueil. Elle devint folle.

On l’enferma dans une maison de santé.

Elle en sortit, la sixième année, toujours inconsolée et le cœur meurtri d’une plaie saignante. Le souvenir du passé disparu la rattachait seul à la vie. Et sa cervelle mal guérie gardait sa morbide fêlure comme une cloche qui eût été trop violemment heurtée par un sonneur brutal…

Pour toute fortune, il lui restait les maigres écus de sa maigre pension de veuve. Alors, elle se jeta éperdûment dans l’étude des sciences occultes. Elle achetait le long des quais de gros livres de chiromancie. Elle composait des grimoires nouveaux. Sa mansarde étroite était transformée en laboratoire de chimie. Et penchée ardemment sur les alambics, oubliant de manger pour entretenir le feu de ses réchauds, elle tentait d’arracher à la matière le magique secret de Nicolas Flamel. Elle était possédée d’une idée puissante qui absorbait toutes ses forces vives : créer de l’or, le remuer à pleines pelletées comme les grains de sable qui sont sur les grèves.

Souvent, lorsque le soleil couchant filtrant par les vitres closes de la fenêtre à tabatière colorait de ses fulgurances glorieuses les précipités blanchâtres, les mixtures figées au fond des verreries, elle se croyait enfin arrivée à son but. Et poussant des exclamations de victorieuse, les prunelles inondées de lumière fauve, les oreilles déjà secouées par le tintement clair du métal, elle étreignait de ses mains frémissantes les cornues illuminées.

Mais, peu à peu, le soleil agonisant déclinait dans le ciel. Les clartés se brouillaient. L’ombre mystérieuse de la fin du jour tombait, décolorant les objets, étendant monotonement ses demi-teintes fausses.

Et découragée, voyant son rêve se mourir, son œuvre encore à recommencer, sentant son impuissance, Mâme Cachemire sanglotait douloureusement…


III


La vieille ne sortait jamais de sa mansarde sans être emmitouflée dans un merveilleux cachemire qui lui venait de son mari. Elle n’avait plus que cela de son passé.

Les bijoux, un à un, étaient partis pour le Mont-de-Piété ; mais, dans les heures de la plus affreuse misère, elle n’avait pas voulu vendre ce châle qui lui rappelait les mois très heureux de la lune de miel, les extases divines des premiers baisers échangés. Et il fallait voir, au retour de ses courtes promenades, comme elle le brossait, comme elle le secouait, comme elle le pliait avec des soins maternels.

Son surnom de « Mâme Cachemire » lui venait de cette lamentable et suprême parure, car rien n’était plus morosement comique que cette pauvre vieille loqueteuse trottinant par les rues avec ce châle de jeune mariée retombant à plis droits sur son échine voûtée. Les ouvriers gaudriolaient et se retournaient comme au passage d’une mascarade. Les voyous glapissaient quelque ordurière plaisanterie. Et elle continuait sa route, indifférente, n’entendant pas, poursuivie perpétuellement par la vision d’or qui la torturait…

Et cette pauvre petite vieille marionnette finit comme finissent tous les abandonnés du grand Paris. Pendant plusieurs jours, les voisins ne la virent pas descendre. On s’inquiéta. On enfonça la porte. Le fourneau était plein de cendres. Au-dessus apparaissaient des débris de verre et de larges taches jaunâtres. Et sur une couchette sale, son merveilleux châle indien lui couvrant les jambes, Mâme Cachemire reposait rigide, sèche, pareille à une momie embaumée. Elle était morte de faim, en cherchant l’introuvable problème de la pierre philosophale…

On vendit le cachemire pour payer les funérailles et le cercueil — un tout petit cercueil qui faisait songer à ces vers mélancoliques de Baudelaire :

Avez-vous observé que maints cercueils de vieilles
Sont presque aussi petits que celui d’un enfant ?
La Mort savante met dans ces bières pareilles
Un symbole d’un goût bizarre et captivant.

Et nous étions trois derrière le misérable corbillard qui l’a emportée vers la fosse commune — la fosse où dorment côte à côte leur sommeil de paix ceux qui n’ont pas eu de nom sur terre et ceux qui sont trépassés sans le sou !


LA
VICTOIRE DE NINOCHE


I



Relisez-moi ça, Véronique ! balbutia d’une voix oppressée le commandant Lagleize.

Ses mains déformées par les attaques de goutte tremblaient. Il étouffait dans sa cravate noire étroitement serrée comme un col d’ordonnance. Sa large face couturée de rides profondes blémissait et des gouttes de sueur perlaient le long de ses joues pâteuses.

— Nom de Dieu, lisez plus vite ! reprit-il en cognant la table d’un coup de poing furieux.

La vieille servante effarée tortillait le papier entre ses doigts. Alors, épelant les phrases une à une avec des lenteurs embarrassées, s’arrêtant, hésitant, écorchant les mots, elle déchiffra la lettre de Maxime.

« Cher papa, écrivait-il, je ne sais comment t’annoncer cette… »

— Plus vite, plus vite ! interrompit le commandant.

Véronique continua comme si elle eût psalmodié, sans y rien comprendre, une prière latine.

« … Grosse nouvelle… On m’offre une excellente place dans les bureaux d’une nouvelle société financière, et je suis décidé à donner ma démission… »

— Tonnerre de sort ! cria le vieux. J’avais donc bien lu !…

Et il ajouta, scandant péniblement chaque mot :

— Maxime veut donner sa démission !…

Ah ! c’était du propre, depuis la date de malheur, où le régiment du petit avait été envoyé à Paris ! Les mauvaises nouvelles se succédaient comme les coups pressés d’une cloche qui sonne le glas.

En quelques mois, Maxime avait croqué jusqu’au dernier écu l’héritage de la pauvre maman. Maintenant, il voulait quitter l’armée, aller comme un riz-pain-sel gratter du papier, faire des additions du matin au soir, s’encanailler dans un sale bureau. Et, triste à en pleurer, le père se rappelait ses rêves, ses béatitudes passées, son orgueil infini lorsque Maxime avait été reçu dans les premiers numéros à Saint-Cyr, lorsqu’il avait obtenu son deuxième galon. Il avait mis toutes ses ambitions déçues d’autrefois dans son fils. Il grandissait avec lui. Il vivait de sa vie. Il avait calculé déjà l’année où l’enfant serait nommé capitaine. Il avait rêvé d’une épopée flamboyante où Maxime gagnerait ses étoiles. Il espérait vivre longtemps, très longtemps pour voir cela. Et brutalement tout craquait, tout s’effondrait comme une maison mal bâtie.

Il réfléchit, étreignant son front de ses deux mains. Il ne savait plus que croire.

Il cherchait dans un écœurement douloureux les causes de cette dégringolade.

— Il y a des jupons là-dessous ! murmura-t-il enfin. Maxime est dans la glu et ne peut s’en dépêtrer. Mais nous verrons bien…

Le lendemain, à la grande stupéfaction de Véronique, le commandant bouclait sa valise et prenait le train de Paris sans prévenir personne, pas même les camarades du café National, qui l’attendirent inquiètement trois longues heures avant de commencer l’habituelle partie de dominos.


II


Maxime, en effet, était dans la glu. De jour en jour il perdait ses dernières forces, heureux d’être vaincu, d’obéir aux caprices fantasques d’une femme, d’oublier tout ce qui n’était pas elle, le rire éclatant de ses lèvres, le rayonnement de sa toison, le parfum bestial de sa chair. Il l’avait rencontrée, un soir de mardi-gras, dans la cohue d’un bal masqué. On avait soupé ensemble. Puis, sans savoir pourquoi, ni comment, Maxime avait gardé la clef de la belle et les amoureux ne s’étaient plus désenlacés.

Ninoche avait vingt ans et savait encore aimer. Toute pâle, toute mièvre, toute drôle, pareille à ces grandes fleurs qui poussent sur les tas de fumier, elle avait l’allure endiablée, la gaminerie désirable des jolies trottins qui dégringolent, le matin, les rues de Montmartre, portant leurs corsets dans un journal chiffonné, coiffées de quatre épingles et bâillant, éreintées d’une nuit blanche. Maxime, qui avait toujours vécu en des trous moroses de province, qui ne connaissait de l’amour que des bonnes fortunes ridicules avec des bourgeoises laides et les voluptés tarifées qui soulèvent le cœur comme des boissons fades, s’émerveillait des gestes, des poses, des toilettes fagotées d’un coup de main, du ramage étourdissant de sa maîtresse.

Ninoche lui apprenait Paris. Ils ne se quittaient pas, roulant comme des fous du cabaret au théâtre, du théâtre aux beuglants des Champs-Élysées. Et c’étaient aussi des parties charmantes à travers cette ceinture verte qui étreint la grande ville. Elle le guidait vers les cerisiers de Montmorency, dans les guinguettes du Bas-Meudon. Ils canotaient. Ils s’égaraient dans les bois. Ninoche adorait Maxime. Elle le décavait naïvement, habituée qu’elle était à avoir les poches trouées, à jeter l’argent par les fenêtres, à ne se rien refuser, ni des fraises en février ni des perdreaux en juillet. Ainsi, l’héritage modeste que Maxime tenait de sa mère avait disparu comme d’un coup de râteau. Ses appointements de lieutenant étaient dévorés trois mois à l’avance. Il empruntait, il empruntait, mendiant à toutes les portes, ne pouvant se décider à dire non, quand Ninoche, assise sur ses genoux, le caressant de ses bras nus, lui avouait une fantaisie nouvelle. Et ce fut dans cet emportement de passion qu’à la fin d’octobre Maxime reçut l’ordre ministériel qui renvoyait son bataillon dans un fort de Lorraine. Il n’hésita pas. Ninoche le suppliait, se désolait, l’invoquait, les mains jointes. Elle se faisait plus tendre, plus sensuelle, plus victorieuse. Il promit de signer sa démission et de ne pas l’abandonner. Mais, attristé pour la première fois, il se demandait ce qu’il allait devenir maintenant, comment il payerait ses dettes, comment il gagnerait son pain, comment surtout le père — le vieux soldat qui avait eu foi en lui — accepterait l’implacable nouvelle.


III


À peine arrivé, le commandant sonnait chez son fils. Il ne trouva personne. Il se rendit à la caserne. On lui répondit que Maxime avait une permission de quatre jours. Il attendit quatre jours, désespéré, vieillissant, craignant de mourir dans la chambre d’hôtel où il comptait les heures, où la douleur s’enfonçait dans sa cervelle comme un coin aigu. Enfin, le cinquième jour, il revint au logis de Maxime. L’espoir renaissait au fond de son cœur. Il voyait l’enfant bien-aimé se jeter dans ses bras, lui accorder tout ce qu’il lui demanderait. Hélas ! sa porte était close encore. Et le concierge lui dit en rigolant :

— Monsieur Lagleize ne couche jamais ici !

— Où donc alors ! questionna-t-il.

— Chez sa petite dame, parbleu. Une gaillarde qui a l’air de bien le mener !

Il griffonna l’adresse sur une carte, et sortit.

Ninoche était seule quand le vieux entra, boutonné dans sa redingote noire, les sourcils froncés, boitant de la jambe gauche et les yeux brûlés d’un éclat farouche. Elle se leva, étonnée, serrant le peignoir de soie dont les plis transparents moulaient son buste demi nu.

— Est-ce vous qu’entretient mon fils ? dit Lagleize d’un accent hautain, comme s’il eût voulu cravacher la belle créature qui se dressait devant lui.

— Je ne vous comprends pas, monsieur ! fit Ninoche.

— Où est Maxime ? reprit obstinément le vieux.

— Monsieur Lagleize est sorti.

— Je l’attendrai !

Il s’assit sur un fauteuil.

Ninoche comprenait maintenant. C’était le père, celui dont Maxime ne parlait qu’avec respect. Et il venait pour lui reprendre son amoureux, pour lui dicter sa volonté et le chasser loin de Paris. La partie était presque perdue. Il fallait tricher pour la gagner. Qu’importe ce qui en adviendrait ? Et, s’étant approchée du commandant, adoucissant le regard clair de ses prunelles vertes, caressante, à mi-voix, elle s’écria :

— Vous m’en voulez donc bien, monsieur ?

Lagleize ne répondit rien. Il sifflotait une fanfare entre ses lèvres crispées.

— Vous croyez, j’en suis sûr, que j’ai conseillé à Maxime de donner sa démission.

Il sursauta.

— Qui donc le lui aurait conseillé, alors ?

Elle s’approcha encore. Son peignoir se dépliait. Sa nudité fraîche rosait la soie rose. Un bouquet de jasmins répandait dans la chambre une odeur forte de musc et de vanille.

— Si Maxime était là, fit-elle, il vous dirait toutes les prières que je lui ai adressées, que je lui adresse du matin au soir, pour qu’il renonce à ce projet absurde, pour qu’il garde son épaulette.

Elle lui tendit la main.

— Voyons, m’en voulez-vous toujours autant ?

Le commandant défaillait. Le charme troublant de cette fille, sa voix qui avait des résonnances exquises de musique, la vision de chair qui papillotait autour de lui envahissait son être d’une lassitude lourde. Il pressa la main qu’elle lui tendait. Et, malgré lui, comme bercé, comme grisé, il s’abandonna. Ils causaient comme de vieux amis qui se sont retrouvés après une longue absence. Ils parlaient de Maxime. Ils parlèrent bientôt d’autre chose. Des bouffées de jeunesse redressaient la taille courbée du commandant. Il ne songeait plus à son fils, à ses angoisses, à ses tourments. Ninoche l’avait entraîné sur un sofa. Elle appuyait sa tête décoiffée à l’épaule du vieux, jaunissant d’une poudre parfumée le collet noir de la redingote. Elle le tentait, plaisantait, lui contant des blagues risquées, l’interrogeant sur ses bonnes fortunes d’antan. Elle jouait la comédie, bernant ce Cassandre naïf comme une artiste de haute race. Il l’avait enlacée de ses bras. Et Maxime, qui revenait de la caserne, les surprit ainsi.

Le commandant se releva aussitôt, chancelant, les oreilles bourdonnantes, les yeux éblouis, éperdu de honte et de colère. Maxime se taisait. Un silence morne s’alourdissait sur cette scène tragique. Alors, Ninoche éclata de rire, d’un rire strident et moqueur :

— Osez donc lui ordonner maintenant de me lâcher ! cria-t-elle triomphante.


IV


Lagleize retourna dans sa petite ville. On ne le revit plus ni dans les rues, ni sur le Mail, ni au café National. Il ne disait plus une parole à sa vieille servante. Il ne mangeait pas. La nuit, il se promenait de long en large dans son salon. Il avait brûlé tous les portraits de son fils. Ils lui rappelaient sa honte. Et, un matin, Véronique, ayant entendu comme le bruit d’un meuble s’écroulant massivement, trouva le commandant étendu sur le plancher. Il était mort d’une attaque d’apoplexie en lisant au Moniteur de l’Armée la démission de Maxime.


AU VILLAGE


I



Et quand je me rappelle le village au bout de la route blanche, d’où s’enlèvent à chaque coup de vent des traînées vagues de poussière, les haies vertes, les seigles qui ondulent tout là-bas jusqu’à la bande mystérieuse de l’horizon et mettent dans le paysage comme le flottement calme d’une mer, puis les murs de terre sèche que couronnent des touffes d’orties en fleur, les toits de tuiles comme incendiés par la flambaison du plein soleil ; les vols de pigeons s’éparpillant dans le ciel bleu, les cerisiers dont les branches croulent comme sous des avalanches de neige, et la rue sale, barrée par les tas de fumier, silencieuse, où les couples de bœufs passent très lentement, où les vieilles gens marmonnent en prenant le chaud, où les poules picorent entre les cailloux et poursuivent les papillons aventureux, quand je me rappelle ce décor paisible d’églogue devant lequel on se sent comme un besoin de repos, comme une lassitude des membres, et je ne sais quel désir profond d’y vivre longtemps, d’y vivre toujours, je songe avec d’âpres colères à la pauvre petite Annyl, à l’enfant tant douce, tant jolie qu’ils ont tuée, — les mauvais !

Les propos commencèrent un matin autour du puits large, aux margelles usées, où les filles viennent remplir leurs lourdes cruches et bavardent familièrement, tandis que les seaux s’égouttent avec une chanson claire.

La Toinette, une commère hâlée qui eût brouillé les douze apôtres, ayant alléché la bande par des paroles hésitantes, une histoire d’amour interrompue aux premières phrases, avait enfin jacassé d’un ton effronté, en montrant la petite qui raccommodait des tricots sur sa porte :

— Regardez donc cette Annyl qui se donne des airs de Sainte-Vierge ! Ça fait suer de voir des choses pareilles ! Tire l’aiguille, Margot, tire l’aiguille, baisse les yeux, rougis quand les garçons t’appellent, cela n’empêche pas qu’on te chasserait bien vite de la congrégation, et que les anciens te frotteraient les jupes si je racontais seulement…

— Personne ne te croirait, Toinette ! interrompirent les autres avec des rires moqueurs.

— Chercheuse de poux ! cria Marie Fresquoul.

— On perdrait son temps à chercher les tiens, la belle ! reprit Toinette.

Et, haussant les épaules, elle ajouta :

— Puisque vous faites toutes vos dévotions à l’autel de la demoiselle, je garde mes secrets pour moi.

Elle souleva sa cruche et la posa d’un geste robuste sur ses cheveux épais.

— Bonsoir, la compagnie ! fit-elle et le visage négligeamment détourné ; quand vous causerez avec Annyl, demandez-lui donc des nouvelles de Tistet, le taupier de Villevote, et si l’herbe des bois était fraîche — le soir du fenêtra !

Le lendemain, les brocards de la Toinette furent colportés de maison en maison. Comment, Annyl, l’héritière des Peyramale, si jeunette, si timide, avait fauté avant d’attendre même ses vingt ans ! Elle courait les galants, l’innocente. Et quels galants ! Un gueux n’ayant pas trois pistoles dans un nœud de mouchoir, vagabondant les douze mois de l’an par la campagne pour exercer son métier de crève-la-faim !

Et l’on enjolivait déjà de détails cruels l’histoire première. Les amoureux se voyaient chaque nuit. Elle se languissait du Tistet, toutes les longues heures des jours où elle ne pouvait le contempler et se sentir enveloppée de ses bras puissants. Elle s’endormait sur sa chaise en travaillant. Elle maigrissait à cette besogne de perdue qui lui cassait l’échine et lui cernait les yeux. On pouvait avoir un amoureux. Toutes les filles avaient leur promis. Elles connaissaient toujours le péché avant le sacrement. Mais, Annyl dansait trop le guilledou, en vérité, et elle y laisserait son âme et son corps.

C’était ainsi que, sans trêve, discouraient les méchants paroissiens du village, comme des roquets hargneux qui hurlent aux étoiles dans le silence mélancolique des clairs de lune.

L’héritière des Peyramale avait-elle donc mérité ces insultes implacables ? Avait-elle vraiment connu l’émoi mystérieux, la joie délirante dont rêvent maladivement les belles filles pendant ces nuits lourdes d’août, où le sommeil ne peut clore les paupières ? Pauvre d’elle, elle ignorait presque ce que c’était. Elle rayonnait en sa virginité sainte comme un lys qui s’ouvre doucement à l’aube.

Elle aimait cependant avec une naïveté farouche, elle aimait ce Tistet, ce garçon vêtu d’une peau de bique, en haillons, qui mendiait parfois un tortillon de pain et un coin dans la grange, aux fermes, quand l’ouvrage n’allait pas. Elle l’aimait parce qu’il était pauvre, déshérité, parce que les autres filles lui riaient au nez, parce qu’il était seul en ce monde, à tirer sa dure vie. Elle s’apitoya d’abord et cette pitié se fondit peu à peu en un amour très doux. Puis, les yeux du taupier luisaient d’une clarté si caressante, sa voix avait un charme triste et, lorsqu’il chantait, le cœur battait à coups plus forts.

Annyl aimait le taupier.

Et le soir du fenêtra — la Toinette n’avait menti qu’à demi — dans le tumulte fou des rondes, les deux jeunesses s’étaient sauvées vers le noir en se tenant la main. Tistet l’avait implorée avec de telles prières qu’elle n’avait pas su dire non.

Et ils avaient erré le long des chemins, troublés d’être seuls pour la première fois, s’enfonçant dans l’ombre ténébreuse des feuillages. Elle n’osait pas lui parler. Il n’osait pas l’enlacer d’une étreinte folle.

Ils étaient revenus sur la place sans avoir échangé seulement un de ces baisers furtifs dont la tiédeur s’éternise aux lèvres comme un parfum subtil que rien ne peut chasser !


II


L’automne finissant, Annyl eut la mauvaise fièvre d’octobre. Elle grelottait tout le jour. Ses pommettes saillaient, comme plaquées maladroitement de fard. Ses jambes flageolaient. Elle n’avait plus la force de marcher. Un matin, elle ne put se lever, et elle resta étendue dans ses toiles, comme morte, n’entendant pas les phrases qu’on chuchotait auprès de son lit, ne reconnaissant pas les figures familières.

— Les cloches sonneront bientôt un baptême ! répétèrent railleusement les voisins.

— Un baptême ! et pourquoi, pécaïre ?

— Et donc, pour un petit Tistet. Vous ne saviez pas que l’Annyl est en mal d’enfant ?

Les Peyramale, de rudes métayers qui ne songeaient qu’à leurs semailles et à bien vendre les sacs de grains, s’étaient moqués jusque-là des médisantes calomnies qui, du matin au soir, leur bourdonnaient partout aux oreilles. Leur fille couchait auprès d’eux ; elle ne quittait pas la maison. Et, les soirs de fête, c’était la plus tôt rentrée du village.

— Je vous en souhaite une jumelle ! répondaient-ils à tous.

Mais cette antienne nouvelle qu’on débitait à leur porte les étourdit comme un brusque coup de cloche. Ils doutèrent. Annyl ne les avait-elle pas trompés ! N’avait-elle pas joué une comédie de vertu pour les rendre sourds au concert des autres ? Cette maladie qui la clouait débile, comme paralysée sur la paillasse, n’était-ce pas le mal honteux dont les amis se gaussaient en se tenant les côtes ?

Et rageusement, croyant enfin à toutes ces calembredaines, ils clamèrent plus haut que tous. Leur fille ramassait donc des galants sur les grandes routes ? Elle couchait dans les fossés. Il lui fallait des mendiants à cette pourrie. C’était du propre ; et l’on avait économisé des sous et des écus, on avait sué sur la glèbe, on s’était courbé la carcasse pour enrichir monsieur Tistet, un claque-dents sans papiers ni famille.

Alors ils accablèrent la malade de haineuses injures. Ils la tourmentaient. Ils la rossaient comme une bête rétive ; ils l’obligeaient à travailler malgré ses souffrances, et lorsqu’elle roulait sous les fardeaux trop lourds, lorsqu’elle demandait grâce d’une voix sangloteuse, qu’elle les suppliait de ne pas croire les mensonges qu’on racontait, les anciens secouaient la malheureuse ; ils lui criaient durement :

— Hue ! feignante ! Tistet te consolera !

Elle connut toutes les misères, toutes les souffrances, toutes les hontes. Tistet, croyant qu’elle s’était donnée à un autre, l’avait oubliée et courait ailleurs les aventures. Et, abandonnée de tous, lassée de souffrances, à la nuit tombante, un soir, elle se sauva du logis, résolue à mourir. La voie du chemin de fer longeait les dernières maisons du village. Annyl s’étendit sur les rails, attendant la mort avec une impatience désespérée, et le train broya son corps immaculé.

Voilà pourquoi, lorsque je revois le village, au bout de la route blanche, ce décor paisible d’églogue devant lequel on se sent comme un besoin de repos, et je ne sais quel désir profond d’y vivre longtemps, d’y vivre toujours, je songe avec d’âpres colères à la pauvre petite Annyl, l’enfant tant douce, tant jolie, qu’ils ont tuée — les mauvais !…


LA
VIERGE À LA CHAISE


I



Leur mariage ressembla à un enterrement morne. Un enterrement d’oublié que des amis distraits et bâillant accompagnent au cimetière. Joseph Montagne avait été porté par les laquais dans le vaste salon banal de l’hôtel. Aucune lueur vitale n’éclairait le regard fixe de ses yeux atones. Il reposait inerte sur un large meuble d’acajou d’où s’échappaient par instants des odeurs fétides de malade. Les jambes pendaient emmaillotées de couvertures épaisses. Une calotte de velours noir recouvrait sa nuque chauve et avivait encore la pâleur d’ivoire du visage. Et n’eût été le mâchonnement perpétuel des lèvres, le bruit faible de sa respiration et une sorte de tremblement frileux qui agitait ses doigts amaigris, on aurait pris le millionnaire démoli par la vie parisienne pour une momie déjà mangée aux vers.

Assise à côté de lui, Mlle Elvire Tripard attendait impatiemment la fin de cette cérémonie à la fois comique et funèbre. Elle portait une toilette simple, — une robe de moire qui tombait à plis droits comme celles des Immaculées qu’on nimbe de cierges et de couronnes florales.

Tandis que d’un air distrait le maire de l’arrondissement lisait les articles du code, derrière eux les témoins chuchotaient discrètement, faisaient très bas des réflexions drôles que suivait un pouffement de rire étouffé. Et l’artiste avait hâte de jeter tout ce monde gouailleur à la porte, d’imposer enfin ses volontés à la valetaille de prendre légalement possession de ses millions, de son logis, de ce malade auquel une chiquenaude d’enfant donnerait le coup de grâce.

Quand il fallut répondre la formule sacramentelle, Joseph Montagne parut se réveiller de sa somnolence morbide. Il chercha à tâtons la main froide d’Elvire. Il la regarda inquiètement comme s’il eût douté qu’elle fût là — tout près de lui — et se raidissant, de la salive aux lèvres — il bredouilla un oui inarticulé.

Elvire s’inclina à son tour avec une émotion factice que démentait son accent triomphant.

Le banquier s’animait. La vibration claire de cette voix le ressuscitait. Il eut la force de signer, mais il s’affaissa aussitôt assommé et ce fut tellement malpropre, qu’un des témoins de la mariée, le chroniqueur Pierre Laurens, s’écria moqueusement, en se tamponnant le nez de son mouchoir :

— D’honneur ! on dirait la Vierge à la Chaise, recommencée par quelque rapin naturaliste !


II


La Vierge à la Chaise — le mot courut le lendemain du mariage dans toutes les gazettes — n’était pas belle, mais, selon la délicate expression d’un conteur du dix-huitième siècle — on eût voulu lui ressembler. Ni la laideur qui attire et fouette les sens blasés comme un ragoût saupoudré de poivre rouge. Ni la beauté qui extasie, qui laisse au cœur du désir et du rêve. Un charme étrange, changeant comme la mer, inoubliable. Dans les contours grêles de son corps se retrouvait l’expression hallucinante de la statue d’Hermaphrodite. Elle avait le profil judaïque, un grand diable de nez busqué comme le bec d’un épervier, des yeux verts striés de paillettes d’or, sans trève brûlés d’une flambaison de fièvre. Et de cette figure, on ne gardait que le souvenir détraquant des yeux et de la bouche rouge, mince, palpitante, comme accoutumée à d’insatiables ivresses.

Les débuts d’Elvire avaient été lamentables. Misère et compagnie avec une maman à cabas, qui l’accompagnait au Louvre, et déroutait les quêteurs d’aventures. Les copies se vendaient quatre sous. Ses tableaux ne se vendaient pas.

Puis à fréquenter les cours de Chaplin et de Bouguereau, elle apprit l’art d’exportation, la peinture que les neveux de l’oncle Sam couvrent de dollars, et qu’admirent religieusement les honnêtes négociants de la rue du Sentier, aux expositions annuelles. Elle sut broyer du coldcream rose avec la même facilité que ses maîtres. Les nudités allégoriques qui s’envolent, poursuivies par les papillons, et cueillant des fleurs, les aurores en baudruche, et les Psychés en porcelaine, devinrent bientôt sa spécialité.

Le jury la médailla. Les critiques pédants qui regrettent le baron Gros et Horace Vernet l’encensèrent ainsi qu’une déité nouvelle. La signature d’Elvire Tripard fit prime sur le marché. Les commandes se multipliaient.

L’artiste se débarrassa de la maman et de son cabas comme d’une loque inutile. Et seule, libre de ses actes, elle planta son chevalet près du parc Monceaux, dans une petite maison calme et enfouie au fond d’un jardin. Elle y donna des leçons.

Son atelier fut à la mode en deux mois.

Elvire Tripard dut refuser des élèves. Toutes les jolies rastaquouères du quartier se sentaient une irrésistible vocation pour la peinture, et si la porte de l’atelier n’eût toujours été close aux hommes pendant les cours, on se serait bien heureusement attardé des heures et des heures à regarder ces têtes de misses roses et blondes et à écouter leur bavardage, comme devant une grande cage où tirelirent des oiseaux des îles. L’ordre était formel, — même pour les marchands de tableaux.

On en jasa. De méchantes histoires traînèrent. Des histoires extraordinaires de modèles brusquement lancés sans qu’on leur connût aucun amant sérieux, de jeunes filles devenant phthisiques les unes après les autres, d’une contagion de vice qui s’étendait dans ce moment-là comme une tache d’huile. Certaines, curieuses de nouveau et lasses des leçons d’Elvire Tripard, entr’ouvrirent la porte de l’atelier et avouèrent effrontément la vérité. Et cela causa un tel tapage que l’artiste ferma la boutique et partit pour l’Italie.


III


Le banquier Joseph Montagne rencontra Elvire à Bordighera. Il y chauffait au soleil sa carcasse usée, marchant cahin-caha sous une large ombrelle et geignant à chaque pas comme un enfant souffreteux. La maladie le minait. Son intelligence s’éteignait comme une chandelle secouée par un coup de vent farouche. Il ne parvenait pas à balbutier trois phrases de suite sans d’intolérables efforts. Et, malgré ses tortures renaissantes, l’angoisse horrible du gâtisme croissant dont l’on scrute soi-même les progrès, Joseph Montagne regrettait ses maîtresses perdues, aussi bien Rosa Valence que la blonde baronne de Lantilly — la dernière — cette enragée d’amour qui l’avait croqué d’une bouchée comme un sandwich au caviar. Il regrettait la mère Leprince et ses soirées intimes auxquelles, comme le disait un prospectus secret, « ne seraient reçus que des gens d’un âge respectable et d’une honorabilité reconnue. » Et le soleil, et la mer éternellement bleue et l’enchantement des paysages baignés de lumière éblouissante l’exaspéraient. Elvire Tripard l’ensorcela. Elle apportait de l’odeur de Paris dans ses jupes. Montagne connaissait comme tout le monde l’histoire du fameux cours de peinture. L’artiste le tentait comme la lecture d’un livre sadique. Et du jour où il eut entrevu, les yeux cerclés de bistre et sa bouche trop rouge, il oublia le passé, Elvire s’empara de lui, fut son ombre. Elle ne le quittait pas, le soignant, le dorlotant comme une sœur de charité. Il s’habitua à la voir, à l’écouter. Elle entra dans son existence. Ils se promenaient ensemble au bord de la mer. Elle joua son rôle à la perfection, le flattant, l’enveloppant, mêlant à des théories bourgeoises d’esthétique des anecdotes pimentées et des rêves de débauches monstrueuses qui enfiévraient le malade et aiguillonnaient son cœur pourri. Il l’adora. Il n’avait pas de famille, seulement des cousins inconnus. La savante lui arracha millions par millions son immense fortune.

Et plus elle s’enrichissait, plus grandissait la maladie effrayante du banquier, comme un feu qu’attisent des mains opiniâtres…


IV


Le mariage a achevé Joseph Montagne.

C’était une question de mois. C’est aujourd’hui une question d’heures. Il ne remue pas, toujours couché, toujours endormi. Elvire Tripard l’abandonne aux domestiques et l’a relégué comme un vieux meuble dans une mansarde. Elle compte les minutes. Elle voudrait entendre enfin les pas lourds des croquemorts craquant sur les marches des escaliers.

Et elle rêve d’ouvrir un nouveau cours — un cours gratuit de jeunes filles — où elle rassemblera comme dans un musée secret les plus beaux, les plus effrontés modèles qui aient encore cambré leurs torses nus dans la clarté fausse des verrières…


L’AUBERGE HANTÉE


I



Elle se campait au bord de la grand’route blanche qui ondule comme un long voile de mariée, l’auberge de maître Martel-Boullidou. Rien qu’à voir son enseigne claire où flambait un soleil d’or — le beau soleil de Provence — et la treille qui verdissait, les murs et la porte d’où s’évaporaient des odeurs fortes de cuisine, on sentait ses jambes s’alourdir et la tentation vous prenait d’une halte arrosée de vin clairet.

Des mûriers aux larges feuilles luisantes que ne cueillaient jamais les doigts alertes des magnanarelles étendaient un tapis d’ombre devant la façade. Un jardin — l’éternel jardin des paysans — l’entourait de rosiers rouges, de pêchers grêles et de légumes séchant dans la terre craquelée. Et les immenses bois de pins dont l’on entendait le monotone murmure, pareil à des vagues lentes se brisant dans le sable ; les bois montant jusqu’aux cimes brûlées de l’Esterel étendaient comme un rideau mystérieux sur l’horizon.

Maître Martel y emplissait chaque jour sa tirelire de bons écus sonnants, car de l’aube au crépuscule — souvent même dans la nuit, la procession n’en finissait pas de charretons lourds et bruyants, de mules embardées jusqu’aux oreilles, et de carrioles qui s’arrêtaient pour cinq minutes et demeuraient des heures. Et c’était un concert perpétuel de fouets claquant, de grelots tintant, de joyeux rires et de jurements tumultueux se répondant comme des appels de fifres.

L’auberge de maître Martel ressemblait au pont d’Avignon — le vieux pont de briques roses où jadis ne s’interrompait jamais le tapage endiablé des tambourinaires. Et de Draguignan à Fréjus, tous les rouliers, tous les ramasseurs de poussière, tous les robustes compères qui aiment au plein chaud à tremper leurs lèvres dans un verre de muscat et à jouer l’écot en une interminable partie de boules — connaissaient l’enseigne du Soleil d’or et l’héritière de l’hôtelier, la petite Reine, dont les vingt ans en fleur attiraient les calignaïres comme des phalènes vers la flamme tremblotante d’une chandelle.


II


La paroissienne était jolie à miracle. Hâlée comme un fruit mûr où le soleil a semé des taches blondes, fraîche et propre, parfumée de jeunesse avec une bouche qui souriait et semblait gourmande de tout ce qui est défendu. Ses yeux noirs luisaient comme ces étangs profonds qu’illuminent des lueurs furtives d’étoiles. Et les cheveux débordaient emmêlés ainsi que des écheveaux de soie, sous les larges ailes de son chapeau de paille. On eût dit qu’il bruissait sans trêve à ses oreilles un entraînant fredon de danse et que ses hanches robustes frissonnaient encore d’enlacements inoubliés, tant, lorsqu’elle marchait, elle avait un balancement rythmique et troublant. Dans la salle à demi obscure, où la lumière pénétrait piquetée d’innombrables mouches par la porte ouverte, elle rayonnait victorieusement et elle méritait bien son nom despotique de Reine. Elle le méritait, par son dédain triomphal, son indifférence naïve de gamine qui se raille des dévots qui plient leurs genoux devant elle, qui brament des tendresses vaines et tendent leurs mains jointes éperdûment. Reine promettait aux uns et aux autres avec son sourire heureux, mais autant en balayaient les coups de mistral et l’on eût cru que le cœur de la belle héritière avait été emporté — un soir — par delà les montagnes, dans la mer bleue, par l’impétueuse ventée qui tord les arbres et épouvante les oiseaux.


III


Parfois — durant l’été — quand, aux bourgs voisins, il y avait un « romérage » et que par la nuit d’étoiles, — la belle nuit chaude qu’embaumait l’âpre odeur des champs brûlés — les ménagères s’en revenaient ensemble menant la farandole tout le long du chemin, la bande joyeuse cognait à la porte de l’auberge. Et l’on dansait alors jusqu’à pointe d’aube — au milieu de la route, tandis que le joueur de tutu-panpan tambourinait à crever sa caisse. Les bouteilles de vin doux se vidaient. Reine — la jolie Reine — emplissait les verres et conduisait la danse. Et zou, il fallait voir comme elle se déhanchait, un peu grise, telle qu’une tourde qui aurait picoré dans les vignes mûres.

Les garçons en profitaient pour lui serrer la taille et lui conter leurs meilleures antiennes.

Et elle souriait, la moqueuse, croyant son bonnet bien épinglé sur ses cheveux noirs et son fichu d’indienne bien noué sur son corsage.

Elle respirait la fleur d’amour indolemment, en curieuse, sans cesser de sourire, sans se défendre contre l’émoi subtil qui l’engourdissait peu à peu.

Elle se croyait sûre de répondre non, de tourner sur ses talons si l’aventure devenait trop galante

Pauvre petite Reine !


IV


Maintenant, au bord de la grande route blanche, l’auberge de maître Martel-Boullidou dort abandonnée. Les volets sont clos. La treille barre la porte vermoulue. L’herbe et les ronces étouffent les rosiers flétris. On dirait que la mort a passé par là, qu’elle a verrouillé implacablement le logis hospitalier devant lequel les chevaux des charrettes s’arrêtaient d’eux-mêmes, se rappelant les râteliers pleins d’avoine et la litière épaisse où s’enfoncent les sabots. La tristesse des choses, la morne mélancolie dont parle le poète latin, enveloppe la vaste maison silencieuse.

Dans le pays, les commères racontent toute une histoire ténébreuse de revenants, de hantises diaboliques, d’un mauvais sort qui fut jeté on ne sait par quel jaloux à la belle héritière de maître Martel et qui la laissa toute dolente, toute malade — si malade que les vieux, désespérés, fermèrent leur auberge un matin et sont partis pour un autre pays. Et l’on parle souvent en s’apitoyant de la malheureuse ensorcelée qui repoussait tous les galants et se raillait de l’amour comme d’une bêtise coupable. Mais Cézaire Védrine, le tuilier de Cabasson qui sait lire et signer son nom et qui ne croit pas plus aux esprits qu’à la vertu des filles, me jurait hier qu’une nuit de farandole, Reine avait été regarder les étoiles dans les blés mûrs. De belles noces, pécaïre, sans la permission du bon Dieu, si belles, si brûlées de baisers tendres que la pauvre en avait rapporté le mal d’enfant. Et crucifié dans son orgueil, brisé de douleur comme si les quatre murs de l’auberge se fussent écroulés sur lui, maître Martel, pour sauver l’honneur de la famille et cacher la faute de son héritière, avait inventé ce conte de vieille femme. Puis, sans bonjour ni bonsoir, les Boullidoux s’étaient sauvés bien loin, n’importe où, acceptant d’être pauvres, abandonnant leur auberge, que personne n’osait plus acheter.

Que sont-ils devenus ? Reviendront-ils essuyer leur enseigne ternie et ouvrir leur porte lamentablement close ? Qu’importe, puisqu’à vingt lieues à la ronde on louange encore comme une sainte vierge, Reine, l’immaculée dont nul ne dénoua le fichu d’indienne !


L’ABANDOUNADO





Écrevisses bordelaises ! proposa ensuite gravement le maître d’hôtel, qui griffonnait au crayon, sur une carte, le menu du souper.

— Tout ce qu’on voudra, mais pas d’écrevisses ! interrompit le poète Jean Domeyral avec une telle expression de dégoût que les autres se regardèrent, étonnés.

Et, jouant distraitement avec sa fourchette, Dodo — comme l’appelaient familièrement les drôlesses — reprit d’une voix lente :

— Non, quand même, pour me décider, cet estimable baron de Rothschild m’offrirait une demi-douzaine de millions ; quand même la comtesse Josiane, cette blonde entre les blondes, me laisserait une heure lui parler d’amour, je ne mangerais pas une écrevisse !

— Vieux type, va, fit Liline Ablette en appuyant sa jolie tête de bacchante sur l’épaule du poète.

Dodo la baisa sur les yeux, but à lampées gourmandes un verre de Château-Yquem et il continua, morose, comme s’il eut récité les phrases funèbres d’un testament :

— Mesdames et messieurs, c’est toute une élégie, et j’ai l’honneur de vous assurer qu’elle n’est pas gaie !

On éclata de rire, tant la chose paraissait invraisemblable.

Le poète haussa les épaules, et, les yeux perdus comme dans la contemplation de choses invisibles, il commença son histoire.

Cela datait de loin, du temps où il habitait encore la vieille maison familiale dans une rue calme de petite ville ; où il n’avait pas usé toutes ses forces à noircir du papier, à chercher sa provende amoureuse dans tous les râteliers. Il se rappelait le logis avec sa cuisine pleine de cuivres étincelants, le meuble empire du salon, le carrelage luisant des chambres, les immenses armoires de la lingerie d’où s’évaporaient des odeurs de lavande et de fraîche lessive, et le jardin régulièrement planté de buis taillés et de rosiers. Ah ! le bon temps de jeunesse trop vite rayé du calendrier !

Il y avait alors à Saint-Martejoux une pauvre petite gueuse qui courait nu-pieds les rues et vendait des écrevisses. On entendait tout le jour sa voix grêle criant de porte en porte sur un air monotone :

« Escrébissos ! Escrébissos ! Soun toutos en bio ! Soun toutos frescos ! »

Un matin d’octobre, on l’avait ramassée dans un terrain vague, où elle geignait parmi les hautes herbes, grelottante de rosée. Elle avait été abandonnée là par des rétameurs ambulants, des crève-la-faim qui traînaient leur guimbarde sur les grand’routes. Les gens s’accoutumèrent à l’appeler : l’Abandounado. Elle grandit au petit bonheur, mal nourrie, vêtue de loques, farouche aux uns et aux autres, même à ceux qui lui faisaient l’aumône. Elle était comme idiote, et jolie avec cela, jolie comme une fleur sauvage des bois. Et l’on eût dit, à voir ses prunelles vagues, sa face sereine, qu’elle rêvait toujours de mystérieuses choses.

La nuit, elle couchait dans une grange d’auberge, sur le foin. Et aux premières claironnées des coqs se répondant dans les basses-cours, avant que les étoiles fussent éteintes dans le ciel, elle se sauvait loin de la ville, vers la rivière qui coulait paresseusement dans l’ombre large des arbres. À demi-nue, l’échine courbée, attentive, elle longeait les berges, soulevant les pierres, emplissant son panier d’écrevisses.

Elle connaissait les bons endroits, les trous endormis sous les feuilles, les traînées de pierrailles sur lesquelles l’eau déchirée se lamente sourdement. Elle aimait cette fraîcheur qui l’engourdissait dans tous ses membres. Elle avait des coquetteries de femme en se mirant dans la nappe verte de la rivière comme en un miroir transparent. Elle s’arrêtait parfois pour écouter les trilles d’un merle et le frisselis vague qui bruissait dans les branches. Et, dans les chaudes matinées d’été, elle se couchait dans l’eau, elle y dormait les yeux ouverts, toute heureuse, bercée, languissante, comme une bête apaisée.

C’étaient ses seules joies, car chacun lui était dur et la rudoyait. Les chiens dans la ville aboyaient lorsqu’elle passait, criant ses écrevisses. Les enfants se jouaient d’elle et la tournaient en dérision. Et jamais elle ne sentait une caresse effleurer sa chair, elle n’entendait une parole amie la consoler. Elle était bien l’abandonnée sans famille, sans le sou, qu’on méprisait, qu’on chassait comme une lépreuse.

Or, un jour qu’elle criait son refrain accoutumé par les rues :

Escrébissos ! Escrébissos ! Soun toutos en bio ! Soun toutos frescos !

La petite vint à passer devant la cathédrale. Le portail, comme pour une fête virginale, était tendu de draperies blanches. Les orgues jouaient des psaumes douloureux. Et des commères plantées sur les marches jasaient entre elles. L’Abandounado s’approcha curieusement et elle écouta ce qu’on disait.

— Si ce n’est pas une pitié, s’exclamait l’une des femmes, de voir une belle fille de vingt ans mourir ainsi, une fille qui a du bien, qui allait se marier avec un notaire !

— Surtout, continua une autre en montrant la marchande d’écrevisses, quand on voit une errante, une rien-du-tout qui n’est bonne à rien et qui n’est jamais malade. Si celle-là mourait, personne au moins ne la regretterait…

L’enfant frissonna. Elle avait compris que les mauvaises parlaient d’elle. On ne voulait donc pas même la laisser vivre dans sa misère noire ? On souhaitait sa mort. Elle gênait le monde. Elle était de trop. Ses oreilles bourdonnaient. Elle sentait à son cœur comme la souffrance cruelle d’une plaie profonde, d’une blessure inguérissable. Et, dans son innocence, dans sa bêtise naïve, elle se demandait pour la première fois pourquoi tout le monde et même les chiens la détestaient, la tourmentaient ainsi sans trêve. Elle sanglotait dans ses mains. Elle courait. Il lui semblait qu’une foule la poursuivait, cherchait à l’assassiner pour la porter là-bas, à la cathédrale, dans le cercueil, à la place de la belle jeune fille de vingt ans, celle qui avait du bien et devait épouser un notaire. Elle courait, affolée, suivant instinctivement le chemin qui menait à la rivière.

Et quand elle revit devant elle la coulée calme que le soleil illuminait d’étincellements radieux, quand elle respira les humides senteurs qui montaient des herbes mouillées, quand elle entendit la voix douce, la voix claire de l’eau qui se mêlait aux chansons errantes des oiseaux, au frisselis vague des feuillages, la petite éprouva une délicieuse joie. Elle était consolée. Elle ne tremblait plus. Une protection mystérieuse la soutenait, la défendait. Et lassée, haletante, elle s’affala dans les verdures fleuries qui couvraient les berges. L’eau l’attirait. L’eau lui parlait.

Et l’Abandounado songeait avec une mélancolie amère qu’elle n’avait pas d’autre amie, qu’elle n’avait jamais connu d’autres caresses que les baisers frissonnants de l’eau, qu’elle n’avait jamais dormi mieux que sur les herbes épaisses qui tapissaient la rivière, qu’elle n’avait jamais entendu de paroles aussi douces que le murmure assoupi, éperdu, traînant sur les pierrailles.

Elle regardait les trous profonds où ondulaient comme des draps de soie verte. Elle n’avait plus aucune force. Elle voulait dormir, dormir longtemps, dormir toujours, n’entendre que la voix consolante de l’eau, ne plus voir ceux qui l’avaient chassée, qui l’avaient battue, qui avaient souhaité sa mort. Et, à la tombée des étoiles, l’enfant résignée, les bras croisés sur sa poitrine maigre, fermant les yeux, se laissa glisser toute droite dans un trou.

Un pêcheur retrouva le lendemain le cadavre de l’Abandounado. Il était couvert d’écrevisses, de superbes écrevisses, tellement grosses qu’on les envoya aussitôt au préfet pour un dîner officiel !

— Assez ! assez ! cria Liline Ablette.

— Est-ce que tu appartiens maintenant aux Pompes funèbres ? demanda Max Joris.

Mais Dodo alluma tranquillement une cigarette et répondit :

— Je vous avais prévenus, mes enfants, que l’histoire ne serait pas gaie !


RIEN NE VA PLUS !


I



JOLI HÔTEL à vendre immédiatement. — 375.000 fr, — Jardin, belle vue, deux salons, bon air, écurie, remise. — 85, rue Quatre-Étoiles, Passy.



Vous avez lu cette annonce à la quatrième page des journaux. Elle sonne lugubrement, comme une lamentation d’agonie, comme le bruit sourd et lent d’une vieille baraque vermoulue qui s’effondre. Et cela réveille en moi — ainsi qu’un coup de mistral soulevant les poussières blondes de la route — des souvenirs presque d’hier dont l’intime douceur est navrante, maintenant que rien ne va plus, comme disent les croupiers.

C’était en octobre. Le grand Falgéras — un vieux camarade d’école qui a dégringolé dans la Corbeille — m’avait invité à dîner. Impossible de refuser quand on ne s’est pas revu depuis des siècles, de jouer la scène raillarde de Grévin. Vous savez bien. Deux amis qui se rencontrent sur le boulevard. Bonheur de se retrouver et dialogue. « Nous dînons ensemble, n’est-ce pas ? — Impossible, mon bon : rendez-vous d’amour. — Alors demain ? — Encore moins : la fête de ma belle-mère. » — Les sept jours de la semaine y passent ainsi, si bien qu’on se quitte sur ce mot : « Je t’écrirai. » Falgéras rayonnait comme s’il eût touché du front le cinquième ciel. Il avait enfin sauté en croupe de la Fortune sur la fameuse roue éblouissante à laquelle tant de malchanceux cherchent vainement à se cramponner. Lui qui gagnottait péniblement de quoi vivre comme un bourgeois de la rue du Temple, de quoi avoir un intérieur modeste dans les quinze cents, avait dans la curée conquis comme les autres son morceau de Timbale. Il possédait des millions. Qui n’en eut pas, d’ailleurs, en ce temps de comptes fantastiques ? Et il avait acheté à Passy, dans une rue calme, bordée de jardins comme un coin de faubourg provincial, un hôtel tout neuf, coquet, propret, tel que la bonbonnière mignarde de quelque duchesse gourmande.


II


Cette fin d’après-midi fut exquise. Leur béatitude confiante me gagnait comme le charme enveloppant d’une causerie lente. Il y avait des rires dans l’air, et la tendresse molle des accalmies. Et il fallut visiter l’hôtel pièce par pièce, écouter les projets, discuter les moindres détails, donner des conseils. Falgéras m’expliquait ses plans fantaisistes. Lorsque les enfants auraient grandi, on transformerait la « nursery » en atelier. On ouvrirait le petit salon sur une vaste serre pleine de plantes vertes et de fleurs, avec des boudhas énormes, arrondissant leur panse dorée dans l’épaisseur luisante des feuillages. Ce serait là le coin familier de madame où elle aurait ses oiseaux et ses livres préférés.

Et, tandis qu’il parlait, se grisant de ses rêves, je regardais avec une mélancolie profonde, leurs meubles d’autrefois, leurs meubles d’acajou fanés, vulgaires, qui couraient à la débandade dans les vastes appartements. Les fauteuils ensevelis sous les housses en cretonne, les petites étagères encombrées de babioles, les photographies accrochées aux tentures de peluche, et la garniture de cheminée classique en bronze doré. Ils paraissaient étonnés de se trouver là, d’envahir ce décor élégant. Ils gardaient dans leurs plis le souvenir des soirées anciennes, des logis aux fenêtres louches s’ouvrant sur les cours, des voitures de déménagement où tant de fois ils avaient roulé, pressés comme des épaves. Et le soleil couchant, qui les inondait de clartés tièdes, les hauts plafonds aux moulures d’or, la large cheminée les épouvantait, les effarait comme de pauvres petits employés jetés brusquement dans un palais de féerie.

Je n’oublierai jamais l’impression ironique qui se dégageait de ce mobilier condamné à disparaître comme sur les cartes de parvenus le vrai nom familial qui précède d’abord le titre acheté à beaux deniers comptants.

Après le dîner, on s’accouda à la fenêtre. Une bande de jour ourlait encore les collines prochaines. Il faisait bon comme aux soirs d’avril où les premiers rossignols préludent dans les arbres reverdis. La fumée des cigarettes s’éparpillait comme chassée par un souffle d’éventail. Une odeur pénétrante et amère de feuilles mortes jonchant les pelouses montait au-dessus des murs d’un grand parc voisin. Paris s’allongeait dans la brume vague comme une bête mystérieuse. La Seine s’endormait. Et les réverbères flambaient un à un, avec des frissons d’étoiles, tandis que, pareille à un fanal mourant, la coupole d’or des Invalides se fondait lentement dans les gris décroissants du ciel crépusculaire. J’enviais malgré moi le bonheur de cet homme qui avait gagné le gros lot à l’aventureuse loterie de la vie, qui pouvait désormais paresser à loisir et ne songer qu’au présent, entre sa femme blonde et ses enfants aux rires querelleurs.

— Pourquoi n’entres-tu pas à la Bourse ? répétait Falgéras avec un entêtement amical ; on n’a qu’à se baisser pour ramasser ?

Je ne savais que répondre, et la tentation me prenait de l’imiter, de juivasser comme tout le monde !


III


Mais voici que le château de cartes s’est écroulé brutalement. À la mer, tous les beaux projets ! On reprend son rang dans la mêlée farouche, mais avec un dégoût insurmontable, une lassitude de tous les membres, cassés comme par une cinglée de houssine. Les millionnaires d’occasion crachent leurs millions. La féerie est jouée. Le rêve s’enfuit. On ferme, messieurs, on ferme !

Et, comme en une vision douloureuse, je revois l’intérieur de là-bas où je n’ose pas retourner, l’intérieur lumineux, fleuri, qu’ils avaient empli de bibelots et de jolies choses, les glaces sans tain qui regardent le décor imposant de Paris. C’est là que le malheureux se demande comment il paiera ses différences, qu’il songe à la misère inévitable. La femme geint nerveusement. Elle a dans ses yeux rougis par l’insomnie l’accablement morne, l’hébétude du coup brusque qui la frappe dans son indolente jouissance. Ils ne se disent pas une parole. Lui n’ose pas prévoir la suite du drame. Il a le vertige du gouffre comme un homme ballotté dans la houle. La tentation d’en finir l’étreint sans trêve. Les babies inquiets comprennent vaguement qu’il se passe quelque chose de grave qu’on leur cache, et ils restent immobiles, délaissant même leurs joujoux épars.

À l’office, la valetaille escompte la ruine des maîtres avec des moqueries haineuses et des commentaires mauvais. Les chevaux sont « lavés ». Demain les diamants de madame et les tableaux du salon partiront pour l’hôtel Drouot. Au-dessus de la porte cochère, comme un écriteau de deuil, se balance la pancarte :

À vendre, immédiatement !

Et les petits meubles relégués au grenier, les meubles d’acajou, vulgaires, fanés, vont reprendre leurs habitudes perdues, vont retrouver le logis au cinquième, où l’on ne voit pas clair, où les fenêtres s’ouvrent sur des cours ténébreuses…

Rien ne va plus !