L’An deux mille quatre cent quarante/13

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CHAPITRE XIII.

Où est la Sorbonne ?


Dans quelle langue se disputent donc MM. les docteurs de Sorbonne ? Ont-ils toujours un risible orgueil, des robes longues et des chaperons fourrés ? — On ne se dispute plus en Sorbonne ; car dès qu’on a commencé à y parler françois, cette troupe d’ergoteurs a disparu : graces à Dieu, les voûtes ne retentissent plus de ces mots barbares, moins insensés encore que les extravagances qu’ils vouloient signifier. Nous avons découvert que les bancs sur lesquels s’asseioient ces docteurs hibernois, étoient formés d’un certain bois, dont la funeste vertu dérangeoit la tête la mieux organisée, & la faisoit déraisonner avec méthode. — Oh ! que ne suis-je né dans votre siécle ! Les misérables faiseurs d’argumens ont fait le supplice de mes jeunes ans ; je me suis cru longtems un imbécille, parce que je ne pouvois les comprendre. Mais que fait-on de ce palais élevé par ce Cardinal[1], qui faisoit de mauvais vers avec enthousiasme, & qui faisoit couper de bonnes têtes avec tout le sang-froid possible ? — Ce grand bâtiment renferme plusieurs salles où l’on fait un cours d’étude bien plus utile à l’humanité. On y dissèque toutes sortes de cadavres. Des anatomistes sages cherchent dans les dépouilles de la mort, des ressources pour diminuer les maux physiques. Au lieu d’analyser de sottes propositions, on essaye de découvrir l’origine cachée de nos cruelles maladies, & le scalpel ne s’ouvre une voie sur ces cadavres insensibles que pour le bien de leur postérité. Tels sont les docteurs honorés, ennoblis, pensionnés par l’État. La Chirurgie s’est reconciliée avec la Médecine, & cette dernière n’est plus divisée avec elle-même.

Oh, l’heureux prodige ! On parloit de l’animosité des jolies femmes, de la fureur jalouse des poëtes, du fiel des peintres : c’étoient des passions douces en comparaison de la haine qui, de mon tems, enflammoit les suppôts d’Esculape. On a vu plus d’une fois, comme l’a dit un bon plaisant, la Médecine sur le point d’appeller la Chirurgie à son secours.

— Tout est changé aujourd’hui : amies & non rivales, elles ne forment plus qu’un corps ; elles se prêtent un secours mutuel, & leurs opérations ainsi réunies tiennent quelquefois du miracle. Le médecin ne rougit pas de pratiquer lui-même les opérations qu’il juge convenables, quand il ordonne quelques remèdes, il ne laisse pas à un subalterne le soin de les apprêter, tandis que la négligence ou l’impéritie de son ministre peuvent les rendre mortels ; il juge par ses propres yeux de la qualité, de la dose, & de la préparation : choses importantes, & d’où dépend rigoureusement la guérison. Un homme souffrant ne voit plus au chevet de son lit trois praticiens qui, comiquement subordonnés l’un à l’autre, se disputent, se mesurent des yeux, & attendent quelque bévue de leurs rivaux pour en rire tout à leur aise. Une médecine n’est plus l’alliage bizarre des principes les plus opposés. L’estomac affoibli du malade ne devient plus l’arène où les poisons du midi accourent combattre les poisons du nord. Les sucs bienfaisans des herbes nées dans notre sol, & appropriées à notre tempérament, dissipent les humeurs, sans déchirer nos entrailles.

Cet art est jugé le premier de tous, parce qu’on en a banni l’esprit de systême & de routine, qui a été aussi funeste au monde que l’avidité des rois & la cruauté de leurs ministres.

— Je suis bien aise de savoir que les choses sont ainsi. J’aime vos médecins : ils ne sont donc plus des charlatans intéressés & cruels, tantôt adonnés à une routine dangereuse, tantôt faisant des essais barbares & prolongeant le supplice du malade qu’ils assassinoient sans remords. À propos, jusqu’à quel étage montent-ils ? — À tout étage où se trouve un homme qui aura besoin de leur secours. — Cela est merveilleux : de mon tems les fameux ne passoient pas le premier ; & comme certaines jolies femmes ne vouloient recevoir chez elles que des manchettes à dentelle, ils ne vouloient guérir eux que des gens à équipage. — Un médecin qui parmi nous se rendroit coupable d’un pareil trait d’inhumanité, se couvriroit d’un deshonneur ineffaçable. Tout homme a droit de les appeller. Ils ne voient que la gloire d’ordonner à la santé de refleurir sur les joues d’un malade ; & si l’infortuné, ce qui est très rare, ne peut produire un juste salaire, l’État se charge alors du soin de la récompense. Tous les mois on tient régistres des malades morts ou guéris. Le nom du mort est toujours suivi du nom du médecin qui l’a traité. Celui-ci doit rendre compte de ses ordonnances, & justifier la marche qu’il a tenue pendant chaque maladie. Ce détail est pénible : mais la vie d’un homme a paru trop précieuse pour négliger les moyens de la conserver ; & les médecins sont intéressés eux-mêmes à l’accomplissement de cette sage loi.

Ils ont simplifié leur art. Ils l’ont débarrassé de plusieurs connoissances absolument étrangères à l’art de guérir. Vous pensiez faussement qu’un médecin devoit renfermer dans sa tête toutes les sciences possibles ; qu’il devoit posséder à fond l’anatomie, la chymie, la botanique, les mathématiques ; & tandis que chacun de ces arts demanderoit la vie entière d’un homme, vos médecins n’étoient rien si par dessus le marché ils n’étoient pas encore de beaux-esprits, plaisans, adroits à semer de bons mots. Les nôtres se bornent à bien savoir définir toutes les maladies, à en marquer exactement les divisions, à en connoitre tous les symptômes, à bien distinguer surtout les tempéramens en général & celui de chacun de ses malades en particulier. Ils n’emploient guères de ces médicamens eaux & dits précieux, ni de ces récettes mystérieuses, composées dans le cabinet : un petit nombre de remèdes leur suffisent. Ils ont reconnu que la nature agit uniformément dans la végétation des plantes & dans la nutrition des animaux. Voici un jardinier, disent-ils, il est attentif à ce que la sève, c’est-à-dire, l’esprit universel circule également dans toutes les parties de l’arbre ; toutes les maladies de la plante viennent de l’épaississement de ce fluide merveilleux. Ainsi tous les maux qui affligent la race humaine, n’ont d’autre cause que la coagulation du sang & des humeurs : rendez-leur leur liquidité naturelle, sitôt que la circulation reprendra son cours, la santé commencera à refleurir. Ce principe posé, il n’est pas question d’un grand nombre de connoissances pour en remplir les vues, puisqu’elles s’offrent d’elles-mêmes. Nous regardons comme un remède universel toutes les plantes odoriférantes, abondantes en sels volatils, comme infiniment propres à dissoudre le sang trop épaissi : c’est le plus précieux don de la nature pour conserver la santé ; nous l’étendons à toutes les maladies, & nous en avons vu naitre toutes les guérisons.



  1. Ô cruel Richelieu, triste auteur de tous nos maux, que je te hais ! Que ton nom afflige mon oreille ! Après avoir détrôné Louis XIII, tu as établi le despotisme en France. Depuis ce tems la nation n’a rien fait de grand : car que peut-on attendre d’un peuple composé d’esclaves !