L’An mille…/03

La bibliothèque libre.
Albin Michel (p. 111-135).

CHAPITRE III


L’AUTRE FORCE


Au moment où Dominique Dorval et le Préfet de police entraient chez le général Malglève, dans une petite chambre du côté de Belleville, un vieil homme qui s’était couché tout habillé sur un étroit lit de fer, lisait un livre broché en fort mauvais état.

Il devait être tout menu, car son corps se devinait à peine sous la couverture de laine brune qu’il avait jetée sur lui.

L’ampoule électrique, encapuchonnée d’un bout de journal, éclairait doucement sa figure presque exsangue, sa maigre barbe grise, ses paupières à demi fermées, lourdes et pareilles à des coquilles.

Tout en lui était pauvre, ravagé, blessé, mais le front haut et noble était splendide ; il sacrait ce visage triste et las comme une couronne royale.

C’était Jacques Santeuil, l’ « Agitateur », comme on l’appelait en Europe.

Il habitait là, chez une vieille amie qui lui donnait cette chambre avec sa table ronde sur laquelle traînaient quelques volumes et des papiers, un fauteuil, deux chaises, une commode et le lit de camp où sa santé le retenait souvent.

Une quinte de toux le secoua.

Il dut se soulever, prendre une pastille dans une boîte posée près de sa lampe, et, apaisé, il rouvrit son livre et eut un vague sourire.

Le bouquin qu’il lisait avait paru il y avait cent deux ans, en 1897, et c’était L’Enfermé, de Gustave Geffroy, l’histoire de Blanqui.

Jacques Santeuil ressemblait presque à l’éternel prisonnier dont F. Bracquemond avait gravé le masque à l’eau-forte, et l’Agitateur se mit à songer au vieux réfractaire dont il connaissait toute la vie.

Il l’évoqua dans une cellule du Mont Saint-Michel où on l’avait enfermé, le dernier jour du mois de janvier 1841.

Il faisait un froid sinistre, il pleuvait sur la mer démontée, et les yeux fermés et le cœur arrêté, il écoutait le directeur de la prison qui était venu dans sa geôle lui annoncer la mort d’Amélie-Suzanne, sa femme bien-aimée qu’il avait eu à peine le temps de connaître.

Sans un geste, sans un mot, la barbe sur sa poitrine, il avait appris la nouvelle…

Puis, après les élans et les espoirs généreux de 48, où il avait entrevu la république, la fée de ses rêves descendant les marches de l’Hôtel de Ville au bras de gentilhomme de M. de Lamartine, il y avait eu les cachots de Belle-Île-en-Mer, de Sainte-Pélagie, du Château du Taureau et de l’Abbaye de Clairvaux.

Prisonnier perpétuel, sa vie sentait le mur humide, le coin où moisit un bout de pain gris qu’on n’a pu avaler, l’ombre et le rat.

Il n’avait aperçu la campagne, la mer et le ciel que derrière des barreaux !

Il avait vu la France à travers le grillage des voitures cellulaires qui évitaient les grand’rues des petites villes de province, la place devant l’église où jouaient des enfants en robes claires et où de paisibles habitants goûtaient le bon du jour sous les marronniers, les quartiers où l’ont eût pu surprendre quelques-unes de ces images simples et vivantes qui font plaisir : un marché, une noce, la sortie de l’école, une jeune fille à son piano, une vieille demoiselle tricotant derrière sa croisée, la ménagère coupant dans une miche des tartines pour ses mioches, le menuisier rabotant une belle planche en chantant, un salon avec ses fauteuils, ses portraits de famille, ses meubles bien cirés, son guéridon offrant, au milieu du tapis, un vase blanc presque caché par un gros bouquet pommé de roses-thé ou de roses roses.

Toujours les sites déserts, les chemins écartés, les repas froids composés de biscuits durs et de conserves distribués aux prisonniers qu’on change de prison.

Ce vieil idéaliste à qui la viande répugnait avait eu, plus d’une fois, envie d’une poire, d’une pêche mûre, d’une assiette de fraises, d’une grappe de chasselas, d’une salade, aperçus ainsi dans un jardin ; d’une promenade à petits pas, le long d’une haie en fleurs, d’une lecture devant une flambée de sarments, les pieds sur les chenets, mais personne ne le savait et il n’accordait même pas un regard à l’énorme porte verrouillée qui allait se refermer sur lui, quand on arrivait devant quelque forteresse, sous une aube grelottante ou pluvieuse. Jacques Santeuil voyait le froid mathématicien de la révolte, toujours ganté de fil noir comme un veuf, le vieux, ainsi que l’appelaient ses fidèles.

Il lui ressemblait beaucoup. De l’ancien révolutionnaire de 48, il avait la silhouette menue, la barbe pauvre, le front magnifique, la petite taille et l’ardente foi.

Sans doute aucun tribunal ne l’avait jamais condamné à la prison, mais ce rêveur généreux avait mis autour de lui les barreaux les plus durs, les murs les plus hautains. La solitude est une cellule. Il s’y était enfermé ; il était lui-même son geôlier et sa vie était nue comme un cachot. Il l’avait dépouillée de tout ce que recherchent les hommes avec tant d’avidité. Pur et froid, il n’avait jamais rien voulu pour lui et son intelligence pouvait être comparée à une grande lumière qui éclairait mais ne réchauffait pas.

Peut-être était-il le seul vivant capable d’exister à côté du général Malglève sans le gêner, et il y avait entre eux beaucoup de choses communes.

Il avait été, autrefois, au collège avec M. Félix Duthiers-Boislin, l’historien, de l’Académie française, et lorsque le hasard les mettait de loin en loin en présence, ces deux hommes, qui étaient aux deux pôles de la pensée et des idées s’entendaient à merveille.

Ils se tutoyaient.

— Au fond, disait l’académicien, à une de leurs récentes rencontres, tu es le dernier moine d’Occident, pour parler comme M. de Montalembert… Est-ce que cela ne te trouble pas un peu, mon cher Santeuil ?

« Tu veux ramener la civilisation là où elle a commencé, et tu fais un rêve de communauté mondiale qui m’épouvante. Ne souris pas… le libéral, c’est moi… Écoute, Jacques, tu es un ascète, tu as tout refusé et regarde-toi… Tu as réduit ta vie au minimum, tu existes à peine, sans besoins, sans égoïsme, presque immatériel et irréel… Tu sais bien que j’ai raison, et j’admets parfaitement ta règle pour les gens de ton ordre ; tu es un saint ; mais les autres, la foule, les millions et les millions… S’ils savaient où tu les conduis, ils se sauveraient et tu demeurerais seul… Choisis un jour qui te conviendra et viens dîner à la maison ; j’inviterai Dominique Dorval ; j’aimerais voir à la même table les deux forces contraires…

Un sourire douloureux avait éclairé rapidement la barbe grise de Jacques Santeuil.

— Félix, répondit-il doucement, tu fais là un rêve de dilettante. Réunir dans ta salle à manger le Président et l’Agitateur, comme ils disent tous ? Ce serait drôle… Remarque, mon ami, que je ne tiens pas Dominique Dorval pour une force méprisable, il me fait songer à une vieille image qui était dans le petit livre où nous apprenions l’Histoire de France. Dans cet humble manuel d’écolier, on représentait Charlemagne visitant, dans son palais, cette école qu’il y avait établie, que dirigeait un moine et où les enfants des familles nobles et les fils de paysans travaillaient ensemble.

« Tu te souviens, Félix ?… Je sais encore par cœur certaines phrases de ce chapitre. Écoute : « Un jour, Charlemagne visitait son école. Il se fit présenter les compositions des élèves. Celles des jeunes nobles étaient très mauvaises, au lieu que celles des enfants pauvres étaient bonnes. Alors, comme Dieu fera le Jugement dernier, Charlemagne fit passer à sa droite les enfants qui avaient bien travaillé et les autres à sa gauche. Il dit aux premiers : « Je vous félicite, mes enfants, vous avez étudié de votre mieux et je vous remercie, je vous récompenserai… »

« Serais-tu capable de continuer, Félix ? demanda Jacques Santeuil.

Le vieil historien reprit, sans hésiter :

« … Il s’adressa ensuite aux autres d’un ton irrité, et sa voix résonnait comme le tonnerre :

« Vous, dit-il, qui êtes les fils des premiers personnages de mon royaume, et qui êtes orgueilleux de votre naissance, vous n’avez su donner l’exemple que du jeu et de la paresse. Sachez bien que si vous ne travaillez pas mieux à l’avenir, vous n’obtiendrez jamais rien de moi… »

Ils avaient ri, heureux de savoir encore la leçon de leur petite enfance, et l’ « Agitateur » avait dit à son ami :

— Félix, ce discours démocratique, treize cents ans avant le décret républicain qui donna droit à tous les élèves de suivre gratuitement les premières classes de l’enseignement secondaire, m’enchante, mais je n’ai pas dit ce que je voulais dire.

« Entre les fils des leudes qui baissaient honteusement la tête, et les enfants de ses plus pauvres sujets, Charlemagne, couronne au front, la barbe sur la poitrine, un grand manteau sur sa cotte de mailles, une large épée accrochée à son ceinturon, était d’une grande majesté, et dans sa main droite, il tenait, comme une boule à jouer, le globe impérial. Eh bien, ton ami Dominique Dorval tient aussi le vieux monde. Ce n’est pas commode. Il y faut son intelligence, sa raison et sa poigne… Tu vois que je ne le mésestime pas et c’est cela que je voulais dire… Mais de là à trinquer ensemble… Tu sais d’ailleurs que je ne bois que de l’eau et un peu de lait…

Jacques Santeuil venait de fermer le livre qu’il lisait lorsque la porte de sa chambre s’ouvrit.

Une vieille femme entra et posa sur la table, parmi les papiers et les brochures, le bol qu’elle tenait à la main.

— Voici, fit-elle à mi-voix, je suis peut-être en retard ; j’avais oublié que je n’avais plus de lait… Vous devez avoir faim…

Il sourit :

— Vous savez bien, Marthe, que cela ne m’arrive presque jamais et que je me serai contenté de peu, sur cette terre.

Elle leva vers lui un visage noble et dolent pareil à ceux que les ymagiers du Moyen Âge sculptaient aux porches des cathédrales, dans la pierre du pays chartrain ou du pays rémois.

Il y avait une cinquantaine d’années, dans un village angevin, Jacques Santeuil avait aimé Marthe Humilian sans l’avouer à personne.

Plusieurs fois par jour, il passait devant la petite herboristerie que tenait la mère de la jeune fille. Il voyait son clair visage brun sous une guirlande de feuilles de tilleul ou de violettes sèches qui décorait la vitre. Ils rougissaient tous les deux… puis les parents de Jacques Santeuil avaient dû quitter le pays, la vie avait roulé, ballotté le mince collégien aux yeux bleus, en avait fait cet âpre réfractaire, cet apôtre brûlé de foi et ils avaient tous deux dépassé la soixantaine quand ils s’étaient revus. Un soir d’extrême-automne, l’Agitateur qui passait en voiture près du village où il était né voulut faire un détour et s’y arrêter pendant quelques instants.

Le crépuscule tombait, la première étoile s’allumait en clignotant dans un tendre ciel dont les scabieuses tournaient aux violets plus sombres des améthystes. Une charrette de foin qu’on déchargeait devant l’Hôtel du Lion d’Or embaumait la rue. Le vieillard avait reconnu tout de suite les moindres choses demeurées à leurs anciennes places : un banc, la fontaine dont les trois dauphins de pierre crachaient toujours l’eau de la rivière proche, un mur de grange, la grille d’une clôture… devant la petite herboristerie de madame Humilian, il avait hésité. Rien n’avait bougé, seul le jasmin qui, à la belle saison, jadis, cachait presque l’enseigne, avait disparu.

Il lut dans la nuit qui descendait :


Madame Veuve Humilian
herboristerie


Tout était comme aux vieux jours de sa jeunesse. Mais madame Humilian devait être morte depuis longtemps. Il y avait encore aux vitres une guirlande de feuilles sèches et une lampe posée sur le comptoir éclairait doucement la boutique.

Jacques Santeuil poussa la porte. Une clochette argentine grelotta au ras du plafond parmi des paquets d’herbes salutaires, et il demeura là pendant quelques secondes, seul, au milieu des bocaux, devant la table où l’on avait laissé un journal et des lunettes. De la salle, à côté du magasin, une voix dit :

— Je viens ! et tout de suite il reconnut la voix de Marthe.

Elle devait être occupée dans l’arrière-boutique, car elle répéta :

— Je viens !…

Puis, sans bruit, elle fut devant lui.

Il ne lui restait rien de ce qu’il avait connu. Elle portait sur ses cheveux blancs un léger fichu de guipure noire et, vêtue d’une robe qui n’appartenait à aucune mode, elle ressemblait exactement à sa mère.

Il ne trouvait rien à dire, la gorge étranglée.

Elle demanda :

— Vous désirez, monsieur ?

Il murmura au hasard :

— Je voudrais du tilleul.

Elle s’activa, atteignit un bocal de verre sur un rayon, prit quelques pincées de feuilles mortes, les mit dans un plateau de ses balances, et fit un petit paquet qu’elle lui tendit, et alors, il cria :

— C’est moi, Jacques Santeuil… Marthe, je passais à côté d’ici. J’ai voulu revoir le village, savoir si vous étiez toujours là.

Elle regarda, les yeux agrandis et elle murmura :

— C’est vous, Jacques ?… est-ce possible ?…

À ce moment, la clochette du plafond tinta dans les touffes de plantes médicinales et une fillette entra pour acheter de la vanille…

Marthe ouvrit un tiroir, servit l’enfant qui s’en alla, et elle fit entrer Jacques Santeuil dans la salle à manger.

Il posa son chapeau sur la toile cirée de la table et l’on eût dit un chapeau de curé.

— Je suis heureuse de vous revoir, dit-elle…

Il apprit les pauvres événements de sa vie. Sa mère était morte… Elle s’était mariée ; elle n’avait pas été heureuse et avait dû demander le divorce. Elle était seule depuis plus de trente ans et avait repris son nom de jeune fille…

« Marthe Humilian », répéta-t-elle comme si elle craignait que Jacques Santeuil l’eût oubliée.

— Vous, dit-elle, vous avez fait du chemin… j’ai lu… les journaux parlent si souvent de vous… l’Agitateur !… qui aurait pu penser cela ?… Vous vous souvenez ?…

— Je n’ai rien oublié, Marthe, répondit-il, rien… je revois, derrière cette vitre, votre visage qui s’empourprait quand je passais en vous regardant… je me revois aussi… et vous voilà… comme c’est terrible !… Comme tout eût pu être différent !…

— Nous sommes des vieux, Jacques, murmura-t-elle… de pauvres vieux, malgré votre gloire et tout ce que vous avez fait.

Elle avait ajouté tristement :

— Comme vous devez être seul !…

Quand Jacques Santeuil quitta le village. la lune était au-dessus de l’abreuvoir où elle se reflétait, comme autrefois, et, au printemps, madame Marthe Humilian, ayant cédé sa boutique, décidait d’aller vivre à Paris.

La vieille dame qu’on voyait cheminer en mante noire sous les marronniers en fleurs, les soirs de mai, quand elle se hâtait vers l’église dont la cloche sonnait pour l’office crépusculaire du mois de Marie, prit un appartement au fond de Vaugirard.

Avec ses économies et un petit héritage qu’elle avait fait, Marthe était presque à son aise, vivant de rien, puis, un jour, ayant su que Jacques Santeuil était malade, dans une clinique, elle alla le voir et obtint de rester près de lui et de le soigner.

Lorsque l’agitateur sortit, appuyé à son bras, comme il ne savait où aller, n’ayant jamais voulu qu’une chambre d’hôtel, elle le conduisit chez elle,

Depuis cette époque, lorsqu’il était à Paris, il vivait là et il était devenu le vieux frère taciturne et fragile de madame Marthe Humilian,

Il se souleva, et, assis sur le lit étroit, il feuilleta un volume.

C’était son dernier livre : Ténèbres et lumières de l’an 2000, qui, venait de paraître, un gros ouvrage plein de chiffres, d’éclairs et de visions, de raisonnements mathématiques et de tumulte, un bouquin composé sans aucun souci de littérature et d’art avec des pages entières formées de courtes notes pareilles à des quatrains lyriques et des chapitres massifs qui n’étaient pas sans évoquer la solennelle noblesse de Bossuet ou l’emportement de Michelet.

Madame Humilian, qui avait posé en entrant le bol fumant qu’elle apportait, et qui rangeait la petite armoire où tenait le pauvre trousseau du vieillard, se retourna.

— Mais votre lait sera froid, Jacques ! dit-elle.

— C’est vrai, Marthe, je vous demande pardon…

Elle s’approcha du lit, tâta le bol et le lui mit dans les mains.

— Non, fit-elle, il est à point… mais avalez-le tout de suite, je vous prie… Je vous ai entendu tousser, vous avez besoin de cela…

Elle sortit, referma la porte sans bruit et Jacques Santeuil commença son repas.

Il ne mangeait, le soir, que cela : un peu de pain émietté dans ce bol de lait sucré. Ce révolutionnaire était le dernier moine et il ne dépensait pas trois francs par jour !

Il mangeait avec une cuiller, comme un vieux paysan à l’heure de la soupe, et il y avait beaucoup de choses que ce cœur triste et bon n’admettait pas.

Né dans un pays aimable et riche, dans cet Anjou charmant où la cuisine est fine et le vin joyeux, à deux pas de Saumur et de Chinon où naquit François Rabelais, il n’avait jamais donné la moindre attention au côté riant de la vie.

La douceur angevine que chantait le vieux Joachim du Bellay ne l’avait jamais effleuré et quelques-unes des plus belles pages de ses Lumières et ténèbres de l’an 2000 étaient celles qui commençaient ainsi : « L’humanité n’a pas été sérieuse… »

Il y soutenait que le monde avait toujours manqué de raison et que tous nos malheurs venaient de nos besoins inutiles.

Cet homme qu’on appelait en Europe l’Agitateur, n’aimait, au fond de lui, que la discipline des saints laïques, l’austérité des grands ermites de la pensée.

Il avait sur sa table une vie de Spinoza et s’enchantait toujours en relisant ce passage qu’il savait par cœur : « Il loua sur le Pavilioengragt une chambre chez le sieur Henri Van der Spyck, où il prit soin lui-même de se fournir de ce qui lui était nécessaire et où il vécut à sa fantaisie d’une manière fort retirée. Il est presque incroyable combien il a été sobre pendant ce temps-là et bon ménager… Sa conversation était paisible ; il savait admirablement bien être le maître de ses passions. Il n’était incommode à personne et passait la meilleure partie de son temps, tranquillement, dans sa chambre… »

En tête du chapitre dont il est question plus haut, il avait mis en épigraphe ce bout de phrase de Blaise Pascal : « …J’ai souvent dit que tout le malheur des hommes vient de ne savoir pas se tenir en repos dans une chambre, »

Il admirait cela plus que tout. Ces lignes de l’auteur des Pensées étaient pour lui comme un sévère et sobre dessin de Philippe de Champaigne, représentant un homme à l’air débile et intelligent, dans une pièce dont il n’ouvrait jamais la fenêtre et où il y avait un poêle, une table encombrée de papiers et une bibliothèque bien fournie…

Il posa son bol vide à côté de lui et la porte s’ouvrit de nouveau.

— Jacques, dit madame Marthe Humilian, il y a là une dame qui désire vous voir.

— Une dame ? demanda-t-il.

— Oui, une jeune femme qui m’a semblé très belle. Croyez-vous qu’il soit prudent de recevoir des gens quand vous êtes fatigué et couché ? Elle a fort insisté et paraît émue. Je crois qu’elle a les épaules nues et une robe très bridante sous son manteau. Elle prétend que vous la recevrez quand vous aurez lu ceci.

Madame Humilian tendit une enveloppe à Jacques Santeuil.

Il l’ouvrit et, mettant ses besicles, il lut seulement un nom sur un bout de papier et il sauta brusquement de son lit.

— Marthe, dit-il, veuillez faire entrer cette dame…