Premières Poésies (Musset, éd. 1863)/L’Andalouse

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Premières Poésies (1829-1835)Charpentier (p. 87-88).
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CHANSONS À METTRE EN MUSIQUE
ET FRAGMENTS


Allons, bel oiseau, chantez la romance à madame.
La Folle Journée.




L’ANDALOUSE


Avez-vous vu, dans Barcelone,
Une Andalouse au sein bruni ?
Pâle comme un beau soir d’automne ?
C’est ma maîtresse, ma lionne !
La marquesa d’Amaëgui.

J’ai fait bien des chansons pour elle ;
Je me suis battu bien souvent.
Bien souvent j’ai fait sentinelle,
Pour voir le coin de sa prunelle,
Quand son rideau tremblait au vent.

Elle est à moi, moi seul au monde.
Ses grands sourcils noirs sont à moi,
Son corps souple et sa jambe ronde,
Sa chevelure qui l’inonde,
Plus longue qu’un manteau de roi !


C’est à moi son beau col qui penche
Quand elle dort dans son boudoir,
Et sa basquina sur sa hanche,
Son bras dans sa mitaine blanche,
Son pied dans son brodequin noir !

Vrai Dieu ! lorsque son œil pétille
Sous la frange de ses réseaux,
Rien que pour toucher sa mantille,
De par tous les saints de Castille,
On se ferait rompre les os !

Qu’elle est superbe en son désordre,
Quand elle tombe, les seins nus,
Qu’on la voit, béante, se tordre
Dans un baiser de rage, et mordre
En criant des mots inconnus !

Et qu’elle est folle dans sa joie,
Lorsqu’elle chante le matin,
Lorsqu’en tirant son bas de soie,
Elle fait, sur son flanc qui ploie,
Craquer son corset de satin !


Allons, mon page, en embuscades !
Allons ! la belle nuit d’été !
Je veux ce soir des sérénades
À faire damner les alcades
De Tolose au Guadalété !