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L’Angleterre et la vie anglaise/32

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L’Angleterre et la vie anglaise
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 65 (p. 810-851).
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L'ANGLETERRE
ET
LA VIE ANGLAISE

XXXI.
LA MARINE BRITANNIQUE.
I. L'OBSERVATOIRE DE GREENWICH.



L’art de la navigation exige plus d’un genre de connaissances ; c’est pourtant à l’astronomie que se sont adressés de préférence les peuples ambitieux de s’assurer l’empire des mers. Le contraste entre le caractère des Français et celui des Anglais éclate surtout dans la science. Quand nos voisins étudient une loi de la nature, c’est pour lui dérober une force. Tout ce qu’ils savent, ils l’appliquent. Cette tendance au positif, à la conquête, exclut naturellement le goût des théories. On peut suivre la trace d’une telle disposition d’esprit dans les affaires publiques et dans l’industrie ; mais ce bon sens pratique a surtout frappé de son cachet tout ce qui se rattache à l’organisation de la marine. L’ordre de connaissances qu’on cultive par exemple à l’observatoire de Greenwich tend toujours à revêtir un caractère spécial d’utilité. Je voudrais donner une idée de cette institution et des services que lui demandent les Anglais. N’est-ce point d’ailleurs une introduction naturelle à l’étude de la marine britannique ? L’observatoire de Greenwich ne saurait être séparé des intérêts de la flotte nationale pour laquelle il a été fondé, et dont il dirige les courses lointaines à la surface des mers par une sérieuse étude des mouvemens du ciel.


I

Greenwich figure avec honneur parmi les anciennes villes historiques de l’Angleterre. Là résidait Édouard IV, là naquirent dans un palais qui n’existe plus aujourd’hui Henri VIII, Marie Tudor et la reine Elisabeth. Dans une taverne qui s’élève au bord de la Tamise a encore lieu tous les ans, à la fin de chaque session parlementaire, le fameux white-bait dinner[1]. Deux rues parallèles traversent toute la longueur de la ville, et conduisent du bord de l’eau à deux grilles commandant l’entrée du parc, qui fut dessiné par Le Nôtre du temps de Charles II et enclos de murs sous le règne de Jacques Ier. Le terrain, d’abord plat et uniforme, se relève brusquement en une colline plantée de sapins et d’autres arbres toujours verts. Au sommet de cette éminence, qu’on gravit par un étroit sentier, règne une terrasse d’où le regard s’étend à perte de vue sur un horizon peut-être unique dans le monde. Il existe à coup sûr des points de vue plus attrayans. pour le paysagiste, mais en est-il qui donnent une plus grande idée de l’homme et des conquêtes de l’esprit sur la matière ? Où trouverait-on une pareille accumulation de force, de travail et de richesse ? Sur le premier plan s’élèvent l’école navale, Royal naval asylum, et l’hôpital des invalides de la marine, Royal hospital for seamen, surmonté de deux dômes dont le temps a terni les dorures. Plus loin, la Tamise, qui se replie sur elle-même, apparaît toute tachetée de voiles et de bateaux à vapeur. Au-delà et sur le fond de la scène, les hautes cheminées des usines, les chantiers de construction, les forêts de mâts abrités dans les docks se confondent en une masse vaporeuse où l’on distingue vaguement le triomphe des industries maritimes.

Planté surtout d’ormes et de châtaigniers d’Espagne, le parc de Greenwich se distingue par le grand âge de ses arbres. Quelques-uns d’entre eux, s’il faut en croire la tradition, ont vu passer la reine Elisabeth. Quelle vigueur encore dans les membres tordus et noueux de ces géans ! Ce sont de véritables monumens du règne végétal ; leurs énormes racines dénudées et entre-croisées comme des nœuds de boas, leur prodigieux tronc, dans lequel le temps a sculpté des excroissances et des cicatrices sur l’écorce rugueuse, leurs réseaux de branches mortes ou chargées d’une verdure sombre et opaque, tout annonce qu’ils portent fièrement le poids des siècles. Les parcs anglais ne sont ni peignés ni soignés comme nos jardins publics : tout y est au contraire abandonné à la nature. Dès qu’on s’éloigne de la grande avenue sablée, on trouve des allées ombreuses tapissées d’une herbe fraîche et délicate. Là dans les clairières qui n’a vu glisser la robe luisante et tachetée des daims ? Ces sveltes créatures, au nombre de cent vingt, errent en pleine liberté sur toute l’étendue des terrains plus ou moins boisés. Merveilleusement apprivoisées, elles reçoivent des morceaux de gâteau de la main des enfans qu’elles suivent avec une sorte de confiance timide. Au déclin du jour, pendant l’été, il est curieux de voir les biches s’appeler les unes les autres ; la plus vieille donne le signal qui est répété de distance en distance comme le qui-vive des sentinelles se répondant dans une place d’armes ; bientôt les groupes se forment, et presque toutes les biches, suivies de leurs faons, s’avancent en troupeau vers les sheds, sorte de huttes où elles doivent passer la nuit. Une grille s’ouvre à l’autre extrémité du parc qui est opposée à la rivière et conduit sur la bruyère de Blackheath, célèbre pour ses courses à âne et fréquentée par des bohémiennes qui disent la bonne aventure. C’est là que Wat Tyler rassembla les insurgés du Kent sous le règne de Richard II, et c’est là aussi que Jacques Cade et ses compagnons mécontens tenaient leurs assemblées de nuit dans une caverne aujourd’hui fermée. Tous ces lieux se montrent remplis des souvenirs et des restes du passé. En 1784, d’anciens tertres funéraires (barrows) furent ouverts et fouillés dans l’intérieur du parc : on y trouva des têtes de lances, des couteaux et des ossemens humains. Quelques-uns de ces monticules artificiels existent encore et décrivent à la surface herbue du sol une courbe reconnaissable. Pendant la semaine, le parc de Greenwich est généralement tranquille et solitaire ; on n’y rencontre guère que de rares amateurs de pique-niques, des enfans et surtout de vieux pensioners (invalides de la marine) auxquels il manque une jambe ou un bras, — débris vivans des batailles navales. Combien il en est autrement à certaines fêtes de l’année ! On estime ces jours-là à plus de cent mille le nombre des promeneurs qui affluent de tous les coins de Londres. Parmi les divertissemens qui se partagent alors l’étendue du parc figure au premier rang le vieux jeu anglais connu sous le nom de kissing in the ring[2]. Ces éclats d’une joie bruyante se prolongent jusqu’au soir, tandis que, debout au milieu du parc, sur la crête de la colline, le grave et studieux observatoire attend en silence la visite des astres.

La façade de l’édifice est un pavillon en briques rouges du temps de Charles II avec des reliefs et des enroulemens de pierre. Ce n’est point du tout sur un pareil modèle qu’on construirait aujourd’hui un observatoire, et pourtant cette œuvre d’architecture, sans être très belle, a du moins un caractère assez pittoresque. Un rez-de-chaussée flanqué de deux basses tourelles carrées recouvertes d’une flotte de zinc, un premier étage percé de trois fenêtres, une terrasse en guise de toit que décorent de chaque côté deux minces clochetons, tel est l’aspect général des bâtimens vus du côté de la Tamise. Un mur d’enceinte qui masque à demi la base de l’édifice règne tout autour des terrains consacrés à la science. L’observatoire de Greenwich a cela de commun avec Horace qu’il hait le profane vulgaire et qu’il le tient à distance. Les curieux n’y sont point admis, et pour franchir le seuil il faut une permission toute particulière de l’astronome royal, laquelle s’accorde rarement. Ayant néanmoins obtenu cette faveur, je sonnai un matin vers dix heures (c’est le moment fixé pour les visites) à une humble porte découpée dans le mur d’enceinte qui fait retour sur lui-même en tournant de la terrasse sur la grande allée du parc. D’après un usage consacré par le temps, le portier de l’observatoire est un pensionnaire de l’hôpital de Greenwich, c’est-à-dire un ancien marin. Il me fit entrer dans une cour en face de laquelle s’élève de profil la partie la plus vieille de l’édifice, et d’où une légère voûte de tôle appuyée sur des tiges de fer, servant à la fois de passage et de couvert contre la pluie, conduit aux appartemens privés du savant qui gouverne l’institution. Sur la droite de la cour végètent quelques arbres, tandis que sur la gauche se développe une série de bâtimens très peu élevés dont le plus ancien ne remonte guère plus loin que cent vingt-cinq années, et dont les autres ont été ajoutés à des époques plus récentes à mesure que s’accroissaient les instrumens ou que s’étendaient les besoins du service. Le caractère officiel de ces bâtimens modernes se trouve indiqué à l’extérieur par une rampe de fer qui les entoure. C’est là que s’ouvre le cabinet de travail de l’astronome royal, M. George Biddell Airy. J’entrai donc dans une chambre bien éclairée, dont les murs se montrent couverts de cartes, de gravures, de portraits photographiques de la lune et de la fameuse comète de Donati, qui parut en 1858. M. Airy est un homme de soixante-cinq ans qui a blanchi dans l’étude des astres, et dont les traits énergiques annoncent l’incessante activité d’un ferme esprit soutenant depuis plus d’un quart de siècle l’honneur de l’observatoire de Greenwich. Sur son bureau s’entassent des papiers chargés de calculs, une masse de lettres, mille affaires. Une grande armoire de fer adossée à toute la longueur du mur latéral et pourvue à l’intérieur de rayons en ardoise renferme des documens précieux qui serviront sans doute un jour pour écrire l’histoire de la science au XIXe siècle. Là, par exemple, figurent des lettres et des pièces authentiques destinées à modifier certaines opinions reçues sur la découverte de la planète Neptune. On trouve aussi dans cette armoire la trace d’anciennes erreurs et de chimères qu’on s’étonne de voir reparaître dans un temps éclairé.

Qui croirait que plusieurs Anglais confondent encore l’astronomie avec l’astrologie judiciaire ? M. Airy conserve dans un dossier très curieux des lettres qui lui ont été adressées par différentes personnes de toutes les classes et lui demandant son prix (what are your terms) pour tirer un horoscope. Tantôt c’est un jeune homme qui veut qu’on lui indique « celle qui sera sa femme ; » d’autres fois c’est une lady qui, à la veille de s’embarquer dans la grande affaire de la vie, désire consulter son étoile. Des timbres-poste accompagnent de temps en temps ces missives dans lesquelles celui ou celle qui consulte l’oracle promet d’indiquer fidèlement le jour et l’heure de sa naissance. Le fait est que beaucoup ne comprennent guère qu’on contemple jour et nuit la voûte du ciel sans y poursuivre le secret des destinées humaines. Il y a quelques années, une jeune femme habillée avec goût se présenta elle-même à la porte de l’observatoire : elle s’intéressait à l’un de ses proches qui naviguait dans l’Océan-Pacifique et dont on n’avait reçu aucune nouvelle depuis plusieurs années. Après quelques instans de conversation avec l’un des assistans, elle se retira tout en pleurs parce que les astres n’étaient point à même de lui dire si l’objet de ses affections était encore vivant[3].

Quand et comment fut fondé l’observatoire royal de Greenwich ? Un Français nommé le sieur de Saint-Pierre et protégé par la duchesse de Portsmouth, alors en faveur à la cour, proposa en 1674 à Charles II un moyen de découvrir le degré de longitude d’un vaisseau en mer. Le roi, quoique fort étranger à l’astronomie, fut pourtant frappé des avantages que la marine anglaise pourrait retirer d’une telle méthode à une époque où la navigation et le commerce commençaient à s’étendre dans toutes les parties du monde. Il soumit donc les vues du Français à une commission officielle de savans dans laquelle sir Jonas Moore, inspecteur-général de l’artillerie et maître de mathématiques du duc d’York, fit entrer Flamsteed, déjà connu comme astronome. Voici le problème qu’on leur proposa de résoudre : « si les mouvemens de la lune parmi les étoiles pouvaient être exactement prédits avant qu’un vaisseau ne quittât l’Angleterre, les navigateurs, en observant la situation de la lune par rapport aux étoiles fixes, ne seraient-ils point à même de trouver l’heure précise et de déterminer ainsi le degré de longitude durant tout le cours du voyage ? » Le principe était inattaquable ; mais Flamsteed fit remarquer avec raison que les tables lunaires étaient alors trop défectueuses pour qu’on pût appliquer ce système, et que même les places des étoiles fixes, lesquelles servent de points de repère pour apprécier les évolutions de la lune et des planètes, étaient trop souvent mal indiquées dans les catalogues du temps. Charles II, malgré sa légèreté, s’alarma d’une telle lacune dans les connaissances humaines, et il prit aussitôt des mesures pour que cette branche de l’astronomie pratique fût cultivée sous ses auspices comme une science nationale. Sur le terrain qu’occupé aujourd’hui le parc de Greenwich s’élevait alors une ancienne tour bâtie vers 1440 par Humphrey, duc de Glocester et oncle du roi Henri VI. En moins d’un siècle, cette tour avait subi plus d’un changement : Henri VIII l’avait reconstruite ou tout au moins réparée en 1526, et il y venait rendre visite, s’il faut en croire la chronique, à une belle dame qu’il aimait (a fayre lady). Du temps d’Elisabeth, cet endroit était appelé Mirefleur) et c’est le même sans doute dont il est parlé dans l’Amadis des Gaules. En 1642, on lui donna le nom de Greenwich castle (château de Greenwich). Christophe Wren, l’architecte de l’église Saint-Paul à Londres, et Jonas Moore désignèrent au roi Charles II le site de cette forteresse comme l’endroit qui convenait le mieux pour y construire un observatoire. La position, sur une colline qui domine la Tamise et le passage des vaisseaux, était en effet excellente. La vieille tour féodale fut donc abattue, et sur ses débris s’éleva un édifice consacré à la contemplation des astres[4]. A peine l’édifice était-il achevé que Flamsteed y fut installé en 1676 avec le titre d’astronome royal et un traitement de 100 livres sterling par an. Là s’arrêtèrent les libéralités du roi Charles II. Flamsteed fut obligé de trouver lui-même ses instrumens et de payer à ses frais un auxiliaire pour l’assister dans ses travaux. Comme ses faibles ressources n’y suffisaient point, il donnait dans ses momens de loisir des leçons de mathématiques et d’astronomie à quelques élèves. Sa vie fut une lutte perpétuelle contre l’oubli, l’indifférence et les mauvais traitemens de ses concitoyens. Seul et abandonné à ses propres forces, il triompha pourtant de tous les obstacles qu’opposaient alors à la science l’état rudimentaire des instrumens et le vague des méthodes. Avant lui, le catalogue de Tycho-Brahé était le seul guide qu’eussent les astronomes et les navigateurs pour trouver la place des étoiles. Flamsteed entreprit de tout revoir par lui-même et de renouveler ainsi la base des observations célestes. C’était le temps où Newton, retiré à la campagne, dirigeait sa pensée vers le système du monde. Il s’adressa plusieurs fois à Flamsteed pour obtenir de lui des observations lunaires qui devaient appuyer sa théorie sur la gravitation universelle. C’est ainsi que les expériences les plus exactes qu’on eût encore faites en astronomie vinrent merveilleusement en aide à la plus sublime découverte des temps modernes[5]. Après avoir amassé durant de longues années les élémens d’une histoire du ciel, Flamsteed conçut le désir bien naturel de la publier ; mais où trouver de l’argent pour accomplir son dessein ? Il avait l’idée de s’adresser à des souscripteurs, lorsqu’en 1704 le prince George de Danemark, entendant parler de la valeur de ces observations, proposa de les faire éditer à ses frais. Le premier volume parut au bout de trois années ; mais le prince vint à mourir, et tout le fardeau de la dépense retomba par la suite sur la tête de Flamsteed. Lui-même n’eut point la consolation de voir son œuvre terminée ; il descendit dans la tombe en 1719 avant que le second et le troisième volume de l’Historia cœlestis ne fissent revivre sa mémoire[6]. Il avait dirigé le nouvel établissement durant près d’un demi-siècle, il y avait dépensé 2,000 livres sterling (50,000 francs) de son argent, et ses travaux seront toujours considérés en Angleterre comme le point de départ de l’astronomie moderne. C’est lui bien plus encore que Charles II qui a fondé l’observatoire de Greenwich.

Halley, illustre par des voyages entrepris pour l’avancement des sciences, par un travail sur les comètes et l’étendue de ses connaissances en ce que les Anglais appellent la philosophie naturelle, avait soixante-quatre ans quand il fut nommé astronome royal, et il mourut en 1742. Bradley, qui lui succéda, est à jamais célèbre par deux des plus belles découvertes que l’on ait faites en astronomie, l’aberration de la lumière et la nutation de l’axe de la terre. En 1749, il fit monter dans l’observatoire de Greenwich de nouveaux instrumens astronomiques, et de l’année suivante (1750) date la série d’expériences et de calculs qui caractérisent vraiment cette institution. Enfin il a laissé un immense recueil d’observations de tous les phénomènes que le ciel a présentés vers le milieu du dernier siècle, durant près de dix années consécutives. Après sa mort, la direction des travaux passa entre les mains de Nathaniel Bliss, puis du docteur Nevil Maskelyne, auteur de quatre volumes, dont il a été dit par Delambre que « si par suite d’une grande révolution toutes les sciences venaient à se perdre, à l’exception de ce recueil, on y trouverait des matériaux suffisans pour reconstruire l’édifice de l’astronomie moderne. » Maskelyne fut suivi par John Pond, qui mourut en 1835, et que remplace à Greenwich le présent astronome royal, M. Airy[7].

La résidence de tant d’hommes célèbres inspire naturellement une sorte de respect. M. Airy me conduisit d’abord dans ce qu’on appelle la chambre octogone (octogonal room), et où se trouvent les portraits de tous les astronomes renommés. C’est une très belle salle qui occupe le premier étage au-dessus des appartemens du rez-de-chaussée, et qui fut construite d’après les dessins de Christophe Wren. Percée de hautes fenêtres et décorée d’arabesques d’un grand style, cette pièce, qui formait à l’origine presque tout l’observatoire, n’a qu’un seul défaut, c’est qu’elle ne convient pas du tout à l’étude des astres. Aussi a-t-elle été convertie dans ces dernières années en une salle de réception. Là se rassemble une fois par an, le premier samedi de juin, le conseil des visiteurs, board of visitors. Ce conseil fut institué en 1710, sous le règne de la reine Anne, pour diriger vers certains objets les recherches de l’astronome royal, inspecter l’état des instrumens et s’entendre avec les lords de l’amirauté sur tout ce qui regarde l’observatoire. Du temps de Flamsteed, Newton, en sa qualité de président de la Société royale, était à la tête des visiteurs. Cette circonstance déplut à Flamsteed, qui, aigri par de sourdes persécutions, crut voir dans l’intervention d’un corps étranger et surtout dans la surveillance ombrageuse d’un rival une nouvelle infraction de ses privilèges. Aujourd’hui les rapports entre le conseil des visiteurs et l’astronome royal ont un caractère bien différent. Le premier samedi de juin est au contraire un jour de fête, un agréable anniversaire. Toutes les portes s’ouvrent alors pour recevoir le président de la Société royale, le président de la Société astronomique, le professeur d’astronomie à l’université d’Oxford, le professeur d’astronomie et de philosophie expérimentale à l’université de Cambridge, ainsi que d’autres savans, qui, au nombre de seize, composent le board of visitors. On se réunit dans la salle octogone où l’état-major de l’observatoire se tient en quelque sorte sous les armes et où l’astronome royal lit aux visiteurs le rapport scientifique de l’année, écrit et imprimé pour la circonstance[8].

A part ce lien très léger qui rattache le chef de l’institution à la surveillance d’un conseil, il est indépendant, ce qui veut dire en Angleterre responsable. Nommé par le premier lord de la trésorerie, il tient ses pouvoirs du sceau de l’état. Ses honoraires sont fixés à 800 livres sterling (20,000 francs). Un de ses premiers devoirs est de conserver à l’observatoire de Greenwich le caractère qu’a voulu lui imprimer le fondateur. L’astronome royal est tenu par conséquent, d’après les termes mêmes de son mandat, « de s’appliquer avec le plus grand soin à rectifier les tables des mouvemens du ciel et à déterminer la place des étoiles fixes, afin de fournir le moyen de découvrir en mer la longitude si longtemps désirée et de perfectionner ainsi l’art de la navigation. » Il lui faut aussi résider dans l’observatoire, donner tout son temps aux devoirs de sa charge et ne point faire de longues absences sans avoir obtenu, la permission des lords de l’amirauté. Consulté par diverses branches du gouvernement, il aidé de ses conseils et de ses lumières les services publics, bien sûr de n’être atteint lui-même par aucun des changemens du pouvoir ni par les luttes politiques. A sa maison est attaché un jardin découpé dans les terrains du parc et planté d’arbres à fruits. Il a sous ses ordres huit assistans et d’ordinaire six calculateurs (computers).

Les assistans sont généralement choisis par l’astronome royal, et leur nomination est soumise aux lords de l’amirauté. Les candidats qui se présentent aux places vacantes subissent de la part du chef de l’observatoire un examen en rapport avec la nature des fonctions qu’ils doivent remplir. Le cercle de connaissances qu’exige ensuite chaque avancement en grade est exactement tracé. Un des résultats de ce système a été de rompre avec la vieille coutume de promotion par ordre de séniorité qui n’a d’ailleurs jamais été très en vigueur à l’observatoire de Greenwich. Les assistans avancent par ordre de mérite, et l’astronome considère comme un devoir de perfectionner leur éducation scientifique. Aucun d’entre eux ne réside dans l’observatoire, et outre leur traitement ils reçoivent une indemnité pour le loyer d’une maison[9]. Le premier assistant, qui est le plus souvent un fellow (agrégé) d’Oxford ou de Cambridge, remplace l’astronome royal en cas d’absence ; mais, quelle que soit la confiance accordée à ces auxiliaires de n’importe quel rang, c’est toujours le chef de l’établissement qui répond devant le gouvernement et devant le public de la valeur des observations. Les calculateurs ou surnuméraires diffèrent des assistans en ce qu’ils sont entièrement à la discrétion d’un seul homme. Tandis que les premiers officiers ne peuvent être destitués que par les lords de l’amirauté, les computers sont engagés ou remerciés par l’astronome royal. Si l’on tient à comprendre le rôle de ces employés, il faut savoir que les observations du ciel les plus délicates et les plus minutieuses, quoique occupant souvent de longues heures, ne sont encore rien auprès des calculs qu’elles exigent ensuite pour les réduire. Il est curieux de voir dans deux bureaux, l’un situé au rez-de-chaussée, près du cabinet de l’astronome royal, l’autre isolé dans une des parties les plus silencieuses de l’observatoire, ces compteurs gravement occupés à aligner du matin au soir de lourdes colonnes de chiffres. La plupart d’entre eux sont tout à fait étrangers à l’astronomie ; ils calculent aveuglément sans savoir au juste ce qu’ils prouvent, « et ce sont les meilleurs, » ajoutait en souriant M. Airy. Une bibliothèque est attachée à l’observatoire et se compose naturellement de livres sur l’astronomie, les mathématiques et le système du monde. L’idée qui a présidé à la formation de cette library et au choix des ouvrages mérite bien d’être signalée. Les assistans sont tous des hommes capables qui font de la science astronomique une étude et une profession ; mais telle est la masse de travaux routiniers auxquels ils sont régulièrement soumis que, si l’on n’y prenait garde, l’établissement pourrait bien dégénérer en un simple bureau de commis. C’est pour éviter cette contagion du positif et réagir contre certaines tendances trop réalistes que M. Airy crut avantageux de fournir à ses aides et collaborateurs le moyen de se mettre en rapport avec la littérature scientifique. Grâce à une telle collection d’ouvrages choisis, ils sont à même d’étudier les systèmes des savans étrangers, les théories des temps anciens et modernes. De cette manière l’homme ne s’incruste point à sa fonction, et le caractère d’astronome peut encore prévaloir sur celui de pur observateur des faits. En agissant ainsi, le directeur a eu non-seulement en vue le présent, mais aussi l’avenir de l’institution ; accroître les connaissances et l’instruction de son personnel, préparer même à ses successeurs les élémens d’une philosophie plus étendue, n’est-ce point élever la valeur morale de l’observatoire ? Je visitai également la chambre des manuscrits, manuscript room, construite en fer, de manière à la prémunir contre les dangers d’un incendie. On n’y allume jamais de feu, mais les murs sont séchés durant l’hiver par un conduit de chaleur. Là reposent couverts d’une vénérable poussière des plans de l’observatoire probablement gravés d’après les dessins de Flamsteed, les manuscrits de Bradley et beaucoup d’autres monumens très précieux pour la science. Dans cette collection figurent aussi toutes les observations des planètes et de la lune faites à Greenwich depuis 1750 jusqu’à nos jours et réduites par M. Airy ; quelles volumineuses archives du ciel !

Je voudrais nettement indiquer le caractère de cette institution astronomique.

Avant de dire ce qu’est l’observatoire de Greenwich, peut-être convient-il de dire ce qu’il n’est point. Il laisse à d’autres curieux le soin de découvrir les taches du soleil et les montagnes de la lune. Les observations des assistans ne s’attachent ni à la figure des planètes, ni aux mouvemens extraordinaires des étoiles doubles qui tournent l’une autour de l’autre dans les profondeurs du firmament, ni au mystère des nébuleuses. Quels motifs invoque l’observatoire de Greenwich pour abandonner ces vastes champs de l’astronomie ? De tels phénomènes, assure-t-on, présentent par eux-mêmes tant de charmes à l’esprit qu’ils trouveront toujours des observateurs enthousiastes. La solution des étoiles doubles, par exemple, et tous les problèmes qui s’y rattachent forment un des objets les plus importans d’étude à Cambridge et à Pulkowa, en Russie. Il en est de même des comètes ; les instrumens pour guetter l’arrivée de ces étranges visiteurs sont si puissans dans d’autres observatoires publics et même particuliers, les méthodes pour réduire en calculs les témoignages des sens ont acquis un tel degré d’exactitude qu’on perdrait presque le temps, si l’on répétait souvent les mêmes recherches à Greenwich. L’institution a voulu concentrer ses forces sur ce qui ne se faisait point ailleurs, ou du moins sur ce qui ne s’y faisait point aussi bien. Avec quelle fermeté de caractère, quelle obstination tout anglaise ses observateurs ont volontairement jeté un voile sur certaines splendides curiosités du ciel ! Du temps de John Pond, un télescope de 20 pieds de longueur avait été monté à grands frais dans l’établissement, et, comme cette lunette attirait des visiteurs, il fit démanteler l’instrument. Vers 1847, M. Airy étant astronome royal, M. Lerebours offrit à l’observatoire de Greenwich le plus grand télescope à réfraction qui eût jamais été construit. Certes la tentation était grande ; il eût été flatteur pour l’institution de posséder une telle merveille unique dans le monde ; M. Airy n’avait qu’à dire un mot, et les lords de l’amirauté auraient assurément consenti à cet achat. L’astronome écarta au contraire le présent d’une main sévère. Que craignit-il donc ? Les perfides influences de la sirène, qui, en fixant l’attention sur les beautés du ciel, aurait peut-être détourné les assistans de leur tâche journalière et compromis le succès de l’observatoire.

D’accord avec le principe anglais de la division du travail, l’établissement de Greenwich a tracé dans le champ des phénomènes célestes la limite de ses recherches, et il a retenu pour lui la part la plus laborieuse, sinon la plus ingrate. C’est celle du moins qui exige le plus de calculs, une extrême précision dans les instrumens et une continuité infatigable dans le système des observations. On ne cultive guère en réalité dans l’ancienne demeure de Bradley qu’une branche de l’astronomie, la plus pratique et celle qui se rapporte directement à la marine. Les observations s’attachent jour et nuit au soleil, à la lune, aux planètes et à certaines étoiles dans leur passage au méridien ; mais les études gagnent ainsi en profondeur ce qu’elles perdent en étendue. C’est en effet à une telle limitation que les savans attribuent la renommée universelle de cet observatoire. Aussi tout instrument de luxe étranger à l’objet principal est-il ou rejeté ou accueilli avec froideur. Il ne faudrait point d’ailleurs se méprendre sur le sens du mot pratique ; les délicates observations qui se poursuivent à Greenwich, à cause même de la précision qui les distingue, servent de fondemens à la plupart des vues spéculatives sur le système du monde.

Une visite aux instrumens que possède cet observatoire nous fera encore mieux saisir le but et la destination des recherches scientifiques. Il existait à Greenwich, du temps de Flamsteed, ainsi que dans la plupart des anciens établissemens du même genre, un puits sec mesurant cent pieds anglais de profondeur, et dans lequel on descendait par des marches de pierre pour observer les astres durant la journée. Le progrès dans la construction des télescopes a rendu cette méthode inutile[10]. Aussi le puits a-t-il été depuis bien longtemps recouvert d’une arche. Aujourd’hui c’est dans diverses parties de l’édifice qu’il nous faut trouver ces instrumens, véritables espions du ciel, destinés à étendre la portée de nos sens et à en dissiper les erreurs. Trois d’entre eux méritent surtout d’appeler notre attention : ce sont le transit-circle, l’altazimuth et le grand équatorial.


II

Entrons d’abord au rez-de-chaussée dans une salle appelée transit-circle room (chambre du cercle du méridien), au milieu de laquelle s’élève une construction de pierre et de métal érigée vers la fin de 1850. Tout le matériel de l’observatoire a été renouvelé depuis moins d’une trentaine d’années, et la destination des anciennes salles se trouve aujourd’hui changée entièrement. Pas un seul des instrumens qui servaient encore lors de l’avènement du présent astronome royal ne fonctionne maintenant à Greenwich. Que sont pourtant devenus ces muets auxiliaires de la science ? On les retrouve de distance en distance suspendus aux murs dans les chambres s’ouvrant de plain-pied sur la cout. Voici par exemple un quart de cercle (quadrant), ouvrage d’Abraham Sharp. Cette précieuse relique avait été vendue pour le cuivre à un chaudronnier ambulant, et fut présentée à l’observatoire en 1865 par le révérend N.-S. Heineke. Ailleurs on peut voir le transit du docteur Halley, puis celui de Bradley, qui fut détrôné à son tour par un autre instrument meilleur appartenant lui-même au passé. Dans cette série d’avatars et de fossiles de la science, s’il est permis de les appeler ainsi, on suit en quelque sorte pas à pas les progrès mécaniques de l’astronomie. Quelques-unes de ces inventions, aujourd’hui bien dépassées, ont pourtant eu leur jour de gloire. Elles ont rendu d’éminens services à l’esprit humain, témoin ce grand secteur, zénith sector, qui fut construit en 1727 par Graham, fameux horloger anglais, et à l’aide duquel Bradley reconnut l’aberration des étoiles. Presque tous ces cercles de bois, dont les rayons convergeant vers un centre rappellent à première vue la figure vulgaire d’une roue de carrosse, ont après tout des titres à notre respect et à notre reconnaissance en raison des hautes découvertes qui s’y rattachent. De tels ustensiles abandonnés n’inspirent-ils point d’ailleurs une pensée mélancolique ? Le moderne outillage qui leur a succédé serait-il destiné à partager le même sort ? Ne viendra-t-il point un jour où ces mêmes conquêtes de l’astronome et du machiniste, qui s’étalent maintenant avec un juste orgueil dans les salles de l’observatoire, remplacées à leur tour par des instrumens encore plus parfaits, iront rejoindre sur les murs les autres trophées du temps ? C’est l’histoire de la science, qui avance comme la nature par une série de créations se dévorant les unes les autres.

Les astronomes de Greenwich considèrent leur présent transit-circle comme le prototype le plus parfait qui existe dans le monde. Les autres instrumens du même genre qu’on rencontre dans d’autres observatoires, par exemple au cap de Bonne-Espérance et à Cadix, ne sont que des copies de ce modèle ; il est vrai que, comme il arrive souvent en pareil cas, les enfans ont profité des erreurs et de l’expérience de leur père[11]. Pour quiconque est étranger à l’astronomie, une telle machine scientifique présente à première vue plus d’une énigme ; mais qui ne serait frappé de la grandeur de l’ouvrage dans lequel on reconnaît tout de suite les principaux traits du caractère anglais, la précision et la force ? Ce transit-circle est, comme l’indique son nom, une combinaison de deux instrumens depuis longtemps en usage à l’observatoire de Greenwich, — l’un qui fait reconnaître les astres dans leur passage au méridien et l’autre appelé cercle mural, qui mesure la distance angulaire de ces mêmes astres à l’état de déclinaison. Pour répondre au premier objet, c’est-à-dire à l’observation des corps célestes, s’élève un vaste télescope ressemblant à un lourd canon monté sur un affût de pierre. Long de douze pieds anglais, il est construit en fonte et composé de quatre grosses pièces coulées séparément, mais très solidement rejointes les unes aux autres. Son objectif, dont l’ouverture semblable à un œil de cyclope mesure plus de huit pouces de diamètre, n’est point doué d’un très grand pouvoir de grossissement. Dans d’autres cas, ce serait un défaut ; mais il faut savoir que cette lunette n’est nullement destinée à scruter le ciel ni à poursuivre dans les espaces infinis des astres rebelles à la vue. Ce qu’on lui demande surtout, c’est d’être bien éclairée à l’intérieur, et sous ce rapport elle répond pleinement aux conditions exigées. Un appareil nouveau permet même d’y gouverner la lumière et de l’adapter merveilleusement à la nature des phénomènes célestes qu’on se propose d’observer. Ce télescope est soutenu en l’air par un axe tournant sur deux pivots, et à l’aide de tourillons de fonte on peut l’élever ou l’abaisser à volonté. Il est vraiment curieux de voir avec quelle parfaite docilité cette lourde masse obéit à la moindre impulsion du doigt. Ses évolutions se trouvent d’ailleurs limitées à un mouvement de haut en bas, car il faut toujours que le télescope soit exactement braqué dans la direction du nord ou du midi, et la moindre déviation à cet égard, ne fût-ce que l’épaisseur d’un cheveu, produirait une source d’erreurs. Pour assurer cette position exacte, on se sert de deux tubes et d’une cuve de mercure placée au-dessous de l’objectif de la lunette. Quant à la seconde opération, celle qui consiste à mesurer les distances et à fixer la position des astres dans leur mouvement de déclinaison, c’est le rôle d’un cercle attaché à l’instrument et dans lequel est insérée une mince bande d’argent gravée de lignes très fines à une distance égale les unes des autres. Ces lignes ou divisions se montrent ensuite grossies par de puissans microscopes, dans le champ desquels joue la lumière du gaz, et qui sont eux-mêmes enfermés dans une ouverture creusée au centre d’une des deux massives jetées de pierre entre lesquelles la lunette se meut encaissée. Pour bien comprendre cet instrument, il faut le voir en action.

Une observation du soleil a lieu au moins une fois par semaine, à midi, dans la salle du transit-circle, et une grande partie de l’état-major de l’établissement y assiste ; mais c’est surtout la nuit qu’on peut se faire une idée de la manière dont se constate le passage des corps célestes au méridien. La liste des planètes et des étoiles qu’il convient de surveiller est dressée le lundi matin par l’astronome royal ou sous sa direction, et cette liste, placée sur le manteau de la cheminée, dans la chambre des calculs (computing room), indique d’avance les arrangemens de la semaine pour chaque assistant. Les premières observations faites avec le nouveau transit-circle datent de 1851, et à partir de ce moment elles n’ont jamais été interrompues. L’assistant chargé d’épier à l’aide de cet instrument l’état du ciel est de garde pendant vingt-quatre heures[12]. A moins de circonstances tout à fait extraordinaires, on ne le charge jamais deux jours de suite des mêmes fonctions. Après avoir déjà travaillé quelques heures à partir du coucher du soleil, il s’est rendu chez lui pour prendre son repas du soir, et quand il revient dans la salle du transit-circle il fait tout à fait nuit. Les volets qui ferment pendant le jour une partie du plafond sont levés, et le ciel tout entier semble entrer dans la chambre par cette ouverture.

Après avoir consulté la liste des corps lumineux qu’il doit observer, l’heure de leur passage et leur situation approximative dans le ciel, l’astronome ajuste le télescope au moyen de manches saillans jusqu’à ce qu’il ait bien trouvé la direction convenable. Ceci fait, il s’assoit dans un bon fauteuil dont le dossier se renverse à volonté. Plus l’objet qu’on désire atteindre de l’œil est à une grande hauteur dans le ciel, et plus il faut être bas pour le voir. S’agit-il par exemple d’une étoile située près du zénith, l’observateur devra se coucher tout à fait sur le dos. Jusqu’ici rien ne paraît encore ; mais l’assistant de service se tient sur le qui-vive. Son attention n’est comparable qu’à celle du chasseur ou encore mieux à celle du chien d’arrêt : seulement, au lieu d’une perdrix ou d’une bécasse, il s’attend à voir lever une étoile. La voici ! elle accourt vive et soudaine comme un météore. A peine est-elle entrée dans le champ du télescope qu’on la voit s’approcher rapidement de ce qui paraît être une série de grosses barres de fer transversales placées à égales distance les unes des autres. Ce ne sont pourtant en réalité que des fils de toile d’araignée tendus selon un système dans l’intérieur de la lunette et merveilleusement grossis par la puissance des verres. Au moment où l’astre attendu passe derrière le premier fil, l’observateur appuie le doigt sur une clé d’ivoire attachée à l’instrument et qui éveille à l’instant même un courant magnétique dont il nous faudra suivre la trace et l’action dans une autre chambre appelée chronographic room, la chambre du chronographe. Qu’il nous suffise de savoir pour le moment que ce mouvement des doigts annonce l’ordre des faits tels qu’ils se passent dans l’intérieur du télescope et au fur et à mesure qu’ils sont saisis par la vue. On appelle cela « frapper un passage ; » ce bouton comprimé tape effectivement en jouant sur son ressort, et les astronomes de Greenwich sont à cet égard les rapping spirits des phénomènes célestes. Chacun d’eux a sa manière de toucher la clé d’ivoire, et au milieu du silence de la nuit les autres assistans reconnaissent tout de suite, sans même se donner la peine d’ouvrir la porte, quel est celui qui travaille dans la salle. Ou prétend en outre que certaines nuances de caractère ou certaines émotions de l’âme, telles que l’impatience ou l’inquiétude, impriment à ces vibrations de l’instrument un ton particulier. Toujours au guet, l’observateur n’a point un instant perdu de vue son étoile, qui glisse successivement à travers neuf fils divisant le champ du télescope, et à chaque fois qu’elle se montre derrière un de ces fils un nouveau mouvement du doigt et un nouveau coup sec annoncent aussitôt qu’elle est là. De l’autre main, il tourne un écrou qui fait passer sur l’astre un autre fil de fer horizontal, de sorte que l’étoile, intersectée par ces barreaux, ressemble à un oiseau de lumière pris dans une cage. Elle ne tarde pourtant point à s’échapper et s’évanouit comme elle est venue, en scintillant. L’observateur détache alors son regard de l’oculaire de la lunette, et, après avoir lu certains caractères hiéroglyphiques gravés sur une partie de l’instrument, il descend de son siège pour aller consulter les résultats marqués par les micromètres et mesurer ainsi l’angle des distances.

Les assistans sont tous des astronomes de profession dont les yeux ont été exercés par une pratique assidue. Comment donc se fait-il que leurs observations ne se rapportent point toujours entre elles ? Il y a là un mystère physiologique intéressant à pénétrer. Chaque observateur, quoique servi par le même instrument et guidé par les mêmes méthodes, aperçoit un phénomène céleste, comme par exemple le passage d’une étoile, plus tôt ou plus tard qu’un autre. On attribue cette différence à l’individualité du sens de la vue ou à la manière plus ou moins prompte dont l’œil télégraphie ses impressions au cerveau. Il ne s’agit point ici, qu’on l’entende bien, de grandes inégalités de temps, je parle tout au plus de quelques fractions de seconde ; mais les observations astronomiques du transit sont si délicates que les moindres écarts en altéreraient le mérite. Il a été nécessaire en ce cas d’établir une moyenne arbitraire, standard, et chaque observateur sait au juste de combien ses facultés visuelles s’éloignent d’un tel idéal. De là cette question inintelligible pour un profane, mais que les astronomes s’adressent volontiers entre eux : « quelle est la valeur de votre équation personnelle ? » A quoi il est répondu par un chiffre exprimant le degré de déviation du type. Le plus singulier est que la valeur de cette équation personnelle n’est point la même chez le même observateur pour tous les astres du ciel ; tel saisit plus vite les phénomènes d’une étoile qui saisira plus lentement ceux de la lune et vice versa[13]. Il faut aussi tenir compte des aberrations de l’instrument. Tout excellent qu’il soit et quoique solidement fixé à des murs de pierre enfoncés dans le sol, il subit quelquefois de légères vibrations qui ne peuvent être attribuées qu’au terrain sur lequel il est construit[14]. Si l’on réfléchit maintenant à ce que de telles recherches exigent de soins et de calculs pour rectifier les moindres inexactitudes et pour analyser les moindres parcelles du temps, on comprendra sans peine comment cette branche pratique de l’astronomie ne puisse être cultivée que dans un établissement de l’état et même à certains égards dans un seul observatoire au monde.

En face du télescope et dans la même salle où s’élève le grand transit-circle figure une horloge qui mérite bien d’appeler notre attention, et qui est réglée tous les jours par les observations des astres au moment de leur passage derrière les fils de l’instrument. C’est elle qui mesure le temps en souveraine dans l’institution de Greenwich. Gardons-nous pourtant bien de la consulter si nous voulons mettre notre montre à l’heure : quoique recevant ses inspirations du ciel, elle nous tromperait. Ce qu’elle indique est l’heure sidérale et non l’heure solaire : or entre l’une et l’autre il y a souvent une différence de plusieurs minutes. Cette horloge sert en même temps à guider l’observateur chargé de noter le transit des corps célestes. Une des facultés qui étonnent le plus chez certains astronomes est la mesure automatique du temps. Avant de coller son œil au télescope, l’assistant regarde le cadran de l’horloge, transit-clock, et prête un instant l’oreille pour bien saisir les pulsations des secondes. Après s’être ainsi monté lui-même à ce diapason, il continue de marquer par une sorte de mouvement intérieur les plus minimes fractions de l’heure qui se succèdent. A partir de ce moment, c’est lui qui est l’horloge vivante. Encore faut-il que l’observateur se garde bien de prêter toute son attention à cette mesure du temps ; n’a-t-il point besoin de la meilleure partie de ses forces pour noter et disséquer les phénomènes du passage des astres ? Comme son regard et son esprit se trouvent occupés par ces autres objets, il doit en quelque sorte compter les secondes et même les divisions de secondes par une sorte d’instinct mécanique, et non du tout par un acte de la réflexion. Cette faculté est acquise, et chez quelques-uns se développe même assez vite par l’exercice ; mais, si l’on n’en possède point le germe, on ne saurait jamais faire un astronome pratique.

L’observateur qui travaille pendant la nuit au transit-circle est souvent chargé de reconnaître dans le ciel des objets réclamant la plus scrupuleuse attention. C’est d’abord la lune et quelques étoiles qui se trouvent dans le voisinage de cet astre, viennent ensuite les planètes dans un ordre qui change d’ailleurs selon les jours de l’année, puis certaines étoiles fixes qui ne sont point étrangères à l’art de la navigation, ni à la division du temps. Ces corps célestes ont du moins l’avantage d’être aisément visibles ; mais il n’en est plus du tout de même quand il s’agit de nombreux astéroïdes qui tournent autour du soleil dans des orbites situées entre celles de Mars et de Jupiter. Ces pygmées du système solaire sont souvent si difficiles à apercevoir, même à l’aide des meilleurs télescopes, que plusieurs minutes avant leur passage l’observateur est obligé d’abaisser dans la salle la lumière des becs de gaz. Eh bien ! malgré toutes les précautions, ces points d’une clarté douteuse échappent encore de temps en temps à la vue, armée des instrumens les plus puissans. Tel est le caractère pénible et minutieux de ces recherches que l’observatoire de Greenwich s’est entendu dernièrement avec celui de Paris pour se partager le travail. De la nouvelle lune à la pleine lune, toutes les petites planètes sont inspectées à Greenwich, et de la pleine lune à la nouvelle lune elles sont surveillées à Paris. Les éphémérides sont ensuite communiquées par M. Airy à M. Leverrier, et réciproquement. Cet échange de services a un peu allégé le fardeau des astronomes dans l’un et l’autre pays, et pourtant leur tâche est dure : il leur faut quelquefois guetter les voûtes constellées durant dix et onze heures de suite par les plus belles nuits d’hiver. Ces belles nuits sont glacées ; le ciel, transparent comme une tombe de cristal, est ouvert au-dessus de la tête de l’observateur ; toute cette lumière sidérale éclaire, mais ne réchauffe nullement. Et de quoi servirait d’allumer du feu en plein air ? Entré à la brune par une des portes du parc, dont il a la clé, l’assistant sort heureux et transi avant que le lever du soleil ait effacé les autres astres dans la clarté du jour.

Quel est pourtant l’objet de ces observations ? C’est de déterminer à un moment donné la position exacte dans le ciel des planètes et des principales étoiles visibles sous le degré de latitude de Greenwich. Ces indications certaines fournissent ainsi le moyen de rectifier les erreurs qui ont pu se glisser dans d’autres travaux anciens ou modernes ; elles préparent en même temps les matériaux nécessaires pour la publication de l’Almanach nautique (Nautical Almanach). Ce guide astronomique des navigateurs est imprimé trois ou quatre ans d’avance pour le bénéfice de ceux qui entreprennent de longs voyages en mer. Le volume pour 1868 avait déjà paru en 1865[15]. On y prédit jour par jour les places de la lune et des planètes, ainsi que tous les phénomènes qui intéressent le gouvernement d’un vaisseau. C’est en effet de l’observatoire de Greenwich que le navigateur attend les lumières suffisantes pour reconnaître sa position sur mer, celle des lieux où il doit aborder et des écueils qu’il lui faut éviter le long de la route. L’astronome qui épie les mouvemens du ciel sur la colline du parc tend la main par-delà l’immensité de l’océan au marin égaré sur le grand désert d’eau, et force en quelque sorte les étoiles à le conduire vers le port. Mais comment peut-il en être ainsi, et quel est le moyen de trouver la longitude en mer ? Qu’on suppose un vaisseau abandonné aux vents pendant la nuit près des rochers ou des bancs de sable dont il se croit encore éloigné. Le ciel est voilé de ténèbres, et le nautonnier a perdu son chemin. Tout à coup une éclaircie entre les nuages permet de distinguer un groupe d’étoiles et la lune. Le nocher consulte aussitôt son Almanach nautique, puis à l’aide d’instrumens et de calculs bien connus des marins il ne tarde point à découvrir, par la situation des astres, quelle heure il est dans l’endroit où se trouve à présent le navire. Comparant ensuite cette heure avec celle de son chronomètre, qui a été réglé avant le départ sur l’horloge de Greenwich, il reconnaît aisément son degré de longitude ; qui ne sait en effet que la différence du temps donne dans ce cas-là celle des distances ? La confiance rentre à l’instant même dans le cœur du matelot, car il sait maintenant où il est et peut voguer en brave sur la mer dont il prévoit les embûches.

De tous les astres qui se rattachent à la navigation le plus important est sans contredit la lune ; c’est aussi pour elle que l’observatoire de Greenwich a été fondé. Depuis longtemps, cet établissement s’est illustré par ses études sur notre satellite. Jusqu’en 1814, l’on avait recours à lui pour tous les renseignemens relatifs aux études pratiques du ciel : depuis lors les astronomes allemands se servent des observations du soleil faites à Kœnigsberg ; mais celles de la lune défient et défieront sans doute longtemps toute rivalité. C’est au point que le ministre de la marine française écrit de temps en temps à l’astronome royal de Greenwich pour obtenir les tables lunaires de cet établissement, qui font autorité dans toute l’Europe. Et pourtant dès 1840 M. Airy avait été frappé d’une grave lacune dans les moyens alors connus de surveiller cet astre. Les observations par exemple obtenues à l’aide du transit-circle ne peuvent nullement avoir lieu au moins quatre jours avant et quatre jours après la nouvelle lune, parce que ce corps céleste se trouve alors trop rapproché du soleil. Il arrive en outre très souvent sous le climat humide de l’Angleterre que des nuages obscurcissent la face de notre satellite au moment où il entre dans la ligne du méridien. En un pareil état de choses, on observait imparfaitement une moitié du cours de la lune, et un quart se trouvait entièrement perdu. C’est pour remédier à un tel inconvénient que fut inventé l’altazimuth[16]. Grâce à cet appareil mobile, qui suit la lune dans toutes les parties du ciel au lieu de l’attendre seulement sur un point donné, il n’est guère de nuit, si nuageuse qu’elle soit, où ce globe lumineux, se trouvant sur l’horizon, ne se montre de temps en temps à l’astronome de service. De cette manière, on a de beaucoup étendu le champ des recherches. Avant 1847, époque où fut érigé le nouvel instrument, on obtenait à peine cent observations lunaires par année ; elles s’élèvent maintenant à plus de deux cent douze dans l’établissement de Greenwich. Les résultats acquis à l’aide de l’altazimuth sont ensuite comparés à ceux que donne le transit-circle, et au moyen de ces doubles observations, faites au méridien ainsi qu’en dehors du méridien, on a pu arriver à un degré de certitude inconnu jusque-là dans les autres établissemens astronomiques.

Pour atteindre cet instrument, l’altazimuth, il nous faut monter un escalier étroit tournant autour d’un pilier en briques qui se trouve enfermé dans la maçonnerie. Cette colonne, qui du sol s’élève presque jusqu’au dernier étage, supporte une grosse pierre cylindrique servant de piédestal et en quelque sorte isolée au milieu de l’édifice. De cette manière, on a beau marcher à pas lourds autour de l’instrument, on ne réussit nullement à l’ébranler ; appuyé sur sa ferme base, il est indépendant du plancher de la chambre où il se trouve. Toutes ces précautions délicates sont nécessaires pour assurer le succès des observations astronomiques. L’altazimuth ne ressemble pas mal à une grosse cloche en fonte coulée d’un seul flot de métal et au centre de laquelle on aurait inséré un télescope. Vu pendant la journée, c’est une masse inerte, mais le soir quel changement ! Il en est de ces appareils astronomiques comme des oiseaux de nuit qui, engourdis sous la lumière du soleil, se réveillent à l’heure des ténèbres. Tout d’ailleurs ne s’anime-t-il point autour de l’instrument ? La chambre où il repose est couronnée d’un plafond de bois en forme de dôme, qui se met lui-même en mouvement sous l’impulsion de la main. Cette calotte roulante est percée d’une ouverture masquée durant le jour par des volets qu’on ouvre à volonté, et en tournant cette lucarne en face de l’objectif de la lunette l’observateur peut choisir la partie du ciel qui lui convient le mieux. La lune est encore cachée que déjà l’assistant la guette et braque sur le point de l’horizon où elle est attendue le télescope flanqué entre les deux ailes de la lourde machine. Quoique pesant près d’une tonne, cette masse obéit en serviteur docile à la main qui sait la réduire et vit en quelque sorte du souffle de sa volonté. L’astre paraît ; il est aussitôt salué par ce bruit de piston que nous avons déjà entendu dans une autre salle de l’observatoire. Le claquement de la clé d’ivoire se répète chaque fois que la lune passe par les douze fils entre-croisés dans le champ du télescope, six horizontaux et six verticaux. L’observation terminée, une autre recommence : on démonte alors et remonte l’instrument, qui se laisse faire avec la soumission d’un éléphant ramassant une aiguille au bout de sa trompe. Le service de l’altazimuth est un de ceux que redoutent le plus les assistans de Greenwich durant les sombres nuits de novembre, qui sont pour eux des nuits blanches. Exposés pendant de longues heures aux souffles irritans des vents d’ouest, ils reçoivent en plein dans les yeux cette morne clarté de la lune, la plus fatigante de toutes pour la vue. Et cependant Phœbé est décidément la favorite de l’observatoire : lorsque plusieurs objets se disputent l’attention des astronomes de Greenwich, elle obtient toujours la préférence. Il est d’usage dans l’établissement, depuis un temps immémorial, de suspendre le dimanche les observations du ciel ; ce jour-là on donne congé aux astres ; un seul se trouve excepté de cette règle, et c’est la lune. Les yeux d’Argus qui la guettent ne se reposent ni jour ni nuit durant toute l’année[17]. On parle d’ailleurs d’elle comme d’une personne ; elle a un âge, une figure ; elle est jeune ou vieille selon le nombre des jours qu’elle se trouve avoir depuis sa naissance. Et pourtant qu’on ne s’y trompe point, ces observations obtenues à l’aide de l’altazimuth, pas plus que celles faites avec le transit-circle, n’ont rien en elles-mêmes de très poétique. De quoi s’agit-il en effet ? De déterminer le moment exact où tel astre apparaît sur un point du ciel et celui où il disparaît. Jusqu’ici l’observatoire de Greenwich traite un peu les affaires du monde étoile à la manière d’un négociant de Londres marquant sur son livre les entrées et les sorties. Certes il faut que de tels travaux se fassent : plus même ils sont sévères, et plus n’y a-t-il point lieu d’admirer l’infatigable patience de ceux qui ont le courage de les poursuivre ? Cette branche de l’astronomie est toutefois celle qui flatte le moins l’imagination. L’observateur doit s’interdire tout sentiment à la vue des sublimes phénomènes du ciel et fixer d’un œil froid ces régions constellées de l’espace dont le silence effrayait Blaise Pascal. Il n’a même rien à voir, au moins pour le moment, dans l’ordre et la constitution des grands globes lumineux qui glissent au-dessus de sa tête. Leur place et l’heure qu’ils indiquent, voilà tout ce qui le regarde. Si pourtant on tient à ouvrir dans le ciel des perspectives plus vastes et plus mystérieuses, il faut se rendre dans la salle du great equatorial.

Logé dans le nouveau dôme du sud-est, new south-eastern dome, cet instrument est à coup sûr celui qui excite le plus à première vue la surprise et l’admiration des étrangers. Les gradins en amphithéâtre qui l’entourent d’un cercle de fine menuiserie, le plafond mouvant en forme de tambour, les ouvrages de fer qui supportent le télescope, tout respire ici un sentiment de grandeur et de majesté. L’objectif de la lunette, mesurant douze pieds trois quarts de diamètre a coûté à lui seul 1,200 livres sterling (30,000 francs.) L’instrument monté vers 1859 est pourvu de tous les accessoires pour faire des observations astronomiques en dehors du méridien. Indiquons tout de suite le caractère principal qui le distingue du transit-circle. Le grand équatorial n’est point destiné à recevoir une étoile qui vienne pour ainsi dire le visiter à l’heure et au lieu fixés du rendez-vous ; son rôle est au contraire de poursuivre dans le firmament les constellations vagabondes. Pour qu’il en fût ainsi, il fallait qu’il pût se mouvoir, lui et tout ce qui l’entoure, vers n’importe quelle direction du ciel. Il n’y a pas jusqu’à la chaise de l’astronome qui ne s’élève, s’abaisse, se tourne et s’ajuste en quelque sorte d’elle-même à la nature des observations. On dirait en vérité un fauteuil intelligent. Quant au toit, il est nécessaire qu’il s’associe également à la ronde des astres. Construit en bois, recouvert de zinc à l’extérieur et revêtu à l’intérieur de minces lames de fer, il roule sur des boulets de canon occupant de distance en distance le haut du mur circulaire auquel il s’appuie. Ce plafond s’ouvre et se désarticule en outre à volonté par le moyen de volets mobiles. Quand on veut changer son point de vue, on fait tourner une roue armée de dents de fer : le toit se met aussitôt en marche et s’arrête lorsque l’ouverture se trouve directement en face de l’observateur. Ce n’est pas encore tout : pour qu’on puisse scruter avec attention les mystères du ciel, il faut que l’objet contemplé reste longtemps visible à la même place. Or comment peut-il en être ainsi, puisque la terre, en accomplissant chaque jour son mouvement très réel de rotation, communique un mouvement apparent aux étoiles ? Quiconque a regardé dans une lunette fixe sait en effet, que les corps célestes s’y dérobent bien vite à la vue. Pour obvier à cet inconvénient, il a fallu animer l’instrument d’une action exactement conforme à celle de la mécanique planétaire, car le mouvement détruit l’effet d’un autre mouvement tout à fait semblable. Une sorte d’horloge d’eau qui se trouve dans une salle inférieure à celle du great equatorial est chargée de ce soin, et suffit à faire mouvoir le massif appareil. Un seul fait montrera du reste avec quel succès elle s’acquitte de ses délicates fonctions. Une nuit le télescope avait été abandonné au moment où Jupiter se montrait près du fil central ; l’assistant, appelé ailleurs par d’autres travaux, revint au bout de plus d’une heure et retrouva la planète juste au point où il l’avait laissée. L’instrument obstiné n’avait point lâché sa proie.

On se sert du grand équatorial pour examiner les astres, les éclipses du soleil, les comètes et beaucoup d’autres phénomènes célestes. Seul ce télescope peut satisfaire notre juste curiosité en ce qui touche la forme visible des mondes roulant au-dessus de nos têtes. S’agit-il par exemple de la lune, qui nous intéresse davantage parce qu’elle est la plus rapprochée de notre globe terrestre : sa surface inégale et rugueuse apparaît dans l’instrument marquée de plaques et de traînées luisantes entrecoupées de taches noires. Ces parties éclairées, on a tout lieu de le croire, sont les sommets de très hautes montagnes touchées par les rayons du soleil. Les taches noires sont au contraire les ombres que projettent les masses de ces Alpes et de ces Andes lunaires. Dans les bandes obscures brillent pourtant encore par intervalles des points lumineux. On a cherché à expliquer ces alternatives d’ombre et de clarté par ce qui se passe sur notre sphère. Quel voyageur ayant parcouru le pays de Galles ou l’Ecosse n’a observé autour de lui de semblables effets ? Le soir, au moment où les vallées et la base des montagnes s’ensevelissent déjà dans l’obscurité, la lumière du soleil à son déclin ne continue-t-elle point de s’accrocher aux angles et aux crêtes des pics se dressant à l’envi les uns des autres de distance en distance ? La lune a des montagnes ; elle a aussi des volcans qu’on distingue à leur forme annulaire. Ces derniers sont si reconnaissantes qu’on leur a donné des noms ; les astronomes ont fait mieux encore, ils les ont mesurés. Voici par exemple le cratère éteint de Tycho : il a, m’assure-t-on, quarante-sept milles d’ouverture. Les escarpemens, les contre-forts et les chaînes extérieures qui l’entourent s’élèvent de trois milles au-dessus de la plaine renfermée dans cette enceinte dentelée de collines, et où se dresse encore un rempart central haut de plus d’un mille[18]. On peut ainsi se faire une idée de la constitution physique de la lune et de l’audace de l’esprit humain, qui, non content d’explorer la terre, cherche à pénétrer les secrets des autres mondes. À l’aide de très forts télescopes, on distingue jusqu’aux différentes couches de roches composant la bouche des cavernes volcaniques. Un pas de plus dans la construction des instrumens, et les savans seront peut-être à même de faire un jour la géologie de la lune. Du reste, jusqu’ici aucune trace certaine de végétation : c’est une masse aride, une surface de pierre ponce hérissée de montagnes et entrecoupée d’abîmes, un monde mort ou un monde en train de naître. Le moment le plus favorable pour observer cet astre est celui de la pleine lune, et pourtant, lorsque son jeune croissant se détache dans le ciel mince et clair comme la faucille du moissonneur, il est aussi très curieux de le regarder au télescope. On voit alors la lune toute ronde ; mais son croissant seul est éclairé, tandis que le reste de son pâle disque s’accuse faiblement dans une sorte de pénombre[19].

Les assistans sont en outre chargés de temps en temps d’observer et même de dessiner la figure des planètes telles qu’elles apparaissent à travers le télescope. Tantôt c’est Vénus surpassant en clarté toutes les autres, et dans laquelle on découvre une atmosphère, ainsi que de très hautes montagnes. D’autres fois c’est Jupiter, accompagné de ses quatre lunes, dont la position change continuellement. Son large disque est d’une couleur jaunâtre, qui semble se fondre vers les pôles en un gris plombé. Sur le champ de cet astre s’étendent des bandes obscures ressemblant pour la forme à celles qui s’allongent quelquefois dans notre ciel par un beau soir d’été. Ces bandes, d’un brun grisâtre, se colorent de temps en temps d’une teinte rouge. D’un jour à l’autre, elles subissent quelquefois des changemens visibles, et toutes ces circonstances ont fait croire que c’étaient bien les nuages d’un autre monde. On observe en outre des taches, tantôt brillantes et tantôt obscures, dont le mouvement a fait connaître aux astronomes la rotation de cette planète d’occident en orient, et le temps qu’elle met à tourner sur son axe. On sait ainsi que pour les habitans de Jupiter (si toutefois il en existe) le jour se compose d’un peu moins de onze heures. Ces taches qui se forment et s’évanouissent paraissent être elles-mêmes d’autres nuages que le vent transporte avec vitesse dans une atmosphère très agitée. Pourquoi d’ailleurs un globe si conforme au nôtre sous le rapport de certains phénomènes météorologiques, et le plus grand de tous ceux qui appartiennent au système solaire, ne serait-il qu’une solitude ? Les astronomes anglais ne répugnent point en général à admettre l’idée de la pluralité des mondes ; ils soutiennent seulement, et avec raison, que, si la vie réussit à se développer ailleurs, les conditions sous lesquelles on l’envisage ici-bas doivent être entièrement modifiées. Après Jupiter, une des planètes qui intéressent le plus les curieux est Saturne. Autour d’une boule légèrement couleur d’orange et intersectée, elle aussi, de bandes aplaties, se montrent deux, sinon trois anneaux éclairés comme le globe lui-même, et un autre anneau obscur ou demi-transparent. Des huit lunes qui l’accompagnent, quatre seulement sont visibles, les autres échappent plus ou moins à nos moyens d’observation ; même sans elles quel magnifique spectacle ! quelle lumineuse vision d’optique dans les champs de la nuit ! Et que penser aussi de ces étoiles, qui, considérées à l’œil nu, n’en font qu’une, mais qui, réduites par le télescope, se décomposent parfois en une centaine d’astres distincts et placés sans doute à une assez grande distance les uns des autres ? On dirait un diamant qui se brise dans l’intérieur de la lunette, et dont les fragmens s’envolent en une poussière de soleils.

Ces merveilles du firmament sont pourtant celles dont on s’occupe le moins à l’observatoire de Greenwich. L’astronome royal considérerait comme un luxe funeste tout instrument ou tout ordre de recherches accessoires qui ne se subordonnerait point entièrement au but de l’institution. Aussi tandis que la salle du transit-circle et le dôme de l’altazimuth, éclairés tous les soirs, annoncent qu’on y travaillera tour du grand équatorial reste le plus souvent sombre et déserte. On ne se sert de ce noble instrument que dans certaines occasions et pour ne négliger absolument aucune branche de l’astronomie. Quoi qu’il en soit, au moment où le great equatorial fonctionne, on entend retentir sous les doigts de l’observateur ce même bruit de tac-tac qui nous a déjà si fort intrigués dans d’autres départemens. Pour trouver l’explication de cette musique des astres, bien différente de celle que rêvait Pythagore, il nous faut descendre dans une petite salle basse s’ouvrant sous le dôme septentrional, north dome. Là figure un instrument appelé chronographic recording apparatus, et qui est en effet destiné à enregistrer le temps, ainsi que le passage des corps célestes. Ce chronographe se compose de deux parties bien distinctes, une sorte d’horloge d’une construction toute particulière et un rouleau connu sous le nom d’american barrel (tambour américain), qui tourne dans une cage de verre. L’horloge, animée d’un mouvement tout à fait uniforme, est un ouvrage de M. Dent, célèbre mécanicien anglais. Le tambour est un cylindre de cuivre revêtu d’un morceau de drap, sur lequel on étend une feuille de papier blanc enroulée et collée aux deux bouts avec de la gomme. L’horloge fait mouvoir le rouleau, mais elle agite en même temps une tringle voyageuse armée d’un double système de pointes. L’une de ces pointes marque les secondes, et au moyen de fils galvaniques se trouve en communication avec l’horloge astronomique, transit-dock, qui est réglée elle-même par la mécanique céleste. L’autre pointe marque le passage des astres, et au moyen d’un autre fil magnétique est mise en rapport avec la clé d’ivoire attachée près de l’oculaire des grands télescopes qui se trouvent dans d’autres salles et dans d’autres départemens de l’observatoire. Le transit-circle, l’altazimuth et l’équatorial communiquent ainsi avec le chronographe, et une étiquette indique ceux de ces instrumens qui sont pour le moment à l’ouvrage.

Il nous sera maintenant facile de saisir la signification des bruits que nous avons entendus ailleurs. Un simple attouchement du doigt et un courant électrique font aussitôt mouvoir à distance une des dents du chronographe qui, pareille au crochet du serpent, imprime à l’instant même une morsure sur le rouleau de papier mouvant. Lorsque je visitai cet appareil, il était dix heures du matin, et la feuille blanche collée autour du tambour était encore toute chargée du travail de la nuit. C’étaient de petits trous alignés de distance en distance et semblables à ceux que graverait en pareil cas la pointe d’une épingle : or chacune de ces légères perforations représentait le passage d’une étoile ou d’une planète que l’observateur avait en quelque sorte piquée au vol. On détache ensuite du tambour cette page hiéroglyphique de l’histoire du ciel, écrite nuit par nuit au moyen de l’instrument, et on la livre aux assistans pour être réduite par des calculs. A l’aide de tels matériaux et pour ainsi dire d’un tel journal se publie tous les ans un gros volume d’observations[20]sur le soleil, la lune et tous les corps mouvans du système solaire.

La nature des instrumens, le choix des astres surveillés, le caractère des problèmes résolus, tout montre assez que l’observatoire de Greenwich a surtout en vue les intérêts de la marine. Le même ordre d’études ne devait-il point naturellement s’étendre à la géographie physique ? C’est le ciel qui nous a appris à mesurer la terre. De tout temps, on a eu recours à l’observation des astres pour découvrir les dimensions et la figure de notre globe, les élévations et les dépressions de sa surface, ainsi que la distance exacte d’un lieu à un autre. Grâce à des travaux antérieurs, tous ces faits sont aujourd’hui connus ; mais il est nécessaire de recommencer de temps en temps les expertises pour écarter les moindres chances d’erreur. Ces anciennes divisions géodésiques n’ont-elles point d’ailleurs été tracées dans un âge où la science ne disposait pas des agens mécaniques dont elle utilise aujourd’hui les services ? Frappé de ce dernier avantage et bien résolu à en tirer parti, l’astronome royal s’entendit vers 1853 avec M. Quételet pour déterminer la différence de longitude entre l’observatoire de Greenwich et celui de Bruxelles. L’opération conduite par les savans des deux pays fut couronnée d’un véritable succès. Vers le même temps, de semblables négociations s’étaient ouvertes entre deux autres observatoires, et la dernière lettre écrite à ce propos par M. Airy arrivait à Paris le jour même de la mort d’Arago. Les arrangemens furent repris avec son successeur, M. Leverrier, et cette fois les travaux commencèrent. La voie était d’ailleurs toute préparée, car déjà l’observatoire de Greenwich se trouvait relié à celui de Paris par un système de fils télégraphiques. Les messages couraient de l’un à l’autre après avoir traversé la Manche au moyen d’un câble qui s’étend sous l’eau entre South-Foreland en Angleterre et Sangatte en France. Il n’y avait donc qu’à profiter de cette circonstance pour organiser le service de la nouvelle enquête astronomique. Dans le cas dont il s’agit, M. Faye fut envoyé de France comme le représentant de M. Leverrier, et M. Dunkin partit d’Angleterre comme le représentant de M. Airy. Chacun d’eux devait conduire en même temps la première série des travaux en tout ce qui regardait les instrumens, le passage des astres et les signaux électriques. Ceci fait, l’observateur français revint à Paris, et l’observateur anglais s’en retourna de son côté à Londres pour diriger la seconde moitié des expériences. Ces déplacemens et cet emploi alternatif des forces de deux astronomes étrangers l’un à l’autre ont été jugés nécessaires dans toutes les études de ce genre pour éloigner l’ombre même d’une méprise. Durant les dix-huit jours qui s’écoulèrent à partir du commencement jusqu’à la fin de l’opération, les deux observatoires échangèrent entre eux deux mille cinq cent trente signaux[21].

Les mêmes procédés ont été employés en 1863 pour mesurer la longitude entre Greenwich et Valentia, une île de l’Irlande qui tend chaque jour à prendre une grande importance par suite des communications avec le nord de l’Amérique. Cette fois la difficulté était énorme. Il fallut d’avance organiser, d’accord avec les compagnies des grandes lignes télégraphiques, tout un système de messages ayant la promptitude de l’éclair. MM. Dunkin et Criswick se rendirent sur les lieux pour préparer le terrain et observer le ciel. Tout réussit à merveille, et malgré une distance de 800 milles (en comptant les détours des fils galvaniques), chaque étoile passant à Valentia se trouvait aussitôt enregistrée sur le chronographe de Greenwich. Il avait suffi pour cela d’un simple mouvement du doigt. De semblables essais s’étendront sans doute avec le temps à toute la terre, jusqu’à ce que la surface en soit très exactement mesurée. Pourquoi le câble qui s’émeut depuis deux mois au fond de l’Atlantique ne servirait-il point un jour à télégraphier d’un hémisphère à l’autre les mouvemens du ciel et à écrire ainsi l’histoire authentique du temps et des distances[22] ?

Une autre application très curieuse de l’astronomie est celle qui eut lieu vers 1844, non plus seulement pour déterminer la position d’un lieu connu vis-à-vis d’un autre, mais pour diviser des territoires presque entièrement ignorés des voyageurs. Entre le Canada et le nord des États-Unis d’Amérique s’étend une région impénétrable où de sombres forêts vierges, de profonds ravins et de lugubres marais avaient depuis longtemps défié les efforts des deux gouvernemens et les études de la géodésie. À cause de tels obstacles, on n’avait pu encore définir de ce côté-là les limites de l’un et de l’autre pays. Vers 1843, lord Canning écrivit à l’astronome royal pour appeler son attention sur ce sujet, et M. Airy conseilla d’envoyer sur les lieux des ingénieurs militaires auxquels il donnerait d’avance des instructions utiles. En conséquence, quelques officiers de ce corps se rendirent à Greenwich, d’où, après certaines études préalables, ils partirent pour le Canada. Deux groupes d’observateurs armés d’un télescope, d’un chronomètre et de quelques autres instrumens, se placèrent aux deux extrémités latérales de la contrée sauvage qu’il s’agissait de partager. Au moyen de calculs dictés en grande partie par les mouvemens des globes célestes, ils tracèrent un plan de frontières conforme à la nature des traités signés entre l’Angleterre et les États-Unis. Situés à une distance considérable les uns des autres, ils n’avaient d’ailleurs aucun moyen de s’entendre sur la marche des opérations. Les études terminées, un des deux groupes d’ingénieurs s’avança lentement à travers la forêt, perçant un sentier en ligne droite dans la direction indiquée d’avance, et qu’il suivait en quelque sorte sur la foi des étoiles. Quels furent l’étonnement et la joie de ces vaillans géomètres quand, après avoir éclairci quarante-deux milles de broussailles et de grands arbres, ils aperçurent devant eux du haut d’une colline, sur une autre éminence assez rapprochée, une déchirure dans l’épais et sombre rideau du bois ! Cette déchirure s’ouvrit de plus en plus et démasqua bientôt l’autre groupe d’ingénieurs venant du côté opposé. Les deux lignes se rencontrèrent ainsi bout à bout : il n’y avait entre elles qu’une distance de trois cent quarante pieds anglais, et cette légère déviation tenait à une erreur d’une seconde seulement, dans la différence de la longitude. L’Angleterre et le gouvernement de Washington s’empressèrent de reconnaître cette limite des deux états tracée sous l’influence du ciel.

L’observatoire de Greenwich ne néglige, on le voit, aucune occasion d’intéresser les astres aux affaires de la vie politique et civile ; mais il demande surtout aux mouvemens des sphères célestes le moyen de mesurer le temps de la journée. Savoir quelle heure il est paraît aujourd’hui une chose bien simple, grâce aux progrès de l’horlogerie, et beaucoup de personnes ne se doutent guère de ce qu’il en coûte pour arriver sur ce point à l’exactitude. Il faut pourtant bien se dire que nos montres et nos meilleures pendules ne tarderaient point à battre la campagne, si nous n’avions de temps en temps le moyen de les rappeler à l’ordre. Nous les réglons d’ordinaire sur les horloges officielles ; mais ces dernières ont elles-mêmes besoin d’être souvent contrôlées par une autorité supérieure à celle des arts mécaniques. Où donc trouver le vrai prototype de l’heure ? C’est à fournir cet étalon du temps que consiste en grande partie le rôle de l’astronome royal, et sa tâche n’est point à coup sûr des plus faciles. Il lui faut chercher en quelque sorte l’heure dans le ciel, et après l’avoir fait descendre sur la terre il doit la multiplier et la répandre au moyen d’instrumens dont la précision ne laisse rien à désirer. Cette branche de la science, l’horologie, cultivée avec un soin extrême à l’observatoire de Greenwich, mérite bien qu’on s’y arrête.


III

« Je vais vous montrer l’horloge qui donne l’heure à toute l’Angleterre, » me dit d’un ton un peu solennel l’astronome royal, et il me conduisit dans une petite chambre basse, occupant à côté du chronographe une des parties les plus anciennes de l’édifice. Qu’on ne s’attende pourtant point à trouver un objet de luxe. Revêtue de sa cage d’acajou, cette horloge-mère, comme on l’appelle, parent-clock, ne ressemble pas mal pour la forme à ces respectables coucous qu’on rencontre quelquefois dans les vieux manoirs de l’Angleterre. Qui tarderait pourtant à découvrir qu’ici le mécanisme est neuf et surprenant ? Le caractère de ce garde-temps, time-keeper, est qu’il possède deux propriétés distinctes : d’abord il indique très fidèlement l’heure, et ensuite il communique le même pouvoir à d’autres horloges. Aussi l’a-t-on surnommé motor-clock (l’horloge motrice), parce qu’elle anime dans l’observatoire huit de ses filles. Son cadran se divise en trois cercles, dont l’un marqué les heures, l’autre les minutes, et le dernier les secondes. Une seule aiguille, ce que les Anglais appellent une main, hand, tourne autour de chacun de ces cadrans, et désigne ainsi les mesures du temps généralement acceptées. Il y a pourtant quelque chose de particulier dans la manière dont sont numérotées les heures. Les astronomes, sous ce rapport, ne comptent pas du tout comme nous : pour eux, le jour embrasse toute la durée de la révolution de la terre sur elle-même ; c’est, comme dit très bien La Place, « le temps compris entre deux midis ou entre deux minuits consécutifs. » Aussi, tandis que le cadran de nos pendules ne renferme que douze heures, celui des horloges astronomiques en inscrit vingt-quatre. Cette dernière disposition intrigue souvent les personnes étrangères à la science, et pour beaucoup d’entre elles de tels signes sont des énigmes. Que veut dire par exemple quinze heures et demie ou bien vingt heures dix minutes[23] ? Qu’est-ce que 0,36 secondes ? Ce zéro qui tient la place du chiffre XII marqué sur les autres cadrans est le point à partir duquel les astronomes comptent successivement les heures jusqu’au lendemain[24]. Cette forme étrange de mesurer le temps n’empêche nullement l’horloge de Greenwich d’être consultée par toutes les horloges du royaume. Pour ainsi donner le ton et pour réformer les autres, ne fallait-il point qu’elle eût les moyens de se réformer elle-même ? Ses erreurs, je l’avoue, sont très légères : cette horloge varie à peine dans un temps donné de quelques fractions de seconde ; mais encore a-t-elle besoin d’être parfois rectifiée, ainsi que tous les ouvrages sortis de la main de l’homme. On la règle en agissant sur le balancier : selon qu’un appareil magnétique très simple raccourcit ou allonge ce balancier, on accélère ou l’on retarde le mouvement. Cette méthode ne se pratique pourtant point dans la chambre où se trouve l’horloge, c’est à distance qu’on la gouverne et sans jamais la toucher du doigt. Supposons un instant que les murs soient de verre, et voyons alors ce qui se passe dans une autre salle de l’observatoire. Un commis, clerk, qui remplit les fonctions de surintendant de l’heure, est assis devant son bureau dans la chambre des calculs, computing-room, située au rez-de-chaussée, près du cabinet de l’astronome royal. Il a en face de lui deux petites horloges de la grosseur d’un chronomètre marin qu’il examine attentivement. L’une représente l’horloge du passage des astres au méridien de Greenwich, transit-clock, l’autre reproduit en miniature celle que nous venons de visiter, motor-clock, l’horloge motrice. La première indique l’heure du jour sidéral, et la seconde celle du jour solaire. Ne faut-il point d’abord expliquer en quoi consistent ces deux systèmes ? Le jour sidéral a quatre minutes de moins que le jour solaire ; c’est dans le cours d’une année une différence de vingt-quatre heures, et il faut naturellement un calcul pour convertir cette mesure du temps en celle qui est consacrée par nos usages. L’autre horloge, motor-clock, désigne au contraire les progrès du jour solaire, celui qu’ont en vue nos montres et nos pendules[25]. Qu’a maintenant à faire le commis ou surintendant de l’heure ? Il compare les résultats des deux petites horloges placées au-dessus du bureau, et dont chacune communique avec son prototype par l’entremise de fils et de courans magnétiques. La première lui donne l’heure des astres, l’heure infaillible, et lui fournit ainsi le critérium nécessaire pour corriger, s’il y a lieu, les écarts de la seconde. Au moyen du manche d’un régulateur qu’il tourne à volonté, il augmente ou diminue alors à distance la longueur du balancier de la principale horloge solaire, solar clock. Et ce n’est pas seulement le cours de cette dernière qu’il modifie de la sorte, c’est tout le système horologique de l’observatoire. Les autres indicateurs du temps se trouvent en effet placés sous la dépendance de ce moteur, dont ils suivent toutes les pulsations : ils ne font en quelque sorte que le multiplier. Parmi les horloges sympathiques de Greenwich, la seule connue du public est celle qui se rencontre dans le parc, à la porte de l’observatoire ; là s’arrêtent à presque tous les momens de la journée des Anglais gravement occupés à régler leur montre devant un cadran de bois sur lequel tournent deux grandes aiguilles animées d’une sorte de mouvement spasmodique. Beaucoup ne se doutent guère que ce qu’ils voient est la répétition d’un mécanisme central qu’ils n’aperçoivent nullement. C’est le motor-clock réfléchi dans un autre lui-même.

Le parc de Greenwich, dans l’après-midi d’un beau jour, est aussi peuplé d’une foule de curieux dont les regards se dirigent en l’air vers une grosse boule noire placée sur la tour orientale de l’observatoire. Cinq minutes avant une heure, cette boule (time ball) monte lentement le long d’un mât, et à une heure précise elle retombe. Que se passe-t-il donc alors dans l’intérieur de l’édifice ? Le mouvement d’ascension est imprimé au globe par le moyen d’une chaîne et d’une roue qu’un garçon de service tourne dans un couloir du rez-de-chaussée. Ceci terminé, aucune main d’homme n’a plus à intervenir dans la suite des arrangemens ; le reste est l’affaire de l’horloge motrice. A une heure juste, un des ressorts galvaniques dont cette horloge est si richement pourvue se sépare en deux avec violence, comme s’il se rompait, et tout à coup on entend le bruit d’une masse s’affaissant sur le toit. Ce ne sont pas seulement les promeneurs du parc qui suivent avidement des yeux la chute de la boule ; les équipages de tous les vaisseaux qui ont jeté l’ancre dans la Tamise ou qui stationnent dans les docks ont un bien autre intérêt à saisir ces mouvemens télégraphiques. Les marins sont ainsi à même de comparer l’heure exacte de Greenwich avec celle de leurs chronomètres, qui, bien réglés, serviront plus tard à découvrir la longitude en mer. Si l’on considère que l’art de la navigation dépend en grande partie de la connaissance du temps, on appréciera d’autant mieux l’utilité de ces signaux (time signals). Aussi l’astronome royal a-t-il jugé à propos de les multiplier sur les côtes de l’Angleterre. A Deal, petite ville située au bord de la Manche, au milieu des sables et des dunes, s’élève une ancienne tour qui appartient maintenant à l’observatoire de Greenwich. Dans cette tour, qui a été réparée et entourée d’un enclos, vit un délégué qu’on appelle le gardien de la boule (ball attendant). Il n’a pourtant rien à faire avec la direction des signaux ; c’est toujours la charge de l’horloge motrice. De Greenwich part un courant électrique, et à une distance d’au moins soixante-dix milles ce courant fait descendre la boule de Deal au même moment où tombe celle de l’observatoire[26]. Il n’est peut-être pas d’endroit au monde où un tel signal puisse rendre plus de services, car la partie du détroit dominée par la tour est une sorte de grande route dans laquelle circulent et s’entre-croisent les navires. L’astronome royal a depuis longtemps l’idée d’établir une semblable vedette du temps à Portsmouth et à Devonport, la ville maritime de Plymouth. En attendant, des boules automatiques construites d’après la même méthode et mues par la même influence s’abaissent à une heure précise de l’après-midi dans le Strand, dans Cornhill et à Liverpool. A Newcastle et à Shields, toujours en vertu de pouvoirs magnétiques délégués par l’horloge-mère, l’observatoire de Greenwich fait partir un canon. Au moment de la détonation, un train de wagons s’élance du chemin de fer.

Dans ce siècle des affaires, de la vapeur et du mouvement, chez un peuple qui a pris pour devise time is money, il est facile de saisir l’importance qu’on attache à la diffusion correcte de l’heure. Quand l’astronomie positivé avait déjà contracté tant de liens avec la marine, elle ne pouvait non plus rester étrangère aux intérêts de la vie publique. Et pourtant les sonneries des horloges ont longtemps présenté en Angleterre une image de la confusion des langues. La tour de Babel semblait s’être changée en une multitude de vieux clochers dont les voix ne s’entendaient nullement entre elles. Aujourd’hui même je n’affirmerais point qu’il ne se trouve encore dans les anciennes villes des partisans de l’heure locale, lesquels voient s’introduire d’un œil jaloux et inquiet le système de l’unité de temps. Quoi qu’il en soit, cette innovation a déjà en grande partie triomphé grâce aux chemins de fer ; or ce qu’on nomme l’heure des chemins de fer dans la Grande-Bretagne est tout simplement l’heure de Greenwich. De seconde en seconde par exemple, l’horloge-mère de l’observatoire envoie à London-Bridge un courant électrique chargé d’animer et de régler les organes d’une autre horloge appartenant à la société du South-Eastern railway. Après ou avant les chemins de fer, une branche du service public qui devait surtout appeler la sollicitude de l’astronome royal est l’hôtel des postes dans Saint-Martin-le-Grand. Là aussi les heures marchent en quelque sorte conduites par un fil qui vient de Greenwich. Quatre horloges identifiées à celles de l’observatoire règlent à leur tour par des courans locaux un groupe d’autres sœurs, et trente d’entre elles se trouvent ainsi en harmonie plus ou moins parfaite les unes avec les autres. C’est un des plus beaux mécanismes qui existent. D’heure en heure, l’observatoire adresse en outre des signaux au bureau du télégraphe électrique et international dans Lothbury (electric and international telegraph), d’où, par un réseau de fils galvaniques, la connaissance du temps est ensuite distribuée le long des lignes de fer presque jusqu’aux extrémités de la Grande-Bretagne. Cette vaste harpe éolienne qui couvre de ses cordes presque toute la surface des îles, vibre ainsi à l’unisson d’un seul moteur. Quelques-uns de ces signaux, après avoir passé par divers détours, arrivent jusque dans les bureaux de quelques riches négocians de Londres. Un tel système nerveux, appliqué à la dissémination de l’heure, est sans aucun doute destiné à s’étendre ; il s’accroît déjà tous les jours par les nouveaux fils qui s’attachent et s’embranchent aux anciens troncs. Pourquoi ne viendrait-il point un jour où l’habitant de Londres recevrait chez lui l’heure de Greenwich comme il reçoit déjà le gaz et l’eau ?

J’étais naturellement curieux de voir le centre d’où partent toutes ces communications électriques. L’astronome royal me conduisit vers une trappe et une échelle d’où l’on descend dans un double caveau. La première voûte est occupée par des batteries galvaniques rangées sur des planches. Dans la seconde se tordent, s’enroulent, se croisent sur les murs et sur le plafond d’assez gros fils de fer dont les nœuds représentent assez bien les replis d’un serpent contourné sur lui-même, coils. Ces fils, dont la plupart communiquent avec certains instrumens de l’observatoire ou avec l’horloge motrice, traversent la terre dans des étuis pour se rendre à la station du chemin de fer de Greenwich, d’où ils rayonnent ensuite sur toute l’Angleterre et sur le continent. Il y a quelques années, ce service télégraphique se faisait en plein air ; mais par deux reprises, dans l’hiver de 1865 et de 1866, une tempête de neige, accompagnée de terribles coups de vent, détruisit les fils et abattit les poteaux qui les soutenaient. Pour éviter les interruptions auxquelles donnaient lieu de semblables accidens, on a depuis lors adopté un système de communications souterraines. En ce qui regarde l’heure, ces fils télégraphiques ont une double mission : un courant parti de Greenwich transmet le signal donné par l’horloge de l’observatoire, et ce qu’on appelle un courant de retour indique ensuite les erreurs de l’autre horloge sur laquelle le moteur vient d’agir. Ce mouvement de va-et-vient est nécessaire à la précision du système qui les gouverne. « Je ne me chargerais jamais de régler une horloge qui ne me répondrait point, » me disait l’astronome royal. Et comme nous passions devant un des appareils galvaniques : « Tenez, ajouta-t-il, voilà précisément la grande horloge de Westminster qui me donne de ses nouvelles ; elle va bien et ne retarde que d’un vingtième de seconde. Deux fois par jour, elle me tient ainsi au courant de l’état de sa santé. » Y a-t-il lieu de douter que cette mesure exacte du temps ne contribue beaucoup à développer chez nos voisins le sentiment de la ponctualité considérée par eux comme l’âme des affaires ?

Non content de distribuer l’heure à tout le royaume, l’observatoire de Greenwich prend encore soin des instrumens qui doivent l’indiquer aux navigateurs sur l’immensité des mers. Je fus conduit dans une salle de l’établissement qu’on appelle la chambre des chronomètres, chronometers room[27]. Quel bourdonnement semblable à celui d’une ruche d’abeilles ! Il y a quelquefois dans cette chambre près de deux cents chronomètres ou montres marines qui palpitent toutes ensemble. Un tel concert, dont les musiciens ne vont point toujours en mesure, représente la discorde dans le royaume du temps. Et pourtant la plupart de ces instrumens sont des ouvrages d’horlogerie très parfaits et très délicats. De 1822 à 1836, l’observatoire de Greenwich avait ouvert un concours pour les chronomètres, et après un an d’épreuve des prix étaient accordés aux meilleurs d’entre eux. Ce système, utile sous certains rapports et qui a sans doute contribué au perfectionnement d’un tel art mécanique, fut pourtant abandonné comme une branche tout à fait étrangère à l’astronomie. Aujourd’hui cette chambre de l’observatoire sert surtout de dépôt à tous les chronomètres de la marine de l’état qui ne sont point employés pour le moment sur les navires. Il est vrai que, d’un autre côté, beaucoup des horlogers anglais envoient à Greenwich leurs chronomètres pour y être essayés : ces instrumens sont alors des candidats, et s’ils résistent avec énergie à l’examen très sérieux qu’on leur fait subir, ils ont l’honneur d’être achetés plus tard par l’amirauté. Tous les jours, deux assistans président à la série des épreuves. Comparer entre elles plus de cent montres de manière à savoir le mérite ou le défaut de chacune et poursuivre leurs moindres erreurs, à une différence près d’un dixième de seconde, semble à première vue une tâche énorme qui absorberait la vie d’un homme. Eh bien ! cette expérience s’accomplit tous les matins avec une merveilleuse rapidité. D’abord un des assistans monte successivement tous les chronomètres ; ceci fait, il s’assoit devant une table et écrit dans un livre les chiffres proclamés à haute voix par le second assistant, qui compare l’une après l’autre toutes les montres marines avec une horloge placée entre les deux fenêtres. Cette horloge sympathique, une des filles du motor-clock, est par conséquent un des types absolus de la division du temps. Chaque montre étant ainsi confessée, il est facile de voir en quoi elle pèche, et cet examen de conscience se continue pendant des mois. Lorsque je visitai ce département de l’observatoire, un des chronomètres variait de dix minutes avec l’horloge-mère ; j’en fis la remarque à l’un des assistans, M. Criswick. « En voilà un, lui dis-je, qui va mal. » Il me fit observer à son tour que ce chronomètre était dans l’établissement depuis janvier 1866, et nous étions alors en août ; je fus forcé d’avouer que je bénirais ma montre, si elle n’avançait ou ne retardait que de dix minutes en huit mois. Un autre chronomètre marquait au contraire l’heure exacte. « Pour le coup, m’écriai-je, en voilà un qui est excellent. » La réponse fut qu’on ne pouvait nullement le savoir, a attendu qu’il n’avait point encore été sous la ligne. » Comme ces chronomètres sont destinés à traverser les mers et les différens climats de notre globe, il a été jugé nécessaire de les soumettre successivement à des températures artificielles. Pour faire le froid, on les place à l’ombre dans l’encoignure d’une fenêtre qui s’ouvre sur le nord ; mais ce n’est pas tant la froidure que redoutent les chronomètres, c’est la chaleur. On me montra aussitôt une quarantaine d’entre eux qui voyageaient en quelque sorte sous l’équateur. Comment appeler autrement une espèce de four échauffé par la flamme du gaz jusqu’à la température de 80 degrés, et dans lequel ces initiés subissent l’épreuve du feu ? Lorsqu’ils ont ainsi passé sans broncher par tous les climats extrêmes auxquels les autres pendules se montrent si sensibles, ces chronomètres ont bien droit à une récompense. L’astronome royal décidé en dernier ressort de leur valeur, et les recommande sous sa responsabilité au gouvernement pour les besoins de la flotte[28].

La science du temps est une de celles que l’on pratique le plus à l’observatoire de Greenwich, et elle a certainement sa grandeur aussi bien que son utilité. « Que de choses peuvent arriver, disent les astronomes, durant le passage d’une étoile ! la mort d’un roi, peut-être même la chute d’un empire. » Le ciel n’est pourtant point le seul objet d’études qu’on poursuive dans l’établissement. Les étalons des poids et mesures ayant été brûlés en 1834 dans le palais du parlement, l’astronome royal fut nommé président d’une société chargée de les reconstruire d’après certains principes mathématiques. On peut voir en effet, sur le mur extérieur de l’observatoire, les types en bronze des mesures nationales, telles que le mètre, yard, le pied (foot). Qui ne sait que les Anglais n’ont point encore adopté notre système décimal, auquel ils reprochent certaines incorrections ? Les savans de Greenwich s’occupent en outre de toute une série d’obscurs phénomènes appartenant surtout à notre globe terrestre, mais qui rentrent pourtant dans l’étude générale du système de l’univers. A l’observatoire des astres se trouve annexé un observatoire magnétique et météorologique. Ce dernier fut établi vers 1837 ; il fallut lui trouver du terrain, car l’espèce d’isthme sur laquelle s’élève, au milieu d’un océan de verdure, l’ancien observatoire, était déjà tout occupée par les bâtimens. Détacher une portion d’un parc royal n’est point chez nos voisins une petite affaire ; on obtint pourtant le consentement des commissaires des forêts et travaux publics, commissioners of woods and public works, ainsi que celui du ranger (gouverneur du parc). Dès 1838, un bâtiment en bois avait été érigé dans l’enceinte qu’on venait de retrancher de la promenade publique. Le nouvel observatoire, toujours dépendant de l’ancien, fut placé sous la surveillance de M. Glaisher, un savant de grande énergie, connu surtout du public anglais dans ces derniers temps par ses belles ascensions aéronautiques. On pénètre dans ce département par l’aile de l’édifice où se trouve le grand équatorial, et suivant un étroit sentier qui côtoie le jardin particulier de l’astronome royal on arrive sur un terrain enclos de planches noires en guise de mur. A l’entrée se dresse un grand mât, haut de quatre-vingts pieds et au sommet duquel est attaché un fil de fer destiné à recueillir l’électricité atmosphérique et à la conduire dans l’intérieur des bâtimens, où elle est ensuite analysée par divers appareils. Ces bâtimens, construits selon un système particulier, offrent à première vue plus d’un trait curieux ; non-seulement ils sont de bois, mais encore des pointes de bambou servent, au lieu de clous ordinaires, à en rajuster les parties : le fer et l’électricité sont deux amis dont il importait de prévenir la réunion dans le même local. Les fenêtres à grandes vitres jaunes montrent d’un autre côté que la couleur de la lumière n’est point du tout indifférente au succès des délicates expériences qui se pratiquent ici. Il a même été jugé nécessaire de construire en 1864, avec des briques choisies exprès, une chambre souterraine pour mettre les grands magnétomètres à l’abri des variations de la température. Ces instrumens, recouverts d’une enveloppe de planches, voilés, mystérieux comme les forces occultes de la nature qu’ils interrogent en silence, sont ce que les Anglais appellent self-registering, c’est-à-dire qu’ils enregistrent par eux-mêmes les résultats obtenus. Notre siècle a vu naître deux précieuses inventions : la télégraphie électrique et la photographie. On sait déjà le parti que l’observatoire de Greenwich a tiré de la première ; la seconde ne lui rend pas moins de services.

Les moindres déviations de l’aiguille magnétique, les degrés de la température à toutes les heures du jour, les vents et leur direction, la quantité de pluie tombée dans la journée, la force d’électricité dont sont chargés les nuages, les variations de l’atmosphère, tous ces phénomènes éveillent la sensibilité de certains instrumens qu’il fallait autrefois consulter à chaque instant de la journée, quelques-uns même de cinq minutes en cinq minutes. Depuis environ 1844, ces appareils ont appris à écrire. Qu’on leur donne une feuille de papier photographique, et ils la couvriront en un temps donné de leurs propres observations. Ils travaillent toute la semaine et même le dimanche, comme pour décharger la conscience des Anglais. Ce jour-là, on retire de dessous les cylindres les épreuves négatives, qu’on place dans un cabinet noir, et où elles attendent jusqu’au lundi le procédé ordinaire qui doit en faire jaillir l’impression. On leur substitue des feuilles blanches, et tout le reste est l’affaire des instrumens[29]. J’ai vu moi-même ces lignes tracées sur le papier ; elles sont vraiment d’une netteté admirable et elles indiquent bien par leurs zigzags les moindres déviations du magnétisme terrestre ou des divers agens de l’atmosphère. On a ainsi devant les yeux l’histoire des élémens rédigée par eux-mêmes.

Comme, au moment où je visitai l’observatoire magnétique et météorologique de Greenwich, le choléra venait d’éclater à Londres, j’étais naturellement curieux de savoir si l’on avait saisi dans l’air quelques traces d’altération. L’astronome royal me fit observer entre les arbres du parc un brouillard bleu assez épais qui semblait ramper de terre et s’élever vers le feuillage, où il se dissipait par degrés. Ce fait curieux, sur lequel M. Glaisher avait appelé depuis quelques jours l’attention du monde savant, coïncidait avec un phénomène tout semblable qu’il avait remarqué en 1854 lors d’une autre invasion de l’épidémie. Le plus singulier est que les brouillards ordinaires se dissipent sous une certaine pression du vent ; depuis environ une semaine, le vent avait soufflé avec une force plus que suffisante, et le brouillard rebelle était resté, colorant en bleu les murs du parc. M. Glaisher ajouta que l’instrument destiné à recueillir l’électricité n’en donnait presque plus depuis l’apparition du fléau. A part ces faibles indices, qui donnent pourtant à réfléchir, rien n’annonçait un changement dans l’état général de l’atmosphère.

Un autre sujet d’études, sur lequel s’est dirigée depuis quelques années l’attention des savans de Greenwich, est la formation des tempêtes. De 1841 à 1857, cent soixante-dix orages magnétiques ont été analysés, et un instrument sert à connaître les courans spontanés qui traversent la surface intérieure de notre planète. Deux fils, l’un partant de Croydon et l’autre de Dartford, se rendent dans l’intérieur de l’observatoire après avoir touché la terre aux deux extrémités, quoique parfaitement isolés dans toute leur longueur. La lumière d’une lampe tombe sur chacun de ces appareils, renfermés dans une caisse ; elle frappe d’abord une lentille cylindrique à axe vertical, et au moyen d’un rouleau d’ébène couvert d’un papier photographique, tournant une fois sur lui-même en vingt-quatre heures, elle trace en quelque sorte sous la dictée des deux fils les mémoires de ces mystérieux agens du globe, auxquels il y a lieu d’attacher une grande importance. Tout porte en effet à croire qu’ils jouent un rôle considérable dans les diverses perturbations des élémens. Le 2 août 1865, l’astronome royal, examinant les épreuves photographiques, fut frappé de la violence des courans indiquée sur le papier par les brusques, variations des lignes. On dirait, en pareil cas, des traits convulsivement formés par la main d’un épileptique. Bientôt on apprit, à l’observatoire que ce même jour les signaux du télégraphe transatlantique avaient cessé d’être intelligibles. Comme ce câble a été dernièrement repêché et qu’il fonctionne de plus belle, il sera aisé de voir par la suite si certains courans magnétiques spontanés ont bien sur les abîmes de l’océan l’influence qu’était tenté de leur attribuer M. Airy.

De tous ces instrumens qui parlent et qui écrivent, un des plus curieux est sans contredit l’anémomètre d’Osler, mécanicien de Birmingham, qui a trouvé le moyen d’attacher un crayon aux ailes du vent[30]. Des thermomètres interrogent sans cesse la température, à l’ombre, au soleil, dans l’eau, sous la terre, à des profondeurs variant d’un à vingt-quatre pieds. Dans ce dernier cas, l’ordre des saisons se trouve interverti ; la plus grande chaleur a lieu en décembre. En face de l’observatoire, sur la Tamise, est un vaisseau qui sert d’hôpital pour les marins et qu’on appelle le Dreadnought. Cet ancien navire de guerre a vu de meilleurs jours ; il a, dit-on, pris part à de glorieuses batailles, et saisi dans son beau temps un trois-ponts espagnol ; aujourd’hui, vieux et infirme lui-même, il recueille les malades de la flotte anglaise, qui se trouvent plus chez eux sur l’eau que sur la terre. Quoi qu’il en soit, aux flancs noirs de ce bâtiment sont suspendus des baromètres qui appartiennent à l’observatoire et indiquent l’état de l’atmosphère sur le fleuve à chaque moment du jour. Ces renseignemens sont d’autant plus curieux que l’astronome royal considère la Tamise comme la grande artère qui agit le plus sur le climat de Londres et des environs. Une foule de baromètres sont ainsi jour et nuit à l’ouvrage ; la plupart d’entre eux ont double charge, marquer les variations de la colonne d’air et les fixer par la photographie. La forme de l’instrument prête elle-même à ce mode d’écriture ; on comprend en effet que le rayon de lumière agisse différemment sur la partie du tube chargée de mercure et sur la partie vide. Les moindres mouvemens d’élévation ou d’abaissement du liquide ne sauraient ainsi échapper à un procédé bien connu qui sert à reproduire également les traits des choses et des personnes. Il serait inutile d’énumérer bien d’autres instrumens self-registering ; ne suffit-il point de dire que tous les agens secrets de la nature, bons ou mauvais, signent d’une semblable manière leurs services ou portent témoignage contre eux-mêmes ? Le résultat de telles indications est envoyé tous les jours sous forme de bulletin à l’observatoire de Paris. Et pourtant, malgré tant de faits recueillis avec un si grand soin, la météorologie est encore une science à l’état embryonnaire. On connaît exactement les différent degrés de pression atmosphérique, d’humidité, de température, de force des vents, on saisit quelques effets de l’électricité ; mais qui dévoilera la loi de ces phénomènes ? Jusqu’à ce que la cause soit connue, on ne fait guère que recueillir les matériaux d’un système cosmique. Dans l’état présent des choses, et les observateurs en conviennent eux-mêmes, la météorologie est un chaos dont les élémens pour prendre une forme attendent le fiat lux d’une idée.

Certes il est peu d’établissemens au monde qui rendent plus de services que celui de Greenwich, et pourtant il est entouré d’ennemis. Tandis qu’il surveille les mouvemens du ciel ou qu’il poursuit certaines actions cachées de la nature, les serpens de fer dont la surface du Kent se montre partout enveloppée cherchent à pénétrer sur son terrain. La guerre entre les railways et l’observatoire est ancienne et remonte aussi loin que 1835. Depuis lors divers projets ont été repousses par les chambres ; mais les compagnies reviennent toujours à la charge. Ce que craint l’astronome royal dans le voisinage des chemins de fer est l’ébranlement du sol, qui pourrait troubler certaines expériences délicates. Il avait pourtant consenti vers 1846 à ce que la ligne de la compagnie, du sud-est, South-Eastern railway company, traversât le parc de Greenwich sous un tunnel, à dix-huit ou dix-neuf cents pieds de distance des chambres d’observation. La pesanteur ainsi que la vitesse des trains devaient d’ailleurs être fixées par des règlemens sévères, et dans de telles conditions le mal ne pouvait pas être bien grand pour la science. L’observatoire d’Edimbourg se trouve bâti sur une colline, Calton-Hill, que traverse le North-British railway ; la roche est dure, et par conséquent de nature à transmettre plus aisément les vibrations ; toutefois les instrumens n’ont pas souffert jusqu’ici du passage de ce tumultueux voisin. Le projet fut pourtant abandonné, mais pour faire bientôt place à un autre tout autrement dangereux en ce qui regarde les intérêts de l’astronomie. Il s’agit cette fois d’amener par la ville de Londres tout le commerce du nord de l’Angleterre jusqu’aux diverses parties du Kent et de le faire circuler à travers le parc de Greenwich. Ce serait dans un pareil cas la ruine de l’observatoire. Telle est en effet la sensibilité de certains instrumens astronomiques, qu’en octobre 1863 l’altazimuth, quoique solidement fixé sur sa colonne, fut ébranlé par un très léger tremblement de terre. Qu’attendre alors de lourdes secousses imprimées par le mouvement des trains de marchandises ? À Watford, dans l’Hertfordshire, un chemin de fer passe à une certaine distance de l’observatoire dans un tunnel, et les tremblemens qui se propagent sous terre sont assez forts pour troubler le travail de l’astronome, sir James South. Est-ce à tort qu’éclairé par de tels antécédens le conseil des visiteurs demande aux lords de l’amirauté d’exclure à jamais les voies ferrées du parc de Greenwich ? Fille de la science, l’industrie doit au moins respecter sa mère.

Il y a deux sortes d’astronomie, l’une isolée dans des hauteurs mystiques, l’autre positive qui, tout en contemplant le ciel, ne perd point du tout de vue les intérêts de la terre. C’est à cette dernière qu’abandonnant la vaine prétention d’exceller en tout s’est rattaché l’observatoire de Greenwich. Ainsi le voulaient sa tradition et le point d’honneur national. Né en même temps que le développement de l’art nautique, dont il conduit la marche et domine les destinées, cet établissement a exercé une heureuse influence sur l’éducation maritime du pays. Le jour où la race anglo-saxonne a découvert le parti qu’elle pourrait tirer de la navigation et du commerce, elle a trouvé son étoile ; mais rien de grand ne se fonde sans le concours de la science ! Quand il s’agit d’un ennemi comme la mer, le courage personnel ne suffit nullement pour réduire les distances et pour abaisser les obstacles. Libre aux poètes d’interpréter autrement les faits ; selon eux, l’Angleterre n’a qu’à marcher sur les vagues ; l’abîme est son domaine, les tempêtes sont ses remparts, et dans les bassins de l’océan s’ouvrent les grands chemins de ses conquêtes. Tout cela peut être vrai, mais encore fallait-il que l’œil de l’astronome parcourût les cieux, et que son doigt désignât au marin les flambeaux des nuits chargés de le guider entre les écueils. Les enseignemens partis de Greenwich n’appartiennent d’ailleurs point seulement à l’Angleterre, ils sont au monde entier. C’est le propre des lumières de la science de ne pouvoir être étouffées sous le boisseau de l’égoïsme national. Les intérêts matériels de tous les peuples modernes ne se trouvent-ils point d’ailleurs plus que jamais confondus à la surface de ces grandes eaux qui rapprochent à la fois les races et les échanges ? La mer qui est le lien des températures est aussi celui de la fraternité humaine.


ALPHONSE ESQUIROS.

  1. Le white-bait (blanquette) est un très petit poisson qui se pêche en aval du fleuve, et qui, accommodé selon les règles de l’art, forme une des délicatesses de la cuisine anglaise. Le dîner d’adieu qui rassemble à Greenwich les membres du parlement doit naturellement son nom à ce plat très estimé.
  2. On forme des cercles, rings, composés quelquefois d’une centaine de personnes. Une jeune fille se promène autour du rond, jette un mouchoir sur l’épaule d’un des jeunes gens et se sauve. Ce dernier la poursuit, et, après l’avoir saisie à la course, la ramène dans l’intérieur du cercle, où il l’embrasse (kissing) pour prix de sa victoire.
  3. Ceci rappelle naturellement un épisode de la vie de Frederick William Herschel. Durant un été pluvieux, un fermier du voisinage vint lui demander son avis, ou plutôt l’avis des astres, sur le jour qui conviendrait le mieux pour faire les foins sans crainte d’une averse. Le grand astronome le conduisit à la fenêtre, et lui montrant du doigt une prairie dont l’herbe avait été fauchée et pourrissait dans l’eau : « Vous voyez ce champ, lui dit-il, il est à moi. Cela ne suffit-il point pour vous montrer qu’en fait de pluie et de beau temps je ne suis pas plus sorcier qu’aucun de mes voisins ? »
  4. M. Airy me montra dans la cour une inscription latine surmontant l’ancienne entrée principale de l’observatoire, et indiquant bien l’intention du fondateur, qui voulait surtout fortifier le lien entre l’astronomie et la navigation. Voici d’ailleurs cette inscription : Carolus secundus, rex optimus, astronomiœ et nauticœ artis patronus maximus, speculum hanc in utriusque commodum fecit. Anno Dom. 1676, regni sui 28 Curante Jona Moore. Sur l’origine de l’observatoire de Greenwich, on peut aussi consulter Baily’s account of rev. John Flamsteed, p. 37, et l’Historia cœlestis, t. III, p. 101.
  5. Les bons rapports entre ces deux hommes célèbres ne furent pourtant point de longue durée. Le caractère de Newton, il y a lieu de le craindre, n’était point à la hauteur de son génie. Une lettre de Flamsteed laisse malheureusement peu de doutes à cet égard. Comme cette lettre est très peu connue et qu’elle est adressée à Newton lui-même, on me permettra de la traduire. « Les œuvres de l’éternelle Providence seront, je l’espère, un peu mieux comprises, grâce à vos travaux et aux miens. Ne croyez point que l’orgueil me dicte cette expression ; je considère l’orgueil comme le pire des vices et l’humilité comme la plus grande des vertus. Ceci me fait excuser bien des fautes dans le genre humain, supporter de grandes injures sans ressentiment, et m’inspire la résolution de conserver une amitié réelle pour les hommes de génie, au point de les aider autant qu’il est en mon pouvoir, et cela sans autre intérêt que celui de faire du bien en les obligeant. »
  6. L’impression fut surveillée après la mort de Flamsteed par son assistant Joseph Crosthwaite et par Abraham Sharp, qui a attaché son nom à plusieurs instrumens très remarquables pour l’époque où il vécut.
  7. Professeur à l’observatoire de l’université de Cambridge, M. Airy s’était déjà fait connaître par des travaux remarquables.
  8. Ces Reports of the astronomer royal to the board of visitors, qui s’étendent du 4 juin 1836 au 2 juin 1866, fourniront un jour des élémens précieux pour l’histoire de l’astronomie en Angleterre vers le milieu du XIXe siècle.
  9. Le premier assistant reçoit 400 livres sterling (10,000 francs) par an et 70 livres sterling (1,750 francs) pour les frais de logement. Le salaire du dernier est de 100 liv. sterl. (2,500 francs), et on lui assure en outre 30 livres sterling (750 francs).
  10. Le soleil, Vénus, Mercure et d’autres astres sont maintenant visibles à toute heure du jour, pourvu que le ciel soit clair.
  11. Le perfectionnement introduit plus tard dans les télescopes imités de celui de Greenwich est la perforation du tube central.
  12. De trois heures du matin jusqu’au lendemain trois heures du matin.
  13. Pour obvier aux inconvéniens qui pourraient résulter de la différence des équations personnelles, on a d’ailleurs eu recours à un moyen ingénieux : un oculaire à deux tubes permet à deux assistans de regarder en même temps le passage de la même étoile sur les mêmes fils de l’instrument ; ils prêtent tous les deux l’oreille aux pulsations de l’horloge indiquant les secondes, et calculent séparément les résultats de leur observation, qui sont ensuite comparés. Pour plus de certitude, ils changent de temps en temps de position entre eux, et les moindres chances d’erreur sont ainsi éliminées.
  14. Le même phénomène avait été observé à Cambridge par M. Airy, d’où il conclut « que la surface de la terre, regardée comme la base de toute solidité, est elle-même en mouvement. »
  15. Depuis 1862, les tables lunaires de cet almanach sont rédigées d’après le système de Hansen, célèbre professeur de Gotha, qui a interprété par de puissans calculs mathématiques la masse des faits recueillis à l’observatoire de Greenwich.
  16. Cet instrument est destiné, comme l’indique son nom, à constater deux sortes de phénomènes, l’altitude et l’azimuth. Par altitude il faut entendre l’angle d’élévation d’un astre, par azimuth l’arc de l’horizon entre le méridien de l’endroit et une ligne verticale passant par l’objet observé.
  17. Les Anglais, hommes d’affaires jusque dans les choses de la science, aiment a exprimer par des chiffres et des sommes d’argent l’importance qu’ils attachent à la vérification de certains phénomènes célestes. Les observations de la lune entrent pour un tiers, c’est-à-dire 1,000 livres sterling (25,000 francs), dans l’ensemble des frais annuels de l’établissement. Chacune d’elles complète, est évaluée à 10 livres sterling (250 francs).
  18. Je parle ici d’après le témoignage d’un des assistans de Greenwich, esprit littéraire et distingué, M. Dunkin.
  19. C’est un effet, dit-on, de la réflexion de la lumière de la terre.
  20. Observations of the royal Observatory, Greenwich.
  21. Les résultats obtenus par cette dernière statistique du ciel proclament que la différence de longitude entre l’observatoire de Greenwich et celui de Paris est de 9 minutes 20 secondes 63. C’est presque une seconde de moins que n’avaient trouvé en 1825 John Herschel et le colonel Sabine. A défaut de fils électriques (alors inconnus), ces deux derniers astronomes s’étaient servi de fusées pour communiquer les signaux.
  22. New-York se trouvant à peu près située à 74° 40’ longitude ouest de Londres, il est environ cinq heures du matin dans la capitale des États-Unis quand il est dix heures dans la capitale de l’Angleterre.
  23. Trois heures et demie et huit heures dix minutes du matin.
  24. Ce serait alors midi 36 secondes.
  25. Les astronomes lui ont aussi donné le nom de temps moyen, mean time. Pour comprendre ce terme, qui se retrouve si souvent dans le journal des officiers de marine, il faut savoir que notre jour solaire repose lui-même sur une convention. Le soleil, décrivant autour de la terre un mouvement oblique, ne revient point tous les jours exactement à la même heure au méridien du même endroit. Qui ne voit pourtant quel inconvénient ce serait pour les affaires de la vie, si l’on comptait avec les irrégularités de cet astre ? On a donc adopté un jour de longueur uniforme fondé sur certains principes astronomiques, et c’est ce jour, sorte de moyenne entre les autres jours de l’année, qui a donné naissance à la division du temps marquée par nos chronomètres.
  26. Non-seulement la boule de Deal cède à cette impulsion lointaine, mais encore elle fait dire à Greenwich, par un autre courant en sens contraire, qu’elle a obéi.
  27. Ce sont des boites d’acajou dont l’intérieur contient le mécanisme horologique, et dont le couvercle a été enlevé pour qu’on puisse mieux les inspecter dans toute circonstance. L’inventeur des chronomètres est un charpentier du Lincolnshire, Harrisson, qui vivait en 1774. Bien réglées, ces pendules marines conservent la même marche en dépit des mouvemens du vaisseau, et indiquent perpétuellement l’heure que l’on compte à Greenwich. Cette heure étant comparée avec celle que l’on observe éventuellement à la mer, il est facile pour le navigateur de trouver la différence des longitudes durant tout le cours d’un voyage.
  28. La grande expérience des astronomes de Greenwich fait qu’on soumet aussi de temps en temps à leur examen des télescopes et des lunettes marines. Un tel contrôle ne peut que beaucoup perfectionner la construction de ces instrumens.
  29. Les épreuves photographiques sont ensuite recueillies, multipliées à l’aide d’un procédé inventé par M. Glaisher, puis reliées en volumes.
  30. Le vent fait tourner une girouette, et, par le moyen d’une roue dentée qui se trouve dans la tour de l’ouest près d’une petite table, ce mouvement est transmis à un crayon qui va en avant ou en arrière, selon les changemens de la girouette, et marque ainsi sur le papier blanc la direction des bouffées.