L’Année républicaine/À M. Victor Hugo

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Alphonse Lemerre, éditeur (p. 3-5).
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À M. VICTOR HUGO.


Père, qui veut chanter vous suit & vous écoute :
Ses pieds cherchent vos pas aux marges de la route
Qui mène à l’immortalité ;
Sa voix à votre voix s’éveille & vient redire
D’après vous l’hymne saint, l’impétueux délire
De l’océan, de la cité.

Poëte, qui veut vivre, étant ce que nous sommes,
Sans révolte envers Dieu, sans haine pour les hommes,
Sans remords du temps dépensé,
À votre front contemple imposante & sereine
La seule majesté qui règne en souveraine
Sur l’avenir & le passé.

Père, qui veut aimer de votre cœur s’approche :
Sur les oiseaux des bois, sur les fleurs de la roche,
Sur les mères, sur les enfants.
Sur les noirs travailleurs qui songent, sur la foule.
De votre œuvre multiple une pitié découle
Qui fait les vaincus triomphants.

Poëte, qui veut croire avec vous se recueille :
Quand, lassé des concerts de l’astre & de la feuille,
L’esprit qui pense est revenu
Au gouffre intérieur où s’égare son rêve,
Le vôtre le soutient, l’entraîne & le soulève
Dans cet autre immense inconnu.

Car vous avez toujours pour qui souffre des larmes,
Pour qui meurt des regrets, pour qui combat des armes,
Ô père, ô poète béni !
Car votre âme est plus tendre encor qu’elle n’est forte,
Car votre foi commande & jusqu’à nous apporte
L’écho vibrant de l’infini.

Aussi tout ébloui d’images grandioses,
Glorifiant au nom des êtres & des choses
Le grand génie austère & doux,

Qui pleurait se redresse & qui chantait espère :
L’oiseau vient au poëte & l’enfant vient au père,
Ô maître, & moi je viens à vous !


Les Ormes, mars 1869.