L’Année terrible/À Henri V

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L’Année terribleMichel Lévy, frères (p. 297-298).


VIII

J’étais adolescent quand vous étiez enfant ;
J’ai sur votre berceau fragile et triomphant
Chanté mon chant d’aurore ; et le vent de l’abîme
Depuis nous a jetés chacun sur une cime,
Car le malheur, lieu sombre où le sort nous admet,
Etant battu de coups de foudre, est un sommet.
Le gouffre est entre nous comme entre les deux pôles.
Vous avez le manteau de roi sur les épaules
Et dans la main le sceptre, éblouissant jadis ;
Moi j’ai des cheveux blancs au front, et je vous dis :
C’est bien. L’homme est viril et fort qui se décide
A changer sa fin triste en un fier suicide ;

Qui sait tout abdiquer, hormis son vieil honneur ;
Qui cherche l’ombre ainsi qu’Hamlet dans Elseneur,
Et qui, se sentant grand surtout comme fantôme,
Ne vend pas son drapeau même au prix d’un royaume.
Le lys ne peut cesser d’être blanc. Il est bon,
Certes, de demeurer Capet, étant Bourbon ;
Vous avez raison d’être honnête homme. L’histoire
Est une région de chute et de victoire
Où plus d’un vient ramper, où plus d’un vient sombrer.
Mieux vaut en bien sortir, prince, qu’y mal entrer.