L’Année terrible/Les Crucifiés

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L’Année terribleMichel Lévy, frères (p. 288-289).
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                        IV

La foule tient pour vrai ce qu’invente la haine.
Sur tout grand homme un ver, le mensonge, se traîne.
Tout front ceint de rayons est d’épines mordu ;
A la lèvre d’un dieu le fiel atroce est dû ;
Tout astre a pour manteau les ténèbres infâmes.
Ecoutez. Phidias était marchand de femmes,
Socrate avait un vice auquel son nom resta,
Horace ami des boucs faisait frémir Vesta,
Caton jetait un nègre esclave à la lamproie,
Michel-Ange, amoureux de l’or, homme de proie,
Vivait sous le bâton des papes, lui Romain,
Et leur tendait le dos en leur tendant la main ;
Dans l’œil de Dante errant la cupidité brille ;
Molière était un peu le mari de sa fille ;
Voltaire était avare et Diderot vénal ;


Devant le genre humain, orageux tribunal,
Pas un homme qu’on n’ait puni de son génie ;
Pas un qu’on n’ait cloué sur une calomnie ;
Pas un, des temps anciens comme de maintenant,
Qui sur le Golgotha de la gloire saignant,
Une auréole au front, ne pende à la croix vile ;
Et les uns ont Caïphe et les autres Zoïle.