L’Année terrible/Sept. Le chiffre du mal

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L’Année terribleMichel Lévy, frères (p. 52-54).


                         III

Sept. Le chiffre du mal. Le nombre où Dieu ramène,
Comme en un vil cachot, toute la faute humaine.
Sept princes. Wurtemberg et Mecklembourg, Nassau,
Saxe, Bade, Bavière et Prusse, affreux réseau.
Ils dressent dans la nuit leurs tentes sépulcrales.
Les cercles de l’enfer sont là, mornes spirales ;
Haine, hiver, guerre, deuil, peste, famine, ennui.
Paris a les sept nœuds des ténèbres sur lui.
Paris devant son mur a sept chefs comme Thèbe.

Spectacle inouï ! l’astre assiégé par l’Erèbe.

La nuit donne l’assaut à la lumière. Un cri
Sort de l’astre en détresse, et le néant a ri.
La cécité combat le jour ; la morne envie
Attaque le cratère auguste de la vie,
Le grand foyer central, l’astre aux astres uni.
Tous les yeux inconnus ouverts dans l’infini


S’étonnent ; qu’est-ce donc ? Quoi ! la clarté se voile !
Un long frisson d’horreur court d’étoile en étoile.
Sauve ton œuvre, ô Dieu, toi qui d’un souffle émeus
L’ombre où Léviathan tord ses bras venimeux !
C’en est fait. La bataille infâme est commencée.

Comme un phare jadis gardait la porte Scée,
Un flamboiement jaillit de l’astre, avertissant
Le ciel que l’enfer monte et que la nuit descend.
Le gouffre est comme un mur énorme de fumée
Où fourmille on ne sait quelle farouche armée ;
Nuage monstrueux où luisent des airains ;
Et les bruits infernaux et les bruits souterrains
Se mêlent, et, hurlant au fond de la géhenne,
Les tonnerres ont l’air de bêtes à la chaîne.
Une marée informe où grondent les typhons
Arrive, croît et roule avec des cris profonds,
Et ce chaos s’acharne à tuer cette sphère.
Lui frappe avec la flamme, elle avec la lumière ;
Et l’abîme a l’éclair et l’astre a le rayon.
L’obscurité, flot, brume, ouragan, tourbillon,
Tombant sur l’astre, encor, toujours, encore, encore,
Cherche à se verser toute en ce puits de l’aurore.
Qui l’emportera ? Crainte, espoir ! Frémissements !
La splendide rondeur de l’astre, par moments,
Sous d’affreux gonflements de ténèbres s’efface,
Et, comme vaguement tremble et flotte une face,
De plus en plus sinistre et pâle, il disparaît.


Est-ce que d’une étoile on prononce l’arrêt ?
Qui donc le peut ? Qui donc a droit d’ôter au monde
Cette lueur sacrée et cette âme profonde ?
L’enfer semble une gueule effroyable qui mord.
Et l’on ne voit plus l’astre. Est-ce donc qu’il est mort ?

Tout à coup un rayon sort par une trouée.
Une crinière en feu, par les vents secouée,
Apparaît… - Le voilà !

C’est lui. Vivant, aimant,
Il condamne la Nuit à l’éblouissement,
Et, soudain reparu dans sa beauté première,
La couvre d’une écume immense de lumière.

Le chaos est-il donc vaincu ? Non. La noirceur
Redouble, et le reflux du gouffre envahisseur
Revient, et l’on dirait que Dieu se décourage.

De nouveau, dans l’horreur, dans la nuit, dans l’orage,
On cherche l’astre. Où donc est-il ? Quel guet-apens !
Et rien ne continue, et tout est en suspens ;
La création sent qu’elle est témoin d’un crime ;
Et l’univers regarde avec stupeur l’abîme
Qui, sans relâche, au fond du firmament vermeil,
Jette un vomissement d’ombre sur le soleil.