L’Année terrible/Toujours le même fait se répète ; il le faut

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Toujours le même fait se répète ; il le faut.
Le trône abject s’adosse à l’illustre échafaud ;
L’aigle semble inutile et ridicule aux grues ;
On traîne Coligny par les pieds dans les rues ;
Dante est fou ; Rome met à la porte Caton ;
Et Rohan bat Voltaire à grands coups de bâton.
Soyez celui qui lutte, aime, console, pense,
Pardonne, et qui pour tous souffre, et pour récompense
Ayez la haine, l’onde amère, le reflux,
L’ombre, et ne demandez aux hommes rien de plus.
Toutes ces choses-là sont les vérités vraies
Depuis que la lumière indigne les orfraies,
Depuis Socrate, Eschyle, Épictète et Zénon,
Depuis qu’au Oui des cieux la terre répond Non,
Depuis que Sparte en deuil fait rire les Sodomes,

Depuis, — voilà bientôt deux mille ans, — que les hommes
Ont vu, sur un gibet et sur un piédestal,
Deux couronnes paraître au même instant fatal ;
Chacune représente un côté de notre âme ;
L’une est de laurier d’or, l’autre d’épine infâme ;
Elles sont sur deux fronts dont rien ne les ôta.
L’une brille à Caprée et l’autre au Golgotha.