Le Parnasse contemporain/1866/L’Anneau
O toi que j’ai choisi pour ma jeune maîtresse ;
O toi qui ceindras son doigt nu,
Anneau d’or, puisse celle à qui l’amour t’adresse
T’accueillir comme un bienvenu ?
Ne froisse point son doigt délicat ; sois pour elle
Ce qu’elle est pour mon cœur épris,
Une extase, un rayon d’aurore, une parcelle
De moi-même, un joyau sans prix.
Alors, sans que son âme austère se courrouce,
Je pourrais, métal transporté,
De désirs tout humains, presser sa lèvre douce,
Nid rose où dort la volupté.
Alors j’effleurerais sa gorge, une merveille
Éblouissante de pâleur,
Aux contours si riants et si frais que l’abeille
Les prend pour deux pêches en fleur.
Bien des fois j’ai rêvé des charmes que dérobe
Sa pruderie à l’œil du jour ;
J’ai maudit bien des fois son corset et sa robe,
Ces deux guichetiers de l’amour ;
L’anneau qu’on porte au doigt n’éveille point d’alarmes,
Pour lui nul temple n’est fermé,
Il peut voir, à toute heure et sans voile, les charmes
Qu’on cache à l’œil du bien-aimé ;
Soit que la vierge, aux pieds de sa couche, abandonne
Son long vêtement desserré ;
Soit que dans le bain d’ambre elle joue et frissonne
Comme un beau cygne énamouré ;
Soit qu’au premier baiser que l’aube épand sur elle,
Entr’ouvrant ses cils demi-clos,
Elle se lève, aussi nonchalante, aussi belle
Qu’Aphrodite sortant des flots…
Dans ces heures d’extase, anneau pris de délire,
Brisant ma forme d’un moment,
Je reprendrais mon corps et ma voix pour lui dire :
« Aimons-nous : je suis ton amant ! »
Mais où s’égare, hélas ! ma pensée en détresse ?…
Pars, anneau, gage de ma foi,
Et va dire tout bas à ma belle maîtresse :
« Il languit, il meurt loin de toi ! »