L’Annexion de la Lune/03

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Librairie universelle (p. 12-16).

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Cette idée, en apparence paradoxale, soulève tout simplement la question de l’éventualité d’une action de l’homme, — qui a déjà dompté tant de forces naturelles, — sur les forces dont dépendent les mouvements et les distances des astres.

Or les mouvements astronomiques dépendent en grande partie de l’attraction, laquelle dépend à son tour du poids des astres.

La forme de ces derniers influe aussi, dans une certaine mesure, sur les mouvements astronomiques, en tant qu’elle affecte la répartition du poids.

Ainsi, la Terre, si elle était parfaitement ronde, aurait son axe de rotation à peu près fixe. Mais l’attraction du Soleil et de la Lune sur son renflement équatorial, détermine au contraire des changements de direction de son axe.

Cela étant, l’homme lui-même exerce inconsciemment une action imperceptible sur ces mouvements.

En effet, les déplacements de matière provoqués par l’activité humaine à la surface de la planète peuvent se chiffrer annuellement par millards de tonnes.

Il est difficile d’admettre que ces déplacements se fassent exactement équilibre, au point que la répartition générale de la pesanteur dans la masse du globe n’en soit aucunement altérée.

Il y a donc lieu de croire que, par l’influence de l’homme, le centre de gravité de la Terre se déplace constamment, d’une quantité inappréciable pour nos instruments de mesure, mais qui peut, à la longue, exercer une action sensible sur les mouvements astronomiques.

Or, ce que l’homme fait inconsciemment, il peut l’accomplir sur une plus vaste échelle, de façon à modifier à son gré la forme de sa planète, et à régler par conséquent à volonté la direction de l’axe de rotation de la Terre.

Il suffirait pour cela que les membres de plus en plus nombreux de la grande famille humaine, groupés sous un pouvoir unique, fissent converger vers ce but tous les moyens qu’une science de plus en plus parfaite met à leur disposition pour déplacer la matière.

Pour que la Lune se rapproche de la Terre, il ne suffit pas que la forme de cette dernière se modifie, il faut que le poids de l’un des deux astres augmente.

Or, le poids des astres s’accroît constamment, nous l’avons vu, des débris de planètes mortes. « Le docteur Keibler, de Saint-Pétersbourg, a calculé qu’il tombe par heure sur le globe 4.950 livres de poussière météorique, ce qui donne par an un total de 11.435 tonnes. C’est à peu près deux onces de poussière sur chaque mètre carré de surface de la Terre. Si l’assertion du Dr Keibler est exacte, il est à supposer que cette accumulation continuelle de poussière doit sensiblement augmenter le poids de notre planète et entraîner certaines modifications de notre système. » (La Décade, 1er septembre 1885, p. 202)

Le même accroissement de poids devant avoir lieu sur la Lune, il en résulte que les deux astres tendent à se rapprocher constamment l’un de l’autre.

L’homme peut-il accélérer ce mouvement ?

Les études de Morphologie moléculaire que poursuit l’auteur de ces lignes lui permettent d’affirmer que le moment n’est pas éloigné, où la connaissance de la constitution intime de la matière pondérable et des lois de sa formation nous donnera le pouvoir de la fabriquer de toutes pièces au moyen de la matière impondérable, ou de la réduire en cette dernière, suivant les besoins du moment.

Dès lors, l’homme, maître d’accroître ou de diminuer à volonté la masse de sa planète, agira du même coup sur ses mouvements astronomiques, sur sa distance à l’égard des autres astres, et pourra même la transformer en un véhicule évoluant docilement à travers les espaces célestes, sous la puissante direction de son pilote.

À plus forte raison, pourrons-nous annexer la Lune.

Il y aura quelques précautions à prendre.

La Lune est assimilable à un boulet d’un poids de 78.300.000 millards de tonnes, animé d’une vitesse de 1.022 mètres par secondes.

Le choc d’une pareille masse serait rude.

Mais, à mesure que la Lune se rapprochera de la Terre, le frottement de plus en plus intense de l’atmosphère ralentira son impulsion, que l’homme pourra même utiliser pour divers travaux mécaniques, et, lorsque cette impulsion sera devenue nulle, il nous sera facile de provoquer la juxtaposition de notre satellite à l’un des pôles de notre globe. Ce choix de l’un des pôles terrestres comme emplacement de la Lune est commandé par deux raisons. En premier lieu, c’est l’endroit où le contact des deux astres absorbera le moins de surface utilisable ; d’autre part, l’équilibre de notre planète en sera moins affecté.

Toutefois, l’annexion de la Lune aura des conséquences dont il importe de tenir compte.

Elle diminuera d’un cinquième le poids des objets placés dans l’hémisphère en contact avec la Lune et augmentera de la même quantité celui des objets placés dans l’hémisphère opposé.

Les marées périodiques disparaîtront, mais une marée énorme déplacera les océans d’une manière permanente du côté de la Lune, mettant à nu des surfaces considérables qui pourront être livrées à la culture.

Les mouvements astronomiques de la Terre deviendront plus complexes et ses climats seront totalement modifiés.

Il sera peut-être plus facile aux financiers de faire des trous à la Lune, — mais les habitants de tout un hémisphère ne pourront la voir qu’au prix d’un long voyage.

C’est dans les terrains volcaniques de notre satellite que pousseront alors les meilleurs vignobles, et la glorieuse humanité devra ses plus beaux rêves aux paillettes d’or du champagne lunaire !

Paul Combes.