L’Antéchrist (Renan)/VIII. Mort de saint Pierre et de saint Paul

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Michel Lévy (p. 182-201).


CHAPITRE VIII.


MORT DE SAINT PIERRE ET DE SAINT PAUL.


On ne sait avec certitude le nom d’aucun des chrétiens qui périrent à Rome dans l’horrible événement d’août 64. Les personnes arrêtées étaient converties depuis peu et se connaissaient à peine. Ces saintes femmes qui avaient étonné l’Église par leur constance, on ne savait pas leur nom. On ne les nomma dans la tradition romaine que « les Danaïdes et les Dircés[1] ». Cependant les images des lieux restèrent vives et profondes. Le cirque ou naumachie[2], les deux bornes, l’obélisque, un térébinthe, qui servirent de point de ralliement aux souvenirs des premières générations chrétiennes[3], devinrent les éléments fondamentaux de toute une topographie ecclésiastique, dont le résultat fut la consécration du Vatican et la désignation de cette colline pour une destinée religieuse de premier ordre.

Quoique l’affaire eût été particulière à la ville de Rome, et qu’il s’agît avant tout d’apaiser l’opinion publique des Romains, irrités de l’incendie, l’atrocité commandée par Néron dut avoir des contre-coups dans les provinces et y exciter une recrudescence de persécution[4]. Les Églises d’Asie Mineure notamment furent gravement éprouvées[5], les populations païennes de ces contrées étaient promptes au fanatisme[6]. Il y eut des emprisonnements à Smyrne[7]. Pergame eut un martyr, qu’on nous désigne par le nom d’Antipas[8], lequel paraît avoir souffert près du fameux temple d’Esculape, peut-être dans un amphithéâtre en bois non loin du temple[9], à propos de quelque fête. Pergame était avec Cyzique[10] la seule ville d’Asie Mineure qui eût une organisation régulière des jeux de gladiateurs. Nous savons justement que ces jeux étaient placés à Pergame sous l’autorité des prêtres[11]. Sans qu’il y eût d’édit en forme interdisant la profession du christianisme[12], cette profession mettait en réalité hors la loi ; hostis, hostis patriæ, hostis publicus, humani generis inimicus, hostis deorum atque hominum, autant d’appellations écrites dans les lois pour désigner ceux qui mettaient la société en péril, et contre lesquels tout homme, selon l’expression de Tertullien, devenait un soldat[13]. Le nom seul de chrétien était de la sorte un crime[14]. Comme l’arbitraire le plus complet était laissé aux juges pour l’appréciation de pareils délits[15], la vie de tout fidèle, à partir de ce jour, fut entre les mains de magistrats d’une horrible dureté, et remplis contre eux de féroces préjugés[16].

Il est permis, sans invraisemblance, de rattacher à l’événement dont nous venons de faire le récit la mort des apôtres Pierre et Paul[17]. Un sort vraiment étrange a voulu que la disparition de ces deux hommes extraordinaires fut enveloppée de mystère. Une chose certaine, c’est que Pierre est mort martyr[18]. Or on ne conçoit guère qu’il ait été martyr ailleurs qu’à Rome[19], et, à Rome, le seul incident historique connu par lequel on puisse expliquer sa mort est l’épisode raconté par Tacite[20]. Quant à Paul, des raisons solides portent aussi à croire qu’il est mort martyr, et mort à Rome[21]. Il est donc naturel de rapporter également sa mort à l’épisode de juillet-août 64[22]. Ainsi fut cimentée par le supplice la réconciliation de ces deux âmes, l’une si forte, l’autre si bonne ; ainsi fut établie par autorité légendaire (c’est-à-dire divine) cette touchante fraternité de deux hommes que les partis opposèrent, mais qui, on peut le croire, furent supérieurs aux partis et s’aimèrent toujours. La grande légende de Pierre et Paul, parallèle à celle de Romulus et Rémus, fondant par une sorte de collaboration ennemie la grandeur de Rome[23], légende qui en un sens a eu dans l’histoire de l’humanité presque autant d’importance que celle de Jésus, date du jour qui, selon la tradition, les vit mourir ensemble. Néron, sans le savoir, fut encore en ceci l’agent le plus efficace de la création du christianisme, celui qui posa la pierre angulaire de la cité des saints.

Quant au genre de mort des deux apôtres, nous savons avec certitude que Pierre fut crucifié[24]. Selon d’anciens textes, sa femme fut exécutée avec lui, et il la vit mener au supplice[25]. Un récit accepté dès le IIIe siècle voulut que, trop humble pour s’égaler à Jésus, il eût demandé à être crucifié la tête en bas[26]. Le trait caractéristique de la boucherie de 64 ayant été la recherche d’odieuses raretés en fait de tortures, il est possible qu’en effet Pierre ait été offert à la foule dans cette hideuse attitude. Sénèque mentionne des cas où l’on a vu des tyrans faire tourner vers la terre la tête des crucifiés[27]. Puis la piété chrétienne aura vu un raffinement mystique[28] dans ce qui ne fut qu’un bizarre caprice des bourreaux. Peut-être le trait du quatrième Évangile : « Tu étendras les mains, et un autre te ceindra, et te mènera où tu ne veux pas, » renferme-t-il quelque allusion à une particularité du supplice de Pierre[29]. — Paul, en sa qualité d’honestior, eut la tête tranchée[30]. Il est probable, du reste, qu’il y eut pour lui un jugement régulier[31], et qu’il ne fut pas enveloppé dans la condamnation sommaire des victimes de la fête de Néron. Timothée fut, selon certaines apparences, arrêté avec son maître et gardé en prison[32].

Au commencement du IIIe siècle, on voyait déjà près de Rome deux monuments auxquels on attachait les noms des apôtres Pierre et Paul. L’un était situé au pied de la colline Vaticane : c’était celui de saint Pierre ; l’autre sur la voie d’Ostie : c’était celui de saint Paul. On les appelait en style oratoire « les trophées » des apôtres[33]. C’étaient probablement des cellæ ou des memoriæ consacrées aux deux saints. De pareils monuments existaient en public avant Constantin[34] ; on a le droit d’ailleurs de supposer que ces « trophées » n’étaient connus que des fidèles ; peut-être même n’étaient-ils pas autre chose que ce Térébinthe du Vatican auquel on associa durant des siècles la mémoire de Pierre, ce Pin des Eaux Salviennes, qui fut, selon certaines traditions, le centre des souvenirs relatifs à Paul[35]. Plus tard, ces « trophées » deviennent les tombeaux des apôtres Pierre et Paul. Vers le milieu du IIIe siècle, en effet, apparaissent deux corps que l’universelle vénération tient pour ceux des apôtres[36], et qui semblent provenir des catacombes de la voie Appienne, où il y avait effectivement plusieurs cimetières juifs[37]. Au IVe siècle, ces cadavres reposent à l’endroit des deux « trophées »[38]. Au-dessus des « trophées » s’élèvent alors deux basiliques, dont l’une est devenue la basilique actuelle de Saint-Pierre, et dont l’autre, Saint-Paul-hors-les-Murs, a gardé ses formes essentielles jusqu’à notre siècle.

Les « trophées » que les chrétiens vénéraient vers l’an 200 désignaient-ils réellement les places où souffrirent les deux apôtres ? Cela se peut. Il n’est pas invraisemblable que Paul, sur la fin de sa vie, demeurât dans la banlieue qui s’étendait hors de la porte Lavernale, sur la voie d’Ostie[39]. L’ombre de Pierre, d’un autre côté, erre toujours, dans la légende chrétienne, vers le pied du Vatican, des jardins et du cirque de Néron, en particulier autour de l’obélisque[40]. Cela vint, si l’on veut, de ce que le cirque en question gardait le souvenir des martyrs de 64, auxquels, à défaut d’indication précise, la tradition chrétienne put joindre Pierre ; nous aimons mieux croire cependant qu’il se mêla en tout ceci quelque renseignement[41], et que l’ancienne place de l’obélisque, dans la sacristie de Saint-Pierre, marquée aujourd’hui par une inscription, indique à peu près l’endroit où Pierre en croix rassasia de son affreuse agonie les yeux d’une populace avide de voir souffrir.

Les corps eux-mêmes qu’entoure depuis le IIIe siècle une tradition non interrompue de respect sont-ils ceux des deux apôtres ? Nous le croyons à peine. Il est certain que l’attention à garder la mémoire des tombeaux des martyrs fut très-ancienne dans l’Église[42] ; mais Rome fut, vers 100 et 120, le théâtre d’un immense travail légendaire, relatif surtout aux deux apôtres Pierre et Paul, travail où les prétentions pieuses eurent beaucoup de part. Il n’est guère croyable que, dans les jours qui suivirent l’horrible carnage arrivé en août 64, on ait pu revendiquer les cadavres des suppliciés. Dans la masse hideuse de chair humaine pétrie, rôtie, piétinée, qui fut ce jour-là traînée au croc dans le spoliaire[43], puis jetée dans les puticuli[44], il eût peut-être été difficile de reconnaître l’identité de chacun des martyrs. Souvent sans doute on obtenait l’autorisation de retirer des mains des exécuteurs les restes des condamnés[45] ; mais, en supposant (ce qui est fort admissible) que des frères eussent bravé la mort pour aller redemander les précieuses reliques, il est probable qu’au lieu de les leur rendre, on les eût envoyés eux-mêmes rejoindre le tas de cadavres[46]. Durant quelques jours, le nom seul de chrétien fut un arrêt de mort[47]. C’est là, du reste, une question bien secondaire. Si la basilique Vaticane ne couvre pas réellement le tombeau de l’apôtre Pierre, elle n’en désigne pas moins à nos souvenirs l’un des lieux les plus réellement saints du christianisme. La place où le mauvais goût du XVIIe siècle a construit un cirque d’une architecture théâtrale fut un second calvaire, et même, en supposant que Pierre n’y ait pas été crucifié, là du moins, on n’en peut douter, souffrirent les Danaïdes, les Dircés.

Si, comme il est permis de le croire, Jean accompagna Pierre à Rome, nous pourrons trouver un fond plausible à la vieille tradition d’après laquelle Jean aurait été plongé dans l’huile bouillante[48] vers l’endroit où exista plus tard la porte Latine[49]. Jean paraît avoir souffert pour le nom de Jésus[50]. Nous sommes portés à croire qu’il fut témoin et jusqu’à un certain point victime du sanglant épisode auquel l’Apocalypse doit son origine. L’Apocalypse est pour nous le cri d’horreur d’un témoin, qui a demeuré à Babylone, qui a connu la Bête, qui a vu les corps sanglants de ses frères martyrs, qui lui-même a subi l’étreinte de la mort[51]. Les malheureux condamnés à servir de flambeaux vivants[52] devaient être préalablement plongés dans l’huile ou dans une substance inflammable (non bouillante, il est vrai). Jean fut peut-être voué au même supplice que ses frères et destiné à illuminer le soir de la fête le faubourg de la voie Latine ; un hasard, un caprice l’aura sauvé. La voie Latine est, en effet, située dans le quartier où se passèrent les incidents de ces jours terribles. La partie méridionale de Rome (porte Capène, voie d’Ostie, voie Appienne, voie Latine) forme la région autour de laquelle semble se concentrer, du temps de Néron, l’histoire de l’Église naissante.

Un sort jaloux a voulu que, sur tant de points qui sollicitent vivement notre curiosité, nous ne pussions jamais sortir de la pénombre où vit la légende. Répétons-le encore : les questions relatives à la mort des apôtres Pierre et Paul ne prêtent qu’à des hypothèses vraisemblables. La mort de Paul, en particulier, est enveloppée d’un grand mystère. Certaines expressions de l’Apocalypse, composée à la fin de 68 ou au commencement de 69, inclineraient à penser que l’auteur de ce livre croyait Paul vivant quand il écrivait[53]. Il n’est nullement impossible que la fin du grand apôtre ait été tout à fait ignorée. Dans la course que certains textes lui attribuent du côté de l’Occident, un naufrage, une maladie, un accident quelconque purent l’enlever[54]. Comme il n’avait pas à ce moment autour de lui sa brillante couronne de disciples, les détails de sa mort seraient restés inconnus ; plus tard, la légende y aurait suppléé, en tenant compte, d’une part, de la qualité de citoyen romain que les Actes lui donnent, de l’autre, du désir qu’avait la conscience chrétienne d’opérer un rapprochement entre lui et Pierre. Certes, une mort obscure pour le fougueux apôtre a quelque chose qui nous sourit. Nous aimerions à rêver Paul sceptique, naufragé, abandonné, trahi par les siens, seul, atteint du désenchantement de la vieillesse ; il nous plairait que les écailles lui fussent tombées une seconde fois des yeux, et notre incrédulité douce aurait sa petite revanche si le plus dogmatique des hommes était mort triste, désespéré (disons mieux, tranquille), sur quelque rivage ou quelque route de l’Espagne, en disant lui aussi : Ergo erravi ! Mais ce serait trop donner à la conjecture. Il est sûr que les deux apôtres étaient morts en 70 ; ils ne virent pas la ruine de Jérusalem, qui eût fait sur Paul une si profonde impression. Nous admettrons donc comme probable, dans toute la suite de cette histoire, que les deux champions de l’idée chrétienne disparurent à Rome, pendant l’orage terrible de l’an 64. Jacques était mort, il y avait un peu plus de deux ans. Des « apôtres-colonnes », il ne restait donc plus que Jean. D’autres amis de Jésus vivaient sans doute encore à Jérusalem, mais oubliés et comme perdus dans le sombre tourbillon où la Judée allait être plongée durant plusieurs années.

Nous montrerons dans le livre suivant de quelle manière l’Église consomma entre Pierre et Paul une réconciliation que la mort avait peut-être ébauchée. Le succès était à ce prix. En apparence inalliables, le judéo-christianisme de Pierre et l’hellénisme de Paul étaient également nécessaires au succès de l’œuvre future. Le judéo-christianisme représentait l’esprit conservateur, sans lequel il n’y a rien de solide ; l’hellénisme, la marche et le progrès, sans quoi rien n’existe véritablement. La vie est le résultat d’un conflit entre des forces contraires. On meurt aussi bien par l’absence de tout souffle révolutionnaire que par l’excès de la révolution.

  1. Clem. Rom., Ad Cor. I, c. 6.
  2. Plus tard on crut voir dans ce cirque un palais de Néron. Becker, Handbuch der rœmischen Alterthümer (Leipzig, 1843), I, 671 ; Lipsius, Rœm. Petrussage, p. 104, note.
  3. V. ci-après, p. 188, note ; 195, notes.
  4. Suétone (Néron, 16) et Tertullien (Ad nat., I, 7) s’expriment d’une façon générale.
  5. Apoc., i, ii et iii, vi, 11, et peut-être xx, 4 (les martyrs de Rome ne périrent point par la hache). Si l’auteur de l’Apocalypse n’a pas été à Rome, l’état d’exaltation où il est prouvé que la persécution fut très-forte en Asie. Lui-même a souffert (i, 9). Mais nous croyons que l’auteur de l’Apocalypse a été à Rome.
  6. Mart. Polyc., 3 et suiv., 12. Cf. Act., xix, 23 et suiv.
  7. Apoc., ii, 9-10. Cf. Mart. Polyc., 17-18.
  8. Apoc. ii, 13. Voir ci-après, p. 365. L’habitude qu’a l’auteur de l’Apocalypse de se servir de noms symboliques ou anagrammatiques répand beaucoup d’incertitude sur ce nom ; mais il n’est pas douteux qu’il n’y ait là-dessous un martyr.
  9. V. Mém. de l’Acad. de Berlin, 1872, p. 48-58.
  10. Texier, Asie Mineure, p. 217 et suiv. Ces deux villes sont les seules qui offrent des ruines d’amphithéâtres. Il y avait pourtant des jeux de bêtes à Smyrne. Mart. Polyc., 11 et 12.
  11. Galien, t. XIII, p. 600 ; t. XVIII, 2e partie, p. 557 (édit. Kuhn).
  12. Commodien, Carmen, ch. xl-xli ; Eus., H. E., II, 25 ; Chron., ad ann. 13 Ner. ; Lactance, De mort. persec., 2 ; Sulpice Sévère, Hist. sacra, II, 28 et 29 ; Orose, VII, 7, Euthalius, dans Zaccagni, p. 532, présentent à tort la chose ainsi. M. de Rossi (Bull. di arch. crist., 1864, p. 69 et suiv., 92 et suiv. ; 1865, p. 93) a cru voir dans une inscription charbonnée sur les murs d’une caupona à Pompéi quelques traces des railleries sanglantes que la populace fit des chrétiens. L’inscription (Zangemeister, Inscript. parietariæ, no 679) a disparu, et l’explication de M. de Rossi est des plus douteuses. Voir Comptes rendus de l’Acad., 1866, p. 189 et suiv. On est tenté de croire que ce griffonnage, où on lit le mot vina, se rapporte aux comptes du marchand de vin. En tout cas, l’inscription devait être de l’an 78 ou 79 ; car de telles inscriptions se conservent peu de temps. Tertullien nie qu’il y eût des chrétiens à Pompéi avant 79. Apol., 40.
  13. Tertullien, Apol., 2, 25, 33, 37 ; Ad Scapulam, 4. Cf. Cod. Theod., l. 3, 6, 7, 9, de Maleficis et mathematicis (IX, xviii). Cf. Actes du martyre de saint Cyprien, § 4, dans Ruinart, Acta sincera, p. 217.
  14. I Petri, iv, 14. Cf. Matth., x, 22 ; xxiv, 9 ; Marc, xiii, 13 ; Luc, xxi, 12, 17.
  15. Digeste, l. 6, ad legem Juliam peculatus (XLVIII, xiii). Cf. ibid., l. 4, § 2.
  16. Paul, Sentent., V, xxix, 1. Luc, xxi, 12, est écrit sous la préoccupation de ces vexations judiciaires.
  17. C’est l’hypothèse d’Eusèbe (Chron., ann. 13 de Nér.), parfaitement d’accord avec Clément Romain, Ad Cor. I, 5 et 6, et confirmée par Apoc., xviii, 20. Cf. Euthalius, p. 532 ; Georges le Syncelle, p. 339.
  18. Jean, xxi, 18-19, comparé à xii, 32-33, et xiii, 36, passages en toute hypothèse écrits avant l’an l’150, et d’autant plus forts qu’ils sont indirects et supposent le fait en question connu de tous ; II Petri, i, 14 ; Canon de Muratori, lignes 36-37 ; Clém. Rom., Ad Cor. I, ch. 5 ; Denys de Corinthe et Caïus, prêtre de Rome, cités par Eusèbe, H. E., II, 25 ; Tertullien, Præscr., 36 ; Adv. Marc., IV, 5 ; Scorpiace, 15. Luc, xxii, 32-33, comparé au passage précité du Canon de Muratori, et à Jean, xiii, 36-38, donne aussi beaucoup à réfléchir. Cf. Macarius Magnès, l. IV, § 4 (encore inédit).
  19. Si Pierre n’a pas été martyrisé à Rome, il l’a été à Jérusalem ou à Antioche ; deux hypothèses également invraisemblables. Apoc., xviii, 20, est très-fort pour notre thèse.
  20. Ann., XV, 44. Lire attentivement Clément Romain, Ad Cor. I, § 5 et 6, dans l’édition de Hilgenfeld. Le πολὺ πλῆθος ἐκλεκτῶν, les Danaïdes et les Dircés souffrirent sûrement à Rome ; or ces martyrs sont réunis comme en tas (συνηθροίσθη) aux apôtres Pierre et Paul.
  21. Les mots de Clément Romain : μαρτυρήσας ἐπὶ τῶν ἡγουμένων, οὕτως ἀπηλλάγη τοῦ κόσμου, n’impliquent pas la mort violente (cf. Act., xxiii, 11) ; mais l’ensemble du passage, surtout ἕως θανάτο[υ ἤλθον], en partie conjectural, l’implique probablement, et le parallélisme avec le μαρτυρήσας de Pierre l’indique aussi. Denys de Corinthe, Caïus, prêtre de Rome, et Tertullien (loc. cit. note 1), croient que Paul a été martyr. De même, l’auteur de l’épître d’Ignace aux Éphésiens, § 12 (passage manquant dans le syriaque). Cf. Commodien, Carmen, vers 821.
  22. La plus forte raison pour cela est Clém. Rom., Ad Cor. I, ch. 5 et 6. L’auteur de cette épître, écrite certainement à Rome, peu d’années après la mort des apôtres (ch. 5, initio), probablement de 93 à 96, établit un lien entre le supplice de Pierre, celui de Paul, celui du πολὺ πλῆθος ἐκλεκτῶν, celui des Danaïdes et des Dircés, par l’expression : τούτοις τοῖς ἀνδράσιν συνηθροίσθη… (impliquant une fournée d’arrestations tumultuaires), et surtout par la cause commune qu’il attribue à toutes ces morts, « la jalousie ». Or il est clair que le πολὺ πλῆθος ἐκλεκτῶν, les Danaïdes et les Dircés souffrirent dans la persécution de juillet-août 64. Denys de Corinthe, cité par Eusèbe (H. E., II, 25) veut que Pierre et Paul soient morts à Rome vers le même temps (κατὰ τὸν αὐτὸν καιρόν) ; il est vrai que son témoignage est affaibli par ce qu’il semble raconter sur l’apostolat de Pierre à Corinthe et sur les voyages de Pierre et de Paul opérés de conserve. On sent chez lui un parti pris systématique pour associer Pierre et Paul dans l’apostolat des gentils. — Tertullien, Præscr., 36 ; Adv. Marc., IV, 5 ; et Commodien, Carmen, v. 821, associent aussi les deux apôtres dans leur mort. Cf. Irénée, Adv. hær., III, i, 1 ; iii, 3 ; Eusèbe, H. E., II, 22, 25 ; III, 1 ; Chron., 13e année de Néron ; Lactance, De mort. persec., 2 ; Instit. div., IV, 21  ; saint Jérôme, De viris ill., 5 ; Euthalius, dans Zaccagni, Coll. monum. vet. Eccl. gr., p. 532 ; Sulpice Sévère, Hist. sacra, II, 29 ; Bède, De rat. temp., p. 303, édit. Giles. Toute la tradition romaine (Caïus dans Eusébe, H. E., II, 25 ; Liber pontificalis, édit. Bianchini, art. Pierre et Corneille, en remarquant les contradictions ; Actes de Pierre et Paul attribués à saint Lin, Bibl. max. patr., II, 1re part., p. 69 c ; Actes publiés par Tischendorf, § 84 ; autres Actes de Pierre cités par Bosio, Roma sott., p. 74 et suiv.) place le martyre ou la sépulture de Pierre au cirque de Néron (« inter duas metas, sub Terebintho, prope Naumachiam, in Vaticano, juxta obeliscum Neronis in monte, juxta Palatium Neronianum [le cirque], in territorio triumphali » ), c’est-à-dire à l’endroit qui fut justement le théâtre des atrocités d’août 64. (Voir Platner et Bunsen, II, i, 39-41.) Enfin, la tradition de Pierre crucifié la tête en bas répond bien à Tac., XV, 44. L’opinion que Pierre et Paul souffrirent le même jour s’établit à Rome non sans contradiction. (Conc. de Rome, sous Gélase, Labbe, Concil., IV, col. 1262 ; saint Jérôme, De viris ill., 5.) Prudence, saint Augustin et d’autres veulent que les deux apôtres soient morts le même jour du calendrier, à un an d’intervalle. Eusèbe (Chron., ad ann. 13 Ner.) et saint Jérôme (l. c.) assignent pour date à la mort des deux apôtres l’an 68, par raisonnement, non par tradition. Voir Tillemont, Mém., I, note 40 sur saint Pierre ; Zonaras, XI, 13 ; Land, Anecd. syr., I, p. 116.
  23. Clément Romain, Denys de Corinthe, le prêtre Caïus, Tertullien, endroits cités ; le Κήρυγμα Παύλου, cité par Lactance, Instit. div., IV, 21, et dans l’ouvrage De bapt. non iter., à la suite des œuvres de saint Cyprien, édit. de Rigault, p. 139, saint Ignace, Ad Rom., 4 ; Irénée, Adv. hær., III, i, 1 ; iii, 2-3 ; Tertullien, Præscr., 23. Notez surtout l’inscription m. anneo. pavlo. petro (ci-dessus, p. 12, note 2), en observant que Petrus ne peut être qu’un agnomen chrétien (nonobstant ala Petriana, Orelli, 516, 5455, qui vient d’un individu surnommé Petra). Pour les monuments figurés, voir de Rossi, Bull., 1864, p. 81 et suiv. ; 1866, p. 52 ; Martigny, Dict., p. 537 et suiv.
  24. Jean, xxi, 18-191 (comp. Jean, xii, 32-33 ; xiii, 36) ; Tertullien, Adv. Marc., IV, 5 ; Præscr., 36 ; Scorpiace, 15 ; Eusèbe, H. E., II, 25 ; Lactance, De mort. persec., 2 ; Orose, VII, 7. Notez, en effet, que Tacite, Ann., XV, 44, compte parmi les suppliciés des crucibus affixi. Il est vrai que les changements qu’on a proposés pour le texte en cet endroit (Bernays, ci-dessus, p. 165, note 2) feraient disparaître la catégorie des simples crucifiés ; mais Sulpice Sévère (II, 29), qui copie presque Tacite (et un Tacite plus correct que le nôtre), d’accord avec Hermas, I, vis. iii, 2, met expressément cruces (σταυρούς) parmi les supplices.
  25. Clém. d’Alex., Strom., VII, 11.
  26. Acta Petri et Pauli, c. 81 (cf. le Pseudo-Lin, p. 69-70) ; Eusèbe, H. E., III, 1 (d’après Origène) ; Eus., Dem. ev., III, 5 ; saint Jérôme, De viris ill., 1.
  27. Consol. ad Marciam (écrite sous Claude), 20.
  28. Rufin, trad. d’Eus., H. E., l. c.
  29. La précinction des reins avec une serviette n’était nullement de règle dans le crucifiement. Le passage Évang. de Nicodème, 1re part. A, ch. 10, se rapporte à une conception très-moderne de la crucifixion de Jésus.
  30. Tertullien, Præscr., 36 ; Scorp., 15 ; Eusèbe, H. E., II, 25 ; Lactance, De mort. persec., 2 ; Orose, VII, 7 ; Euthalius, dans Zaccagni, p. 427, ; 522, 531-537. Cf. Paul, Sentent., V, xxix, 1.
  31. Clém. Rom., Ad Cor. I, 5, μαρτυρήσας ἐπὶ τῶν ἡγουμένων. Voyez ci-dessus, p. 186-187, note 4.
  32. Hebr., xiii, 23. Voyez cependant ci-après, p. 210.
  33. Caïus, cité par Eusèbe, H. E., II, 25. Ce qui concerne la construction de la memoria de saint Pierre au Vatican par Anenclet (Liber pontificalis, art. Anenclet) est légendaire. Voir Lipsius, Chronol. der rœm. Bischöfe, p. 200 et suiv., en comparant le texte de Bianchini.
  34. Eusèbe, Vita Const., II, 40 ; cf. de Rossi, Rom. sott., I, p. 209-210. La publicité dont jouissaient les cimetières chrétiens est un fait hors de doute.
  35. V. ci-dessus, p. 188, note ; Acta Petri et Pauli, 80 (texte des manuscrits de Paris, Tischendorf, p. 35, note). Les Eaux Salviennes, cependant, sont trop loin de la basilique de Saint-Paul-hors-les-Murs pour qu’on puisse identifier les deux localités.
  36. Kalendarium liberianum, 3 kal. jun. (Abh. der kœn. sächs. Ges., phil.-hist. Classe, I, p. 632) ; inscription de Damase, Gruter, II, 1163 ; Liber pontificalis (texte de Bianchini et de Lipsius), art. Petrus, Cornelius, Damasus, et tous les articles de Lin à Victor, excepté deux. Le Liber pontificalis se contredit. Rien de plus obscur que ce qui concerne les translations opérées par saint Corneille. On prétend qu’il ne fit que ramener les corps des apôtres à leur premier gîte. Pourquoi en auraient-ils été distraits ? La raison qu’on allègue en ce qui concerne le corps de Pierre, tirée de Lampride, Héliog., 23, est très-faible ; on n’en allègue aucune en ce qui concerne Paul. La proximité du cimetière juif de la Vigna Randanini m’incline à croire que les deux corps qu’on fit passer pour ceux des apôtres furent tirés des catacombes de la voie Appienne par saint Corneille (251-253), quand la grande persécution de Dèce eut érigé le soin des corps des martyrs en œuvre ecclésiastique, et suscité le zèle de la bonne Lucine, qui put se contenter d’indices légers et peut-être même ne pas s’interdire quelques petites fourberies pieuses. Les traditions sur le séjour des corps des apôtres à la catacombe de Saint-Sébastien, à l’endroit qui s’appelait par excellence Catacumbas (κατὰ tumbas) (Marchi, Monum. delle arti cristiane primitive, p. 199-220), se trouvent ainsi expliquées. Voir Liber pontificalis, aux articles Corneille, Damase, Adrien I et Nicolas I ; Bède, De temp. rat., p. 309 (édit. Giles) ; Actes de saint Sébastien, et autres, Bosio, p. 247-248, 251-256, 259-260 ; Acta SS. Jan., II, p. 258, 278 ; Gruter, 1172, no 12 ; de Rossi, Roma sott., I, 236 et suiv. ; 240-242 ; Catal. imp. rom., dans Roncalli, Vetustiora latin. script. chronica (Padoue, 1787), t. II, p. 248. — Quelques manuscrits des Acta Petri et Pauli offrent un système de conciliation entre les versions opposées qui circulaient. Tischendorf, Acta apost. apocr., p. 38 et 39, note ; Lipsius, Die Quellen der rœm. Petrussage, p. 99 ; Mabillon, Liturgia gallicana, p. 159. Cf. Grég. le Grand, Epist., IV, xxx (0pp. t. II, col. 710, édit. Bénéd.) ; Actes de Mar Scherbil, dans Cureton, Ancient syr. docum., p. 61 et suiv. (trad.).
  37. On en connaît deux, à une distance de 2 ou 300 mètres, l’un au nord, l’autre au sud, de l’endroit (ad Catacumbas) d’où la tradition veut que soient sortis les corps de Pierre et de Paul. Rossi, Bull., 1867, p. 3, 16. Grande preuve que l’endroit appelé κατὰ τυμϐάς ou ad tumbas, où l’on croyait, au commencement du IIIe siècle, reconnaître les tombeaux des deux apôtres, faisait partie d’une vaste nécropole juive souterraine, située dans le pli que fait vers Saint-Sébastien la voie Appienne. Le centre des sépultures chrétiennes des trois premiers siècles fut de ce côté. De Rossi, Roma sott., II entier.
  38. Eusèbe, H. E., II, 25, en observant que le sens de κοιμητήριον est « tombe ». Eusèbe admet que Caïus entend par τρόπαια des tombeaux. Une grande partie de la tradition romaine voulut, en effet, que Pierre et Paul eussent été enterrés tous les deux près de l’endroit où ils furent mis à mort (Bosio, Roma sott., p. 74 et suiv., p. 197 et suiv.). Le lieu de sépulture et le lieu d’exécution se confondaient souvent pour les martyrs. V. Hégésippe, dans Eusèbe, H. E., II, xxiii, 18 ; Liber pontif., art. Pierre et Corneille ; Acta Petri et Pauli, § 84. Il est probable cependant que ladite tradition vint de ce qu’après la translation définitive des deux corps et la construction des basiliques, on dut être induit à prétendre que les reliques avaient toujours été à l’endroit où on les offrait à la piété des croyants. Cf. Euthalius, dans Zaccagni, p. 522-523.
  39. Cf. Kalendarium Lib., l. c. ; Liber pontificalis, art. Corneille ; Acta Petri et Pauli, 80. Le lieu indiqué par ces textes est celui où s’éleva la basilique de saint Paul, qui a succédé sans doute au τρόπαιον de Caïus. C’est à une époque relativement moderne qu’on voulut que saint Paul eût été décapité près de deux milles plus loin, ad Aquas Salvias, ou Ad guttam jugiter manantem (aujourd’hui Saint-Paul-aux-trois-Fontaines), un des sites les plus frappants de la campagne de Rome. Grég. le Grand, Epist., XIV, xiv (Opp., t. II, col. 1273, édit. Bénéd.) ; Acta Petri et Pauli, 80 (selon certains manuscrits, Tischendorf, p. 35, note) ; Acta SS. Junii, V, p. 435.
  40. Bosio, Roma sott., p. 74 et suiv. ; Lipsius, Rœm. Petrussage, p. 102 et suiv.
  41. V. ci-dessus, p. 188, note. Le Montorio paraît n’avoir dans la question que des titres usurpés.
  42. Hégésippe, dans Eusèbe, Hist. eccl., II, xxiii, 18.
  43. Le hasard nous a conservé le nom du « curateur du spoliaire » qui probablement surveilla cette horrible opération. Il s’appelait Primitivus. Nous avons l’épitaphe du tombeau où il reposa en compagnie du laniste Claude, du rétiaire Télesphore et du médecin adjoint au ludus matutinus, Claude Agathocle. Tous ces personnages paraissent avoir été des esclaves ou affranchis de Néron (Orelli, no 2554). Le marbre impassible ajoute : Sit vobis terra levis. Nous avons l’épitaphe d’un autre medicus ludi matutini, Eutychus, qui fut aussi esclave de Néron, et de sa femme Irène (Orelli, no 2553). Il est remarquable que tous ces fonctionnaires de l’arène portent les mêmes noms que les chrétiens, sans doute parce qu’ils venaient en grand nombre de l’Asie.
  44. Συνηθροίσθη.
  45. Digeste, de Cadaveribus punitorum, XLVIII, xxiv, 1 et 3 ; Diocl. et Max., Cod. Just., constit. 11, de Religiosis et sumptibus funerum (III, xliv).
  46. Ce qui dans les traditions romaines concerne une dame nommée Lucine, qui est censée recueillir les corps des victimes de la persécution de Néron, vient d’une confusion de date. Le Liber pontificalis (à l’article Corneille) fait de cette Lucine la conseillère du pape saint Corneille, en 252. On lui continue ce rôle légendaire jusqu’à la persécution de Dioclétien (Actes de saint Sébastien, Acta SS. Jan., II, p. 258, 278).
  47. Tacite, Ann., XV, 44.
  48. Tertullien, Præscr., 36 (cf. saint Jérôme, in Matth., xx, 23 ; Adv. Jovinian., I, 26. Cf. Eus., H. E., VI, 5). Tertullien ne fixe aucun lieu ; mais il semble bien rapporter à cet endroit une tradition romaine (cf. Platner et Bunsen, Beschreibung der Stadt Rom, III, lre partie, p. 604-605. On a d’autres exemples de martyrs plongés dans l’huile bouillante. Cf. Eus., H. E., VI, 5.
  49. Faux Prochore, ch. 10 et 11 (trad. lat.). La porte Latine fait partie du rempart d’Aurélien, commencé en 271. Il n’y avait pas dans l’ancien mur de porte de ce nom.
  50. Apoc., i, 9, passage qui a ici force probante, même dans l’hypothèse où l’auteur de l’Apocalypse ne serait pas l’apôtre, mais voudrait se faire passer pour l’apôtre. Polycrate appelle Jean μάρτυς καὶ διδάσκαλος (dans Eus., H. E., III, xxiv, 3 ; V, xxiv, 3) ; il est vrai que cela peut venir de Apoc., i, 9.
  51. Voir en particulier Apoc., i, 9 ; vi, 9 ; xiii, 10 ; xx, 4.
  52. Tacite, Ann., XV, 44.
  53. Apoc., ii, 2, 9 ; iii, 9.
  54. Le Canon de Muratori parle de la passio Petri, non de la passio Pauli. Ce document présente la profectio Pauli ab Urbe ad Spaniam proficiscentis comme le dernier acte de la vie de Paul et comme un fait corrélatif à la passio Petri. Le passage de Clément Romain (Ad Cor. I, § 5) s’accommoderait aussi à quelques égards d’une telle hypothèse.