Nouvelles poésies (Van Hasselt)/L’Arbre qui s’effeuille

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Nouvelles PoésiesBruylant et Cie (p. 101-104).


L’arbre qui s’effeuille.





Velut quereus defluentibus foliis.
Isaïe, I, 30.





L’arbre était jeune et fort. Ses rameaux familiers
S’étendaient dans l’espace.
Il accueillait, ouvrant ses bras hospitaliers,
Le voyageur qui passe.

Il était jeune et fort. Aux rayons du soleil
Quand frissonnaient ses branches,

Il vous jetait, gazons aux boutons d’or vermeil,
Ses fleurs roses et blanches.

Les brises murmuraient leurs hymnes infinis
Dans ses feuilles sans nombre,
Et mille oiseaux joyeux y suspendaient leurs nids
Et chantaient à son ombre.

Tempêtes, ouragans, douleurs, tout s’est lassé
En éprouvant sa force ;
Et Dieu sait que de mains charmantes ont laissé
Un nom sur son écorce.

Mais c’était le printemps, aube où l’on voit fleurir
L’arbre aussi bien que l’âme,
L’arbre qui dans ses flancs sent la séve courir,
L’esprit qui sent sa flamme.

Et maintenant voici que s’effeuillent aux vents
Toutes ces fleurs aimées,
Espoirs, illusions et rêves décevants,
Que portaient ses ramées.

Et plus d’avril qui rende à l’arbre ses bouquets

De fleurs roses et blanches,
Ni les groupes d’oiseaux dont les charmants caquets
Réjouissaient ses branches.

Car voici qu’il s’en va sans nous dire : « Au revoir, »
L’âge des doux mensonges,
L’âge où l’esprit franchit sa montagne et peut voir
Le revers de ses songes.

Or, cet arbre c’est moi. Sur mon front a passé
Plus d’un souffle d’orage,
Et plus d’un bûcheron a sur mon tronc usé
Sa force et son courage.

Le printemps a couvé sous mon dôme fleuri
Des nids chanteurs sans nombre,
Et bien des voyageurs qui cherchaient un abri
L’ont trouvé dans mon ombre.

À tous les vents du ciel j’ai livré mes chansons,
Du couchant à l’aurore ;
Je sais plus d’un écho blotti dans les buissons
Qui les répète encore.


Aux brises du matin comme aux brises du soir
J’ai semé mes pensées.
Que de passants j’ai vus sous mon toit vert s’asseoir
Qui les ont ramassées !

Mes strophes ont aux uns appris la piété,
Mot où Dieu se reflète,
Aux autres l’espérance avec la charité
Par qui tout se complète.

J’ai mêlé quelquefois ma prière aux vains bruits
Que le vulgaire écoute.
Et le Seigneur, si j’ai porté quelques bons fruits,
S’en souviendra sans doute.



Septembre 1856.