L’Arc d’Ulysse/La Garde au Rhin

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L’Arc d’UlysseÉditions Georges Crès et Co (p. 70-71).

LA GARDE AU RHIN

(Écrit aux jours d’espoir).
À Mme  Longfier-Charlier.


Tu le repasseras, ô peuple de larrons,
Ce Rhin qui se souvient de Hoche.
Tu le repasseras sous le glas de tes cloches,
Et l’insulte de nos clairons.

Dans le large manteau que notre imperator
Traînait au pré carré des Gaules,
Regarde un peuple libre entrer sa forte épaule
Comme au temps des abeilles d’or.

La Mort fauche, et tes fils demain seront-ils là
Pour garder la rive allemande ?
Invoque rauquement tes dieux, et leur demande
De ressusciter Attila.

Odin avait promis la Gaule aux reîtres blonds :
Il n’a point trompé leur superbe :
Ils tiennent nos guérets, leur gloire gît sous l’herbe,
Deux pieds de large, six en long.

Leur sang n’a point lavé tes crimes lâches. Crains
L’éternel soufflet sur ta face,
Et la haine qui coule ardente entre nos races,
Torrent plus profond que le Rhin.

Sur ces bords reconquis, défense au galion
De porter tes louches négoces,
À tes lieds d’aborder sur la barque des noces,
Attestant que nous oublions.

Défense à tes clochers de peser sur ces eaux
Aux ailes battantes de l’ombre.
Car leur orgueil debout insulte à nos décombres,
Reims qui brûle, Arras en lambeaux.

Du burg qui tint le fleuve esclave, et la cité,
Que s’envolent les Aigles noires ;
Car le Rhin féodal reflète dans ses moires
L’alouette et la liberté.


15 mai 1915.