L’Ardent voyage

La bibliothèque libre.
Librairie de France (Collection Joachim Gasquet) (p. 3-31).
LES POÈTES FRANÇAIS.




L’ARDENT VOYAGE.
Fernand Mazade.





L’ARDENT VOYAGE.





PARIS.

LIBRAIRIE DE FRANCE.

F. SANT’ANDREA, L. MARCEROU & Cie.

99, BOULEVARD RASPAIL, 99.


1921.







S’il vous plaisait d’être mon amante,
Nous partirions pour Pont-Saint-Esprit
Où je connais une heure charmante.


Le chèvrefeuil grimpant la fleurit
Et le rosier avec la glycine.
Une fontaine en pleurant sourit.


Dans cette eau claire un figuier dessine
Quelques rameaux chargés de fruits mûrs
Et sainement baigne sa racine.



Non loin, le Rhône aux remous obscurs
Lèche la roche, élude les digues
Et de la tour asperge les murs.


Je cueillerais des fleurs et des figues :
Et nous irions, sans croire au danger,
Jouer ensemble aux gens qui naviguent.


Nous choisirions un bateau léger ;
Mais, n’ayant pas telle expérience
Qu’il sied d’avoir pour le diriger,


Nous laisserions, sur le flot qui danse,
L’esquif sans voile et sans aviron
Se gouverner à sa convenance


Vers Roquemaure et vers Avignon.







À cheval.





Si vous n’aimez pas dériver sur le fleuve,
Je puis vous offrir une course à cheval.
Sous l’ombrage souple, en côtoyant le val,
Je sais le chemin qui mène à Villeneuve.


Nous traverserons la Cèze au joli trot
Devant Piboulette et devant Caderousse.
L’étalon est blanc et la jument est rousse.
Parfois, au soleil, s’enfuit un lapereau.



La route zigzague, et nos bêtes vont l’amble
Dans l’air capiteux et chaud comme l’amour.
Nous ne dirons pas la majesté du jour
Ni notre bonheur de l’admirer ensemble.


Par ici, l’Arabe a longtemps régenté :
Et quand nous serons sortis du breuil sonore
Étincelleront les murs de Roquemaure
Saturés de sang, brûlés de volupté.


Là, dans une salle où sur le luth de frêne
La jeune sultane a chanté ses langueurs,
Sous le dais de pourpre, attend les voyageurs
Un lit parfumé de sauge et de verveine.








Roquemaure.






Nous n’avons pas défait le lit de Roquemaure :
Trop noble était l’instant, trop précieux et beau.
Le couchant répandait des caresses d’aurore

Sur des silences de tombeau.



Le long des seuils de ce village millénaire,
Le souffle vespéral du magnifique été
Apportait du Ventoux une odeur salutaire

D’orgueilleuse pudicité.



Autour du colombier bleu dans le ciel bleuâtre
Voletaient des oiseaux qui nous semblaient d’azur.
Je sentais votre cœur soudain farouche battre

Près du mien subitement pur.



À peine votre main se posa sur mes lèvres ;
Et tandis que, rompant le charme virginal,
Commençaient de rentrer les boucs avec les chèvres

Nous remontâmes à cheval.







Villeneuve.




La nuit tomba, la nuit sans lune, sans étoiles,
Sans aucune clarté,
Mais gardant sous les plis tragiques de ses voiles
L’ardeur du jour d’été.


Même elle avait, je crois, plus de chaleur profonde
Que n’en avait le jour.
On devinait qu’au cœur des ténèbres du monde
Bouillait un sombre amour.



Nous étions arrivés pensifs à Villeneuve :
Et le silence obscur
Était comme bercé par le soupir du fleuve
Glissant contre le mur.

Je ne pouvais rien voir dans cette chambre agreste
Où d’un souffle pieux
Votre bouche éteignit une lampe immodeste :
Rien, pas même vos yeux.

Nous n’avons prononcé nulle phrase subtile,
Nuls serments turbulents :
Et, muets, nous étions parmi l’ombre immobile
Deux cadavres brûlants.

Quels furent nos baisers ? Vous m’aimez. Je vous aime
Tout le reste est secret.
La nuit ne dira pas, l’ignorant elle-même,
Ce que nous avons fait.







Le ruban.




Vous devez aller vers la mer splendide
Quand je dois revoir le bel Avignon.
Que Vénus me garde et qu’elle vous guide !


Là-bas, sous l’ardent signe du Lion,
Débarquent l’Hindoue et la Javanaise
Et, rasant les eaux, vole l’alcyon.


À la Ciotat vous serez bien aise.
Vous odorerez l’oranger niçois,
Et vous rêverez près du palmier d’Eze.



Vous y rêverez de ce que je crois,
De ce qui s’éprouve et pas ne s’explique,
D’une volupté qui n’a nulle voix.


Et par un soir chaud et mélancolique,
Votre cœur bientôt rejoindra mon cœur :
En vous j’ai scellé du ruban magique


La sorte d’amour qui jamais ne meurt.







Avignon.




Il suffira qu’ici je t’évoque,
Nuit d’Avignon que Vénus parfume,
Pour qu’aussitôt en moi se rallume
L’astre dansant de la belle époque.


Dès que du haut des Doms catholiques,
Les yeux baissés devers Villeneuve,
Je reverrai miroiter le fleuve,
Mon cœur battra de désirs physiques.


Avec l’aveu de la tour des Anges
Et sous les pieds de l’immense Vierge,
Je descendrai sur l’auguste berge
Où n’ancrent pas les bateaux étranges.
 
Parmi ton calme en qui se nuancent
La majesté des hymnes papales
Et la douceur des voix provençales,
Palpiteront les anciens silences.

Dôme d’azur stellé d’émeraudes,
Ton firmament est resté le même.
Ce qui de toi me plaisait, je l’aime,
Nuit d’Avignon aux courtines chaudes.

Ce qui de toi me charmait m’enivre.
Comme autrefois ton haleine invente
La clarté grave et l’ombre émouvante
Par qui mon rêve a voulu revivre.


Et devinant que je la rappelle
Du clos de myrte ou l’amour flamboie
S’élancera vers ma jeune joie
Laïs antique et toujours nouvelle.







Les deux roses.




Je croyais qu’à toujours étaient closes les portes
Sur les dernières fleurs de mon rêve orgueilleux.
Sans prévoir que vers moi se lèveraient tes yeux,
Je pensais n’aimer plus désormais que les mortes.


Je savais que l’oiseau des brumes a chanté
Et que nous approchons de la fin de l’automne ;
Mais, dans le beau parterre ou le rosier s’étonne,
Ta charmante venue a ramené l’été.



Quand aux pages d’antan j’ai rouvert le vieux livre,
Tes doigts se sont posés doucement sur mes doigts.
Alors nous avons lu tous deux à demi-voix :
Et je me sens heureux de t’aimer et de vivre.


Derrière les cyprès, le soleil s’est éteint ;
Mais les ombres du soir ne sont jamais complètes :
Je vois briller ensemble aux clartés des planètes
La rose de ta bouche et celle du jardin.







Arles.



Il règne aux Alyscamps un parfum de fleurs lourd
Sous quoi ton cœur et mon cœur penchent.
Cette heure est émouvante où les urnes du jour
Au seuil de l’occident s’épanchent.

Vois se poser sur l’eau du Rhône et sur ses bords
Des ombres de barques et d’arbres.
Nous respirons un air où la poudre des morts
Se mêle à la cendre des marbres.

Arrête-toi. Ces morts, mon amie, ont laissé
Dans les tombeaux du jardin d’Arles
Des voix qui, conservant l’accent du temps passé,
Montent sous nos pieds et nous parlent.







Au vent du soir.




Vous qui venez de l’île de neige,
Pressant le vol des oiseaux de mer,
Qu’annoncez-vous au feuillage amer
Du tamaris et du chêne-liège ?


Ô vent gonflé d’audace et de bruit,
Vous vous flattez du double prodige
De culbuter le rouge quadrige
Et d’amener le char de la nuit.



Vous vous flattez davantage encore,
Vent aiguisé sur le golfe bleu,
Quand vous croyez éteindre le feu
Qui m’éjouit et qui me dévore.


Vent dont l’orgueil assaille la tour,
Dites plutôt qu’en donnant la chasse
Au lourd nuage, à la brume lasse,
vous prolongez les instants du jour,


Et qu’en soufflant, vent du crépuscule,
Sur mes désirs, comme vous feriez
Sur des réchauds et sur des brasiers,
Vous activez l’amour qui me brûle.







Saint-Chamas.




Bordant l’étang sacré, les figuiers lourds de figues
Reluisent encor sous l’embrun.
Un air chaud continue à porter le parfum
Des fleurs salines des Martigues.


Assise sur un tertre où s’endort peu à peu
L’hosanna rauque des cigales,
Vous contemplez le ciel où d’obscures vestales
Veillent devant un astre bleu.



Mon amie, à vos pieds une chèvre se couche
Qui vous choisit comme berger ;
Et par instants la phalène vient voltiger
Dans l’haleine de votre bouche.


De l’île de roseaux à la lande de buis,
De la calanque à la terrasse,
Votre pays jamais n’a montré tant de grâce
À l’heure où vont naître les nuits.


Mais ce qu’ont de plus grand, de plus beau, de plus tendre
Le site et l’automne et le soir,
Ce sont votre regard capable de les voir
Et votre âme de les comprendre.







Tombe provençale.




Heureux celui qui, le cœur zélé,
L’âme naïve et la lèvre fraîche,
Frappé soudain de l’ardente flèche,
Meurt où l’amour l’avait appelé.


Sur le jardin léger de sa tombe
Se marîra le myrte au cédrat.
Une fontaine y murmurera
Où vous verrez boire la colombe.



Là, se gardant de faire du bruit,
D’antiques dieux, d’anciennes déesses
Évoqueront de nobles caresses
À la faveur de la douce nuit.


Et du rivage et de la colline
Le beau pêcheur, le joli pastour
Viendront à l’heure où monte le jour
Dire le mal qui les illumine.







Le jugement.



Le soir que le vrai Dieu dénombrera tes crimes
Et te demandera ce que tu fis de bien,
Il se peut que ta voix ne lui réponde rien,
Tant tu seras ému dans ces instants sublimes.

Il te faudra pourtant te défendre, ô pécheur,
Si tu veux éviter la sentence sévère.
Alors, après avoir écarté ton suaire,
Tu prendras dans tes mains et montreras ton cœur :

Ton cœur de fou, ton cœur d’orgueilleux et de faune,
Qui brûla chaque nuit, qui saigna chaque jour,
Ton cœur qui sut tous les supplices de l’amour :
Et le vrai Dieu, je crois, dira qu’il te pardonne.







TABLE




S’il vous plaisait d’être mon amante 
 7
À cheval 
 9
Roquemaure 
 11
Villeneuve 
 13
Le ruban 
 15
Avignon 
 17
Les deux roses 
 20
Arles 
 22
Au vent du soir 
 23
Saint-Chamas 
 25
Tombe provençale 
 27
Le jugement 
 29