L’Armée de volupté/XI

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L’Armée de Volupté, Bandeau de début de chapitre
L’Armée de Volupté, Bandeau de début de chapitre



XI


La voiture, pour le retour, suivait le bord de l’eau et ne marchait pas à une excessive allure, chacun éprouvant le besoin de rêvasser dans le doux silence de cette nuit succédant à la fièvre du repos.

Largement payée, Mélanie avait fait les plus bruyantes démonstrations de dévouement ; Polycarpe, impassible sur son siège, paraissait planer sur tout le monde.

La fête n’était pas terminée, elle commençait. On allait dans le quartier Monceau, à la garçonnière du comte de Bouttevelle, dont la comtesse possédait une clé, finir des ébats qu’on considérait comme à peine ébauchés.

Émile, dans le fond de la voiture, entre les deux femmes, savourait la même rêverie qui les sollicitait.

— Nuit admirable, murmura Lucie.

— Nuit d’amour, répondit-il.

— Refrain éternel, dit Héloïse.

— Aimer, aimer, savoir aimer, reprit Lucie.

— Se le dire, se le prouver, en mourir, répliqua Émile.

— En vivre, dit Héloïse.

— La poésie n’exclut pas la matérialité, continua Lucie.

— La matérialité conduit à la poésie, conclut Émile.

— La poésie et la matérialité s’unissent dans le désir, dit Héloïse.

Toutes deux en même temps se tournèrent vers Émile et partirent d’un joyeux éclat de rire.

— Est-ce bête, quand tout bonnement on pense au bonheur de jouir ensemble !

— Jouir, voilà le mot de la situation, voilà le mot d’ordre des générations ! Jouir de la vie, jouir de la fortune, jouir de son destin.

— Jouir en amour, bêta, le reste ne compte pas. Dis, est-ce bien vrai que plus tu jouis avec moi, plus tu en as envie ?

— Phénomène contraire de ce qui se passe d’habitude. Plus j’use mes richesses, plus je deviens riche.

— Alors je te donne les miennes !

— C’est possible.

— Avec les autres femmes, cela ne t’arrivait pas ?

— Mon maximum avec la même, a été deux… sacrifices.

— Sacrifices, oh ! Deux fois seulement !

Elle fit une petite moue de dédain.

— Et d’autres, avec toi, murmura-t-il, combien de victoires dans le même combat ?

— Je ne me souviens jamais que du moment présent, répondit-elle.

— Donc, ce moment s’évanouissant dans le passé, tu m’oublieras, Lucie.

— La durée du présent, chéri, est dans la volonté des deux amants. La sagesse commande d’y enfermer ses désirs et d’y consacrer les feux de son imagination.

On arriva, et enfin on fut maître de soi. Et dès qu’ils se trouvèrent nus, il fallut qu’il la possédât une fois de plus, à la grande satisfaction d’Héloïse qui, avec un pareil jouteur ne douta pas d’avoir des bribes raisonnables du festin.

On s’appliqua de part et d’autre à entretenir le feu des désirs. Si Émile crut avoir atteint l’Olympe avec Lucie et Yvonne, il dut reconnaître qu’il n’en avait même pas aperçu le ciel, devant l’exubérance de plaisirs que Lucie et Héloïse, rivalisant de science lascive, lui procurèrent.

Ils ne se séparèrent qu’après la grasse matinée, chacun pour reprendre le chemin du logis personnel, avec l’espoir de recommencer souvent d’aussi attrayantes équipées.

Regagnant la rue Cortambert pédestrement, Émile Lodenbach s’examinait pour se rendre compte s’il n’était pas le jouet de quelque rêve surhumain.

Le doute ne hantait pas son esprit. Il aimait Lucie d’un amour ardent et fougueux, dominateur et indomptable. Il l’aimait, et il pressentait, sans s’en effaroucher, que son rôle dans l’Armée de Volupté, ne se bornait pas à un rôle purement passif, et que, comme Héloïse de Bouttevelle réputée dans le monde pour l’amour voué à son mari, elle devait se prodiguer dans des parties analogues. Cette femme, rencontrée par hasard, au Moulin-Rouge, lui prenait sa vie, alors qu’il cherchait à échapper à l’aguichage des charmes de Lucette.

Lucette, Lucie, Héloïse, Yvonne, que s’était-il passé pour qu’il glissât ainsi sur une pente insoupçonnée et qu’il se mêlât à cette association prohibée d’une bande d’amoureux ! Qu’en était-il de cette association ; en somme, il en connaissait peu de chose.

Il trouva ses domestiques dans la consternation. Jamais il n’avait découché, et Léonard, constatant au matin son absence, courut au commissariat faire une déclaration de disparition.

Dans une folle colère, Émile lui dit :

— Animal, ne suis-je pas maître de mon temps et n’ai-je pas le loisir de m’attarder, si je suis en société qui me convienne ?

— Monsieur aurait dû prévenir. Depuis ce matin, avec Rosalie, nous ne cessons de pleurer.

— Êtes-vous idiots ! Je suis bien touché de votre affection, mais pas d’exagération, hein ! Je rentrerai quand il me plaira, et si je veux même voyager sans vous le dire, je ne solliciterai pas votre agrément.

— Certes, nous ne sommes pas les maîtres de Monsieur ! Mais, attachés à son service, nous nous considérions comme de la famille.

— Bon, bon, bon, je crois à vos sentiments puisque je vous garde et que je te tolère avec tous tes défauts ! Seulement occupez-vous de votre ouvrage et fichez-moi la paix pour le restant. Est-on venu me demander ? Où est mon courrier ?

— Le courrier de Monsieur est dans son cabinet. Il est venu une dame en bicyclette, oh, une jolie personne, un peu effrontée, qui voulait parler à Monsieur, et qui, ennuyée de ne pas le rencontrer, a laissé un gros pli.

— Où est-il ?

— Sur le bureau de Monsieur avec son courrier.

Émile devina qu’il s’agissait de l’Armée de Volupté, il s’enferma dans son cabinet de travail et se hâta de décacheter le pli.

Il contenait une liasse de papiers avec une carte de visite, sur laquelle il lut :

Claire Harling
Rue de Prony.[1]

Comme il l’avait présumé, les papiers concernaient l’Armée de Volupté et portaient divers titres. Son attention fut captivée dès les premiers s’occupant de l’organisation.

« L’Armée de Volupté est constituée en cette année 1892, de trois corps d’armée : le premier, avec quartier général à Paris ; le deuxième, quartier général à Bordeaux ; le troisième, quartier général à Lyon, relevant directement des six grands maîtres et maîtresses résidant à Paris.

« Le premier corps d’armée à Paris comprend deux régiments divisés chacun en quatre bataillons de deux capitaineries chaque. La capitainerie se subdivise en cinq groupes de douze personnes, six de chaque sexe, et un groupe de formation se réunissant à la capitainerie. Le premier régiment est placé sous la direction d’une colonelle, et tient garnison sur la rive droite. Il a pour colonelle, Lucette de Mongellan. Le deuxième est sous la direction d’un colonel et tient garnison sur la rive gauche. Il a pour colonel, Lucien Gourraud.

« Chacun de ces régiments fournit un contingent de soldats des deux sexes à la caserne, appelée Collège Saint-Yves, lieu de retraite pour gens du monde, avec conférences sous les auspices de M. l’aumônier Rectal.

« Le corps d’armée de Bordeaux, non encore organisé en régiments, par ses capitaineries disséminées dans toutes les régions de l’Ouest, a pour général directeur, le duc de Montsicourt. Le corps d’armée de Lyon, placé dans les mêmes conditions pour la région Est, a pour générale directrice, sœur Sainte-Lucile, de l’Ordre des Bleuets. »

Suivaient quelques détails :

« L’Armée de Volupté a pour base la plus parfaite égalité des sexes en amour, et ne se subdivise en officiers et soldats que par les degrés d’initiation, les cotisations versées, les services rendus, l’initiative personnelle, l’ancienneté, etc. Elle ne comprend dans ses rangs que des personnes d’éducation et sûres, acquises à la liberté de l’amour et de ses plaisirs. Elle s’appuie sur l’armée auxiliaire, où l’on incorpore les gens de service et de petite naissance ou de petite position, offrant certaines garanties et pouvant aspirer par le perfectionnement à passer dans les cadres de l’Armée de Volupté. Tout soldat de l’Armée de Volupté est de plein droit officier dans l’armée auxiliaire.

« L’armée auxiliaire a ses groupes dépendant d’un groupe de capitainerie, et fournit un contingent spécial à ses capitaineries.

« Tout nouveau soldat, admis dans l’Armée de Volupté, verse un droit d’entrée et une cotisation mensuelle.

« Ces cotisations servent au développement de l’administration sociale, aux grandes fêtes, à l’achat d’immeubles pour casernes, lieux de réunion, à des indemnités aux membres peu fortunés qui entrent dans l’armée.

« En dehors des cotisations, l’Armée de Volupté accepte des dons, espèces, propriétés, ou de toute nature, dont le Conseil des grands maîtres et des grandes maîtresses fait usage dans l’intérêt de tous.

« L’enrôlé reçoit désignation du groupe auquel il appartient, le lendemain de son engagement, ainsi qu’un ordre de service, pour l’instruire des saints, usages, règlements des réunions, etc.

« S’il est absent, il se rendra chez la personne qui aura porté le pli où sont renfermés ces divers papiers et qui est chargée de son apprentissage. Il s’y rendra sans faute le jour suivant. »

À ce paragraphe, Émile relut la carte portant le nom de Claire Harling, et murmura :

— Une autre beauté à l’horizon, mais quel chaos pour l’instant !

Il se reposa le reste de la journée, de façon à être prêt à tout événement, et se rendit au jour fixé rue de Prony.

Au renseignement qu’il demanda à la concierge de l’immeuble, celle-ci lui indiqua une porte du rez-de-chaussée, et ayant sonné, il fut introduit par Claire Harling elle-même, dans un appartement très luxueusement meublé.

— C’est à madame Claire Harling que j’ai l’honneur de parler ? dit-il.

— Mademoiselle, répondit la jeune femme, une jolie blonde dorée, élancée, au timbre de voix très doux.

— Ah, Mademoiselle !…

— Pour le monde, Monsieur, répliqua en souriant la belle personne, vêtue d’une toilette de drap gris clair.

— Aussi je m’étonnais !

— Monsieur Émile Lodenbach, probablement ?

— C’est juste. Vous m’avez introduit sans que je me nomme. Eh, eh, n’y aurait-il pas du danger ?

— Non, j’ai votre portrait et je vous ai reconnu.

— Mon portrait !

— Votre photographie, voyez plutôt.

Elle alla à un meuble, ouvrit un tiroir, et en sortit la photographie d’Émile.

— Prodigieux ! Comment avez-vous ce portrait ?

— Par quelqu’un qui vous a désigné comme pouvant appartenir à l’armée, et en fait tirer les épreuves nécessaires.

— Les épreuves !

— Une copie ici, pour moi votre… initiatrice, dirai-je.

— Charmante initiatrice.

— Merci. Une pour le grand Conseil, une pour votre capitaine, votre commandante, votre colonelle.

— Ah, mon Dieu, que de chefferesses pour un homme aimant l’oisiveté !

— Votre vie ne sera pas dérangée. L’armée est composée de frères et de sœurs, ne visant qu’à s’être agréables et à ne pas se troubler dans leurs habitudes.

— Vous avez donc à m’instruire ?

— En effet ; situation drôle, mais très amusante. Moi, petite fille par rapport à vous, j’ai vingt ans, Monsieur, faire l’instruction d’un… gentleman qui est mon aîné !

— Voulez-vous que je vous adresse une observation pour commencer ?

— Oh, très volontiers !

— Il me semble que nous sommes tous les deux en faute.

— Pourquoi cela ?

— Parce qu’on m’a dit hier, que dans l’Armée de Volupté tout le monde se tutoyait.

Elle eut un mouvement de tête et répliqua :

— Oui, c’est vrai, mais nous n’avions pas encore terminé notre présentation.

— Elle l’est et je donne l’exemple, chère initiatrice : on t’a désignée pour m’instruire. Quelle instruction ?

— Enseigner d’abord les premières règles de reconnaissances entre nous. Tout soldat de l’Armée de Volupté arbore la marguerite à sa boutonnière : l’officier en est dispensé.

— Tu ne la portes pas, tu es donc officier ?

— Lieutenante d’un groupe des Ternes. La marguerite désignant dans la rue un voluptueux ou une voluptueuse, on se salue par la main effleurant la fleur. Si le salut est rendu, ce qui signifie qu’il n’y a pas erreur, entre sexes différents, on se doit la pression de mains, la présentation, la promesse d’une rencontre amoureuse.

— Cela marche vite !

— L’Armée de Volupté veut faciliter l’amour partons les moyens ; il est bon de se connaître le plus possible entre membres de la même famille, et comment se mieux connaître que par l’acte d’amour !

— Ah, Mademoiselle, vous dites cela si gentiment que l’idée en vient sur-le-champ !

— On ne refusera pas… plus tard, si tu profites bien de ta leçon. Une mauvaise note pour le vous, employé après avoir relevé notre incorrection du début, et… je la marque.

Elle prit un calepin posé sur une table près de laquelle elle se tenait.

— Je tâcherai de mériter mon pardon. Quelle punition encourrais-je autrement ?

— Retard d’un, de deux, de trois jours et plus, dans la rencontre avec la bien-aimée maîtresse que tu chéris par-dessus toutes les autres.

— Diantre ! Comment effacer la note ?

— En en méritant de nombreuses bonnes.

— Mon rôle est difficile, apprenti comme je suis, et encore imbu de bien des routines mondaines.

— On t’en tiendra compte. Le salut d’amour est obligatoire entre membres de l’Armée de Volupté se rencontrant en rendez-vous ou dans les dépendances de domaines appartenant à l’armée.

— Le salut d’amour !

— Oui. Quelques mots avant d’aborder ces questions. Nous sommes ici dans des conditions peu ordinaires. L’Armée de Volupté n’est point une conception banale. Je parle librement de sujets scabreux et interdits aux jeunes filles de mon âge. Faisons ton examen de conscience. Avant d’être appelé à apprécier le mérite de notre enrôlement, tu as vécu amoureusement. Quel a été ton premier amour ?

— Oh !

— Oublié ?

— À peu près.

— À quel âge es tu sorti de l’enfance ?

— Dam, cela dépend de la façon dont tu l’entends.

— Nous causons de choses d’amour ! J’appelle sortir de l’enfance, approcher une femme, perdre… son pucelage.

— Ah bien, très bien, à quel âge j’ai perdu mon pucelage ?

— Oui, c’est cela.

— Et bien mais, sur les seize ans.

— Avec qui ?

— Avec une petite cousine.

— Très bien cela ! Pas de bonnes et pas… de salariées ! Qu’est devenue la petite cousine ?

— Bien délicate, la question ! Un homme ne conte pas ces histoires.

— Tu n’es plus seulement un homme, tu es membre de l’Armée de Volupté, et comme tu n’as pas à confesser le nom, tu peux parler sans crainte.

— La petite cousine est mariée, mère de famille et habite la province.

— Après la petite cousine, as-tu épuisé une longue série de maîtresses ?

— Non, pas trop. Mettons-en trois en vedette, plus quelques aventurettes.

— Bagage amoureux d’une moyenne raisonnable ! Qu’as-tu pratiqué avec tes maîtresses et dans tes aventurettes ?

— Comment, pratiqué !

— Quel genre de plaisir ?

— Le genre ! Mais il n’y en a pas des tas !

— Oh, oh, oh ! Où étais-tu il y a deux soirs ? Tu peux parler, je suis au courant : tu étais avec des officiers de l’Armée de Volupté.

— Lucie Steinger et Héloïse de Bouttevelle.

— Des femmes supérieures et qui aiment la grande variété des plaisirs.

— Ah, j’y suis, j’y suis ! Ma belle enfant, c’est presque une confession que tu m’arraches, et quelle confession ! Tu es adorable, et je ne vois pas trop ce que ma confession a à faire dans l’instruction que tu dois me donner.

— Elle est pour me soutenir dans mon œuvre. À parler de ces secrets de cœur et d’alcôve, je pénètre dans ton âme, je m’habitue à la leçon que j’ai à t’apprendre, et j’oublie que je suis devant un homme… qui n’appartient pas encore à la communion de volupté. Donc, réponds-moi, nous nous en trouverons bien tous les deux.

— Là, je reconnais la jeune fille, tout au moins l’intellectualité d’une jeune fille, et je te satisferai sur toutes les questions. Jusqu’à Lucie, je n’ai pratiqué que ce qu’on nomme l’amour simple, l’amour naturel, sans des fioritures exagérées. Un accord sexuel dans le lit, avant le sommeil, de petites blaguettes dans la journée, suivant les circonstances, pas, pas de variétés !

— Un esprit neuf à la volupté.

— Depuis dix jours je ne le suis plus.

— Tes désirs féminins dans tes liaisons se bornaient à l’acte ! Ma tâche devient épineuse. Je ne la récuse pas. L’Armée de Volupté compte actuellement un peu plus de six mille voluptueux ou voluptueuses : elle suit une rapide progression depuis ces dernières années, elle marche avec moi, elle m’inspirera. Je te disais que le salut d’amour était obligatoire entre deux membres de sexes différents se rencontrant en rendez-vous d’amour ou dans les dépendances de l’armée. Le salut d’amour est l’acte de courtoisie du cavalier vis-à-vis de la dame avec laquelle il peut y avoir accord de plaisir, après un échange de signes et de gestes, les mettant tous les deux à l’aise.

Elle quitta son fauteuil, et se plaçant debout devant lui, continua :

— Le cavalier salue la dame en lui prenant le bas de la jupe et en la baisant. La dame répond en prenant le bas de la robe et en la retirant avec les jupes jusqu’à hauteur des seins, se dévoilant ainsi les jambes.

— Splendidement faites chez toi, mignonne, répondit-il, car tout en causant, ils exécutaient le salut.

— Chez toutes celles qui aiment l’amour et ses voluptés. Me vois-tu bien à ta fantaisie ?

— Je vois tes cuisses blanches et rondes, j’aperçois ton blond duvet, j’admire ton ventre et j’adore ton nombril, encadré par la chemise.

— Le cavalier s’agenouille devant la dame, baise ses cuisses, glisse la main… vers les fesses.

— De cette manière ?

— S’il Veut les embrasser, il appuie le pouce au milieu ; la dame se tourne, lui présente l’objet… ainsi, puisque tu le demandes. Le baiser fait, le cavalier se redresse et se montre à la dame.

— Se montre ! Ah oui, oui, se déculotte et sort… la lance d’amour. La voilà.

— La dame la touche avec les doigts et ils se remettent en position normale, le salut d’amour est terminé. Rasseyons-nous et reprenons la leçon.

— Bien délicieuse, agrémentée par l’exemple, par la pratique.

— Le salut d’amour ou baiser d’amour est de rigueur avant toute conversation et toute ébauche de plaisir. On se le rappelle réciproquement si l’un des deux l’oubliait, et il s’exécute dans un salon, par le maître de maison, autant de fois qu’il entre de dames ; par la maîtresse de maison, autant de fois qu’il entre de cavaliers. Dans une réunion de plusieurs membres de deux sexes, le salut d’amour est remplacé par le salut de volupté. La réunion étant constituée par l’assemblée de tous les membres d’un groupe, ou par des frères et des sœurs invités à une fête ou convoqués à un centre de garnison ou par des couples s’organisant en partie multiple, les dames se groupent sur un point, les cavaliers sur un autre ; ceux-ci s’avancent vers les dames, à la suite les uns des autres : les dames, rangées sur une même ligne, se troussent toutes en même temps jusqu’à la ceinture. Les cavaliers défilent autour d’elles, la main dans leur culotte, puis s’approchent chacun d’une dame, et placent leur machin dans la raie du derrière.

— La figure mimée est bien plus facile à retenir.

Elle sourit, repoussa son fauteuil, et sans aucun embarras, ramassa ses jupes sur un de ses bras, montrant de nouveau ses jambes, avec les mollets rebondis sous des bas noirs rayés de jaune. Elle ne le quitta pas des yeux pendant qu’il tournait autour d’elle, et quand elle sentit sa queue entre ses fesses, elle reprit :

— On reste une seconde dans cette posture : les dames font un pas en avant et rendent la liberté à l’engin masculin, se tournent vers le cavalier en soutenant toujours leurs jupes, se penchent en avant dans un salut incliné, et le cavalier approche de leur bouche… Oui, oui, très bien, asseyons-nous.

— Il y a beaucoup de saluts de cette nature ?

— Mais, assez. Nous ne les verrons certainement pas tous dans une fois.

— Mon instruction sera donc longue ?

— Cela dépendra de ta bonne volonté.

— J’en ai énormément.

— Je te crois.

Elle eut un joyeux éclat de rire, et rangeant ses jupes d’un coup de main sur les genoux, elle ajouta :

— Tu es amoureux de Lucie et elle est amoureuse de toi ; or, dans l’Armée de Volupté, c’est un grand bonheur et un grand honneur de s’échauffer à sa leçon. Approche, que je t’apprenne comment se fait la déclaration d’amour dans nos rangs.

— Il y a des déclarations d’amour ?

— Oh, le sot, qui se figure que parce qu’on se voit, qu’on se tripote et qu’on couche ensemble, il n’y a pas d’amour vrai, capable d’inspirer et de recevoir des déclarations ! L’amour est de plusieurs nuances. Il y a l’amour de la femme et il y a l’amour de la chair, lesquels provoquent le désir du duo simple entre les deux amants, ou des extases multiples en bandes nombreuses.

— Tu es bachelière ès-amour.

— Je suis lieutenante de l’Armée de Volupté. Une déclaration, c’est encore et souvent un motif d’entraînement entre un frère et une sœur se rencontrant pour la première fois. La dame est assise comme je suis, le cavalier est debout devant elle comme tu l’es, voilà le regard coulé de la dame.

— Diable, un regard pareil agit sur la bête.

— Ne dis pas sur la bête, dis : sur l’homme, soyons de notre espèce. Mon regard a eu ton approbation, je ne te le ménage pas ; sous ce regard, tu t’agenouilles à côté, du côté gauche, tu me prends par la taille, ta main va à mes seins et tes lèvres, oui, oui, oui, sur les miennes. Ouf, un moment de repos, recule-toi. Cela produit son effet et nous ne sommes pas… pour aller jusqu’au bout… dans la première leçon.

— Hein, tu dis ?

— J’encourrai une punition si, t’instruisant, je m’abandonnais au désir.

Il se leva prestement et s’écria :

— Oh, alors la suite au prochain numéro, Mademoiselle… ma sœur de volupté. Je n’ai nulle envie de laisser ma carte dans ma culotte.

— Grand nigaud, va, si je ne puis m’abandonner, il m’est permis de te prêter telle partie extérieure de mon corps qui te conviendra… pour te soulager. Viens achever la déclaration, viens, petit soldat d’amour.

Il se jeta sur les deux genoux, la reprit par la taille, et les yeux dans les yeux, attendit ses indications.

— Le baiser des lèvres échangé, continua-t-elle, tu appuies la tête sur mon épaule et tu murmures : « Amour, amour, dans la vérité. » Répète.

— Amour, amour, dans la vérité.

— Bien, bien. Je dégrafe mon corsage et je sors ces deux petites colombes que tu baises et têtes. Sainte Vierge, que c’est dur et doux de telles leçons !

— Claire, Claire, qui le saurait !

— Moi et toi. Laisse mes seins, tu les as assez baisés. Je te caresse les joues, je me renverse en arrière, tu dis : « Amour, amour, où es-tu, je désire. » Répète.

— Amour, amour, où es-tu, je désire.

— L’amour, l’amour est là, est là, vois le temple où il réside, et baise la porte de l’oubli terrestre, baise… tu as compris.

Couchée en arrière, les jambes écartées et en avant, les jupes ramassées sur la ceinture, elle présentait son conin, et il le baisait, léchait le clitoris.

— Assez, assez, dit-elle, se dressant debout et repoussant ses jupes, ne me retiens pas et finissons la leçon, l’heure s’écoule. Si tu veux jouir, parle, dicte ton caprice, sauf la possession, même par la bouche, et mon action t’aidant, mon corps est à toi.

— Que me reste-t-il ?

— Le toucher et la vue.

— Le toucher !

— D’approcher… tel point… qui te tentera.

— Non, non, tout ou rien. En sera-t-il de même à une autre leçon ?

— Demain, à la même heure, tu dois venir ici pour continuer à t’instruire. Demain, si tu es aussi… ardent, je serai libre de te céder. Mais… que de choses d’ici demain ! Te soumets-tu à l’épreuve de partir comme tu es venu ?

— Oui, et j’ai du mérite.

— Un tel mérite que ta mauvaise note est effacée.

Elle lui apprit encore plusieurs signes de reconnaissance, et ils se séparèrent pour rentrer déjeuner chacun chez soi.


  1. Association de Demi-Vierges.