L’Armée qu’il nous faut

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Revue des Deux Mondes7e période, tome 1 (p. 5-15).
L’ARMÉE QU’IL NOUS FAUT

La Victoire, en réduisant la puissance militaire de l’Allemagne à l’état défini par le Traité de Versailles, a créé à notre profit un renversement de situation évident, et tout le monde se rend compte que ce changement doit entraîner un allégement de nos charges militaires.

Aujourd’hui, plus de deux ans après l’armistice, alors que l’Allemagne semble devoir bientôt en finir avec l’exécution des clauses militaires du Traité, on estime le moment venu de procéder à cet allégement, devenu possible et commandé par notre situation économique.

Pour commencer, on demande instamment une réduction de celle des obligations militaires qui, en temps de paix, se manifeste de la manière la plus sensible et la plus immédiate : la durée du service dans l’armée active.

Sans méconnaître que ces aspirations sont fondées, il est nécessaire d’examiner comment et dans quelle mesure il est possible de les satisfaire, et, pour cela, d’aborder, dans son ensemble, le problème de la réorganisation générale qui s’impose aujourd’hui, comme conséquence obligée de la guerre.

De quoi s’agit-il en effet ?

De donner au pays une organisation militaire, répondant à sa situation d’avant-guerre, c’est-à-dire, qui, tout en lui procurant l’allégement des charges militaires que permet la Victoire, le garantisse de toute agression et lui donne les moyens de poursuivre sa politique. En outre, il est bien évident que l’armée à préparer doit être conçue d’après les expériences de la guerre.

Tel est bien le but à poursuivre : préparer une armée dont l’importance soit exactement calculée d’après les nécessités existantes ou possibles, et dont la nature soit déterminée par les leçons de la guerre.

L’armée de guerre étant ainsi définie, on en déduira l’organisation à donner à l’armée de paix ; de telle sorte que celle-ci puisse donner naissance à l’armée de guerre dans des conditions de temps convenables. Il est bien entendu que cette armée de paix devra comprendre, en outre, les forces indispensables pour soutenir nos intérêts hors de France et maintenir l’ordre à l’intérieur.

Par là, on aura déterminé les effectifs nécessaires à l’armée de paix, et il sera facile d’en conclure la durée du service dans l’armée active comme dans les réserves. C’est ainsi, et ainsi seulement, qu’on assurera, pour toutes les éventualités à prévoir, les ressources en hommes, nécessaires, et rien que les ressources nécessaires.

Comme on le voit, les discussions qui ont commencé à se produire sur la constitution de l’armée de paix et la durée du service en temps de paix apparaissent bien comme devant être nécessairement éclairées par d’autres études d’importance primordiale, ayant pour but de fixer l’organisation générale de l’armée. Ce sont donc ces études qu’il s’agit d’examiner tout d’abord et de faire aboutir.


* * *

L’Armée de guerre à créer aujourd’hui, dans la situation générale consécutive à la guerre, doit :

1o Nous prémunir contre toute nouvelle tentative d’agression de la part de l’Allemagne ;

2o Fournir les moyens de poursuivre, en cas de besoin, l’exécution des Traités de Paix.

En ce qui concerne notre situation vis-à-vis de l’Allemagne, il nous faut d’abord constater que cette Allemagne représente encore un pays de plus de 60 millions d’habitants dont toute la population mâle est entraînée à la guerre, plus centralisé qu’il ne l’était en 1914, et dont la volonté d’exécuter loyalement le Traité de paix est loin d’être démontrée. Nous devons savoir également que la guerre ne sera pas dans l’avenir ce qu’elle a été dans le passé, que les moyens de guerre futurs seront, comme on le verra plus loin, plutôt les machines que les hommes, et que la puissance industrielle de l’Allemagne, restée intacte, lui donne justement la possibilité de refaire des armements correspondant au nouveau genre de guerre à venir.

En outre, est-ce à l’Allemagne seule que nous aurions affaire, si nous devions reprendre la lutte ? Sans parler de l’Autriche, avec ses 6 millions d’Allemands, il y a derrière l’Allemagne, la Russie, qui nous a aidés à supporter le choc de 1914, mais dont les dispositions à venir peuvent être toutes différentes. Et alors, de quelles réserves d’hommes l’Allemagne ne disposerait-elle pas, en dehors de l’armée de 100 000 hommes que lui concède le Traité de Versailles ?

Au total, il est encore possible que, pour parer à un nouveau conflit, la France ait besoin de la totalité de ses ressources ; c’est dire que le service obligatoire pour tous les citoyens s’impose aujourd’hui comme avant la guerre, que leur mobilisation générale est toujours à préparer.

Mais de là on ne doit pas conclure que notre état militaire de 1921 doive être celui de 1914. Ce serait méconnaître l’existence même du Traité de paix, le renversement de situation créé par la Victoire.

Aujourd’hui, et pour quinze ans au moins, notre frontière militaire est au Rhin ; et derrière le Rhin, l’Allemagne, ne disposant que d’une armée de paix très réduite, avec l’armement et les approvisionnements correspondants, aurait besoin d’un délai assez long pour mobiliser, armer et équiper ses réserves, encore existantes en fait, puisque toute sa population mâle a fait la guerre. L’Allemagne serait donc incapable de procéder, comme en 1914, à une attaque en masse, dès le début des hostilités.

Et si, dans quinze ans, nous abandonnons le Rhin, nous nous trouverons devant une Allemagne affaiblie, sans doute, du fait que quinze années auront passé sans qu’elle ait pu instruire ses jeunes classes. À ce moment, elle ne pourrait grossir sa Reichswehr forte de 100 000 hommes qu’à l’aide d’hommes ayant quitté le service depuis quinze ans, et dont les plus jeunes auraient trente-trois ans, ou à l’aide de jeunes contingents non instruits. Ce sont là, on en conviendra, de mauvaises conditions pour constituer une armée de premier choc.

Cet affaiblissement ira ensuite en s’accentuant chaque année, si bien que, dans trente ans environ, lorsque les hommes ayant fait la guerre auront tous dépassé l’âge de porter les armes, l’Allemagne ne disposera plus, comme réserves instruites, que des hommes libérés de la Reichswehr après y avoir fait douze ans de service, c’est-à-dire de réserves négligeables, si on les compare aux nôtres.

Telle est bien la situation qui naît du Traité ; mais il doit rester entendu que cette situation n’existera réellement que si le Traité est exécuté jusqu’au bout, c’est-à-dire si l’Allemagne l’observe loyalement, ou si nous savons l’y contraindre.

De ce qui précède il résulte que, dès aujourd’hui, nous pouvons adopter un état militaire réduit par rapport à celui de 1914, en ce sens que cet état militaire n’exigera plus nécessairement l’utilisation en masse, dès le début des hostilités, de toutes les ressources du pays, et que, ultérieurement, nous pourrons réduire d’autant plus nos charges militaires que nous serons plus certains que l’Allemagne se conformera à toutes les stipulations du Traité.

Et le meilleur moyen d’avoir cette certitude, c’est d’avoir toujours en mains un instrument capable d’imposer, s’il en était besoin, l’exécution intégrale du Traité de Versailles.

De là découle cette conséquence que, si notre armée de guerre de demain doit être capable d’englober et d’utiliser la totalité des ressources du pays, nous devons réaliser un système de mobilisation progressive, qui nous permette de ne faire appel qu’aux ressources reconnues nécessaires, et qui, en outre, nous donne, dans les plus brefs délais, les moyens de forcer l’Allemagne à respecter ses engagements.

Cette dernière précaution, si elle est suffisamment sérieuse, pourrait nous éviter, sans doute, d’avoir recours à la mobilisation générale.

Ainsi, service obligatoire, préparation d’une mobilisation générale, à ne réaliser que progressivement et réglée de telle sorte qu’elle nous assure tout d’abord un puissant moyen de contrainte : telles sont les conclusions à tirer de l’ensemble des considérations qui précèdent. Elles permettent de déterminer l’importance à donner à l’armée de guerre, comme aussi son mode de mobilisation.


* * *

Elles ne sauraient cependant suffire à déterminer la constitution de l’armée, sa nature même. Pour y parvenir, il est nécessaire d’examiner les transformations amenées par la guerre.

Pendant plus de, quatre ans, les peuples viennent d’appliquer à la guerre toutes leurs forces : morales, physiques, matérielles. Pendant plus de quatre ans, sous l’empire d’une nécessité impérieuse, parce qu’il apparaissait chaque jour plus évident qu’on ne pourrait venir à bout de la guerre qu’en fournissant aux armées des moyens matériels d’une indiscutable puissance, tous les efforts ont été dirigés sur les inventions, les constructions à usage de guerre. D’où la création d’engins nouveaux, le développement, dans des proportions insoupçonnées, des engins déjà connus, la transformation toujours plus accentuée des armées de 1914, constituées à base d’hommes, en armées 5, base de machines, si bien que les armées de 1918 étaient arrivées à différer de celles de 1914 plus que celles-ci ne différaient de celles du Premier Empire.

Pour montrer toute l’étendue de cette transformation, il suffit de dire que l’effectif total des hommes mobilisés étant sensiblement le même en 1914 et en 1918, leur armement était augmenté dans les conditions suivantes :


Mitrailleuses portées de 4 000 à 20 000
Fusils mitrailleurs portés de 0 à 50 000
Canons d’accompagnement « 0 à 1 000
Canons de tranchée « 0 à 2 000
Canons d’artillerie de campagne « 3 500 à 5 600
Canons d’artillerie lourde « 300 à 5 000
Chars d’assaut « 0 à 4 600
Avions » « 300 à 3 300

En outre, les camions automobiles étaient passés de 9 000 à 90 000.

C’est grâce au développement de ces moyens d’action que nos armées ont pu passer de la défensive à l’offensive, et vaincre pour finir.

Et nous n’avions pas achevé en 1918 de doter nos troupes de tous les engins qu’elles réclamaient. Aussi était-il prévu, pour 1919, une nouvelle augmentation des moyens mécaniques, et depuis lors les vœux unanimes des combattants tendent à accentuer, toujours dans le même sens, la transformation de l’armée.

Naturellement, la répartition des hommes s’était modifiée en raison de l’outillage mis à leur disposition. Les armes qui s’étaient développées, celles qui avaient pris naissance : artillerie, aviation, artillerie d’assaut avaient exigé des effectifs de plus en plus importants, qu’on avait dû prélever sur les autres armes : l’infanterie, la cavalerie. D’où une nouvelle répartition des effectifs entre les différentes armes.

En outre, à l’intérieur de chaque arme, la répartition, l’emploi des hommes étaient profondément modifiés, du fait de la variété introduite dans leur armement. C’est ainsi que l’infanterie, en dehors de ses fusiliers, avait ses mitrailleurs, ses fusiliers-mitrailleurs, ses grenadiers, ses artilleurs de tranchée, d’accompagnement. Si bien que les hommes armés du fusil qui, en 1914, représentaient près de la moitié de l’effectif total mobilisé, ne formaient plus, en 1918, que le dixième de cet effectif. De même, dans la cavalerie, le nombre des sabres était réduit des deux tiers.

Mais si la création et le développement des matériels de guerre avaient pour effet de modifier ainsi la proportion des divers combattants, ils entraînaient d’autres exigences. Ces matériels de plus en plus nombreux, de plus en plus variés, il fallait les fabriquer, les réparer. Il fallait aussi donner au ravitaillement en munitions un développement correspondant au nombre et à la consommation des matériels, car les armées constituées à base de machines ne peuvent combattre si ces machines ne sont pas alimentées. D’où un nombre d’hommes de plus en plus considérable affecté au service des usines[1], au service des transports et diminuant par-là d’autant les effectifs des combattants.

Au total, modifications profondes dans la répartition des combattants, et, en outre, diminution notable du nombre des combattants au profit des services de l’arrière et de l’intérieur : tels sont les changements essentiels qui ont bouleversé l’économie générale de l’emploi des hommes mobilisés.

Il est bien évident qu’en présence de transformations aussi radicales, et dont, nous le répétons, le terme n’était pas encore atteint en 1918, on ne saurait songer aujourd’hui à reprendre, pour l’armée, notre organisation générale de 1914, pour essayer de l’adapter aux exigences reconnues par des modifications de détail. Pour créer une armée d’une nature nouvelle, il faut un programme d’organisation entièrement nouveau, fixant la proportion à donner aux différentes armes, la constitution propre de chaque arme, la composition des grandes unités, prévoyant en outre tout ce qui sera nécessaire depuis les arrières immédiats, jusqu’à l’intérieur du pays, pour assurer la vie et la durée de ces grandes unités, puissamment outillées en engins de guerre.

Par là on fera une armée de guerre réellement moderne.

Ayant d’autre part, comme il a été dit plus haut, déterminé son importance comme son mode de mobilisation, on aura bien tracé l’ensemble du programme à réaliser en cas de conflit, et suivant l’importance de ce conflit.

Pour assurer cette réalisation, il restera à établir notre organisation du temps de paix, de telle sorte que celle-ci tienne en puissance l’armée de guerre.


* * *

L’ARMEE DE PAIX doit donc être, avant tout, conçue pour pouvoir, le jour venu, donner naissance à la totalité ou seulement à une partie de l’armée de guerre, constituée comme il vient d’être dit.

Cette condition primordiale entraîne, pour l’armée de paix, des conséquences évidentes. Tout d’abord, l’armée de guerre doit pouvoir englober, au besoin, toutes les ressources du pays. D’où la nécessité de l’existence, en temps de paix, d’un cadre général d’unités capables d’absorber ces ressources et de les mettre sur pied de guerre.

Mais l’armée de guerre pouvant dorénavant n’être mobilisée que par échelons successifs, les unités du temps de paix seront à constituer de manière différente, suivant le numéro de l’échelon qu’elles sont destinées à pourvoir, leurs effectifs de paix étant d’autant plus forts que les délais de préparation de cet échelon seront plus faibles.

Nous aurons ainsi, dans l’armée de paix, des unités à effectif renforcé, d’autres à effectif normal, d’autres enfin n’ayant qu’un cadre mobilisateur, le nombre d’unités de chaque espèce étant exactement déterminé par l’importance de l’échelon qu’elles doivent contribuer à former.

Il va de soi que l’échelon à mobiliser le premier devant être rendu à pied d’œuvre dans le minimum de temps, les unités à effectif renforcé seront en temps de paix stationnées le plus près possible de la frontière, cette frontière étant actuellement le Rhin.

Ainsi pourra être déterminée, sans crainte d’erreur, l’organisation générale à donner à notre armée de paix, en vue de la guerre, avec le nombre d’unités de diverses natures à entretenir, leur encadrement et leurs effectifs.

Cette organisation étant établie, il faudra tenir compte, en outre, des nécessités résultant des intérêts que nous avons à soutenir hors de France, et du maintien de l’ordre à l’intérieur.

Nos charges hors de France sont bien déterminées dans tous leurs éléments. Nous connaissons les effectifs français et indigènes nécessaires aujourd’hui tant dans nos colonies, que dans les pays où un mandat nous a été confié par les Traités. Ces effectifs nécessaires sont à ajouter à ceux déterminés plus haut : leur total représentera notre effectif de paix.

Pour fixer la durée du service dans l’armée active, il suffira de retrancher de ce total le nombre d’indigènes et le nombre de militaires servant au-delà de la durée légale. La différence représentera le nombre de Français appelés nécessaires en permanence à l’ensemble de l’armée. Ce chiffre, divisé par l’effectif d’une classe, donnera le nombre de classes à tenir présentes sous les drapeaux, c’est-à-dire la durée du service. Par exemple, la présence de deux classes entraînerait le service de deux ans, celle d’une classe et demie le service de dix-huit mois, etc…

Quant au maintien de l’ordre à l’intérieur, il ne saurait avoir qu’une influence des plus restreintes sur l’organisation à donner à l’armée de paix. Une fois réparties sur le territoire en vue de leur mobilisation, les unités de paix, à effectif renforcé, à effectif normal, ou simplement réduites à un cadre mobilisateur, quelques changements dans les emplacements prévus pour certaines unités à effectif renforcé ou normal, suffiront à pourvoir les centres importants d’une garnison suffisante. C’est là, on en conviendra, une conséquence qui affecte la répartition des unités, et non leur nombre ou leur organisation, et sur laquelle, par conséquent, il n’y a pas lieu, ici, d’insister davantage.


* * *

Dans tout ce qui précède, il n’a pas été tenu compte d’une donnée qui intervient cependant fréquemment dans les discussions sur la durée du service : celle du temps minimum imposé par les nécessités de l’instruction. Sans méconnaître ces nécessités, on doit prévoir qu’elles seront aujourd’hui sans influence spéciale sur la durée du service, imposée, par ailleurs, par les considérations d’un autre ordre développées plus haut.

Et, en effet, les modifications profondes apportées à la nature même de l’armée entraîneront fatalement des changements correspondants dans le dressage de cette armée. Pour ne parler que de l’infanterie, ce qui la différencie aujourd’hui de ce qu’elle était autrefois, c’est la diversité de son armement, et, par suite, des catégories d’hommes qui la composent : fusiliers, mitrailleurs, fusiliers-mitrailleurs, grenadiers, artilleurs de tranchée ou d’accompagnement. À toutes ces catégories d’hommes il faut donner autant d’instructions techniques différentes, ce qui ne peut être réalisé dans les petites unités.

Ainsi, l’instruction individuelle caractérisée autrefois par son uniformité, aujourd’hui par sa diversité, sera dorénavant assurée non plus par les petites unités, — compagnies, bataillons, — mais par les unités supérieures, — régiments et au-dessus, — et l’argument tiré des nécessités de l’instruction individuelle dans les petites unités pour déterminer leur effectif minimum n’a plus aujourd’hui de valeur.

Il est vrai qu’une fois terminées les instructions techniques individuelles, il faudra réunir les hommes pour leur apprendre à exercer ensemble leurs métiers variés sous la conduite de leurs chefs désignés. Mais cette instruction d’ensemble, qui est surtout une instruction de cadres, ne nécessitera que la formation, pendant une période relativement courte de chaque année, d’unités de manœuvre.

Ces unités de manœuvre, à former dans les grandes unités, seront en nombre variable suivant les effectifs de ces grandes unités, plus nombreuses dans celles à effectif renforcé que dans celles à effectif normal.

En fin de compte, c’est d’après les ressources affectées aux grandes unités, d’après leur emploi de mobilisation que seront réglées les modalités de l’instruction, définie, dans son allure générale, comme il vient d’être dit.

En d’autres termes, ce n’est pas l’instruction qui conditionnera les effectifs de paix. C’est au contraire l’armée de paix, constituée en vue de donner naissance à l’armée de guerre, qui conditionnera l’instruction. À celle-ci de s’adapter à celle-là.


* * *

De tout cela il résulte que les considérations essentielles dont il importe de tenir compte pour organiser notre armée de paix sont :

1° Avant tout, constituer le cadre général capable de donner naissance à l’armée de guerre préalablement définie dans son importance, dans sa nature, dans son mode de mobilisation ;

2° Assurer, en outre, les besoins correspondant à nos charges extérieures.

Cela fait, et seulement alors, on aura une base rationnelle permettant de déterminer les effectifs de paix et la durée du service dans l’armée active.

C’est ainsi que semble devoir être établie la base de notre programme général de réorganisation militaire.

Au point de vue législatif, ce programme se traduira par :

La loi d’organisation, qui déterminera la constitution et l’importance de l’armée de guerre et de l’armée de paix ;

La loi des cadres et effectifs, qui fixera, d’après les besoins définis par la Loi d’organisation, ce qui sera nécessaire en cadres et en hommes pour cette armée de paix ; La loi de recrutement enfin, qui, s’appuyant sur les précédentes, en déduira la durée du service dans l’armée active comme dans les réserves, le mode d’incorporation des classes, etc…

À vrai dire, ces trois lois forment un tout indissoluble, dont les trois parties s’enchaînent obligatoirement dans l’ordre indiqué ci-dessus.

Il n’est pas d’ailleurs à craindre que beaucoup de temps soit nécessaire pour mettre ainsi le problème sur pied et pour le faire aboutir.

On peut voir dès maintenant que les études sont assez avancées pour être présentées, dans leur entier, à bref délai ; et si, pour résoudre intégralement le problème, on emploie quelques semaines de plus que si on n’en avait abordé qu’une partie, on aura, en définitive, gagné du temps, puisqu’on aura fait une œuvre d’ensemble, rationnelle et durable, au lieu de s’être contenté d’une solution partielle, sujette à révision à brève échéance.

Et, pour terminer, n’est-ce pas seulement grâce à une organisation militaire mûrement étudiée et logiquement établie qu’il sera possible aujourd’hui de réaliser l’effet maximum avec un effort minimum ? N’est-ce pas aussi grâce à cette organisation militaire qu’on obtiendra ultérieurement la certitude de la paix avec la garantie de l’exécution des traités indispensable pour poursuivre progressivement et sûrement la réduction de nos effectifs jusqu’à une limite qu’on n’oserait peut-être entrevoir aujourd’hui ? N’est-ce pas, en définitive, cette organisation rationnelle qui, dans le présent comme dans l’avenir, nous procurera le plus grand allégement de nos charges militaires ?


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  1. De 50 000 en 1914, le nombre d’hommes employés aux fabrications était passé à 1 700 000 en 1918.