L’Art de péter/Chapitre neuviéme

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Florent-Q., rue Pet-en-Gueule, au Soufflet (p. 69-79).

CHAPITRE NEUVIÉME

Des effets des Pets.



APrès avoir parlé des cauſes, il ne nous reſte plus qu’à dire quelque choſe des effets, & comme ils ſont de différente nature, nous les réduirons à deux genres, c. à. d. à celui des bons & des mauvais effets.

Tous Pets bons ſont toujours très ſalutaires par eux-même, en tant que l’homme s’en débarraſſe ; & en effet l’évacuation qu’on en fait détourne pluſieurs maladies telles que la douleur hypocondriaque, la fureur, la colique, les tranchées, la paſſion iliaque, &c. Mais lorſqu’ils ſont reſſerrés, qu’ils remontent, ou qu’ils ne trouvent pas de ſortie, ils attaquent le cerveau par la quantité prodigieuſe de vapeurs qu’ils y portent ; corrompent l’imagination, rendent l’homme mélancolique & phrénétique & l’accablent de pluſieurs autres maladies très-facheuſes. Delà les fluxions qui ſe forment par la diſtillation des fumées de ces météores, fumées qui deſcendent dans les parties inférieures ; ou, comme les Médecins ne ceſſent de nous le démontrer, elles cauſent des toux & des catharres, &c. Quoi de plus : on eſt incapable de toute application, & l’étude & le travail rebuteront toujours. Il faut donc s’appliquer à ſe débarraſſer au plutôt de toute envie de péter, & de tous vents tranchans, & au riſque de faire tapage il vaut beaucoup mieux les lâcher que de s’expoſer à

s’incommoder.
EDIT
DE L’EMPEREUR CLAUDE
Sur les Pets.

C’est par cette conſidération que l’Empereur Claude, nommé ainſi par antiphraſe du mot Claudere, boitter, comme ne boittant point du tout (Empereur qu’on n’a jamais pû trop loüer), fit publier un édit, par lequel il pardonnoit à ceux qui laiſſoient échapper des Pets ou des veſſes au milieu d’un repas. Cet empereur trois fois grand, qui ne ſongeoit qu’à la ſanté de ſes fujets, avoit été informé que quelques-uns d’eux avoient pouſſé la civilité juſqu’au point d’aimer mieux créver que de péter ; c. à. d. qu’ils avoient préféré la mort à la moindre incongruité, & qu’ils avoient tellement été tourmentés de la paſſion iliaque & des coliques les plus violentes, qu’ils s’étoient laiſſés périr, ainſi que le rapportent Suetone, Dion, & d’autres hiſtoriens. C’eſt pourquoi, je ſoutiens d’après eux qu’on devroit remettre dans le Code cette conſtitution, qui, ſelon Cujas, y étoit autrefois comme bien d’autres qu’on en a retranchées. Effectivement, il n’y a pas ſujet de ſoutenir mordicus que cette conſtitution répugne à la bienſéance, étant facile de prouver le contraire par l’exemple de la Philoſophie la plus épurée, je veux dire celle des Stoïciens que Ciceron lui même & les plus excellens philoſophes ont toujours préférée à celle de toutes les autres ſectes qui ont traité de la félicité de la vie humain.

Or ces Philoſophes, parmi les préceptes ſalutaires de la vie, ont ſoutenu que les Rots & les Pets devoient non ſeulement être libres ; mais ils en ont encore convaincu leurs adverſaires par des argumens ſans réplique, que Ciceron rapporte & ſoutient vivement dans ſa 9e. Epit. fam. 174. à Pœte, encore que dans ſes offices il ſoit d’avis contraire & qu’il retombe dans l’héréſie, je ne ſçais par quelle fauſſe apparence d’honneteté, & qu’on liſe entr’autres bons conſeils qu’il faut faire & ſe conduire en tout ſelon que la nature l’exige ; il eſt donc inutile de nous repréſenter ici avec emphaſe les loix de la pudeur, qui, encore qu’elle exige quelques égards, ne doit cependant pas en cette occaſion l’emporter ſur la ſanté & ſur la vie. Mais ſi quelqu’un en eſt tellement eſclave qu’il n’en puiſſe ſecouer la chaine, nous ne pouvons lui conſeiller rien de mieux que de diſſimuler ſon Pet, ſoit en rejettant l’incongruité ſur ſon chien, ſoit en touſſant, ſoit en crachant bien fort, ou en faiſant quelque bruit équivalent. C’eſt en ces occaſions qu’on peut pratiquer un moyen dont on a reconnu tout l’avantage, c. à. d. la compreſſion des feſſes, & en même tems le reſſerrement du grand muſcle de l’anus : mais helas ! qu’une pareille fineſſe fait payer chérement à l’odorat ce qu’elle épargne aux oreilles : on tombe dans

le cas des Vers ſuivans, écoutez-les :

Je ſuis un invincible Corps,
Qui de bas lieu tire mon être,
Et qui n’oſe faire connoître,
Ni qui je ſuis, ni d’où je ſors.

Quand on m’ôte la liberté,
Pour m’échapper j’uſe d’adreſſe
Et deviens femelle traitreſſe
De mâle que j’aurois été,

Au reſte on donne avis à ceux ou celles qui voudront pratiquer ce moyen de n’y pas perdre un inſtant, & de peter ſans relâche, de peur qu’il ne leur arrive ce qu’éprouva Priape (Horace) qui pour n’avoir pas aſſez ſerré les feſſes, laiſſa échapper un gros Pet ; ou qu’ils n’ayent auſſi le même accident qu’Œthon, qui, au Rapport de Martial, ayant été ſubitement attaqué de fortes tranchées, & d’une multitude de vents, ſalua Jupiter en ſerrant les feſſes, & venant à ſe baiſſer profondement ſelon la coutume des anciens, lâcha un Pet qui fit un bruit épouvantable.


EPIGRAMME.


Multis dum precibus jovem ſalutat,
Stans ſummos reſupinus uſque in ungues,
Œthon in Capitolio pepedit.
Riſerunt comites. Sed ipſe divûm
Offenſus Genitor, trinoctiali
Affecit domi cœnio clientem.
Poſt hoc flagitium miſellus Œthon,

Cum vult in Capitolium venire
Sellas ante pedit Patrioclianas,
Et pedit decieſque vicieſque.
Sed quamvis ſibi caverit crepando,
Compreſſis naribus jovem & ſalutet,
Turbatus tamen uſque & uſque pedit
Mox Œthon, decieſque vicieſque.

Mart. lib. 12. Ep. 78.


On pourroit demander ici avec raiſon, puiſque les Pets ſont ſi ſalutaires, ſi l’on peut, & même ſi l’on doit les provoquer par l’art. On repond affirmativement, & que l’on peut ſe ſervir de remèdes internes ou externes.