L’Art français de la fin du moyen âge - L’Idée de la mort et la danse macabre

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L’art français de la fin du moyen âge
Émile Mâle

Revue des Deux Mondes tome 32, 1906


L’ART FRANÇAIS
DE
LA FIN DU MOYEN AGE

L’IDÉE DE LA MORT ET LA DANSE MACABRE


I

Jamais la mort n’a été revêtue de plus de pudeur qu’au XIIIe siècle. On n’imagine rien de plus pur, de plus suave, que certaines figures gravées sur les dalles funéraires ou couchées sur les tombeaux. Les mains jointes, les yeux ouverts, ces morts jeunes, beaux, transfigurés, semblent déjà participer à la vie éternelle. Telle est la poésie dont les nobles artistes du XIIIe siècle ont paré la mort : loin de la faire craindre, ils la font presque aimer.

Mais voici qu’à la fin du XIVe siècle, la mort se montre soudain dans toute son horreur. Il y a dans la chapelle épiscopale de Laon une étonnante statue tombale. C’est un cadavre nu qui ne se décompose pas, mais qui se dessèche. Cette pauvre figure, moitié momie, moitié squelette, cache sa nudité de ses mains osseuses. La détresse, l’abandon, le néant de ce mort sont inexprimables. Quel est l’homme sincère qui a voulu être représenté sur son tombeau tel qu’il était dans son cercueil ? C’est un médecin illustre du XIVe siècle, Guillaume de Harcigny. Élève des Arabes et des écoles d’Italie, il passait pour l’homme le plus habile de son temps. Il soigna Charles VI au début de sa folie et calma la violence de ses premiers accès. Il mourut en 1393. Son tombeau dut être commencé aussitôt[1], et la statue dont nous parlons ne saurait être fort postérieure à 1394.

Voilà un des plus anciens exemples d’un réalisme funèbre dont les grands siècles du moyen âge n’eurent aucune idée.

En 1402, mourut à Avignon le cardinal Lagrange. Il avait voulu avoir deux tombeaux : un pour sa chair à Amiens, un autre pour ses os à Avignon. Il ne subsiste du tombeau d’Avignon que quelques fragmens : un des plus intéressans est un bas-relief qui représente un cadavre[2]. C’est le cardinal Lagrange lui-même, desséché, momifié, pareil à Guillaume de Harcigny. Mais ici le mort parle. Nous lisons sur une banderole les rudes paroles qu’il nous adresse en latin : « Malheureux, quelle raison as-tu d’être orgueilleux ? Tu n’es que cendre, et tu seras bientôt comme moi un cadavre fétide, pâture des vers. »

Ainsi, c’est au temps de Charles VI, à ce moment décisif où l’art abandonne presque toutes ses vieilles traditions, que le cadavre apparaît dans sa repoussante laideur.

L’étude des manuscrits conduit aux mêmes conclusions. C’est aux environs de 1400 que la Mort commence à inspirer les artistes. Avant cette date je n’en rencontre que quelques images timides, sans vérité, et d’où ne se dégage aucun effroi. Mais vers 1400 un miniaturiste inconnu enlumina l’admirable livre d’Heures de la famille de Rohan[3]. C’était une imagination puissante et sombre. La mort l’épouvante et l’attire. Huit fois de suite il a exprimé ses dégoûts et ses terreurs. On voit d’abord un convoi funèbre et des moines qui prient autour du cercueil. Puis les fossoyeurs creusent la fosse dans une vieille église et font jaillir à chaque coup de pioche les os des anciens morts. Mais voici maintenant des scènes mystérieuses et terribles. Le mourant est dans son lit, sa femme et son fils l’entourent, lui tiennent les mains, voudraient le retenir. Mais lui, figé d’horreur, regarde une chose qu’il est seul à voir, — une grande momie noire qui vient d’entrer et qui porte un cercueil sur son épaule. Plus loin, un cercueil est posé sur un tréteau au milieu d’un cloître : soudain, le couvercle s’ouvre de lui-même et l’on voit apparaître la face livide du mort. Ailleurs, le mort, un et rigide, est étendu à terre sur le drap noir à croix rouge du cercueil, au milieu des ossemens et des crânes. Dans le ciel, Dieu le père, l’épée à la main, montre sa tête formidable. L’heure du jugement est venue. Il n’est plus temps de prier maintenant. Pourtant, pendant que l’ange et le démon se disputent son âme, le pauvre mort espère encore, et une supplication écrite sur une banderole s’envole de sa main vers le ciel.

A peu près à la même époque un des enlumineurs du duc de Berry peignait aussi une redoutable figure de la mort[4]C’est un cadavre desséché, une momie noire drapée dans un linceul blanc. Elle brandit un trait et va frapper un élégant jeune homme qui n’attendait guère la terrible visiteuse. On pense, malgré soi, à la funèbre vision que le duc d’Orléans eut peu de jours avant d’être assassiné.

Rien, dans l’art antérieur, ne fait pressentir ces effrayantes images.

Dès les premières années du XVe siècle, il semble que la mort devienne la grande inspiratrice. En 1424, la danse macabre est peinte, à Paris, au cimetière des Innocens. Des œuvres analogues apparaissent, au cours du XVe siècle, sur tous les points de l’Europe. La vieille légende « des trois morts et des trois vifs » entre dans l’art, et devient un des sujets favoris de la peinture murale et de la miniature.

Au XVe siècle, l’image de la mort est partout. Plusieurs de ces œuvres funèbres subsistent encore, mais beaucoup aussi ont disparu. Des documens, d’anciens dessins nous font connaître d’étranges tableaux. On a conservé longtemps dans une église d’Avignon un tableau du XVe siècle qui représentait le cadavre décomposé d’une femme près d’un cercueil ouvert où l’araignée tissait sa toile. Le roi René avait fait peindre à Angers, au-dessus de son tombeau, un roi couronné assis sur son trône. Mais, en s’approchant, on reconnaissait que ce roi était un squelette qui vous regardait avec ses yeux vides. Formidable oraison, funèbre, qu’aucun sermonnaire n’égala. L’aimable Bourdichon, lui-même, si épris de la grâce, dut sacrifier au goût du temps Il avait peint, dit un document, « un cadavre, dévoré par les vers, dans un cimetière, où y a plusieurs sépultures. »

Le XVIe siècle renchérit encore sur le XVe. Ce siècle qu’on se figure volontiers, jeune, bien portant, optimiste, tout pareil aux héros du Pantagruel, fut sans cesse occupé de la mort. Nous parlerons ailleurs de ses lugubres tombeaux. Mais il faut signaler ici une figure que le XVIe siècle semble avoir imaginée. On rencontre parfois, encastré dans le mur d’une chapelle, un bas-relief qui représente un cadavre. Un observateur peu attentif s’imaginera être en présence d’un tombeau conçu comme celui de Guillaume de Harcigny. Mais il n’en est rien. Aucun nom, aucune épitaphe n’accompagne le cadavre. L’inscription, s’il y en a une, est une pensée sur le néant de la vie, un avertissement au passant. Ce cadavre a donc été sculpté là pour nous faire réfléchir. Et certes, il est aussi éloquent que Bossuet. Voilà donc ce que nous serons. « Je suis ce que tu vas être, dit une inscription, un peu de cendre[5]

» ou encore
« Mon corps, qui fut beau jadis, n’est plus maintenant que pourriture : tu seras pareil à moi, toi qui lis cela[6]. » Et l’image qu’on nous montre est vraiment hideuse. A Gisors, le cadavre a la bouche et les yeux ouverts, les mains croisées sur le ventre. A Clermont d’Oise, les maigres pieds crispés s’accrochent à la pierre. A Moulins, l’œuvre de la décomposition est déjà commencée : le ventre se fend, comme un fruit trop mûr, et on voit des vers en sortir.

De semblables images vont au-delà des limites de l’art. La vue en est presque insoutenable. Nous sentons heureusement tout au fond de nous-même un sourd bouillonnement de vie qui nous rassure. Nous savons que nous serons ainsi, et pourtant nous ne le croyons pas. Néanmoins, l’épreuve est rude : une foi robuste, une espérance indéfectible furent nécessaires aux générations qui osèrent ainsi regarder la mort en face.

Toutes ces effigies ont été faites entre 1526 et 1557. A la même époque, le XVIe siècle élevait à la Mort la fameuse statue du cimetière des Innocens. Reléguée au Louvre, elle perd toute signification. Il fallait la voir au milieu de notre vieux Campo Santo pour comprendre son air dominateur. C’était un souverain au milieu de ses sujets.

Aucun siècle ne fut plus familier avec la mort que le XVIe. Ces générations semblent avoir fait amitié avec elle. Ils mettent partout son image. Le père de famille qui se fait bâtir une maison y fait d’abord sculpter la figure de la Mort. Sur la cheminée d’une maison des environs d’Yvetot, on voit une tête de mort posée sur des os décharnés, et on lit :

« Pensez à la mort — mourir convient — peu en souvient — souvent avient. » Et le vieux Normand, qui a cru faire sagement en associant la mort à toutes les pensées de ses descendans, a écrit : « Ces cheminées fit faire Robert Beuvry, pour Dieu, pour les trépassés. 1503. »

C’est la haute cheminée, devant laquelle toute la famille se rassemble, qui a mission de parler de la mort.

A Sonneville, en Normandie, on voit d’un côté de la cheminée le portrait du premier propriétaire, et de l’autre une tête de mort. On appelait cela « le miroir de l’homme[7]. » On pouvait se voir là tel qu’on serait un jour. Tout à côté, le père de famille a fait graver cette inscription digne de la cellule d’un chartreux : « Il faut mourir. J’attends l’heure de la mort. 1533. » — Hodie mihi, cras tibi, dit une autre cheminée[8], éloquente comme un tombeau.

A la table de famille même, sur le pot de terre qui contient le cidre ou le vin, on lit : « Pense à la mort, povre sot[9]. »

Ces petites choses longtemps dédaignées, l’inscription d’un vase de terre, la sentence gravée sur une porte, sur la plaque du foyer, sur le manteau de la cheminée nous font mieux connaître l’ancienne France que l’Heptaméron ou le Pantagruel. Voilà donc ce qu’étaient ceux dont on ne parle pas. Quel profond sérieux chez ces vieilles générations ! Quelle austérité ! Quelle tristesse chrétienne !

Cette grave manière d’envisager la vie n’était assurément pas nouvelle. La pensée de la mort est « la pensée de derrière la tête » du chrétien. Elle lui permet d’estimer les hommes et les choses à leur prix. Dès le XIIe siècle, des poètes éloquens avaient chanté la toute-puissance de la mort. Hélinand, moine de Froimont, écrivit en français un poème sur la mort, dont nous sentons encore aujourd’hui la mâle beauté. Pendant le XIIIe siècle, on en fit dans les églises et dans les couvens des lectures publiques[10].

Hélinand chante le néant des grandeurs. Innocent III, dans son De contemptu mundi, jette l’anathème à la chair. Le moyen âge n’a rien écrit de plus sombre. La laideur de la vie et l’horreur de la mort y sont peints en traits presque repoussans. Ce pape tout-puissant est aussi triste sur le trône de saint Pierre que Job sur son fumier. Il nous fait sentir l’odeur du cadavre, il nous montre le travail de la décomposition. Il répète avec la Bible : « J’ai dit à la pourriture : Tu es mon père et ma mère, et j’ai dit aux vers du sépulcre : Vous êtes mes frères. »

Il serait facile de citer plusieurs sombres pages du XIIIe siècle que la pensée de la mort a inspirées. Ces livres, néanmoins, ne modifièrent en rien le caractère de ce temps. Aucune de ces tristes pensées n’effleura la sérénité des artistes. Jamais l’art chrétien n’apparut si pur, si consolateur. La douleur et la mort semblent en être bannies.

Mais vers la fin du XIVe siècle on s’aperçoit qu’on est entré dans un monde nouveau. Les artistes ont une autre âme, moins haute, moins sereine, plus prompte à s’émouvoir. L’enseignement de Jésus-Christ les touche moins que ses souffrances. L’art pour la première fois exprime la douleur. C’est à peu près au même moment qu’il s’essaie à représenter la mort. On pourrait presque dire qu’un nouveau moyen âge commence vers la fin du règne de Charles V.

Ce profond changement ne sera parfaitement compris que le jour où l’on aura écrit l’histoire des ordres mendians au XIIIe et au XIVe siècle. Les franciscains et les dominicains, en parlant sans cesse à la sensibilité, finirent par transformer le tempérament chrétien. Ce sont eux qui ont fait pleurer toute l’Europe sur les claies de Jésus-Christ. Et ce sont eux aussi qui ont commencé à épouvanter les foules en leur parlant de la mort. Je suis convaincu que la première pensée de cette danse macabre, que nous allons étudier, appartient aux prédicateurs franciscains ou dominicains.


II

On peut considérer « le Dit des trois morts et des trois vifs » comme une première et timide ébauche de la danse macabre. On connaît la légende : trois morts se dressent soudain devant trois vivans qui reculent d’horreur. Les morts parlent, et les vivans font sur eux-mêmes un Salutaire retour. C’est au XIIIe siècle que cet étrange sujet entra dans la littérature. Baudoin de Condé, Nicolas de Margival et deux poètes anonymes écrivirent sur ce thème quatre petits poèmes qui ne diffèrent que par quelques détails.

Les trois vivans sont trois jeunes gentilshommes du plus haut rang. L’un est duc, l’autre comte, le troisième fils de roi. Voici qu’à l’extrémité d’un champ, ils se trouvent tout d’un coup dans un vieux cimetière, où trois morts sont debout et semblent les attendre. Leur linceul laisse voir leurs os décharnés. À cette vue, les trois jeunes hommes frémissent « comme feuilles de tremble. » Ils s’arrêtent soudain, et les morts commencent à parler. De leurs bouches, « où il ne reste plus de dents, » sortent de graves paroles. « J’ai été pape, dit le premier. J’ai été cardinal, dit le second. J’ai été notaire du pape, dit le troisième. » Et ils reprennent : « Vous serez comme nous sommes ; d’avance, mirez-vous en nous. Puissance, honneur, richesse ne sont rien. À l’heure de la mort, il n’y a que les bonnes œuvres qui comptent. » Les trois jeunes hommes, profondément émus, écoutent ces paroles qui viennent d’un autre monde, et croient entendre la voix de Dieu.

Une telle légende est mieux qu’un conte pieux imaginé par quelque moine. On y sent la collaboration du peuple. Terreur qu’inspire le vieux cimetière, effroi des rencontres qu’on peut faire aux carrefours quand la nuit tombe, toute la poésie des contes de la veillée est ici condensée.

Très célèbre au XIIIe et au XIVe siècle, copié et recopié, « le Dit des trois morts et des trois vifs » n’inspira pourtant guère les artistes. Je ne parle pas d’une élégante miniature qui accompagne, dans un manuscrit du XIIIe siècle, le poème de Beaudoin de Condé[11]. Ce fut la tentative isolée d’un artiste qui illustrait un livre[12].

La légende n’entre vraiment dans l’art qu’au moment où la pensée de la mort commence à peser lourdement sur les âmes, c’est-à-dire à la fin du XIVe siècle. Je la rencontre vers 1400 dans un des livres d’Heures du duc de Berry[13], Le sujet dut lui plaire, car, en 1408, il le fit sculpter au portail de l’église des Innocens, où il voulait avoir son tombeau. A partir de ce moment, la légende ne cessa plus d’inspirer les artistes. Sa vogue se soutint jusqu’au milieu du XVIe siècle, et même au-delà.

Un fait digne de remarque est que les artistes suivent deux traditions différentes. Au début du XVe siècle, ils représentent les trois jeunes gens à pied, comme les poèmes du XIIIe siècle les y invitaient. Mais bientôt ils prennent l’habitude de les représenter à cheval. A la fin du XVe siècle, c’est la règle.

Il ne faut pas croire que les peintres aient pris d’eux-mêmes cette liberté. Ces deux traditions artistiques correspondent à deux traditions littéraires.

On imprima, à la fin du XVe siècle, une version de la Légende des trois morts et des trois vifs sensiblement différente des quatre petits poèmes que nous avons cités. Le récit est mis dans la bouche d’un solitaire. Il le présente comme une vision qui lui a été envoyée par Dieu.

Un jour, devant son pauvre ermitage, il a vu apparaître trois cadavres hideux,


Les trous des yeux et ceux du nez ouverts.


Dans le même moment, il vit arriver


Sur leurs chevaux trois beaux hommes tout vifs.


Telle fut la stupeur des trois cavaliers, en apercevant les trois cadavres, qu’ils faillirent se laisser choir de leurs montures. L’un lâcha la laisse de son chien, et l’autre abandonna son faucon.

Les morts, cependant, apostrophent les trois vivans, et ils parlent avec une éloquence qu’ils sont bien loin d’avoir dans nos poèmes du XIIIe siècle. L’un prononce des paroles pleines d’un effrayant mystère : « Vous mourrez, dit-il en substance, et vous connaîtrez bientôt la suprême épouvante. Car il se passe au moment de la mort des choses si terribles, que, même si Dieu le permettait, nous ne voudrions pas revivre. » Un autre menace, et il y a dans ses paroles un étrange accent de haine : « Quand je vois vos crimes, dit-il, et les souffrances de ceux qui pour vous labourent tout nus, qui crient et bâillent de faim, je pense souvent que la vengeance de Dieu va être soudaine, et qu’il ne vous laissera même pas le temps de crier merci. » — Les trois vivans sentent leur raison vaciller. Il y a là heureusement une croix qu’ils invoquent pour leur corps et pour leur âme. Et alors la lumière se fait dans leur esprit : ils comprennent que Dieu a voulu les avertir et les sauver. Les paroles qu’ils prononcent édifient l’ermite lui-même.

Tel est ce poème qui l’emporte sur les autres par l’originalité des détails. A quelle époque remonte-t-il ? C’est ce qu’il est difficile de dire. Une chose pourtant me paraît certaine, c’est qu’il était déjà répandu en Europe, sous cette forme, dès le XIVe siècle. La preuve en est qu’il a inspiré la fameuse fresque du Campo Santo de Pise. Les cavaliers qui s’arrêtent devant les trois morts[14], les rencontrent précisément devant un ermitage, et un anachorète leur présente, écrite sur un rouleau, la moralité que comporte leur aventure. C’est, sans aucun doute, la vision de l’ermite à peu près telle que nous venons de la raconter.

En France, ce poème ne semble avoir été connu des artistes qu’au cours du XVe siècle.

Vers 1450, les miniaturistes qui enluminent les livres de prières, les peintres qui décorent les églises de campagne, plus tard les artistes qui dessinent les bois des livres d’Heures, ne manquent jamais de mettre en présence des trois morts trois cavaliers. Toutes les indications que donne le poète sont scrupuleusement suivies : on voit la croix de pierre du carrefour, le chien de chasse qui s’enfuit, le faucon qui s’envole. Souvent même, l’ermite, assis près de sa cabane, médite sur cette vision que Dieu lui envoie, en égrenant son rosaire.

Le clergé du XVe siècle adopta un récit qui lui sembla très propre à émouvoir les fidèles. Le « Dit des trois morts et des trois vifs » fut un des sujets qui furent le plus souvent proposés aux peintres décorateurs. On le rencontre encore aujourd’hui dans un grand nombre d’églises. Il n’appartient en propre à aucune région : la Normandie, la Lorraine, les provinces du Centre et du Midi nous en offrent des exemples[15]. Il fut parfois associé au jugement dernier et aux supplices de l’enfer. Le rapprochement parlait de lui-même. Toutes les pensées que la mort peut faire naître se présentaient à la fois à l’esprit du spectateur.


III

Dans le « Dit des morts et des trois vifs, » la mort se présente, sans doute, sous un aspect redoutable. Mais, au fond, elle est pleine de clémence. Elle parle rudement aux grands de ce monde, mais elle leur laisse un délai. Elle ne met pas sa main sèche sur leur épaule. Elle a été suscitée par Dieu pour émouvoir le pécheur, non pour le frapper.

Dans la Danse macabre, au contraire, toute idée de pitié disparaît.

Il faut montrer d’abord cette terrible Danse macabre dans son cadre ordinaire. Il y a à Rouen un vieux cimetière du XVIe siècle qu’on appelle l’aître Saint-Maclou. C’est un des lieux les plus émouvans de cette ville chargée de souvenirs. La terre consacrée, où dormirent tant de générations, où la moindre pluie découvrait jadis des milliers de petits cailloux blancs, — qui étaient des dents sorties de leurs alvéoles, — est maintenant le préau d’une école primaire. La gaieté de la verdure, les rondes des petites filles font avec tout ce qui vous entoure un contraste si fort qu’on se sent plus ému qu’on ne serait en présence d’une œuvre sublime. Jamais la vie et la mort n’ont été opposées avec tant de naïveté. Tout autour du cimetière règne un cloître que surmonte un charnier. C’est là que s’entassaient jadis les os des anciens morts dépossédés de leurs fosses par des morts nouveaux. Une frise en bois sculpté décore chacun des étages du cloître : les tibias, les vertèbres, les os du bassin, le cercueil, la pelle du fossoyeur, le bénitier du prêtre, la clochette de l’acolyte forment une guirlande funèbre. Chacune des colonnes du cloître est ornée d’un groupe en relief. On y reconnaît, ou plutôt on y devine les couples d’une danse macabre[16]. Un mort sorti du tombeau prend par la main le pape, l’empereur, le roi, l’évêque, le moine, le laboureur et les entraîne d’un pas rapide. Brièveté de la vie, incertitude du lendemain, néant de la puissance et de la gloire : voilà les grandes vérités que proclame cette danse macabre. De telles pensées, évoquées près de ce charnier, entraient profondément dans les âmes.

Plus fortement encore devait agir la danse macabre peinte, à Paris, au cimetière des Innocens. C’était, au XVe siècle, un lieu plein d’une violente poésie. Ce vieux sol, où tant de morts avaient reposé, était regardé comme sacré. Un évêque de Paris, qui ne put y être enseveli, demanda par son testament qu’on mît au moins dans sa fosse un peu de la terre des Innocens. Pourtant, les morts ne restaient pas longtemps dans cette terre sainte ; sans cesse ils devaient faire place aux nouveaux venus. Vingt paroisses avaient le droit d’ensevelir dans l’étroit enclos. Et il y avait alors entre les morts une égalité parfaite. Les riches n’avaient pas, comme aujourd’hui, pignon sur rue au cimetière. Quand le temps était venu, on vendait leur pierre tombale, et leurs os allaient s’entasser dans les charniers qui surmontaient le cloître. A toutes les ouvertures se montraient des milliers de crânes sans nom. Le maître des requêtes, comme dit Villon, ne se distinguait plus du porte-panier. On comprend que le poète soit venu là chercher l’inspiration. Tout ce qu’on voyait ébranlait l’âme. C’était, adossée à l’église des Saints Innocens, la cellule de la recluse, murée dans sa prison comme les morts dans leur tombeau. C’était la colonne creuse, où s’allumait le soir une lampe pour écarter les revenans et « cette chose qui se promène dans les ténèbres. » C’était « la légende des trois morts et des trois vifs » sculptée au portail de l’église. C’était surtout la danse macabre, peinte dans le cloître.

La danse macabre que nous rencontrons ici pour la première fois avait de lointaines origines[17]. Dès le XIIe siècle, on la voit poindre. Elle est en germe dans les vers d’Hélinand. Cette mort qui va à Rome prendre les cardinaux, à Reims l’archevêque, à Beauvais l’évêque, qui s’empare du roi, du pauvre, de l’usurier, du jouvenceau, de l’enfant, cette mort, que le poète appelle « la main qui tout agrape, » n’a-t-elle pas déjà l’air de conduire une danse macabre ?

Dès le XIVe siècle, l’idée d’un défilé de toutes les conditions humaines en marche vers la mort apparaît clairement.

J’ai eu la bonne fortune de rencontrer, dans un manuscrit de la Bibliothèque Mazarine, un petit poème latin du commencement du XIVe siècle qu’on peut considérer comme la plus ancienne de nos danses macabres[18]. Des personnages rangés dans une espèce d’ordre hiérarchique, le roi, le pape, l’évêque, le chevalier, le médecin, le logicien, le jeune homme, le vieillard, le riche, le pauvre, le fou, se plaignent tour à tour de mourir et pourtant marchent à la mort. « Je marche à la mort, dit l’évêque, bon gré mal gré, j’abandonne la crosse, les sandales et la mitre. » « Je marche à la mort, dit le chevalier, j’ai vaincu dans maint combat, mais je n’ai pas appris à vaincre la mort. » « Je marche à la mort, dit le logicien, j’enseignais aux autres l’art de conclure, cette fois c’est la mort qui a conclu contre moi. » On croirait entendre déjà les vers qui accompagnent la danse macabre du cimetière des Innocens.

Le petit poème de la Bibliothèque Mazarine ressemble à l’ébauche d’une moralité. Il est impossible, en le lisant, de ne pas songer à ces drames liturgiques, où les personnages défilent les uns après les autres devant le spectateur en récitant chacun un verset.

Ce n’est pas là une simple conjecture. Des documens prouvent que la danse macabre s’est présentée d’abord sous la forme d’un drame. Voici un témoignage qui a échappé jusqu’ici aux historiens de l’art. L’abbé Miette, qui étudia les antiquités de la Normandie avant la Révolution, eut entre les mains une pièce précieuse aujourd’hui perdue. Il trouva dans les archives de l’église de Caudebec un curieux document, d’où il résultait qu’en 1393, on avait dansé dans l’église même une danse religieuse fort semblable à un drame. Il la décrit ainsi : « Les acteurs représentaient tous les états depuis le sceptre jusqu’à la houlette. A chaque tour, il en sortait un, pour marquer que tout prenait fin, roi comme berger. Cette danse sans doute, ajoute-t-il, n’est autre que la fameuse danse macabre[19]. » Combien il est fâcheux que l’abbé Miette n’ait pas pris la peine de transcrire le document, au lieu de le résumer dans cette langue surannée et si peu précise ! Le doute pourtant n’est pas possible. A Caudebec, à la fin du XIVe siècle, on jouait la danse macabre dans l’église. Si les personnages parlaient, — ce qui est très vraisemblable, — ils devaient prononcer des paroles fort analogues à celles que nous donne le manuscrit de la Mazarine.

La mort jouait-elle son rôle à Caudebec ? Voyait-on un cadavre entrer dans la ronde, prendre le vivant par la main et l’entraîner vers le tombeau ? Voilà ce qu’il importerait de savoir. Car le trait de génie fut de mêler les morts aux vivans. Qui donc osa le premier réaliser ce cauchemar ? Aucun document ne nous l’apprend, mais nous pouvons presque le deviner. Plusieurs danses macabres peintes présentent, en effet, un détail singulier. A la Chaise-Dieu, à Bâle, à Strasbourg, on voit encore, ou l’on voyait jadis, un religieux parlant à des auditeurs groupés au pied de sa chaire. C’est le prologue du drame. Parfois une scène biblique accompagne ce premier tableau : Adam et Eve tentés par le serpent mangent le fruit défendu. Puis, la danse macabre se déroule.

Ces épisodes sont un trait de lumière. Il devient évident que la plus ancienne danse macabre fut l’illustration mimée d’un sermon sur la mort. Un moine mendiant, franciscain ou dominicain, imagina, pour frapper les esprits, de mettre en scène les grandes vérités qu’il annonçait. Il expliquait d’abord que la mort était entrée dans le monde par la désobéissance de nos premiers parens. Puis il montrait les effets de la malédiction divine. A son appel s’avançaient des figurans costumés en pape, en empereur, en roi, en évêque, en abbé, en soldat, en laboureur ; et, chaque fois, un être hideux surgissait, une sorte de momie enveloppée dans son linceul, qui prenait le vivant par la main et disparaissait avec lui. Bien réglée, la scène devait remuer profondément les spectateurs. Les moines mendians avaient éprouvé depuis longtemps l’effet des sermons mimés. On sait qu’ils prêchaient la Passion en la faisant représenter au fur et à mesure dans l’église.

Voilà, sans aucun doute, la véritable origine de la danse macabre. Il est possible que le drame soit resté lié à un sermon pendant fort longtemps. Lorsque, en 1453, les Franciscains de Besançon, à la suite de leur chapitre provincial, firent représenter la danse macabre dans l’église Saint-Jean, un sermon l’accompagnait peut-être encore. Pourtant, un document un peu plus ancien établit qu’au XVe siècle la danse macabre était déjà sortie de l’église, et se jouait sur les tréteaux comme une simple moralité. En 1449, le duc de Bourgogne, étant dans sa ville de Bruges, fit représenter « dans son hôtel » le jeu de la danse macabre. Un peintre, Nicaise de Cambrai, qui avait sans doute dessiné les costumes, était au nombre des acteurs.

Jouée dans l’église au XIVe siècle, la Danse macabre fut peinte au XVe. Ici encore le drame a précédé l’œuvre d’art. Rien de plus conforme à cette grande loi que nous avons indiquée ailleurs : c’est le théâtre qui, à la fin du moyen âge, a renouvelé l’art en France et dans toute l’Europe.

On ne connaît pas de danse macabre peinte plus ancienne que celle du cimetière des Innocens. Le Journal du bourgeois de Paris nous en donne exactement la date : « L’an 1424 fut faite la danse macabre aux Innocens, et fut commencée environ le moys d’août et achevée au carême ensuivant. » Il n’y a rien de plus ancien dans l’Europe entière. Malheureusement l’aînée des danses macabres a été détruite. Au XVIIe siècle, pour agrandir la rue de la Charonnerie, on démolit le charnier qui la bordait, et la vieille fresque disparut sans qu’aucun artiste ait daigné en prendre une copie.

Il importe pourtant de se faire une idée de la première de nos danses macabres, et on va voir qu’on le peut.

Il y a, à la Bibliothèque Nationale, deux manuscrits de l’abbaye de Saint-Victor, qui nous donnent un long dialogue en vers français entre des morts et des vivans[20]. Or, en tête des deux volumes, dans les deux tables de matières, on lit cette rubrique qu’accompagne le chiffre exact de la page où commence le dialogue : « Les vers de la danse macabre, tels qu’ils sont au cimetière des Innocens. » Aucun doute n’est possible. Nous avons là une copie authentique des vers qui étaient inscrits sous les personnages de la fresque. Les manuscrits de Saint-Victor paraissent être de la première moitié du XVe siècle, et de fort peu postérieurs à la peinture. Les vers ont été transcrits par quelque religieux de l’abbaye dans toute leur nouveauté.

Voilà un point acquis. Grâce aux manuscrits de Saint-Victor (qui concordent parfaitement), nous connaissons les noms des personnages que l’artiste avait peints, nous savons leur nombre, nous les voyons dans l’ordre où ils se présentaient au spectateur.

Il y a là déjà de quoi satisfaire. Mais on peut pousser plus avant.

Guyot Marchant, l’imprimeur parisien, fit paraître, en 1485, la première édition de sa Danse macabre[21]. Des gravures sur bois, du plus beau caractère, illustrent un dialogue entre les morts et les vivans. Or, si on lit avec quelque attention les vers qui accompagnent les gravures, on s’aperçoit tout de suite que ce sont précisément ceux des deux manuscrits de Saint-Victor. Guyot Marchant avait donc tout simplement copié les inscriptions du cimetière des Innocens.

Mais, s’il a copié les vers, n’a-t-il pas copié aussi les personnages ? Et ses fameuses gravures ne seraient-elles pas, par hasard, la reproduction pure et simple de la danse macabre de 1424 ? S’il en est ainsi, nous ne devons rien regretter, et l’œuvre que nous croyions perdue, nous l’avons.

Il ne faut pourtant pas trop se hâter de conclure. Il me paraît certain que la Danse macabre de Guyot Marchant est une imitation de la danse macabre des Innocens, mais ce n’est pas une copie servile. Plusieurs petits détails le prouvent. Il est évident, d’abord, que les costumes ont été rajeunis. Quelques personnages sont vêtus à la mode du règne de Charles VIII. Les souliers à bouts carrés, pour prendre un exemple, sont de cette époque, et non de 1424. En effet, pendant toute la première partie du siècle, et jusque vers 1480, on porta des souliers à bouts très pointus qu’on appelait souliers à la poulaine. D’autre part, je remarque qu’une des gravures ne correspond pas exactement au texte qui l’accompagne. Dans Guyot Marchant le sergent d’armes est entraîné par un seul mort, tandis qu’au cimetière des Innocens il était certainement pris entre deux cadavres. Le texte est formel :


Je suis pris de çà et de là,


dit le sergent.

Nous sommes donc avertis que la copie n’est pas parfaitement exacte. Mais, d’autre part, il est visible que plusieurs traits sont fidèlement imités de l’original. L’empereur, par exemple, porte à la main la sphère du monde, et justement le texte lui fait dire :


Laisser faut la pomme d’or ronde.


L’archevêque, brusquement assailli par la mort, recule et renverse la tête en arrière. Telle est précisément l’attitude qu’indiquent les vers :


Que vous tirez la tête arrière,
Archevêque !


dit le cadavre qui badine.

On pourrait faire d’autres remarques du même genre.

Tenons donc les gravures de Guyot Marchant pour une imitation, mais pour une imitation un peu libre, de la fresque des Innocens.

A défaut de l’original, étudions la copie. Nous y voyons trente couples formés d’un vivant qu’un cadavre conduit. Quel est cet étrange compagnon ? Est-ce la mort personnifiée trente fois ? On le dit d’ordinaire, mais on se trompe. Les deux manuscrits de Saint-Victor n’appellent pas ce personnage « la mort » mais « le mort. » Guyot Marchant fait de même. Le couple est donc formé, comme dit le texte de la Danse macabre, « d’un mort et d’un vif. » Ce mort est le double du vif ; il est l’image de ce que sera ce vivant tout à l’heure. On croyait, au moyen âge, qu’en écrivant avec son sang une formule sur un parchemin, et en se regardant ensuite dans un miroir, on se voyait tel qu’on serait après sa mort. Ce rêve est ici réalisé. Le vivant voit d’avance sa figure posthume. Guyot Marchant avait d’ailleurs intitulé sa Danse macabre « le Miroir salutaire. » Il y a, dans les vers qui accompagnent les gravures, des traces curieuses de cette conception première. L’empereur, par exemple, après avoir annoncé qu’il meurt à regret, ajoute ces vers singuliers :


Armer me faut de pic, de pelle
Et d’un linceul, — ce m’est grand peine.


Or, le mort qui le prend par la main est précisément drapé dans un linceul, et porte sur l’épaule un pic et une pelle. Tel il est, tel sera bientôt l’empereur. Le mort apparaît donc comme un type précurseur. C’est notre avenir qui marche devant nous. On comprend maintenant pourquoi on appelait la danse macabre « la danse des morts » et non « la danse de la mort. »

Cette idée, il est vrai, s’obscurcit aux approches du XVIe siècle. Plusieurs manuscrits, déjà tardifs, appellent le cadavre « la mort » et non plus « le mort. » Vers 1500, on ne savait plus ce que c’était que ce compagnon qui précède chacun des vivans. On eût bien étonné Holbein, si on lui eût dit que ce n’était pas la Mort.

Peut-être trouvera-t-on, comme nous, que la vieille conception était la plus formidable.

Au XVe siècle, les morts de la danse macabre ne sont pas des squelettes ; ce sont des cadavres desséchés. Certains sols ont la propriété de conserver les morts. On montre à Saint-Michel de Bordeaux et à Saint-Bonnet-le-Château, dans les ténèbres d’une crypte, de hideuses momies, qu’un long séjour dans l’argile a parcheminées. On en montrait jadis de pareilles en plusieurs lieux. Voilà les modèles de nos artistes du moyen âge. Le cadavre momifié est plus effrayant que le squelette : il semble vivre encore d’une vie affreuse. Ces larves qui dansent, sautent sur un pied, sont presque vraisemblables. On dirait quelque svelte étudiant qui n’a ni ventre ni mollet. La momie de nos danses macabres est à peine plus maigre que le Voltaire de Pigalle. Elle a son sourire. On la voit qui fait mille grâces. Elle se drape avec son linceul comme avec une écharpe. Pudique, elle voile un sexe qu’elle n’a plus. Elle est volontiers insinuante, persuasive : elle passe familièrement son bras sous le bras de sa victime. Elle ne marche pas, elle sautille, et semble régler son pas sur l’aigre musique d’un fifre.

Cette ironie du cadavre, ce rire qui ouvre sa mâchoire où il manque des dents, toute cette atroce gaieté que l’artiste a si bien rendue, le poète l’exprime aussi, mais avec plus d’âpreté encore. On est étonné de trouver les vers de la danse macabre si durs et parfois si cruels. Le sermon d’autrefois est devenu une satire.

Au curé « qui mangeait les vivans et les morts » le poète annonce avec une joie féroce qu’il sera maintenant mangé des vers. L’abbé est grossièrement insulté : « Recommandez l’abbaye à Dieu, lui dit le mort, son compagnon, elle vous a fait gros et gras ; vous n’en pourrirez que mieux :


Le plus gras est premier pourry. »


Au bailli, le mort parle d’un ton menaçant. « Pour rendre compte de vos faits, dit-il, je vous ajourne au grand juge. » D’ordinaire le mort est moins tragique : il préfère railler. Il rit du bourgeois qui va abandonner ses rentes, du médecin qui n’a pas su se guérir, de l’astrologue qui cherchait sa destinée dans les étoiles, du grave chartreux qui va, lui aussi, entrer dans le branle :


Chartreux,…
Faites-vous valoir à la danse !


Ce terrible mort n’a un peu de pitié que pour le pauvre laboureur :


Laboureur qui en soing et peine
Avez vescu tout votre temps,

De mort devez être content,
Car de grand soucy vous délivre.


On sent un état social où les abus deviennent lourds, où les privilégiés commencent à être sévèrement jugés. La mort, heureusement, est égale pour tous, et remet tout dans l’ordre. Cette vieille société est pourtant solide. Elle semble bâtie pour l’éternité. Les vivans s’avancent suivant les lois d’une hiérarchie parfaite. En tête marche le pape, puis viennent l’empereur, le cardinal, le roi, le patriarche, le connétable, l’archevêque, le chevalier, l’évêque, l’écuyer, l’abbé, le bailli, etc. Une si belle ordonnance paraît alors immuable comme la pensée de Dieu. On remarquera qu’un laïque alterne toujours avec un clerc. Ce sont là les harmonies que l’on admire dans une société bien réglée : aux hommes de pensée répondent les hommes d’action.

Ces vivans que des cadavres entraînent en dansant ne dansent pas. Ils marchent d’un pas déjà alourdi par la mort. Ils avancent parce qu’il le faut, mais tous se plaignent, aucun ne veut mourir. L’archevêque pense qu’il ne couchera plus « dans sa belle chambre peinte, » le chevalier qu’il n’ira plus le matin « réveiller les dames, » et leur donner l’aubade, le curé qu’il ne recevra plus l’offrande. Le sergent s’indigne que ce mort ait l’audace de porter la main sur lui, « un royal officier ! » Il cherche, ce sergent, à se retenir aux titres, aux fonctions, à toutes ces choses humaines qui paraissent si solides et qui se brisent sous les doigts comme un fétu. Le laboureur lui-même ne paraît pas pressé de suivre son compagnon, car il lui dit :


La mort ai souhaité souvent,
Mais volontiers je la fuisse.
J’aimasse mieux, fut pluie ou vent,
Estre en vignes où je fouisse.


Et le petit enfant qui vient de naître, qui ne sait dire que « a, a, a, » lui aussi, comme le vieux pape, et le vieil empereur, regrette la vie.

Désir de vivre que rien ne peut rassasier, et impossibilité d’échapper à la mort, cette terrible contradiction de la nature humaine n’a jamais, je pense, été présentée avec plus de force. La danse macabre peut choquer nos délicatesses. Il est permis de ne pas s’y plaire et de trouver le breuvage amer. Pourtant, on est obligé d’avouer qu’elle est au nombre de ces grandes œuvres qui ont su incarner et rendre visibles à tous les yeux quelques-uns des sentimens primordiaux de l’âme.

La danse macabre du cimetière des Innocens est la plus ancienne de l’Europe. La prétendue danse macabre peinte à Minden (Westphalie) en 1383, que Peignot considérait comme la première de toutes[22], était tout autre chose qu’une danse macabre. C’était une simple figure de la Mort peinte sur un panneau mobile. Au revers, on voyait une femme qui symbolisait le Monde ou la Chair. Quant à la danse macabre du couvent des Dominicaines de Bâle, qu’on a longtemps, sur la foi d’une inscription mal lue, attribuée au commencement du XIVe siècle, elle est en réalité du milieu du XVe.

La danse macabre n’est donc pas d’origine allemande. Tout ce qu’on a dit de l’affinité d’un pareil sujet avec le génie germanique se trouve contredit par les faits. La danse macabre n’est pas plus allemande que l’architecture gothique, — bien que de beaux esprits aient prouvé qu’il était nécessaire qu’il en fût ainsi.

Si d’ailleurs on étudie les danses macabres, on les trouve toutes françaises d’inspiration. La danse macabre de l’église Sainte-Marie à Lubeck, peinte en 1463, mais restaurée depuis, trahit par une foule de détails son origine. Comme à Paris, les clercs et les laïques alternent ; la mort qui emmène le pape porte un cercueil, le médecin tient une fiole, et le petit enfant est couché dans un berceau. Quant aux vers allemands qui accompagnent le texte, ils paraissent traduits d’un original français du XIVe siècle, prototype commun du poème du cimetière des Innocens, du poème de Lubeck, et d’un poème espagnol intitulé la Denza general de la muerte[23].

Comme la danse macabre de Lubeck a inspiré les danses macabres des pays du Nord : celle de Berlin, celle de Reval, et les gravures danoises du XVIe siècle, il n’y a pas à chercher d’originalité de ce côté.

On n’en trouvera pas beaucoup plus dans l’Europe du Sud. Les deux danses macabres de Bâle supposent un original français. Malgré des additions et des interpolations, dont plusieurs peuvent provenir de retouches, on y retrouve notre hiérarchie et presque tous nos personnages.

Comme les danses de Bâle ont inspiré les livres xylographiques allemands, et ces livres à leur tour la danse macabre de Metnitz (Carinthie), il en faut conclure que les pays du Sud subissent tout aussi bien que les pays du Nord l’influence de la France.

Il est bon de rappeler aussi que la première danse macabre peinte en Angleterre, celle de Londres, avait été faite à l’imitation de celle de Paris, un peu avant 1440. Un moine, John Lydgate, qui revenait de France et qui avait vu l’original, avait traduit en anglais les vers du cimetière des Innocens.

Il paraîtra bien avéré maintenant que c’est de la France que les danses macabres se sont répandues, au XVe siècle, dans toute l’Europe.

Revenons donc à la France pour y étudier les danses macabres qui subsistent encore. Elles durent être nombreuses autrefois. Des textes nous en signalent en divers endroits où elles n’ont laissé aucune trace : à Amiens, dans le cloître des Macchabées ; à Blois, sous les arcades du château ; à Dijon, dans le cloître de la Sainte-Chapelle. Que d’autres encore dont le souvenir ne s’est même pas conservé ! On a pu voir, en 1904, à l’exposition de Dusseldorf, un délicieux tableau de Simon Marmion, consacré à la légende de Saint-Bertin ; une des scènes représente un personnage dans un cimetière. Or, sous les arcades du cloître, on voit se dérouler une minuscule danse macabre. Dans quelle ville du nord de la France était l’original que Simon Marmion a copié ? Plusieurs de nos danses macabres ne sont plus qu’une ombre. Telles sont celles de l’église de Cherbourg, et celle de l’aître Saint-Maclou à Rouen.

Il en subsiste heureusement deux, celle de Kermaria et celle de la Chaise-Dieu, qui se sont un peu mieux conservées.

Celle de Kermaria (Côtes-du-Nord) a la poésie que communiquent à toute chose les vieilles églises de la Bretagne, mais elle ne veut pas être regardée de trop près. On y surprendrait bien des gaucheries. Le peintre, aussi naïf que son public, a cru qu’il rendrait les morts plus terribles en leur donnant de temps en temps un mufle de bête ou une tête de crapaud. L’œuvre paraît contemporaine de Charles VII. Les souliers à la poulaine et certains détails de costume lui assignent une date voisine de 1450 ou 1460. Elle est donc de beaucoup antérieure au livre de Guyot Marchant et ne saurait s’en inspirer. L’original dont elle dérive ne peut être que la danse macabre du cimetière des Innocens. Et, en effet, les personnages se succèdent exactement dans le même ordre, et les vers que nous lisons sous leurs pieds sont ceux-là mêmes qu’on lisait à Paris. Plusieurs petits détails pourraient laisser croire que le peintre de Kermaria connaissait l’original : le connétable a l’épée à la main, le laboureur porte la pioche sur l’épaule, le ménestrel laisse tomber son instrument de musique à ses pieds, toutes particularités qui se rencontrent chez Guyot Marchant et qui ne peuvent provenir que d’un original commun. Mais il n’en faut pas conclure que la peinture de Kermaria soit la vraie copie de la peinture des Innocens. Cette œuvre rustique, où abondent les maladresses, ne peut donner une idée juste de l’original. Le peintre travaillait de souvenir, ou (ce qui est encore plus vraisemblable) avait sous les yeux un médiocre croquis. Entre la copie du peintre de Kermaria et celle de Guyot Marchant on ne saurait hésiter.

La danse macabre de la Chaise-Dieu (Haute-Loire) est mieux qu’un document curieux, c’est une œuvre d’art véritable. Elle s’harmonise à merveille avec la nudité et la tristesse de la grande église monastique, perdue sur les hauts plateaux, battue de vents éternels. Tout, dans ce lieu austère, parle de la mort. Edith, veuve d’Edouard le Confesseur, après avoir vu sa nation succomber à la bataille d’Hastings, est venue mourir ici. Près d’elle, un pape était enseveli. Clément VI s’était fait élever au milieu du chœur un magnifique tombeau qui devait vaincre le temps et l’oubli. Mais, en 1562, les protestans, maîtres de l’abbaye, brisèrent le mausolée, mutilèrent les statues, et se vantèrent d’avoir bu dans le crâne du pape. Ces souvenirs funèbres créent à cette dure église de granit l’atmosphère tragique des drames historiques de Shakspeare. On ne s’étonne pas d’y rencontrer, à une place d’honneur, la danse macabre.

La peinture de la Chaise-Dieu paraît à peu près contemporaine de celle de Kermaria. Je la placerais volontiers vers 1460 ou 1470. Dans tous les cas, les souliers à la poulaine que portent les personnages ne permettent pas de descendre au-delà de 1480. Il est donc certain que la peinture de la Chaise-Dieu est antérieure aux gravures de Guyot Marchant.

Les érudits allemands qui ont écrit sur la danse macabre de la Chaise-Dieu admettent tous qu’elle a été retouchée à la fin du XVIe siècle. Mais il est évident qu’aucun d’eux n’a vu l’original. Ils n’ont connu que le mauvais dessin publié par Jubinal en 1841[24]. Or, rien n’est plus infidèle que ce dessin. On peut dire qu’il ne donne pas la moindre idée de l’œuvre qu’il prétend reproduire. La peinture de la Chaise-Dieu n’est qu’une ébauche, mais une ébauche pleine de verve. Les personnages dessinés au trait et à peine teintés se détachent sur un fond rouge. L’artiste a travaillé si vite qu’il n’a pas pris la peine d’effacer les repentirs. Tel personnage qui a les bras croisés devait avoir les mains jointes, tel autre qui a la tête penchée en avant devait l’avoir rejetée en arrière. Des traits parfaitement visibles laissent deviner cette première pensée. Il n’y a pas une seule figure qui ne porte la marque de l’improvisation. Avancer qu’une pareille œuvre ait jamais pu être restaurée, c’est prouver qu’on ne la connaît pas. On ne restaure pas un croquis. La peinture de la Chaise-Dieu est bien tout entière du XVe siècle. Quels rapports soutient-elle avec celle du cimetière des Innocens ? Les analogies entre les deux œuvres semblent avoir été très grandes, autant qu’on peut en juger par la copie plus ou moins fidèle de Guyot Marchant. Les ressemblances sont parfois frappantes. Ici et là le sergent tient une masse d’armes, le curé a un gros livre à la main, le paysan porte sa pioche sur l’épaule gauche ; ici et là le ménestrel laisse tomber sa vielle à ses pieds. Ajoutons que les personnages se suivent dans un ordre à peu près identique. Enfin des lignes tracées au-dessous de la peinture indiquent que les vers traditionnels devaient l’accompagner. Le temps a manqué au peintre pour les inscrire. Car, dans cette œuvre hâtive, tout donne l’impression de l’inachevé. On dirait que la mort est venue prendre l’artiste par la main pour le faire entrer lui aussi dans la danse.

Si la danse macabre de la Chaise-Dieu ressemble à celle des Innocens, elle en diffère aussi. Le dessin de Jubinal pourrait faire croire que ces différences sont profondes. Il nous montre, en effet, plusieurs femmes mêlées aux hommes et entraînées, elles aussi, par des morts. Or, il est évident que le dessinateur, fort négligent à l’ordinaire, a été ici tout à fait infidèle. La femme qui est censée suivre le sergent d’armes devient, si l’on consulte l’original, un moine revêtu de sa pèlerine et de son capuchon. De même, la figure de femme qui est censée précéder le marchand est, en réalité, un chanoine en long surplis[25].

Les différences ne sont donc pas de telle nature qu’on puisse douter de la communauté d’origine. Ces différences sont presque toujours d’heureuses saillies du génie de l’artiste. Ses morts, par exemple, témoignent de la plus originale fantaisie. Il a inventé quelques attitudes heureuses qui ne se rencontrent nulle part ailleurs. La plus belle trouvaille est le geste de la mort qui dissimule sa hideuse figure derrière son bras maigre pour ne pas effrayer le petit enfant. On dirait qu’elle a honte. L’homme qui a trouvé cela est un vrai, un grand artiste. Il est permis de croire qu’avec ce tempérament il a pris plus d’une liberté avec son modèle.

Le succès si rapide de la danse macabre est un phénomène singulier. Comme il nous est difficile d’imaginer l’état d’esprit des générations qui achetaient la Danse macabre de Guyot Marchant ! Comment croire que les hommes d’alors aient pris tant de plaisir à avoir chez eux et à feuilleter à toute heure ce funèbre album de la mort ? N’est-il pas extraordinaire que la première édition en ait été épuisée en quelques mois ? Guyot Marchant, pour plaire à ses acheteurs, enrichit la seconde édition (1486) de plusieurs personnages : le légat, le duc, le maître d’école, l’homme d’armes, le promoteur, le geôlier, le pèlerin, le berger, le hallebardier, le sot. Il mit de la coquetterie à embellir son sujet et à lui prêter des charmes nouveaux. Il fit graver par exemple sur la première page quatre cadavres musiciens qui conduisent le branle.

Le succès de Guyot Marchant rendit jaloux Vérard, le plus fameux éditeur du temps. En 1492, il mit en vente une Danse macabre qui ressemblait étrangement à celle de son confrère. Le public fit bon accueil au livre de Vérard, et bientôt les imprimeurs de province, ceux de Lyon, de Troyes, voulurent avoir leur Danse macabre. A la fameuse foire de Troyes il s’en vendait des milliers d’exemplaires. L’engouement fut tel que la danse macabre entra dans l’illustration des livres d’Heures et devint un des motifs que le chrétien eut à toute heure sous les yeux.

Guyot Marchant, cependant, jugeait qu’il n’avait pas épuisé le succès. Il imagina quelque chose d’audacieux. Le 7 juillet 1486, on vit à l’étalage de sa boutique, qui était derrière le collège de Navarre, une Danse macabre des femmes. Pour que rien ne manquât à l’intérêt du volume, il y avait ajouté la Légende des trois morts et des trois vifs, le Débat du corps et de l’âme et la Complainte de l’âme damnée. C’était une belle couronne de fleurs funèbres.

La Danse macabre des femmes ne saurait d’ailleurs se comparer à l’autre. Comme on sent bien qu’elle est l’œuvre d’un homme et non pas d’un siècle ! La vieille danse macabre, œuvre collective, nous est arrivée chargée de pensées et d’émotions. La Danse macabre des femmes, œuvre de Martial d’Auvergne, ne nous donne que ce que pouvait contenir la tête d’un poète sans génie. Les vers n’ont plus d’âpreté. La mort a perdu son aiguillon : elle ne sait plus railler, insulter. Quant aux victimes, elles se résignent et louent la Providence qui ne fait rien en vain. L’œuvre serait donc assez plate, si elle n’était relevée çà et là par quelques traits. La femme de l’écuyer regrette de mourir parce qu’elle n’a pas eu le temps de se faire faire la robe dont elle avait acheté l’étoffe à la foire du Lendit. La petite fille recommande sa poupée à sa mère. La garde de l’accouchée, elle aussi s’en va à regret, car elle avait de bons momens. Assise près des courtines,


Où était maint bouquets pendus


elle mangeait les tartes et la pâte de coing destinées à la jeune mère.

Quant aux gravures sur bois, elles sont d’un dessin rude et vigoureux. Elles ne valent pourtant pas celles que nous connaissons. L’artiste n’était pas soutenu par le puissant original qu’on sent derrière la Danse macabre des hommes. Il a peu varié ses figures de femmes, et, d’autre part, il a rarement su prêter à la mort un geste nouveau, tragique ou bouffon. Il n’a inventé qu’une chose, terrible, il est vrai ; au crâne de la mort il a imaginé d’attacher quelques longs cheveux féminins. Ainsi il a donné un sexe à cette mort qui emporte les femmes. C’est bien toujours, suivant l’ancienne conception, le double de la morte ; et l’horreur qu’inspire ce cadavre momifié s’en trouve encore accrue. Voilà donc ce que devient le corps féminin,


Qui tant est tendre
Poly, souef et précieux.


Les œuvres que nous venons de citer ne sont pas les seules que la danse macabre ait inspirées. Elle hante l’imagination des poètes qui écrivent sur ce sujet d’ingénieuses variations. Le plus curieux de ces poèmes est intitulé le Mors de la pomme et parut vers 1470. Chose curieuse, cette œuvre tardive semble nous faire remonter aux origines mêmes de la danse macabre. Tout le début a l’air d’un sermon : telles étaient sans doute les idées que développait, au XIVe siècle, le prédicateur franciscain, avant d’introduire les acteurs du drame. Le poète nous explique que la mort est née dans le paradis terrestre, au moment même où nos premiers parens commirent la faute. L’ange qui chassa Adam et Eve du paradis terrestre remit en même temps à la mort trois longues flèches et un bref où pendait le sceau de Dieu[26]. Dans ce bref, Dieu parle comme un souverain, et fait savoir à tous qu’il donne plein pouvoir à la Mort. C’est pourquoi la Mort, dont les parchemins sont en règle, commence tranquillement son œuvre. Elle est au côté de Caïn quand il tue son frère, et c’est elle qui frappe Abel. Puis elle s’en va à travers le monde, son bref d’une main, ses flèches de l’autre. L’ouvrage ne lui manque pas. Ici commence une espèce de danse macabre, beaucoup moins simple que l’autre et beaucoup moins bien réglée. Ce qui fait l’intérêt et la nouveauté de l’œuvre, c’est que les personnages ne sont pas isolés ; ils ne se présentent pas sous l’aspect d’abstractions sociales. La mort les frappe en pleine action, dans la rue, au milieu de la foule, à la table de famille. L’artiste qui a illustré l’œuvre a contribué pour une large part à créer cette danse macabre d’un nouveau genre, et il est souvent plus précis que le poète. Voici la Mort frappant le pape au milieu de ses cardinaux, et l’empereur au milieu de sa cour. Elle perce l’homme d’armes en pleine bataille, et la jeune fille dans sa chambre devant son miroir. Elle arrache l’enfant à sa mère, l’amante à l’amant.

La danse macabre se présente donc ici sous un aspect tout nouveau. Elle devient un prétexte à une série de tableaux de genre où la fantaisie de l’artiste peut se donner libre carrière.

Les manuscrits illustrés du Mors de la pomme ont certainement inspiré l’artiste qui composa, pour l’éditeur Simon Vostre, les jolies bordures des Heures de 1512. C’est la même conception de la danse macabre, et ce sont souvent les mêmes épisodes. La Mort, avec sa flèche, apparaît au moment où Adam et Eve sont chassés de l’Eden. Elle assiste au meurtre de Caïn. Plus loin, elle attaque l’homme d’armes au milieu de la bataille, la jeune fille dans sa chambre. Elle prend l’enfant au berceau malgré les cris de ses petits frères. Le thème une fois donné, les variations pouvaient être infinies. Aussi le dessinateur de Simon Vostre ne s’est-il pas cru obligé de copier servilement son modèle. Il a inventé plus d’un épisode. La Mort fait tomber le maçon de son échafaudage. Elle s’embusque dans les bois avec le brigand et l’aide à assassiner sa victime. Mais elle est aussi à Montfaucon, près du gibet, quand le bourreau fait monter l’assassin à l’échelle.

Est-ce le manuscrit illustré du Mors de la pomme qui tomba sous les yeux d’Holbein, ou est-ce le livre d’Heures de Simon Vostre ? Il est difficile de le dire, — mais ce qui me paraît certain c’est qu’Holbein a connu un de nos originaux français. Sa grande danse macabre[27]offre en effet des ressemblances frappantes avec les deux livres que nous venons d’étudier. Elle commence par la création que suit bientôt la faute. C’est au moment où Adam et Eve sont chassés du paradis terrestre que la Mort apparaît : ironique, elle régale les exilés d’un air de vielle. Puis les épisodes se déroulent en tableaux de genre admirables. Ces merveilles ne sont pas de notre sujet. Mais il importe de faire remarquer que plus d’une scène, imaginée par l’auteur du poème ou par le dessinateur de Simon Vostre, a été reprise par le grand artiste. Lui aussi nous montre la Mort venant saisir le pape au milieu de ses cardinaux et l’empereur au milieu de sa cour. Lui aussi met aux prises l’homme d’armes et la Mort. Chez lui aussi la Mort accompagne l’impératrice à la promenade, marche aux côtés du laboureur, arrache l’enfant à sa mère et à ses petits frères. Chez lui enfin, comme dans les Heures de Simon Vostre, la Mort est vaincue à la fin, puisque la dernière gravure représente le Jugement dernier, c’est-à-dire le triomphe de la vie éternelle.

Tant de ressemblances ne sauraient être l’effet du hasard. Holbein nous a donné, en somme, une magnifique illustration du Mors de la pomme. Sa conception de la danse macabre remonte jusque-là. Aux origines d’une des plus belles œuvres que la pensée de la Mort ait inspirées, se trouve donc notre poème français[28].


IV

La danse macabre illustre deux vérités : égalité des hommes devant la mort, soudaineté des coups que frappe la mort. Une telle œuvre isolée, dépouillée de son commentaire, ne conserve, à vrai dire, aucun caractère proprement chrétien. Les illettrés qui la contemplaient au cimetière des Innocens, sans pouvoir lire les vers édifians du préambule et de la conclusion, étaient libres de l’interpréter à leur guise. La plupart, il faut le croire, y trouvaient un encouragement à bien faire, mais quelques-uns, sans doute, y voyaient une invitation à jouir de cette courte vie. Au cimetière des Innocens, les filles de joie erraient sous les cloîtres et parmi les tombeaux.

Il est dangereux de faire appel à la mort et d’émouvoir si profondément la sensibilité. On dirait que l’Église le sentit. Dans le temps où se multipliaient les images un peu païennes de la danse macabre, parut un petit livre intitulé : Ars moriendi, l’Art de mourir. Un texte souvent frappant, mais surtout d’étonnantes gravures sur bois le rendirent bientôt populaire dans toute l’Europe. Il s’agit bien, cette fois, des terreurs et des espérances chrétiennes. La mort n’apparaît plus comme une ronde bouffonne, c’est un drame sérieux qui se joue autour du lit du mourant. A ses côtés se dressent l’ange et le démon qui se disputent l’âme qui va s’envoler. Moment redoutable. Il faut que le chrétien connaisse d’avance les tentations et les angoisses de ces heures de ténèbres, pour apprendre à en triompher.

L’Ars moriendi est l’œuvre d’un religieux ou d’un prêtre qui a souvent vu mourir. Il y a, dans ce petit livre, la sombre expérience d’un homme qui a recueilli bien des paroles à peine articulées. Ce prêtre était probablement un Français, car il s’inspire d’un opuscule de Gerson que les évêques de France, dans un de leurs synodes, avaient adopté pour l’éducation du clergé. Il a d’ailleurs emprunté à Gerson, non seulement son titre, mais encore une phrase qui ne laisse aucun doute sur la parenté des deux ouvrages. Notre Ars moriendi anonyme est donc postérieur à l’Ars moriendi de Gerson. On peut le placer, sans craindre de se tromper beaucoup, dans les premières années du XVe siècle.

Des gravures sur bois assurèrent le succès de l’ouvrage. Ces gravures ont un vif intérêt pour l’histoire de l’art, car elles sont au nombre des plus anciennes que l’on connaisse. A quel pays faut-il en faire honneur ? Les érudits ont tous nommé jusqu’ici les Pays-Bas. Depuis plus d’un siècle, c’est la tradition. Toute gravure primitive, dont la provenance est inconnue, ne peut être que flamande ou hollandaise. Faut-il ajouter que la tradition n’est soutenue par aucune preuve ? Tout ce qu’a écrit Dutuit des trois écoles qui, d’après lui, ont mis leur marque sur les premières éditions xylographiques de l’Ars moriendi, école flamande, école de Cologne, école d’Ulm, ne repose sur rien[29]. Il est plus simple d’avouer qu’on ignore encore la vérité. Toutefois, comme le texte laisse deviner une influence de la France, il sera peut-être sage de se demander si les gravures ne seraient pas françaises.

Le succès de l’Ars moriendi fut plus extraordinaire encore que celui des danses macabres. Après les éditions xylographiques[30], commencèrent à paraître les éditions typographiques. Chaque nation eut la sienne. L’Ars moriendi fut traduit dans les principales langues de l’Europe. Il passa tour à tour en français, en allemand, en anglais, en italien, en espagnol. Sans cesse les vieilles gravures reparaissent. A peine se permet-on de les retoucher un peu, de rajeunir quelques costumes. L’Italie elle-même, si dédaigneuse de la barbarie gothique, s’inspire des rudes gravures sur bois de l’Ars moriendi. Elle leur enlève, il est vrai, tout leur caractère. Le sombre drame ne s’accommode pas de la symétrie, de la clarté et des jolis sourires de l’art de la Renaissance. On dirait Shakspeare arrangé par Voltaire.

L’Ars moriendi est un des plus curieux monumens de l’art et de la pensée du XVe siècle. C’est dans l’édition publiée par Vérard (l’Art de bien vivre et de bien mourir) que se rencontre le commentaire le plus intéressant. Le texte latin, souvent obscur à force de brièveté, s’y trouve traduit, expliqué, développé par un véritable écrivain qui parle une langue grave, un français déjà classique.

Quant aux gravures, les plus belles sont celles des éditions xylographiques, et en particulier celles de l’édition que Dutuit appelle, du nom d’un collectionneur, l’édition Weigel. C’est d’après cette édition qu’ont été faits les dessins de Vérard. Mais le dessinateur parisien a, il faut l’avouer, un peu affaibli son modèle. L’original a quelque chose de rude, de heurté. Ce dessin farouche est en parfaite harmonie avec l’horreur du sujet. Dans l’édition de Vérard, les figures de démons sont conformes à un type reçu. L’artiste les dessina sans terreur. Dans l’édition xylographique, au contraire, ces monstres à tête de veau, à bec de coq, à grosses lèvres de chien sont nés de la peur. Le paysan qui avait rencontré le diable aux quatre chemins, le moine qui l’avait vu se glisser sous son lit, pouvaient le reconnaître, affirmer qu’il était bien tel.

Un livre qui a édifié toute l’Europe mérite d’être brièvement étudié. L’édition de Vérard s’ouvre par un beau préambule. L’auteur y exprime l’angoisse sans nom du mourant qui sent que tout l’abandonne. Ses sens eux-mêmes, par qui lui venait toute joie, « sont déjà clos et serrés par la très forte et horrible serrure de la mort. » Une sorte de vertige s’empare de l’âme. C’est l’heure trouble qu’attend le démon. Les chiens de l’enfer, qui rôdent autour du lit de mort, livrent au chrétien le plus furieux assaut qu’il ait jamais soutenu. Qu’il doute au moment suprême, qu’il désespère, qu’il blasphème, et l’âme est à l’ennemi. « O Vierge, protégez-le ! Une âme, a dit saint E. Bernard est plus précieuse que l’univers entier. Que le chrétien apprenne donc, pendant qu’il en est temps, à bien mourir et à sauver son âme. »

Le mourant est exposé à cinq tentations principales. Dieu, d’ailleurs, n’abandonnera pas le chrétien, et cinq fois il enverra son ange le réconforter.

La première tentation s’adresse à la foi. La vieille gravure nous montre le mourant dans son lit. Ses bras nus sont maigres comme ceux du sinistre compagnon qui conduit la danse macabre. Jésus-Christ et la Vierge sont à ses côtés, mais il ne les voit pas. Un démon lève une couverture derrière sa tête et lui cache le ciel : tant il faut peu de chose à l’homme pour oublier Dieu. Ses yeux, cependant, errent sur une vision que le démon lui envoie. Il croit apercevoir les païens à genoux devant leurs idoles, et une voix ironique lui souffle à l’oreille : « Ces gens-là voyaient au moins les dieux qu’ils adoraient, mais toi, tu crois ce que tu n’as pas vu, et ce que personne ne verra jamais. As-tu entendu dire qu’un mort soit revenu de là-bas pour porter témoignage et rassurer ta foi[31] ? »

Le pauvre moribond ne trouve rien à répondre. Mais voici qu’à la page suivante un ange de Dieu s’est abattu près de son lit. « N’écoute pas la parole de Satan, lui dit-il ; il ment depuis le commencement du monde. Sans doute tout n’est pas clair dans ta foi, mais Dieu l’a voulu ainsi, pour que tu aies le mérite de croire. C’est la part de la liberté. Sois donc ferme dans ta croyance. Songe à la foi profonde des patriarches, des apôtres et des martyrs. » Et l’on voit paraître au chevet du mourant les saints de l’Ancienne et de la Nouvelle Loi. Derrière les premiers rangs on aperçoit d’autres auréoles, et l’artiste, en quatre traits, donne l’impression d’une profonde armée.

La croyance du mourant demeurant inébranlable, le démon change de tactique. Il ne nie plus Dieu, mais il le représente comme inexorable. Après avoir attaqué la foi, il tente maintenant la vertu d’espérance. Des monstres hideux recommencent à rôder autour du malade. L’un d’eux lui présente un grand parchemin : c’est la liste « de tous les maux que la pauvre créature a commis au monde. » Et voici que, par une incantation maléfique, ses crimes prennent un corps et lui apparaissent. Il revoit la femme avec laquelle il pécha, et l’homme qu’il a trompé. Il revoit le pauvre tout nu dont il s’est détourné, le mendiant qui eut faim à sa porte. Enfin il contemple avec horreur le cadavre de l’homme qu’il a tué et dont la plaie saigne encore. « Tu as forniqué, » hurle le chœur des démons, « tu as été impitoyable au pauvre, » « tu as assassiné. » Et Satan ajoute : « Tu étais fils de Dieu, mais te voilà devenu fils du diable ; tu m’appartiens. »

Mais l’ange de nouveau descend du ciel. Quatre saints l’accompagnent. C’est saint Pierre qui renia trois fois son maître ; c’est Marie-Madeleine, la pécheresse, c’est saint Paul, le persécuteur, que Dieu foudroya pour le convertir ; c’est le bon larron qui ne se repentit que sur la croix. Voilà les grands témoins de la miséricorde divine. L’ange les montre au mourant et lui dit ces paroles où respire une mansuétude céleste : « Ne désespère pas. Quand même tu aurais commis autant de crimes qu’il y a de gouttes d’eau dans la mer, c’est assez d’un seul mouvement de contrition du cœur. Il suffit que le pécheur gémisse pour qu’il soit sauvé, car la miséricorde de Dieu est plus grande que les plus grands crimes. Il n’y a qu’une faute grave, c’est de désespérer. Judas fut plus coupable en désespérant que les Juifs en crucifiant Jésus-Christ. » En entendant ces paroles, les démons s’évanouissent en criant : « Nous sommes vaincus ! »

Si Dieu pardonne tout à la vraie contrition, il faut que Satan détourne l’homme de la pensée de son salut, l’empêche de se repentir. C’est pourquoi il fait passer devant les yeux du pauvre moribond des images qui le remuent jusqu’au fond de l’âme. Il lui montre sa femme, son petit enfant. Sans lui, que vont-ils devenir ? Et que va devenir sa maison ? Un démon à tête de coq étend le bras, et la maison apparaît. La porte de la cave est ouverte, et déjà un mauvais serviteur commence à mettre le tonneau en perce. Un voleur entre dans la cour, et, sans façon, va prendre le cheval à l’écurie. Que faire ? Comment sauver ces richesses, « qui furent plus aimées que Dieu lui-même ? »

L’ange revient au secours du chrétien. A son tour, il fait apparaître des images au chevet du chrétien, mais des images qui consolent. Il lui montre Jésus-Christ nu sur la croix. Nous aussi nous devons, à son exemple, mourir dépouillés de tout. Sachons, comme notre maître, renoncer aux choses de la terre. Soyons sans inquiétude sur le sort de ceux que nous aimons ; Dieu y pourvoira. Et, en effet, un ange abrite sous un voile la femme et le fils qu’aime le pauvre mourant.

Mais il faut abréger. La lutte, enfin, se termine. Haletant, suant d’angoisse, le mourant a livré la dernière bataille et il a vaincu. Le lecteur halète lui aussi. Qu’il est laborieux cet enfantement d’une âme à la vie éternelle ! La dernière page du livre apporte un sentiment de délivrance. Le chrétien vient de mourir. Le prêtre qui a reçu ses dernières paroles lui met dans la main un cierge de cire. L’âme est sauvée. La meute infernale rugit, les griffes menacent, les mâchoires s’ouvrent, les poils se hérissent. Vain effort. L’âme emportée par les anges monte paisiblement vers les hauteurs.

On s’explique maintenant le succès de l’Ars moriendi. Ce texte pathétique, ces gravures redoutables remuaient profondément des âmes toujours occupées de la pensée de la mort. En d’autres temps, l’œuvre serait entrée dans l’art monumental ; on en eût sculpté les chapitres au portail des cathédrales. Au XVe siècle, l’imprimerie s’en empara. Multipliée à des milliers d’exemplaires, elle toucha autant d’âmes qu’elle eût fait, sculptée au front de l’église.

Au fond l’Ars moriendi apparaît comme un épisode de cette grande psychomachie, de cette lutte éternelle du bien et du mal, que le moyen âge a représentée sous tant de formes. Ici, c’est au moment où l’âme s’envole du corps, que les deux principes engagent la bataille suprême. Dès le XIIIe siècle, les artistes représentent cette bataille. A l’instant où l’âme, sous la figure d’un petit enfant, abandonne le cadavre, l’ange et le démon s’élancent pour s’en emparer. Ils se livrent un furieux combat, et la lutte dure jusqu’à ce que l’un des deux reste vainqueur.

Assez rare au XIIIe siècle, et même encore au XIVe, la lutte pour la possession de l’âme devient extrêmement fréquente au XVe siècle. Les livres d’Heures enluminés nous en offrent de nombreux exemples. Le miniaturiste représente généralement l’enceinte du cimetière avec sa chapelle, ses cloîtres, ses charniers chargés à se rompre comme de riches greniers. La fosse est creusée et deux fossoyeurs y déposent le cadavre cousu de la tête aux pieds dans un linceul. Dans le ciel, cependant, la lutte suprême est engagée, l’ange et le démon sont aux prises, et l’âme tremblante attend que la victoire ait décidé de son sort. L’ange est rarement caractérisé : l’artiste, pourtant, lui donne parfois l’armure et l’épée de saint Michel. Saint Michel est l’antique rival de Satan, et la bataille qu’il a engagée avec lui au commencement du monde, il la continue tous les jours. Saint Michel est donc l’ange de la mort, le défenseur qu’on invoque dans l’attente du grand combat. Dans les testamens, saint Michel est parfois nommé après la Sainte Trinité.

C’est sous cette forme abrégée que les artistes représentèrent la lutte des deux principes se disputant l’âme chrétienne. La faveur que rencontra cette scène au XVe siècle s’explique sans doute par le succès de l’Ars moriendi. La lutte pour la possession de l’âme exhalée par le mourant en est la dernière page et le suprême épisode.

Ainsi, à la fin du moyen âge, l’image de la mort est partout. Ce n’est pas seulement au cimetière qu’on la rencontre, on l’a sous les yeux dans l’église. En tournant les pages de son livre d’Heures, on l’aperçoit encore. Rentré chez soi, on la retrouve. Un crâne est sculpté au manteau de la cheminée, une page de l’Ars moriendi est clouée au mur. Et la nuit, quand on dort et qu’on oublie, on est réveillé en sursaut par le veilleur qui psalmodie dans les ténèbres :

Réveillez-vous, gens qui dormez,
Priez Dieu pour les trépassés.


ÉMILE MALE.


  1. Il avait fait des legs considérables à la ville de Laon, qui le considérait comme un de ses bienfaiteurs.
  2. Au Musée Calvet à Avignon.
  3. Bibl. nat., manuscrit latin 9471.
  4. Bibl. nat., manuscrit français 1023, f° 74.
  5. Sum quod eris, modicum citieris.
  6. Olim formoso fueram qui corpore, putri
    Nunc sum. Tu similis corpore, lector, eris.
  7. Hoc est speculum hominis, dit l’inscription qui accompagne une tête de mort sculptée sur une maison de Caen.
  8. Au musée de Dôle.
  9. Au musée de Rouen.
  10. Vincent de Beauvais, Speculum historiale, XXIX, p. 108.
  11. Arsenal, no 3142, fo 311 vo.
  12. Je dois dire cependant qu’un document récemment publié signale un tableau du commencement du XIVe siècle qui représentait la légende des trois morts et des trois vifs (Bulletin de la Société des antiquaires de France, 1903, p. 135).
  13. Bibl. nation., latin 18014. f 282.
  14. Les morts, au lieu d’être debout, sont couchés dans leur cercueil.
  15. Fontenay, Bénouville (Calvados ; Jouhé, Antigny (Vienne) ; Verneuil (Nièvre) ; Ennezat (Puy-de-Dôme) ; Rocamadour (Lot) ; Saint-Riquier (Somme) ; Saint-Clément (Meurthe-et-Moselle), etc.
  16. Il faut s’aider des anciens dessins de Langlois. Ils se trouvent dans son Essai historique sur la danse des morts. Rouen, 2 vol., 1851.
  17. On a donné du mot macabre une foule d’étymologies inacceptables. On est allé jusqu’à le faire dériver de l’arabe magabir, qui voudrait dire tombeau. Une seule explication parait raisonnable. Le mot macabre ou plutôt macabre (comme on a écrit jusqu’au XVIIe siècle) est la forme populaire du nom des Macchabées. La danse macabre s’appelait en latin Macchabæorum chorea. La danse macabre est donc liée par des fils mystérieux au souvenir des Macchabées. Aucun document n’a encore permis d’expliquer clairement cela. Je ferai remarquer pourtant que l’Église du moyen âge priait pour les défunts en s’autorisant d’un passage du livre des Macchabées (XII, 13) qu’on récitait aux messes des morts : Sancta ergo et salubris est cogitatio pro defunctis exorare ut a peccatis solvantur. — L’expression « danse macabre » remonte au XIVe siècle. Au XVe siècle on n’en savait déjà plus le sens. Le moine anglais Lydgate croit que Macabre est un docteur, et nos imprimeurs français s’imaginent que c’est un poète allemand ; c’est pourquoi, dans l’édition latine de la danse macabre, il est dit que les vers ont été traduits de l’allemand. Gaston Paris, d’habitude si pénétrant, a commis ici une erreur analogue (Romania, XXIV, p. 130). Il a avancé que ce nom de Macabre pourrait fort bien être celui de l’artiste qui peignit la première danse macabre. Il y a là une véritable impossibilité. Jamais au moyen âge une œuvre d’art, si célèbre fût-elle, n’a été désignée par le nom de son auteur.
  18. Mazarine, n° 980, f° 83 v°.
  19. Bibliothèque de Rouen, manuscrit 2215, Y. 39, f° 69.
  20. Latin 14 901 et français 25 550.
  21. Cette première édition, moins complète que les suivantes, nous est connue par un exemplaire unique de la Bibliothèque de Grenoble.
  22. Peignot, Recherches historiques sur les danses des morts. Paris et Dijon, 1826.
  23. C’est ce qu’a très ingénieusement établi M. Seelmann dans son petit livre : Die Totentänze des Mittelallers. Leipzig, 1893. Le poème allemand et le poème espagnol ont même conservé un aspect plus archaïque que le poème du cimetière des Innocens.
  24. A. Jubinal, La Danse des morts de la Chaise-Dieu. Paris, 1841, in-4o.
  25. Je sais bien que l’original lui-même semble nous montrer une femme avant le sergent d’armes, mais je ne suis pas absolument certain, — tant l’œuvre a souffert sur certains points, — que cette prétendue femme ne soit pas le chartreux qu’on attendrait à cette place. Si c’est réellement une femme, il y a là une fantaisie de l’artiste.
  26. Bibl. nat., français 17 001. Des miniatures, non pas belles, mais fort curieuses, illustrent le texte.
  27. Elle parut à Lyon en 1538 : elle est intitulée : les Simulacres de la Mort.
  28. Holbein subissait d’autre part l’influence de nos danses macabres qu’il connaissait par les danses macabres de Bâle.
  29. Dutuit, Manuel de l’amateur d’Estampes, t. I, p. 33 et suivantes.
  30. On sait que ce qui caractérise lus édifions xylographiques, c’est que le texte (aussi bien que les gravures) a été gravé sur une planche de bois.
  31. Nous résumons le plus brièvement possible le commentaire de l’édition de Vérard.