L’Assassin (About)/11

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P. Ollendorff (p. 47-50).


Scène XI


Les Mêmes, JEAN.
LE BRIGADIER.

Oui, monsieur le procureur du roi.

MADAME PÉRARD, stupéfaite.

Jean !

LECOINCHEUX.

Jean n’était pas seul !

Le brigadier sort par la porte, premier plan, gauche.
JEAN.

Oh ! ne vous donnez pas la peine ! Il est loin s’il nage toujours.

LECOINCHEUX, descend à l’avant-scène, gauche.

Qui ?

JEAN.

Dame ! l’autre, le Monsieur à Madame.

MADAME PÉRARD, scandalisée.

Jean !

JEAN.

En v’là un drôle de pistolet ! et qui tient à la vie comme à une pièce de six liards… Quand il a entendu tout le ramage que vous faisiez ici, il s’est mis à faire les grands bras jusqu’au plafond. « Non ! qu’il disait, non ! faut pas qu’elle soit compromise ! je sauterai plutôt à la rivière ! » Moi qui connais la Sorgue, j’y ai dit que l’eau était maligne comme tout, avec un courant de chien et des tourbillons d’enfer ; sans compter vingt pieds de muraille à descendre et pas d’échelle ! Ah ! ben ouiche ! « L’honneur de madame Pérard, qu’il dit, ça vaut bien la vie d’un homme. » Oh ! il n’a fait ni une ni deux. Mais ces Parisiens, ça nage comme des poissons.

LE BRIGADIER, qui sort du boudoir, descend à l’avant-scène, gauche.

Aucune trace d’évasion.

JEAN.

Je le crois ben ! Il a sauté tout de go, en plein milieu de la rivière. Quand je reverrai ce monsieur-là, j’y ferai mes excuses, rapport aux idées que j’avais sur lui.

LECOINCHEUX.

Quelles idées ?

Il remonte vers le fond.
JEAN.

Rien, rapport à mademoiselle Angélique ! (Il se dirige vers la gauche.) Mais maintenant je sais que c’est à madame qu’il en avait ! Et la preuve ! (Tirant un carnet de sa poche.) Voilà pour vous, madame : la commission est payée…

LECOINCHEUX, interceptant le carnet en redescendant à l’avant-scène, milieu.

C’est lui qui vous a chargé ?

JEAN.

Oui, monsieur le procureur du roi. « Si je meurs, qui dit, dit-il, tu donneras ça à madame en lui disant : Ça vient d’un gars qui avait un sentiment pour vous. »

MADAME PÉRARD, émue, étendant la main pour prendre le carnet.

Pauvre jeune homme !

LECOINCHEUX.

Pardon, madame. C’est une pièce de conviction. La justice ne doit pas s’en dessaisir.

MADAME PÉRARD.

Eh ! monsieur, ne voyez-vous pas que votre prétendu malfaiteur est le plus loyal, le plus délicat, le plus héroïque de tous les hommes ?

LECOINCHEUX.

C’est un voleur et un assassin, vous dis-je.

JEAN.

Lui ! voleur ! Il m’a donné vingt francs !

LECOINCHEUX.

Remettez-les moi.

JEAN.

Ah ! ben, merci ! J’aime mieux les voleurs que la justice, moi !

LECOINCHEUX.

Est-ce qu’un honnête garçon comme vous garderait les présents de Corbillon ?

JEAN.

Corbillon ! c’est Corbillon ! Ah ! canaille ! Ah ! scélérat ! Et il m’a donné vingt francs, pour qu’on me les reprenne ! (il fait semblant de les donner à Lecoincheux et les remet dans sa poche.) Mais je sais où il est ! j’ai vu le chemin qu’il a pris ! je vas vous le rendre, mon bon magistrat ! Et ça osait faire l’œil à madame !

LECOINCHEUX, aux deux gendarmes. — Il est remonté au premier plan, milieu.

Montez à cheval ; que l’un de vous prenne ce garçon en croupe ! (Jean se recule et se cogne au brigadier, qui le repousse et le renvoie à Lecoincheux, qui le pousse vers les gendarmes qui sont de chaque côté de la porte de droite, lesquels le prennent par les épaules et sortent avec lui.) Brigadier, vous resterez ici.