L’Assurance contre l’invalidité et la vieillesse

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L’assurance contre l’invalidité et la vieillesse
Charles Le Cour Grandmaison

Revue des Deux Mondes tome 12, 1902


L'ASSURANCE
CONTRE
L'INVALIDITÉ ET LA VIEILLESSE

La question de l’assurance contre l’invalidité et la vieillesse est nouvelle entre toutes les questions sociales ; et, si les conditions dans lesquelles elle se pose ne sont sans doute pas spéciales à notre pays, elles sont certainement spéciales à notre temps. Une telle question ne pouvait être soulevée dans l’antiquité, où toute l’organisation du travail était fondée sur l’esclavage ; l’esclave, propriété du maître, restait à sa charge exclusive, qu’il travaillât ou ne travaillât pas ; la loi écrite n’imposait à cet égard aucune obligation de droit, mais la coutume et les mœurs assuraient à l’esclave infirme ou brisé par l’âge une place dans la familia. Pour les hommes libres, il n’existait aucune institution sociale, mais, à toutes les époques, en Grèce et à Rome, on prit des mesures exceptionnelles en faveur des vétérans ; les autres vivaient de ces petits profits énumérés dans les comédies grecques et latines, et attendaient la sportule des riches patrons ou les largesses des Césars.

Avec la civilisation chrétienne et la suppression de l’esclavage, apparaissait la préoccupation de pourvoir aux besoins de la vieillesse. Les liens de famille étaient plus resserrés, l’organisation nouvelle du travail libre assurait la continuité de la profession, exercée dans la corporation et au même domicile. Au foyer stable, garanti par l’hérédité et le long bail, le vieillard trouvait toujours une place d’honneur, et l’artisan, devenu maître, voyait sa vieillesse respectée. Un esprit de fraternité inconnu du monde païen s’exerçait à la faveur d’institutions légales, et chaque citoyen se trouvait compris obligatoirement dans une mutualité corporative, dont le patrimoine, fondé par la piété des ancêtres et grossi par la générosité des confrères, permettait d’assister les infirmes et les vieillards. Pour les isolés, la charité avait multiplié les fondations pieuses, — asiles, hôpitaux, secours à domicile, — et Lamennais a pu dire en parlant de cette période : « Les croyances établies agissant à la fois sur les gouvernemens et les individus, la société se trouva régie par une puissance infinie d’amour. »

Aussi, en dépit des misères et des souffrances causées par les fléaux et les guerres incessantes, la question n’avait-elle pas le caractère d’urgence et de généralité qu’elle présente aujourd’hui, et pendant longtemps on put se borner à donner quelques pensions aux militaires et aux fonctionnaires que leurs fonctions avaient arrachés du sol. La situation n’est plus la même de notre temps : la Réforme d’abord, puis la Révolution, ont détruit l’organisation corporative, dispersé le patrimoine des travailleurs et des pauvres, et porté une atteinte profonde à la constitution de la famille. La société moderne, établie d’après une conception individualiste, laisse à chacun le soin d’épargner à sa guise et se borne à charger l’État, d’une manière générale, de pourvoir à toutes les misères. Chacun pour soi et l’État pour tous ! En vertu de ce principe, l’État donne des pensions à ses employés et laisse à l’Assistance publique la mission de faire le reste. On sait comment elle s’y prend et à quels résultats aboutit la charité officielle. Si on supprimait les innombrables asiles fondés et défrayés par les particuliers, on pourrait constater l’absence à peu près complète de refuges pour la vieillesse des travailleurs.

M. Guieysse a eu raison de le dire, dans un rapport à la Chambre des députés, la nécessité d’une solution s’impose. Le Code civil avec le partage égal, les baux à court terme, ont rendu instable le foyer des ouvriers de l’usine et de la terre ; le cultivateur lui-même se voit trop souvent arraché dans sa vieillesse à la ferme qu’il a cultivée toute sa vie. D’autre part, les progrès de la grande industrie, la facilité des communications, le service militaire et l’accroissement du nombre des fonctionnaires ont achevé de « déraciner » la majorité des travailleurs et créé ou multiplié le prolétariat. Dans les grandes villes, beaucoup d’ouvriers n’ont pas de famille, très peu ont un foyer : ils vivent d’une vie nomade, au hasard de l’embauchage. Les salaires incertains, le besoin de jouissances, les tentations de tout genre leur rendent à peu près impossible l’épargne individuelle ; la vieillesse et les infirmités viennent à l’improviste souffler sur cette poussière humaine. Pour le plus grand nombre, l’avenir apparaît sous la forme d’un lit d’hôpital, et trop souvent les familles, même relativement aisées, n’ont plus un endroit pour recueillir et soigner leurs parens âgés ou malades.

Pour n’envisager que la France, nous trouvons dans une statistique publiée par M. Cheysson des chiffres tristement éloquens. Sur 10 millions d’ouvriers, 588 000 personnes sont annuellement réduites à l’inaction ou meurent, laissant après elles 355 000 autres personnes, femmes, enfans ou ascendans que leur travail faisait vivre. Chaque année il tombe à la charge de la charité publique ou privée près d’un million de personnes à qui on ne saurait imputer aucune faute personnelle et qui se trouvent privées de leur gagne-pain. Il faut encore noter que, dans ces calculs, on ne fait pas entrer les ouvriers victimes de chômage accidentel, faute de travail. Comment ne pas conclure avec M. Cheysson : « En face des chiffres qui précèdent, on est vraiment épouvanté du total des souffrances qu’ils révèlent. C’est l’honneur de notre siècle de n’avoir pas voulu se courber devant ces crises comme devant une sorte de fatalité inéluctable et d’avoir cherché à les adoucir par la charité ou à les enchaîner par la prévoyance et le calcul. Non, le mal n’est pas fatal ; nous avons les moyens de lutter contre ces crises, d’amoindrir, d’atténuer leurs conséquences. Il existe d’abord une catégorie d’accidens qu’on peut conjurer… Quant aux autres, c’est à l’assurance qu’il faut recourir pour amortir le choc ? »

En termes exacts, la question se pose ainsi : — Peut-on faire quelque chose pour soulager ces misères ? Doit-on tenter de résoudre législativement et par voie d’autorité ce redoutable problème ? Est-ce affaire privée ? Est-ce question d’Etat ?

Nous ne rentrerons pas ici dans les controverses ; nous nous bornerons à rappeler qu’il se présente : 1° une solution libérale, tendant à trouver dans le développement de l’idée mutualiste le moyen d’assurer facultativement la vieillesse des travailleurs ; 2° une solution autoritaire, qui a été adoptée en Allemagne et en Autriche et donne des résultats incontestables ; 3° et enfin, une solution socialiste, que ses promoteurs offrent aux masses avec les plus séduisantes promesses.

Préciser l’état de la question ; exposer les diverses propositions en les étudiant d’après les données scientifiques ; et montrer, à titre d’expérience, les résultats pratiques de la seule organisation qui fonctionne actuellement, l’assurance contre l’invalidité et la vieillesse en Allemagne, — tel est l’objet de ce travail[1].


I

La France peut s’enorgueillir d’avoir été la première à se préoccuper de cette question ; et ce serait à peine forcer les termes, de dire que Henri IV et Louis XIV ont été, en cette matière d’assurance sociale, de véritables précurseurs. La Caisse de Prévoyance des mineurs et la Caisse des Invalides de la Marine peuvent être considérées comme des types presque parfaits d’assurance corporative ; les étrangers s’en sont souvent inspirés ; et nous ne croyons pas qu’on ait trouvé mieux que la Caisse des Invalides. Saint Vincent de Paul, de son côté, avait cherché à organiser l’assurance paroissiale. Ces institutions étaient fondées sur les principes de la mutualité obligatoire, de l’association de l’épargne, et de la tontine.

Avec la Révolution, on vit apparaître une idée nouvelle ; les pensions, au lieu d’être le produit de l’épargne capitalisée, deviennent, par la loi de 1792, des récompenses nationales ; mauvais point de départ, qui conduit à des conséquences désastreuses pour les finances de l’Etat, et se prête à toutes les injustices et à tous les abus du favoritisme. Quand on organisa les premières caisses de retraites dans les administrations, on revint à l’idée de tontine, mais la loi de 1853 retomba dans la solution autoritaire, on pourrait dire socialiste. Ce défaut de suite dans la conception de l’assurance a beaucoup retardé en France la solution de la question.

Au début du Second Empire, le gouvernement voulut créer des caisses communales et organiser des groupes d’assurance[2]. La pensée était excellente, « car l’État peut, sans sortir de son rôle, provoquer et constituer légalement des groupemens ayant des charges et des droits communs. La liberté n’est pas violée, du moment que ces groupemens sont indépendans au point de vue de leur administration, qu’ils ont une autonomie réelle, des responsabilités et, dans une large mesure, la gestion de leur patrimoine. Mais l’indifférence du public et l’hostilité d’une partie des fonctionnaires empêchèrent toute action utile, et cette tentative avortée aboutit à la création de la Caisse des retraites pour la vieillesse, caisse d’État, l’ondée en 1850, et qui végète depuis cette époque sans avoir jamais pris un développement réel. M. Jay, dans une étude publiée en 1895 sur l’assurance ouvrière, a donné à cet égard des chiffres décisifs. En quarante années, c’est à peine si la Caisse a vu venir à elle 800 000 déposans, et le chiffre actuel des déposans est à peine de 400 000 sur 9 600 000 ouvriers et domestiques. Il a constaté qu’il n’était pas possible « d’attendre d’une caisse uniquement alimentée par les versemens facultatifs des patrons et des ouvriers une solution suffisamment générale et prochaine du problème de l’assurance ouvrière contre la vieillesse[3]. »

Quoique l’initiative des patrons ait fait beaucoup en France, ce qui est fait n’est presque rien auprès de ce qui reste à faire. La loi de 1898 sur les sociétés de secours mutuels a donné lieu à de grandes espérances, mais on sait combien il est difficile aux sociétés de secours mutuels, avec leur effectif toujours assez mobile et précaire, d’organiser dans des conditions sérieuses des caisses de retraites. Il s’est déjà produit de ce côté de nombreux mécomptes, et il ne faut pas se faire d’illusions.


II

Tous les hommes politiques ont compris la nécessité d’une organisation spéciale, et c’est pourquoi les projets et les propositions n’ont cessé d’affluer.

La question des retraites fut posée pour la première fois en 1879 au Parlement par MM. Martin-Nadaud, Charles Floquet, etc., sous la forme d’un projet de résolution invitant la Chambre à« nommer une commission chargée de préparer un projet de loi relatif à la création d’une caisse de retraites en faveur des vieux ouvriers de l’industrie et de l’agriculture ; » mais aucune suite ne fut donnée à cette proposition.

En 1881, la question fut définitivement mise à l’ordre du jour. M. Martin-Nadaud et, un peu plus tard, MM. Laroche-Joubert, Waldeck-Rousseau, Fourane, Ganne et Fabien présentèrent des propositions de loi dans ce sens. Ces propositions diffèrent dans le fond et dans la forme ; celle de M. Waldeck-Rousseau, notamment, se place à un point de vue plus général et se préoccupe même des secours à fournir aux travailleurs et à leurs ayans droit, en cas de décès et d’incapacité de travail ; mais toutes appartiennent à la même famille et présentent un caractère commun. Elles exigent le concours de l’État et se mettent sous son patronage, mais l’assurance reste facultative.

Le 25 mai 1880, M. le comte de Mun, Mgr Freppel, M. Le Cour Grandmaison et d’autres députés de la droite déposaient une proposition sur la protection des ouvriers contre les conséquences de la maladie et de la vieillesse partant de principes très différens. Les auteurs, mettant à profit la loi récemment votée de 1884 sur les syndicats professionnels, demandaient la création de caisses corporatives régionales qui assureraient obligatoirement tous les travailleurs, moyennant une retenue prélevée sur les salaires et une contribution égale des patrons. C’est la première fois qu’apparaissait dans notre législation l’assurance obligatoire.

Enfin, à une date très postérieure, en 1897, les socialistes déposaient une proposition connue dans le monde du travail sous le nom de Projet Escuyer et conçue dans un tout autre sens. Cette proposition a été reprise en 1898 par M. Zevaès.

Tous les projets ou propositions de loi dont nous aurons à parler se rattachent à ces trois types et procèdent de deux systèmes très différens. Les uns cherchent à réaliser l’assurance par l’État au moyen d’une caisse centrale. Les autres n’admettent que l’assurance mutuelle ou professionnelle et ne font intervenir l’État que pour l’organisation des groupes. Nous retrouvons là, les deux tendances que nous signalions au début : l’idée traditionnelle, qui revient toujours, sous une forme ou sous une autre, à la corporation ; et l’idée révolutionnaire ou jacobine qui fait tout dépendre de l’État. Cette distinction existe dans tous les projets, qui, à un autre point de vue, se subdivisent en trois catégories :

Les uns n’admettent que l’assurance facultative ; les autres reposent sur l’assurance obligatoire ; et d’autres enfin s’arrêtent à une solution mixte, sorte de présomption légale qui suppose qu’à moins de volonté contraire formellement exprimée, tous les travailleurs ont l’intention de s’assurer.

À la suite des nombreuses études et des discussions auxquelles ces projets ont donné lieu, on a constaté l’impossibilité de faire une loi générale avec le principe de l’assurance facultative : cette solution a été abandonnée par les commissions, et il n’y a plus en présence à l’heure actuelle que la solution socialiste et la solution corporative. Nous ne nous attarderons donc pas à analyser dans les détails les nombreuses propositions appartenant au type facultatif.

Les propositions déposées antérieurement ont été mentionnées plus haut. Au cours de la législature de 1889-1893, il se produisit onze propositions nouvelles, dont un projet de loi déposé au nom du gouvernement par MM. Constans et Rouvier. Presque toutes, à l’exception de la proposition de M. de Ramel, sur laquelle nous reviendrons, appartiennent au type facultatif, et nous nous bornerons à noter en passant la proposition de MM. Achille Adam et Piérard. La commission parlementaire nommée pour les examiner chargea M. Guieysse de faire un rapport concluant à l’adoption du projet Constans-Rouvier, modifié profondément par la commission. De nouvelles propositions tendant à l’assurance facultative furent présentées au cours de la législature de 1893-1898, et la Commission du Travail confia le nouveau rapport à M. Audiffred, rapport que son auteur, en 4898, a converti en proposition de loi, et qui tendait à organiser l’assurance facultative et reproduisait à peu près les dispositions du rapport Guieysse.

En 1890 (8 juillet), M. de Ramel déposa une proposition de loi tendant également à l’organisation d’une caisse de retraites des travailleurs et des invalides du travail et d’une caisse de capitalisation. La compétence juridique de son auteur et l’autorité des principaux signataires du projet, MM. Le Gavrian, Georges Graux, Neyrand, Desjardins-Verkinder, de Montsaulnin et Thellier de Poncheville, qui représentaient à des titres divers la grande industrie, lui donnaient une importance considérable. Tout en n’adoptant pas le principe de l’option, qui est la caractéristique de cette proposition, les différentes commissions lui ont emprunté beaucoup de dispositions heureuses, qui ont permis de compléter certaines parties insuffisamment indiquées par les auteurs des autres propositions. Comme base, M. de Ramel acceptait la Caisse des retraites pour la vieillesse, reconstituée et jouissant d’une réelle autonomie sous le contrôle d’un Conseil d’administration, composé de magistrats, de fonctionnaires, de chefs d’industrie, de présidens de sociétés de secours mutuels, et présidé par le Directeur de la Caisse des Dépôts et consignations. La Caisse devait centraliser les versemens des patrons et des ouvriers, en y ajoutant le produit des dons et legs, pour servir aux travailleurs, à partir de 65 ans, une pension évaluée en moyenne à 360 francs par an. M. de Ramel repoussait l’assurance obligatoire, mais il présumait chez les ouvriers l’intention de s’assurer, à moins d’une déclaration contraire faite devant le maire en présence de témoins. « La liberté, dit l’exposé des motifs, est sauvegardée par le droit de renonciation, et la présomption de mutualité dérive du contrat de louage d’ouvrage. » La cotisation prévue était de 0 fr. 05 par jour pour les ouvriers et d’autant pour les patrons. Le patron qui emploie des ouvriers devait verser à la caisse 0 fr. 10 par jour. Chaque ouvrier ayant un livret individuel sur lequel les versemens étaient constatés au moyen de timbres spéciaux, il pourrait continuer ses versemens quelle que fût l’usine ou la région où il se trouverait. En cas d’infirmités précoces, la pension pouvait être liquidée proportionnellement aux versemens effectués avec une bonification consentie par le Conseil d’administration. L’Etat, ne donnant d’autre concours que celui du personnel de la Caisse des Dépôts et consignations, ne courait aucun risque et n’avait aucun mécompte à redouter.

Ce système était fort heureusement complété par la création d’une caisse de capitalisation permettant aux ouvriers de se constituer un pécule pour leurs vieux jours. La proposition Ramel, repoussée par la Commission en 1893, a été reprise en 1899 par M. Ricard, avec quelques modifications : la proposition Ricard ne s’applique qu’aux ouvriers de la grande industrie.

On a vu que, dès 1886, M. le comte de Mun et Mgr Freppel, se plaçant résolument en face du problème à résoudre, avaient été amenés à accepter l’assurance obligatoire. « La légitimité de cette mesure, disaient-ils dans l’exposé des motifs, ne saurait être contestée. C’est en vain qu’on présenterait l’épargne forcée, l’épargne imposée, malgré lui, au travailleur, comme une atteinte inique à sa liberté. L’ouvrier paresseux et imprévoyant est fatalement condamné à tomber un jour à la charge de l’assistance publique, et le législateur a le droit de prendre des mesures préventives pour que la faute d’un seul ne retombe pas sur la société tout entière. Pour les chefs d’entreprise, ils ont à remplir des devoirs de paternité sociale. Ils doivent aide et assistance à leurs ouvriers quand la maladie les frappe, quand la misère les attend ; c’est là une obligation morale incontestable, que nous transformerions volontiers en lien juridique. Suivant nous, en effet, l’assurance à ces caisses doit être obligatoire, et, si leur création est reconnue nécessaire, il serait puéril de dire qu’elle doit être spontanée et facultative… Quand les intéressés, en raison même de l’état de désorganisation où nous sommes, ne peuvent ou ne veulent pas s’y prêter, le pouvoir qui provoque, même par une contrainte légale, la fondation de ces établissemens d’utilité sociale, prend en définitive une mesure de police très légitime rentrant dans le devoir général qui lui incombe de procurer la paix et la prospérité publiques. »

L’économie de la proposition était très simple et nous n’en donnerons que les grandes lignes, car nous en retrouverons tous les détails en analysant le rapport Guieysse et la législation allemande. Elle consistait à grouper autour de grandes caisses régionales, instituées dans les circonscriptions établies par la loi du 19 mai 1874, tous les membres d’une même profession ou d’une même industrie. Ces caisses corporatives constituent une mutualité obligatoire, ayant pour but de garantir les membres participans contre les conséquences de la maladie et de la vieillesse, et sont alimentées par une retenue sur le salaire de l’ouvrier ou employé et par une contribution de l’entreprise.

« Il ne s’agit pas de constituer l’Etat lui-même assureur, administrateur ou exploiteur de caisses de prévoyance, mais de lui accorder le droit d’exiger que les ouvriers soient efficacement garantis contre les maux inhérens à la nature humaine ou particuliers à leur condition. Il ne s’agit pas de substituer l’Etat aux initiatives privées, de solliciter son appui ou son concours financier, qui aboutiraient à une absorption finale, mais de lui permettre d’accomplir sa fonction sociale, qui serait incomplètement remplie, si, par sa négligence ou son imprévoyance, des milliers de citoyens restaient livrés sans protection suffisante à toutes les vicissitudes d’une existence précaire. »

La proposition de loi sauvegardait dans la plus large mesure l’existence des Caisses d’assistance et de prévoyance fondées par les grandes Compagnies sans le concours de leurs employés et les conservait moyennant certaines conditions que les projets actuellement présentés ont également admises.

Il n’est pas inutile de faire remarquer que cette proposition a été soumise au Parlement français cinq ans avant le vote de la loi allemande sur l’invalidité et la vieillesse, et que, par conséquent, ses auteurs n’étaient pas les plagiaires de leurs voisins d’outre-Rhin. Les concordances qu’on peut relever proviennent de ce que cette proposition est le fruit d’études faites en commun aux réunions de Fribourg, dans lesquelles les catholiques de tous les pays s’efforcèrent d’arrêter les bases d’une doctrine sociale conforme aux enseignemens de l’Eglise et à l’esprit de l’Evangile. M. le comte de Mun et ses amis, MM. le marquis de la Tour du Pin, Henri Lorin, Delalande, Milcent, etc., ont pris une grande part à l’élaboration de la législation protectrice du travail qui a prévalu partout en Europe ; comme membres de l’Union de Fribourg, ils furent les plus ardens promoteurs du mouvement corporatif. Il n’est donc pas étonnant qu’on trouve des points de contact entre les projets émanant des catholiques sociaux de France, d’Autriche, d’Allemagne et de Suisse. Chacun doit avoir en cette circonstance sa part de responsabilité, et, quelle que soit l’opinion qu’on puisse porter sur cet ensemble de doctrines, il n’est que juste d’établir que le groupe français a été au premier rang de ceux qui ont contribué à les faire prévaloir.

L’idée maîtresse de la proposition de M. de Mun, celle qu’on retrouve dans toutes les propositions émanant des mêmes hommes, c’est la création de ces caisses corporatives régionales qui ont triomphé en Allemagne, malgré l’opposition du grand Chancelier, partisan d’une caisse unique centrale, et qui ont fini par être adoptées en France par la commission de la Chambre des députés. Cette espèce de décentralisation administrative et financière aura, croyons-nous, beaucoup de peine à triompher, malgré l’exemple de l’Allemagne, dont nous aurons encore à parler tout à l’heure. Elle se heurte à des préjugés profondément enracinés sur la centralisation de l’épargne populaire et sur son emploi, et elle soulève, nous le reconnaissons, des difficultés d’application qui exigent une surveillance ferme et une politique inaccessible à certaines influences. Mais il n’y a pas de milieu entre le socialisme d’Etat, qui détruit toute initiative et toute liberté, et le régime corporatif, qui respecte la liberté et la dignité humaine en permettant aux individus et aux familles de se constituer en organismes sociaux capables de faire face aux exigences de la vie et de remédier à toutes les misères.

Il est intéressant de rapprocher de cette proposition celle qui a été déposée en 1895 par M. André Lebon et qui admet également le principe de l’obligation. M. Lebon vise particulièrement l’assurance contre l’invalidité et tient compte non de l’âge de l’assuré, mais de sa capacité de travail. Il s’est inspiré, sur beaucoup de points, de la législation allemande, notamment dans la division des assurés en cinq classes dont les cotisations varient proportionnellement au montant des salaires, et dans la contribution fixe versée par l’Etat en cas d’insuffisance de la pension acquise. Mais M. Lebon s’est prononcé pour le système de la Caisse centrale administrée par l’Etat et se montre opposé à la liberté d’emploi des fonds provenant de l’épargne populaire. Cette proposition, qui s’inspire des meilleurs exemples, mérite d’être consultée et présente un ensemble remarquable.

Nous ne devons pas oublier non plus un projet de loi sur les retraites ouvrières, déposé au nom du gouvernement par M. Maruéjouls, ministre du Commerce (octobre 1898). Ce projet comporte l’obligation, les versemens corrélatifs égaux des patrons et des ouvriers, la capitalisation et la majoration éventuelle de l’Etat. Mais il se prononce pour l’assurance par l’Etat au moyen de la Caisse nationale des retraites reconstituée.

Les propositions déposées par les socialistes varient peu et ne comportent pas une longue discussion, parce qu’ils se bornent en général à poser le principe sans entrer dans les détails d’application. Cependant, dans certains cas, ils ont donné des chiffres qui ont permis de calculer approximativement les conséquences financières qu’entraînerait l’adoption de leurs théories. Nous y reviendrons en analysant le rapport de M. Guieysse, et nous nous bornons ici à rappeler les principales propositions.

C’est d’abord celle de MM. Zevaès, Bénézech et Boyer, en juin 1898 ; puis une proposition de MM. Puech, Andrieu, etc., (novembre 1898) ; une proposition de M. Chauvière, de la même date ; une proposition de M. Vaillant (mars 1899) ; enfin, une proposition de M. Gervais (juillet 1898), qui, par certains côtés, rentre dans la même catégorie que les précédentes.


III

En résumé, le Parlement français était saisi depuis vingt et un ans de cette question capitale sans que, par suite des lenteurs du travail législatif, aucune des trente ou quarante propositions déposées sur le bureau de la Chambre des députés eût encore été discutée.

Les commissions parlementaires ont successivement élaboré le rapport Guieysse en 1893, le rapport Audiffred, et le second rapport de M. Guieysse, déposé le 9 mars 1900. La commission d’assistance et de prévoyance sociales a pris soin de rédiger un véritable contre-projet. Nous allons analyser ce document avec tout l’intérêt qu’il mérite et nous efforcer d’en faire comprendre l’économie.

Le rapporteur présente une particularité assez rare dans les milieux parlementaires : il connaît à fond la question qu’il traite et jouit, comme actuaire, d’une incontestable autorité. On peut être en désaccord avec lui sur les questions de principe ; mais ses critiques portant sur l’organisation financière des divers projets méritent une attention toute spéciale. Or, l’organisation financière est une des grandes difficultés d’application de cette loi : les divers systèmes offrent des accumulations de capitaux énormes résultant de la capitalisation, et les différences portent sur des milliards. La gestion de ces capitaux est un des gros problèmes de l’avenir. L’étude approfondie, que contient le rapport, des différentes propositions donne une grande importance aux conclusions de la commission.

Le texte qu’elle propose consacre pour la première fois le principe de l’obligation et la création de caisses régionales ; il maintient la corrélation et l’égalité entre les versemens des patrons et des ouvriers : c’est l’acceptation des grandes lignes de la proposition de Mun-Freppel, et la concordance avec le système adopté en Allemagne. Il emprunte aux projets Maruéjouls et Lebon la majoration par l’État et l’anticipation de la retraite en cas d’invalidité ; il répond à un très grand nombre de propositions en édictant des dispositions transitoires pour assurer, à tous les ouvriers âgés, des allocations viagères variant de 150 à 360 francs.

Selon le dispositif présenté par la commission, tout ouvrier ou employé aurait droit, s’il est de nationalité française et dans les conditions requises, à une retraite de vieillesse à partir de soixante-cinq ans et à une retraite anticipée d’invalidité payable mensuellement et d’avance. Cette retraite ne serait jamais inférieure à 360 francs. Si l’ouvrier est marié, son conjoint est assuré, en cas de décès, d’un capital de 500 francs. S’il a plusieurs enfans âgés de moins de seize ans, chacun des enfans reçoit, au moment du décès, un capital de même somme de 500 francs. Pour obtenir ce résultat, il serait astreint obligatoirement au paiement d’une cotisation qui varie de 5 centimes à 10 centimes par jour. Le patron qui emploie des ouvriers étrangers devrait payer directement 20 centimes par jour.

Les caisses régionales prévues seraient au nombre de vingt ; elles jouiraient de la personnalité civile et devraient être constituées par un règlement d’administration publique. Ce seraient les organes principaux du service des retraites. Elles seraient chargées de recevoir les versemens, de les placer, de liquider les pensions, soit de vieillesse, soit d’invalidité. Il n’y aurait pas de caisse centrale : chaque caisse serait indépendante et pourrait faire tous les actes de gestion et d’administration nécessaires dans la région qui lui aurait été assignée.

La commission n’a malheureusement pas voulu résoudre une des questions les plus importantes en matière d’organisation, et elle a laissé le ministre du Commerce déterminer « par un règlement d’administration publique la composition, l’attribution et la dissolution des conseils de surveillance de ces caisses et de leurs comités directeurs ; la préparation et l’approbation de leurs budgets et de leurs comptes ; la nomination de leur personnel administratif ; la surveillance et le contrôle de leurs opérations ; la désignation des emplois de leurs fonds et, d’une manière générale, toutes les règles relatives à leur fonctionnement et à leur gestion[4]. » Il y a là une lacune des plus regrettables, comme nous le verrons en étudiant l’organisation allemande, car ce sont des points essentiels. La commission a éludé de la même manière la création du conseil central des assurances et retraites ouvrières, ainsi que les relations des caisses entre elles.

En revanche, le rapporteur donne, au point de vue financier, des renseignemens du plus vif intérêt. Nous savons par lui que le nombre des travailleurs qui, en vertu de cette loi, seraient astreints à l’obligation de s’assurer est, en chiffres ronds, de 7 millions. La charge imposée aux finances de l’Etat serait pour la première année de 52 803 000 francs ; cette charge irait croissant jusqu’à la trente-cinquième année, où elle atteindrait 94 141 000 fr. Elle décroîtrait ensuite pour atteindre, au bout de cinquante ans, le chiffre constant de 40 millions par an. Le fonds spécial prévu par le projet permettrait de régulariser le jeu de l’assurance. Au bout de quatre-vingts ans, les capitaux accumulés dans les caisses régionales atteindraient le chiffre de 11 milliards 900 millions, — soit, en chiffres ronds, 12 milliards.

Le sacrifice demandé à l’Etat mérite un examen sérieux. Le rapporteur a cru devoir indiquer quelles seraient les dépenses qu’entraînerait l’adoption des autres projets. La proposition Zévaès (projet Escuyer), étudiée par les actuaires de l’Office du travail, coûterait annuellement au Trésor 693 641 000 francs (défalcation faite des cotisations des participans et autres recettes). Il faudrait donc inscrire immédiatement au livre de la Dette perpétuelle un capital d’environ 22 milliards. La proposition Audiffred entraînerait pour l’Etat une charge de 80 millions par an, représentant un capital de garantie de 2 667 millions de francs. Le projet Maruéjouls exigerait un capital de garantie de 7 333 millions de francs pour une charge annuelle de 220 millions. Si la proposition Dubuisson était adoptée, les charges de l’État et des communes étant, dès la première année, de 200 millions, le capital de garantie serait de 6 667 millions de francs.

La proposition de la commission, examinée par les actuaires de l’Office du travail, donne les résultats suivans. Avec l’annuité de 40 francs, le montant des arrérages est de 74 millions la première année, atteint le maximum de 105 millions la trente-cinquième année, et décroît rapidement pour s’annuler à la quatre-vingtième année. La charge maxima de l’Etat est de 94 141000 fr. et le capital de garantie est de 333 millions. Le capital existant dans les caisses régionales en régime constant est évalué à 12 milliards. Avec l’annuité de 30 francs, les charges de l’Etat atteignent au maximum 156 184 000 francs. Le capital des caisses régionales est évalué à 8 milliards.

Ce n’est pas le moment de discuter ces conclusions : une trop longue expérience nous a appris que le projet subirait encore bien des modifications avant d’être voté par le Parlement. Ce n’est pas, non plus, notre intention de proposer ici un contre-projet. Après avoir exposé l’état de la question en France, nous croyons plus utile de montrer comment elle a été résolue en Allemagne, quel est le fonctionnement de l’assurance obligatoire, quels résultats elle a donnés, et quels sont les lacunes ou les inconvéniens révélés par la pratique.

La plupart des objections qu’on peut faire à la création des retraites pour l’invalidité et la vieillesse portent sur des points de fait. Beaucoup de bons esprits ont contesté la possibilité d’une organisation complète comprenant tous les travailleurs ; d’autres redoutent pour l’industrie et pour les finances de l’Etat une surcharge écrasante, ou s’inquiètent de cette masse de capitaux enlevés à l’épargne individuelle et à l’initiative privée pour s’entasser, dans les caisses du Trésor ; on a considéré un semblable système économique comme incompatible avec l’expansion extérieure et l’exportation ; on se préoccupe surtout de l’extension nouvelle donnée au fonctionnarisme. Tous ces reproches sont graves, et il est particulièrement intéressant de voir comment l’Allemagne, dont la prospérité économique paraît aller sans cesse croissant a su éviter dans l’organisation de l’assurance obligatoire tous les écueils que nous avons signalés.


IV

L’organisation des assurances sociales n’a pas soulevé en Allemagne les mêmes objections de principe qu’en France, parce que les corps communaux, en Allemagne (communes, provinces), ont, depuis longtemps, l’obligation stricte de nourrir leurs pauvres. Ce pays, comme un certain nombre d’autres, notamment l’Angleterre, a inscrit dans son droit public l’obligation légale d’assistance. Lors de la sécularisation des biens d’Eglise, au moment de la Réforme, les gouvernemens durent se préoccuper des charges qui grevaient ces domaines en vertu d’affectations spéciales au profit des pauvres, des malades et des vieillards : le droit fut maintenu en principe ; mais on opéra une sorte de transfert en déclarant que les terres continueraient à contribuer sous forme d’impôt au soulagement de ces misères ; la commune fut chargée de prélever des taxes et devint responsable vis-à-vis de l’Etat. Avec le temps, la rapacité des nouveaux propriétaires transforma en charge publique ce qui était une sorte de servitude perpétuelle pesant sur leurs domaines. Tant que subsistèrent les corporations, qui ne disparurent complètement qu’au début de ce siècle, elles suffirent, dans bien des cas, à assurer la vieillesse du compagnon éloigné de l’atelier par les infirmités. Mais l’avènement de la grande industrie, les lois libérales qui brisèrent l’ancienne organisation du travail, firent peser sur les communes une charge trop lourde, et le législateur dut intervenir.

La loi industrielle de Prusse, du 17 janvier 1845, — modifiée par la loi du 21 juin 1869 et étendue à tout l’Empire par la loi des 7 et 8 avril 1876, — conféra aux autorités communales le droit d’obliger les ouvriers de leur ressort à s’affilier à une caisse de corporation. Ces institutions demandaient des cotisations et accordaient, en retour, des secours de maladies et des indemnités pour payer les frais funéraires des membres décédés. Le principe de la contrainte légale était définitivement entré dans la législation et se présentait comme une transformation du droit à l’assistance. Les communes n’usèrent pas de cette faculté. En 1881, l’assurance obligatoire n’existait que dans 366 communes. En dehors de cette organisation, les lois du 10 avril 1854 et du 24 juin 1865 avaient créé la Caisse des retraites des mineurs, gérée par un comité mi-partie de patrons et d’ouvriers et alimentée par une retenue obligatoire sur les salaires. Cette caisse comptait, en 1881, 263 688 assurés.

En présence de la misère des travailleurs et de l’exagération de charges qui en résultait pour les communes, le gouvernement sentit la nécessité d’agir, d’autant plus que l’émigration, toujours croissante depuis la guerre, et les progrès du socialisme devenaient un péril public. Le courant d’idées qui dominait en Allemagne était favorable à une intervention de l’État. Depuis longtemps, Adam Millier, Hildebrand, Schönberg, Wagner avaient provoqué une irrésistible réaction contre les doctrines d’Adam Smith et des économistes de l’école anglaise. A un autre point de vue, les théoriciens de la monarchie nationale, Radowitz, Lorenz Stein Rodbertus Jagelzow et Schmoller, avaient proclamé le devoir et la nécessité pour le souverain de pourvoir aux besoins des classes laborieuses et de prendre l’initiative des grandes réformes sociales. « Les rois de Prusse, disait Bismarck, en 1881, à la Chambre des députés de Prusse, n’ont jamais été de préférence rois des riches. C’est une des traditions de la dynastie que je sers, de prendre les intérêts du faible dans la lutte économique. »

Le mouvement de renaissance religieuse qui s’est produit en Allemagne dans la seconde partie du XIXe siècle n’était certainement pas étranger au développement de ces idées et à l’affirmation de cette doctrine. Mgr de Ketteler, évêque de Mayence, avait, dès 1848, engagé la lutte contre le libéralisme économique et posé les principes du christianisme social, soutenus en Autriche par le baron Vogelsang, le comte Blome, le comte François Kuefstein et le prince Aloys de Lichstenstein. Ce mouvement était suivi parallèlement, depuis 1870, par les socialistes de la chaire, disciples pour la plupart de Wichern, Huber, le pasteur Gohre, Rudolf Meyer et le célèbre Stocker, et par les adhérens de l’Association centrale pour la réforme sociale sur la base religieuse et monarchique, fondée en 1877.

Le Centre catholique, sous l’énergique direction de Windthorst, eut le mérite de prendre la direction des réformes nécessaires ; et, grâce à la compétence de ses membres, à leur union sur le terrain des principes, il a pu résister victorieusement aux attaques des libéraux et aux tendances socialistes dont Bismarck se fit un instant l’organe dans un dessein de centralisation et d’unification politique.

Il est impossible de nier cette influence du christianisme social, quand on lit le message du 17 novembre 1881, qui fut comme l’introduction des lois d’assurance et de l’organisation corporative en Allemagne. La dynastie des Hohenzollern comprenait la nécessité de s’appuyer sur cette grande force sociale pour lutter avec succès contre les révolutionnaires et les socialistes : « Nous considérons, déclarait l’Empereur, qu’il est de notre devoir impérial de demander de nouveau au Reichstag de prendre à cœur le bien des ouvriers, et nous pourrions regarder avec une satisfaction bien plus complète toutes les œuvres que notre gouvernement a pu réaliser avec l’aide de Dieu, si nous pouvions acquérir la certitude que nous laisserions après nous à la patrie une garantie nouvelle et durable, qui assure la paix intérieure et donne à ceux qui souffrent l’assistance à laquelle ils ont droit… Trouver les véritables voies et moyens pour rendre cette sollicitude effective est une tâche difficile, il est vrai, mais essentielle, pour tout État qui est fondé sur les bases morales d’une vie publique chrétienne. »

A partir de ce moment, les lois se succèdent avec une remarquable rapidité. C’est d’abord la loi sur l’assurance contre la maladie (15 juin 1882) ; la loi sur l’assurance contre les accidens, deux fois repoussée par le Centre, qui ne veut pas de caisse d’État, et fait triompher le principe de l’assurance corporative ; et enfin la loi d’assurance contre l’invalidité et la vieillesse, dont le projet fut déposé le 22 novembre 1888. Il avait été étudié avec le plus grand soin au ministère de l’Intérieur, examiné par une commission spéciale du Conseil fédéral, et publié in extenso dans le Journal officiel de l’Empire. Toute personne ayant des observations à présenter pouvait les consigner par écrit et les envoyer au ministre de l’Intérieur, chargé de les centraliser. Ce fut une bien curieuse et bien intéressante tentative de consultation nationale. La discussion devant le Reichstag commença le 6 décembre 1888. Après trois jours de discussion, le projet fut retiré et renvoyé devant une nouvelle commission, composée de députés au Reichstag, de représentans des États et hauts fonctionnaires. Avec d’importantes modifications, la loi fut adoptée le 4 mai 1889, par 189 voix contre 165. Elle fut promulguée presque immédiatement, le 22 juin.

L’assurance obligatoire sur l’invalidité et la vieillesse fonctionne depuis cette époque, mais la pratique a fait ressortir certaines imperfections, qui ont donné lieu à l’étude d’un nouveau projet, déposé en 1898 par les fonctionnaires de l’Office impérial des assurances. Ce projet fit l’objet d’un examen sommaire en février 1899, fut renvoyé à une commission extra-parlementaire, et voté à l’unanimité moins une voix le 15 juin 1899. La loi est entrée en vigueur depuis le 1er janvier 1900.


V

La loi allemande comprend dans le champ de l’assurance tous les salariés, travailleurs de l’usine ou de la terre, apprentis ou domestiques, les marins et mariniers, les employés de commerce et les professeurs ou répétiteurs, dont le traitement ne dépasse pas 2 000 marks par an ; 12 millions d’assujettis tombent sous le coup de l’article premier de la loi.

Le caractère de généralité est une des nécessités de l’assurance sur l’invalidité et la vieillesse : l’ouvrier moderne est tellement instable qu’il faut une organisation générale pour le suivre dans ses déplacemens multiples. Le docteur Hitze, du Centre catholique, avait voulu combattre l’extension de la loi aux paysans et ouvriers agricoles, mais il a dû reconnaître lui-même que le travail des champs ne présentait pas plus de stabilité que le travail de l’usine et qu’il était nécessaire de maintenir à la loi toute sa portée. Les difficultés qui peuvent se produire au sujet de l’application de la loi sont réglées par le Conseil fédéral. Les étrangers sont exclus du bénéfice de l’assurance, mais les patrons qui les emploient doivent verser à la caisse commune les cotisations que paierait un ouvrier allemand.

Il n’y a d’exception que pour les personnes remplissant une fonction gouvernementale donnant droit à une retraite et dans certains cas expressément prévus par la loi.

A côté de l’assurance obligatoire, il y a l’assurance facultative, permettant aux personnes en dehors du cadre légal de bénéficier de l’organisation de l’assurance ; pour éviter les abus, il faut que l’assurance soit contractée avant quarante ans, et le droit à l’assurance ne peut naître qu’après un versement de 500 cotisations. La loi de 1899 a supprimé le timbre supplémentaire qui avait été créé par la loi de 1889 pour l’assurance volontaire : le taux est le même, mais, naturellement, l’assuré supporte seul la charge sans le concours de personne. Cette faculté semble du reste devoir profiter surtout aux petits patrons et aux employés qui ne sont pas visés par la loi.

En échange des cotisations qu’ils ont versées, les assurés ont droit à :

1° Une rente d’invalidité en cas d’incapacité de travail ;

2° Une rente de vieillesse à partir de soixante-dix ans ;

3° Des secours médicaux ;

4° Et, dans certains cas prévus, au remboursement des cotisations versées.

La loi allemande est plutôt une assurance contre l’invalidité qu’une loi de retraites. La rente dite de vieillesse n’étant versée qu’à soixante-dix ans, dans presque tous les cas, l’ouvrier aura droit auparavant à la rente d’invalidité. Pour obtenir la rente de vieillesse, il faut avoir atteint l’âge de soixante-dix ans et avoir accompli la période d’attente légale, c’est-à-dire avoir versé des cotisations pendant douze cents semaines. Mais la loi accorde certaines exemptions, et il a été décidé que le temps de service militaire et les journées de maladie compteraient dans le calcul des semaines d’assurances. La rente de vieillesse se compose de deux élémens :

1° D’une somme annuelle de 50 marks, montant de la subvention de l’Etat ; et 2° de la somme fournie par l’établissement d’assurances et qui est le résultat de l’assurance elle-même. Pour le calcul de la rente, les assurés sont divisés en cinq classes :


Ouvriers de la Salaires de donnant droit à
1re classe 350 marks 60 marks
2e classe 350 à 550 90
3e classe 550 à 850 120
4e classe 850 à 1150 150
5e classe 1150 180

On combine ces chiffres, si l’assuré a appartenu, au cours de sa période d’attente, à des classes différentes. La loi nouvelle a simplifié les règles, un peu trop compliquées, de la loi de 1889. La rente d’invalidité est, aux termes de l’exposé des motifs de la loi de 1889, un secours apporté aux ouvriers invalides. Pour y avoir droit, il faut être invalide dans le sens de la loi, avoir accompli la période d’attente, et ne tomber sous le coup d’aucune des exceptions établies par la loi. Aux termes de la loi de 1899, est « présumé invalide l’assuré qui n’est plus en état de gagner, par une occupation en rapport avec ses forces et ses aptitudes, en tenant compte de son éducation professionnelle et de son métier antérieur, un tiers de ce qu’une personne de la même profession, d’une éducation égale, saine de corps et d’esprit, peut gagner dans la même région par son travail. » La rente n’est acquise qu’au bout de vingt-sept semaines de maladie, alors que tout espoir de prompte guérison semble devoir être écarté. Pour y avoir droit, il faut avoir versé la cotisation pendant deux cents semaines, si l’assurance est obligatoire, et pendant cinq cents semaines, si elle est facultative. Le droit à la rente est perdu, si l’invalidité provient d’un crime ou délit commis par l’assuré ou d’une mutilation volontaire. Si l’assuré a droit à une rente en vertu de la loi des accidens, il ne saurait y avoir cumul : on applique le taux le plus élevé.

La rente se décompose, comme la rente de vieillesse, en deux parties, l’une fixe, et l’autre variable suivant les classes. Le minimum de la rente d’invalidité est de 145 marks et le maximum est fixé à 655 marks ; en moyenne, elle ne dépasse pas 300 marks. Les rentes se paient aux guichets de la poste, sur mandat des établissemens d’assurance, et peuvent être remplacées dans certains cas par des prestations en nature, par un versement en capital ou par l’entretien dans un hôpital ; les rentes sont insaisissables et inaliénables.

Une des dispositions les plus originales de la loi, c’est le droit qu’elle donne aux établissemens d’assurance de veiller sur la santé des assurés et de leur imposer un traitement de guérison. Les secours ainsi donnés consistent en soins médicaux, traitemens dans les hôpitaux et stations balnéaires et secours aux familles ; ils ne constituent pas un droit pour l’assuré, mais l’obligent à se soumettre à ce traitement préventif. Ces secours sont donnés, soit par les établissemens d’assurances, soit par les caisses de maladies ; et on sait qu’à cet égard, depuis quelques années, il a été fait en Allemagne des efforts considérables pour arrêter les progrès de la tuberculose.

Pour subvenir aux dépenses énormes qu’entraîne cette assurance, il a fallu créer des ressources correspondantes. L’État intervient par une subvention invariable, fixée à 50 marks de rente annuelle. Le reste est couvert par les cotisations hebdomadaires, payées moitié par le travailleur assuré et moitié par son employeur. En Allemagne, l’opinion est fixée depuis longtemps sur la légitimité de la participation de l’Etat, qui donne lieu ailleurs à de si ardentes controverses. Comme le disait l’exposé des motifs, l’assurance contre la vieillesse est une des formes de l’Assistance publique, et il est juste que ce soit l’Empire qui supporte une notable partie de ces charges. En dépit des critiques du socialiste Grillenberger, il est certain que M. Marschall avait raison de dire au Reichstag qu’il y avait un abîme entre l’assisté qui reçoit une aumône de l’Etat et l’assuré qui touche une rente d’invalidité ou de vieillesse ; et il y a un progrès évident à employer sous cette forme une partie des sommes que la charité publique et privée consacre dans tous les pays à l’entretien des vieillards et des infirmes. On trouvera, dans l’exposé des motifs du projet de loi du 22 novembre 1888, une réponse aux socialistes et aux économistes qui, à des points de vue différens, critiquaient la participation obligatoire des ouvriers et des patrons : « Il est impossible de dispenser les ouvriers de payer leur part des frais de l’assurance. Une institution qui, en créant des ressources gratuites à l’ouvrier, lui enlèverait le sentiment de la responsabilité et le souci de l’avenir abaisserait son caractère dans de désastreuses proportions. L’homme, quel qu’il soit, ne doit jamais perdre de vue que, dans les années de santé, il a le devoir de penser aux mauvais jours. Mais, si l’ouvrier seul, est incapable d’une épargne suffisante, il est légitime que le patron lui vienne en aide pour lui permettre de réaliser l’assurance. Car le salaire ne comprend pas toujours l’indemnité nécessaire à compenser la déperdition de forces qui est la conséquence du travail. La participation au paiement des cotisations de l’assurance comble d’une façon très heureuse cette lacune dans la constitution des salaires. »

La détermination du taux des cotisations a donné lieu à des combinaisons d’un très grand intérêt pratique et obligé le législateur allemand à résoudre un des problèmes les plus difficiles en pareille matière. En 1889, les cotisations furent fixées pour une période de dix ans. Les cotisations de chaque classe devaient fournir le capital nécessaire pour payer jusqu’à leur extinction les rentes attribuées pendant ce laps de temps aux personnes de cette classe, d’après les tables de mortalité. Ce système a le double inconvénient de faire débourser pendant les premières années des cotisations très élevées et d’immobiliser dans les caisses des établissemens d’assurance des capitaux énormes. La loi de 1899 a remplacé ce système par celui des primes fixes moyennes[5]. On a calculé, grâce aux statistiques recueillies depuis 1891, que la dépense totale de l’assurance pendant une période de cent ans, allant de 1890 à 1990, s’élèvera à 12 267 019 300 marks. Le nombre des assurés étant pour chaque année de 11 850132, il y aura eu, pendant ces cent années, 1 185 013 200 cotisans, entre lesquels doit être répartie cette dépense. La prime annuelle par assuré sera donc de 10 marks 3518. Les statistiques donnent également le chiffre des rentes délivrées dans chaque classe d’assurés de 1890 à 1900 ; on a donc pu graduer les cotisations suivant les classes, en les faisant varier de 14 à 36 pfennigs ; soit, en monnaie française, de 0 fr. 175 à 0 fr. 45 par semaine. La charge supportée par les ouvriers est de la moitié de ce chiffre, soit de 8 à 23 centimes par semaine. On voit que ces chiffres sont très inférieurs à ceux qui sont prévus, chez nous, dans le projet de la commission de la Chambre des députés.

Les règles suivies pour l’évaluation du salaire annuel sont les mêmes que celles qui sont suivies par les caisses de maladies et d’accidens. Les cotisations sont perçues avec la plus grande facilité, grâce au procédé du Marken system, au moyen de timbres spéciaux collés sur des cartes remises à cet effet et que les patrons doivent rapporter aux établissemens d’assurance régionaux ; ces timbres ont une valeur de 15, 20, 24, 30 et 36 pfennigs, correspondant aux cinq classes d’assurances. On les vend dans les bureaux de poste. Tout ouvrier doit avoir une carte-quittance, qui lui est délivrée gratuitement au bureau de police. Les patrons qui engagent des ouvriers doivent veiller à ce qu’ils aient une carte-quittance. Une fois la carte recouverte de timbres, l’ouvrier ou le patron va au bureau de police l’échanger contre une nouvelle carte, sur laquelle les employés doivent inscrire le relevé du nombre de timbres collés, des semaines de maladie et des périodes de service militaire mentionnées sur la carte précédente. Grâce à ce système si simple, les assurés et l’administration peuvent à tout moment contrôler le montant de la rente acquise. Les bureaux de police transmettent les cartes échangées à l’établissement d’assurance dont elles portent le numéro et qui les a émises. Les ouvriers peuvent se déplacer et passer d’un ressort à l’autre, mais ils continuent à coller les timbres sur la même carte. Ces cartes sont conservées dans un local spécial où chaque assuré a son casier. La carte est la propriété de l’assuré, le patron n’en est que le dépositaire ; le collage du timbre peut être fait par le patron, par l’ouvrier ou par certaines autorités. Le collage se fait le plus souvent au moment de la paie, et la retenue s’opère en même temps. Pour les domestiques payés au mois, le patron doit quatre timbres par mois.

Malgré son extrême simplicité, le système des timbres est impopulaire en Allemagne ; il présente dans la pratique certaines difficultés provenant de la négligence des patrons et des ouvriers ; et certains États confédérés, la Saxe notamment, ont chargé les caisses de maladie de faire elles-mêmes le collage des timbres de leurs membres et d’opérer le remboursement des cotisations. Dans d’autres, ce service a été confié aux communes et à des bureaux divers de perception communale. On a proposé de remplacer ce système par un autre mode de perception. Les socialistes préconisent un impôt général frappant les industries pour assurer des retraites aux ouvriers. M. Bœdiker, ancien directeur de l’Office impérial des assurances, a imaginé un autre procédé de perception. Dans l’industrie, les patrons verseraient directement une cotisation, proportionnellement au nombre de leurs ouvriers et au montant de leurs salaires. Les listes seraient envoyées périodiquement aux établissemens d’assurances. A la campagne, la taxe serait perçue en même temps que les impôts. Cette taxe serait fixée par les autorités administratives d’après le nombre normal d’employés occupés par chaque patron (Arbeits bewarf). Les patrons auraient toujours le droit de retenir sur les salaires la moitié du montant de cette taxe.

Ce système serait, lui aussi, d’une simplicité extrême ; mais il est assez difficile de déterminer ce que M. Bœdiker appelle le Arbeits bewarf, c’est-à-dire le nombre normal d’ouvriers employés. M. Bœdiker supprime les classes d’assurés, et, dans son projet, la base de toutes les rentes serait fixée à 12 marks par mois pour les hommes et 9 marks par mois pour les femmes. La rente serait acquise à toute personne ayant travaillé pendant les cinq ans qui précèdent l’invalidité. Elle s’accroîtrait d’une somme déterminée par chaque année de travail sans pouvoir dépasser le triple de la base, soit 36 marks pour les hommes et 24 marks pour les femmes. Encore qu’elle ait son côté séduisant, une telle combinaison a pourtant le tort de ne tenir aucun compte de la proportionnalité, et on peut dire, avec l’exposé des motifs de la loi de 1899 : « Tant que la durée du travail et le montant du salaire serviront de base à la rente, il ne restera pas de procédé plus ingénieux et plus efficace que le système du timbre, qui a pour lui une expérience de plus de dix années. »


VI

Mais la difficulté n’était pas seulement de déterminer les principes de l’assurance : il fallait encore créer des organismes pour en assurer le fonctionnement dans toutes les parties de l’Empire allemand. On peut s’étonner à bon droit que le législateur n’ait pas cru pouvoir approprier à ce nouveau service les institutions déjà établies pour les autres assurances sociales. Il eût été difficile, à la vérité, d’en charger les caisses de maladie, qui constituent déjà cinq types distincts et n’ont aucun lien et aucune corrélation entre elles, mais il semblait naturel de confier l’assurance sur l’invalidité et la vieillesse aux corporations légalement organisées pour l’exécution de la loi sur les accidens. Chacune de ces grandes Mutuelles patronales constitue une caisse autonome, alimentée par des primes ou cotisations d’assurances payées par les patrons, et à charge de servir aux ouvriers la rente à laquelle ils ont droit. Ces caisses sont administrées par un bureau de direction, composé de patrons, et par une assemblée générale. Avec quelques modifications, elles se fussent parfaitement prêtées à ce nouveau service. Au Reichstag, on a donné pour raison que ces corporations étaient trop nombreuses (il y en a 65 pour l’industrie et 48 pour l’agriculture) ; que quelques-unes d’entre elles n’avaient pas assez de surface pour permettre une large répartition des risques d’invalidité ; et que certaines industries, exposant les ouvriers à une invalidité plus précoce, nécessitent des coefficiens de risques différens. Beaucoup de ces objections s’appliquent du reste aux établissemens d’assurances, qui sont, au point de vue du nombre des adhérens et de la fortune, dans des conditions d’inégalité flagrante, exigeant l’intervention du législateur. Peut-être faut-il chercher la raison déterminante de cette décision dans des susceptibilités de politique locale.

La loi de 1889 a donc créé des caisses régionales ou établissemens d’assurance, suivant le terme consacré, ayant droit de percevoir toutes les cotisations d’assurances de leur ressort, de les faire fructifier librement, et ayant en retour l’obligation de servir les rentes. C’est un troisième organisme, fonctionnant indépendamment des deux autres ; mais cette diversité ne paraît pas gêner les Allemands. Ces établissemens d’assurances régionaux ne sont pas des caisses d’Etat administrées par des fonctionnaires, mais des caisses autonomes administrées par les patrons et les assurés eux-mêmes sous le contrôle et la direction de fonctionnaires publics : ils ont toute la liberté compatible avec l’intérêt de l’Empire et des États confédérés. Ils sont au nombre de 30. La loi laisse subsister à côté d’eux les caisses de retraites ouvrières existant déjà dans certaines grandes administrations et qui continuent à fonctionner sous le nom de Caisses inscrites, ainsi que certaines caisses corporatives de marine. Au-dessus de toute cette organisation, se trouve l’Office impérial des assurances, créé en 1890, et dont le siège est à Berlin. C’est lui qui contrôle les établissemens d’assurances, qui exerce la haute juridiction en ces matières, et qui établit les calculs servant à déterminer le taux des cotisations et la valeur des rentes.

Les établissemens d’assurance ont la personnalité civile et jouissent d’une certaine autonomie. La loi détermine, il est vrai, le montant des cotisations et la valeur des rentes, en sorte qu’ils ont des budgets fixes. Leur rôle principal se borne à l’émission et à la vente des timbres dans leur ressort ; mais ils sont chargés du placement des capitaux et du paiement régulier des rentes. La gestion de chaque établissement est confiée à une Direction, comprenant deux élémens distincts : des fonctionnaires provinciaux, nommés par la Province ou l’Etat, et un élément électif, qui se compose de délégués des patrons et des ouvriers en nombre égal, nommés par les représentans des patrons et des ouvriers qui constituent le Comité. La direction représente judiciairement et extra-judiciairement l’établissement d’assurances. Elle examine les demandes de rentes, les accueille ou les repousse, et administre la fortune de l’établissement en s’occupant du placement des capitaux. La surveillance de la Direction et le vote des résolutions sont confiés au Comité, composé de représentans des patrons et des ouvriers. Les contestations entre les assurés et la Direction sont tranchées par un tribunal arbitral, composé d’assesseurs patrons et ouvriers, sous la surveillance d’un fonctionnaire. La Direction et le Comité de chaque établissement ont leurs bureaux et tiennent leurs séances dans des immeubles spéciaux, construits avec les capitaux de l’assurance. On peut donc les considérer plutôt comme des compagnies privées d’assurances que comme des services publics.

Certaines restrictions sont mises à leur indépendance, et leur champ d’action est strictement limité à l’assurance. Leurs décisions peuvent être attaquées et cassées par l’Office impérial d’assurances, qui exerce son contrôle sur tous les établissemens. La Province ou l’État confédéré auquel appartient chaque caisse est co-débiteur des rentes d’invalidité ou de vieillesse en cas d’insolvabilité de l’établissement d’assurance et, en échange, a le droit d’exercer un contrôle effectif par des fonctionnaires nommés pour faire partie de la Direction. Enfin, la loi a prescrit certaines règles pour le placement des capitaux. Mais, sous ces réserves, les établissemens créés par la loi de 1889 sont des organisations parfaitement distinctes des services publics, ayant la capacité d’acquérir des droits et de contracter des obligations, de figurer en justice comme défendeurs ou demandeurs, et de posséder une fortune qui leur est propre.

La loi de 1899 a créé deux assemblées nouvelles de patrons et d’ouvriers, l’une qui contrôle la gestion des autorités administratives inférieures, l’autre désignée sous le nom de Bureau de rentes. Ce sont ces assemblées, auxquelles s’adjoignent les Bureaux des caisses de maladie, qui forment le corps électoral chargé de désigner les membres du Comité. Il y a là un assez curieux mécanisme d’élection à trois degrés. Ces représentans sont élus par les bureaux des caisses de maladie, les patrons élisant leurs représentans, les ouvriers nommant les leurs, conformément à un règlement édicté par l’autorité centrale de chaque État sous la surveillance spéciale des délégués de cet Etat. C’est en somme une tentative de représentation des intérêts, qui mérite l’attention, et que nous venons d’ailleurs de voir introduire dans notre législation par un décret récent sur les conseils du travail. On sent partout, dans les pays de suffrage universel, le besoin de réagir contre la brutale tyrannie du nombre, et de rendre aux groupemens qui incarnent en quelque sorte les grands intérêts matériels et moraux une part d’influence qui ne dépende plus exclusivement du chiffre des individus qui les composent. Il ne s’agit pas, comme on l’a dit assez légèrement, de reconstituer des castes ou des ordres jouissant d’immunités contraires à l’égalité ; il s’agit, au contraire, de rétablir l’équilibre entre les forces qui constituent la société moderne, en donnant à tous la moyen d’échapper à l’oppression de l’argent ou à la tyrannie des masses. Loin d’être une concession faite aux idées socialistes, cette organisation des groupes rendrait impossible la réalisation d’un idéal social fondé sur la conception individualiste et l’omnipotence de l’Etat. Par cette conception de la direction et du contrôle, la loi de 1889 est un nouveau pas fait vers la réorganisation corporative que nous avons déjà eu occasion de signaler, ici même[6], et il importe de noter toutes les étapes de cette représentation professionnelle qui semble contenir en germe organisation de la société future[7].

Afin d’éviter l’excès de réglementation et la centralisation à outrance, le législateur a permis à chaque comité d’établir ses statuts, en se bornant à prescrire certaines conditions essentielles. Ce sont les comités qui fixent le nombre des représentans patrons et ouvriers participant à la Direction ou formant le comité ; les obligations et les droits de ce comité ; la nomination du président et la forme de ses délibérations ; le nombre des assesseurs dans les tribunaux arbitraux et la forme dans laquelle doit être préparé le budget et publié le bilan annuel. Les statuts doivent être soumis au contrôle de l’Office impérial des assurances et publiés dans le Moniteur et les journaux officiels des États.

A côté des organes essentiels des établissemens d’assurance régionaux, il y a des organes locaux, qui sont les autorités administratives inférieures et les Bureaux de rente. Les autorités sont tantôt le bourgmestre dans les grandes villes, les préfets dans les petites villes, et les Landsräthe dans les campagnes, et tantôt un organe nouveau, le Bureau de rente créé par la loi de 1899. Il importe de remarquer que, pour éviter la création de nouveaux fonctionnaires, le législateur a confié les fonctions accessoires de l’assurance à des fonctionnaires déjà existans sous le contrôle d’un conseil, composé de représentans des patrons et des assurés.

Les Bureaux de rente se composent de deux élémens : un élément fixe, le président du bureau et le personnel du bureau, fonctionnaires nommés par le conseil exécutif provincial ou par les gouvernemens des États confédérés ; un élément électif, composé de représentans des patrons et des ouvriers. Le législateur de 1899 a autorisé les États confédérés à confier aux bureaux de rente non plus seulement les enquêtes préliminaires, mais le droit d’accorder ou de refuser directement les rentes sans envoyer le dossier à la direction de l’établissement d’assurance ; mais les directions ont protesté, et le gouvernement a compris qu’il ne fallait marcher qu’avec prudence dans cette voie. Les tribunaux arbitraux sont comparables à nos conseils de prud’hommes ; leur procédure est rapide et simple. L’Office impérial des assurances tient lieu de contrôle et de juridiction d’appel. Pour satisfaire les susceptibilités de certains États confédérés, la loi de 1889 a autorisé la création de huit offices d’assurances analogues à l’Office impérial, mais avec compétence limitée.

Les établissemens d’assurance ont en caisse des capitaux très importans, et la question du placement de ces capitaux et de leur utilisation est, en Allemagne comme en France, un des points les plus difficiles du problème. Tous les placemens doivent être soumis au Comité, et le président de la Direction a le droit de s’opposer aux opérations financières qu’il juge dangereuses. L’Office impérial d’assurances exerce également son contrôle et a droit de veto. La loi ne permet que les placemens autorisés par le Code civil pour les biens des mineurs. Cependant, par une autorisation spéciale, les directions peuvent placer autrement la moitié de leur fortune avec l’approbation de la personne de droit public (Etat ou province) qui garantit leur solvabilité. C’est une des innovations les plus heureuses de la loi de 1899. Il a seulement été stipulé que les sommes excédant le quart de la fortune ne doivent être employées que pour aider des institutions de nature à augmenter le bien-être de la classe ouvrière (hospices, établissemens d’utilité publique). Depuis 1889, les établissemens ont, par des prêts judicieux, aidé à la création d’habitations ouvrières et d’hospices. Il leur sera encore possible : dans l’avenir de faire des prêts à des institutions populaires et d’utiliser ainsi les capitaux prélevés sur le travail. En résumé, la solution imaginée par le législateur allemand est très digne d’étude et constitue une réaction contre l’abus des valeurs d’Etat.

On a pu constater que certains établissemens situés dans de grands centres prospèrent, tandis que ceux des régions agricoles reçoivent peu de cotisations et paient beaucoup de rentes, ce qui les constitue dans un état d’infériorité manifeste. La longévité y est plus grande et les cas d’invalidité y sont plus nombreux. Les actuaires ont dressé le tableau comparatif des charges. Les établissemens agricoles, pour une rente de 125 marks, devraient percevoir une charge de 21 pfennigs 55 par semaine. Les établissemens industriels, pour une rente de même somme, peuvent se contenter de 12 pfennigs, et l’établissement de Berlin, pour une rente de même somme, n’exigerait que 9 marks 06.

Le Parlement s’était occupé de la création d’Unions de réassurances, mais les établissemens d’assurances les plus favorisés ont refusé de s’y prêter, et le Reichstag, à son tour, s’est opposé à la création d’une caisse unique, Caisse d’État analogue à la Caisse des retraites pour la vieillesse telle qu’elle fonctionne en France. Les États confédérés voyaient avec inquiétude l’accumulation des capitaux de tout l’Empire dans les caisses de Berlin. Il a donc fallu se borner à la création d’un fonds commun, qui est chargé de payer à tous les établissemens d’assurance la base de toutes les rentes et en général les prestations indépendantes du nombre des cotisations. A cet effet, la fortune des établissemens est divisée en deux parties absolument distinctes : la fortune particulière à chaque établissement d’assurance avec ses charges et ses recettes propres : et la fortune commune avec des charges et des recettes communes. Les dépenses communes se répartissent entre tous les établissemens en proportion de l’importance de leur fonds commun. Grâce à ce système ingénieux et savant, on a pu éviter la centralisation et la concentration des capitaux dans une caisse unique.

Au fond, l’institution allemande de l’assurance obligatoire n’est qu’une immense Société de secours mutuels. Grâce au système des primes moyennes, dont on trouvera l’explication très complète dans le livre de M. de Saint-Aubert, auquel nous avons eu tant de fois recours, on a pu adopter en Allemagne le système de répartition et éviter les inconvéniens si graves de la capitalisation. Ce système, qui a été très amélioré par la loi en 1899, a rallié la majorité des actuaires, et, sans avoir atteint la perfection, il est très certainement d’une application ingénieuse, dans tous les cas, pratique.

Ce qu’on ne saurait trop admirer, ce sont les résultats de cette loi tels qu’ils ressortent des publications du bureau de statistique de l’Office de Berlin. A la fin de 1898, 12 millions d’employés, sur 13 millions de salariés recensés, étaient assurés d’une retraite en cas de maladie ou dans leur vieillesse, et leur nombre augmente chaque année. Les sommes payées par les établissemens d’assurances se sont élevées en rentes pour la vieillesse, en 1891, à 15 306 702 marks et, en 1898, à 25 518 875 marks. Les rentes d’invalidité ont été, en 1891, de 52 millions et, en 1898, se sont élevées à 62 288 752 marks. Pour les huit années, c’est une somme totale de 208 541 370 marks.

In valeur moyenne des rentes d’invalidité a atteint 127 marks, soit 159 fr. 60. C’est bien médiocre, et un pareil résultat peut sembler dérisoire, mais il faut se rendre compte que, dans vingt ans, la rente pourra être doublée et qu’il suffit, pour l’obtenir, d’un versement par année de 0 mark 67 pfennigs par semaine pendant neuf ans, soit un sacrifice total de 32 marks 75 ou 40 fr. 95. En se reportant aux années 1900 et 1950, on peut voir que l’assuré de première classe touchera 235 francs et l’assuré de cinquième classe 577 francs. La cotisation demandée n’excédera pas 0 fr. 08 par semaine.

La valeur moyenne des rentes pour la vieillesse accordées de 1891 à 1897 a été de 123 marks, en 1891, et de 137 marks, en 1897. La loi de 1899 a cessé de tenir compte du nombre des cotisations. La rente est fixée invariablement, suivant les classes, à 110 marks pour la première, à 140 marks pour la deuxième, à 170 marks pour la troisième, à 200 marks pour la quatrième, à 230 marks pour la cinquième. Les sommes dépensées pour secours de guérison, qui constituent une dépense facultative, ont atteint, en 1893, 3 461 662 francs, dont 80 pour 100 ont été employés à combattre la tuberculose.

Le fonctionnement de cette énorme machine administrative a été moins coûteux qu’on ne pouvait le croire, grâce au système employé. Le service des assurances occupe 2 301 fonctionnaires, dont la plupart ont d’autres attributions et ne concourent qu’accessoirement à ce travail. Ils sont assistés par 76 390 représentans et assesseurs, patrons et ouvriers, qui exercent gratuitement leurs fonctions, ne touchant que des indemnités, et seulement dans des cas strictement prévus. Les organes auxiliaires, caisses de maladie et bureaux de perception ; occupent 5 234 personnes pour les caisses de maladie et 2 936 pour les bureaux de perception. On ne peut donc reprocher à l’assurance allemande d’avoir augmenté le nombre des fonctionnaires.

Les recettes des établissemens d’assurances ont été, en 1898, de 154 005 135 francs dont moitié versée par les patrons. Cette charge, assez lourde, n’a cependant pas arrêté les progrès de l’industrie allemande, et, malgré les plaintes de certains industriels, nous avons pu le constater récemment ; nos voisins se consolent du reste par la pensée que leurs concurrens devront bientôt, eux aussi, subir les mêmes charges, probablement moins habilement réparties.

La subvention payée par l’Empire s’est élevée, pour 1897, à 30 293 903 francs, chiffre qui n’a rien d’exagéré, si nous le comparons aux crédits que nécessite chaque année en France la loi de 1853 sur les pensions civiles. Comme il s’agit d’une subvention fixe, elle ne devra pas varier beaucoup. La période de temps passée au service militaire coûte à l’État 3 750 000 francs et les frais de poste sont évalués à 5 millions. C’est donc un chiffre global de 40 millions que coûte à l’État allemand l’assurance de 12 millions de travailleurs. On a calculé que, lorsque la loi aura atteint la période d’équilibre, la charge pour l’Etat atteindra 223 millions de francs. Elle était répartie assez intégralement : l’établissement de la province du Rhin possède 74 584 102 francs ; celui du Palatinat n’a que 3 303 381 francs.

Cette fortune est répartie de la manière suivante :


Marks.
Valeurs d’Empire et d’États 25 484 132
Obligations de chemins de fer 73 298 481
Valeurs provinciales 197 716 589
— communales 146 104 183
— hypothécaires 79 179 733
— Immeubles 10 576 796
Caisses d’épargne 167 736
Compte courant et encaisse 5 494 799

Un des côtés les plus inquiétans du système, c’est l’accumulation d’une masse énorme de capitaux dans les caisses publiques. Au 31 décembre 1898, la fortune des établissemens d’assurance s’élevait au chiffre de 673 705 697 francs.

Une partie de cette fortune consistait en 1898 en placemens libres. Ces placemens s’élevaient alors à 35 796 721 francs et se composaient de maisons ouvrières, de prêts aux communes et aux sociétés de construction d’écoles et sanatoria, et enfin de prêts à l’agriculture pour travaux de drainage et d’irrigation. Toutefois, le maximum de la fortune des établissemens d’assurances ne devra pas dépasser 1 milliard et demi.


Il nous a semblé que ce rapide exposé de la législation allemande, qui permet d’étudier sur nature le fonctionnement d’organismes encore peu connus en France, pouvait offrir un véritable intérêt.

Les problèmes sociaux que les hommes d’État allemands ont trouvés sur leur route se posent également en France. Comme dans la fable antique, ils se dressent menaçans à l’entrée du siècle nouveau, et la génération actuelle devra les résoudre ou périr. Toutes les écoles ont été mises en demeure d’apporter leur solution ; l’économie politique libérale a vainement préconisé l’épargne individuelle et l’assurance individualiste ; elle s’est heurtée aux chiffres inexorables fournis par les actuaires, et, en dépit des subventions dont elles jouissent, les assurances mutualistes facultatives ne parviennent pas à assurer des retraites aux ouvriers sans le concours des patrons. L’exemple des Trade-Unions est décisif ; elles ont échoué complètement, malgré leur admirable organisation et les ressources considérables dont elles disposent. La solution socialiste n’a été tentée nulle part et les propositions connues aboutissent à des impossibilités absolues. Il faut donc revenir à l’organisation corporative et à la solution autoritaire, qui a pour elle l’exemple donné depuis dix ans par l’Allemagne et qui seule sauvegarde dans une très large mesure la liberté individuelle et la dignité humaine.

Un des vétérans des luttes sociales, le marquis de Ripon, dont il est permis d’invoquer l’autorité, nous écrivait récemment que ce n’était que par voie législative qu’on avait pu régler ces redoutables questions et amener l’apaisement entre les classes. Il est temps que l’imminence du péril réveille tous ceux qui, en France, ont encore souci des principes de conservation sociale, et qu’à l’exemple des tories anglais et des catholiques allemands, ils se mettent résolument à l’œuvre. Quand on se reporte à cinquante ans en arrière, il est impossible de ne pas reconnaître que l’agitation faite autour de ces questions n’a pas été stérile : la charité chez les uns, la crainte chez les autres, ont déterminé des efforts considérables, et ces efforts ont abouti à des résultats incontestables. Mais ce qui apparaît aussi, c’est que les réformes sociales ont été rapidement et facilement réalisées dans les pays où le pouvoir central est fort, comme en Allemagne, et dans les pays dans lesquels l’autorité est incontestée et puise dans la tradition une force souveraine, comme en Angleterre. Dans les démocraties, où le pouvoir dépend du suffrage populaire, la solution est sans cesse retardée par des coalitions d’égoïsmes et des syndicats d’appétits, qui rendent toute entente impossible et laissent tout en suspens, cependant que le flot des revendications populaires grossit et s’accumule jusqu’à devenir assez fort pour emporter dans un cataclysme social les obstacles artificiels qui prétendent arrêter son cours.

Cette politique d’atermoiemens et de poussées violentes est la pire de toutes ; elle laisse aux socialistes l’avantage de se poser en toute circonstance comme les seuls champions de la cause du peuple, et aux révolutionnaires un prétexte pour proclamer l’impuissance des réformes par la voie régulière. Elle habitue les masses à la violence et aux coups de force et les met en défiance contre ceux qui devraient être leurs guides naturels. Nous ne comprenons que trop certaines craintes et certaines inquiétudes, mais le moment est venu d’oser, et de mettre la science au service de l’humanité. Qui pourrait soutenir que, si la solution de ces grands problèmes avait été poursuivie avec la ténacité, l’esprit de suite et l’audace qui ont été apportés dans la recherche des progrès industriels, on n’aurait pas depuis longtemps trouvé un système acceptable d’assurances sociales ? Il ne s’agit pas de chercher un système parfait, — nulle part on n’a pu arriver à la perfection, — mais de trouver des solutions pratiques, réalisables, respectueuses de la liberté, et inspirées par l’amour du prochain. À la multitude haletante, épuisée par le travail, éternellement en peine de son pain quotidien, qui implore secours et assistance et demande à être conduite dans des régions meilleures, il faut une réponse et une direction. Il ne suffit pas de détourner la tête en disant : « Je ne sais pas, » mais il faut ceindre ses reins, et se mettre à la tête de la lamentable caravane, en disant : « Je ne sais pas non plus, mais nous chercherons ensemble ; et nous verrons si, dans la société moderne, la justice et la charité ne pourront pas renouveler un jour le miracle de la multiplication des pains, autrefois réalisé dans le désert. »


CHARLES LE COUR GRANDMAISON.


  1. Pour nous guider, nous avons eu recours aux maîtres les plus autorisés en la matière, et nous nous sommes aidés des travaux de MM. Grüner, Cheysson, Jay, Bellom, et du livre du Dr Zacher. Nous devons en particulier un hommage reconnaissant à M. de Saint-Aubert, dont l’excellent ouvrage nous a permis de trouver réunis et mis au point tous les élémens de cette étude.
  2. Exposé des motifs de la proposition Ramel, 1890, page 2.
  3. Revue politique et parlementaire d’avril 1895.
  4. Rapport Guieysse, page 88, art. 19.
  5. Durchschnitts-prämien verfahren.
  6. Voyez la Revue du 15 décembre 1898.
  7. Cf. Charles Benoist, la Crise de l’État moderne, l’Organisation du Suffrage universel, dans la Revue de 1895 et 1896.