L’Atelier d’un peintre/Introduction

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Ces souvenirs chers, longtemps scellés en moi, nourris dans le cœur, où nous gardons frais et pur tout ce qui nous a frappé aux premiers jours de la vie, eussent dû, peut-être, ne jamais être révélés : le jour les fait pâlir, et je ne tromperai personne en disant sous des mots dont j’ignore l’usage : — Lisez ceci, et vous serez touché.

Un bouquet de fleurs, religieusement gardé, peut, au bout de longues années, être encore et toujours imprégné d’émotions et de parfums pour celui qui le possède ; il peut le ressaisir de trouble, de rêverie ou de piété : c’est son souvenir qui le respire, qui lui rend l’éclat, la tendre poésie des beaux momens où il fut cueilli !

Mais les momens sont loin ; les fleurs sont fanées. Erreur à celui qui possède ce trésor, s’il veut tout à coup l’offrir à la curiosité ou à l’attendrissement des autres : il est fané… on sourit, et l’on passe à des fleurs vivantes, actuelles, riches de couleurs et de parfums enivrans.

Toutefois, malgré ses apparences uniformes et paisibles, la vie humble, pauvre et obscure du logis, a son drame de même qu’une vie agitée et féconde en événemens. La femme qui naît, vit et meurt près du foyer, l’artiste qui passe ses jours dans la solitude, tout entier qu’on le croirait à ses travaux, ont chacun aussi leurs espérances, leurs désespoirs et leurs joies célestes. Les secousses qui les heurtent, pour demeurer invisibles, comme les secousses du galvanisme, n’en frappent pas moins avec violence et d’une façon terrible. Seulement, la victime se trouve trop loin pour que l’on entende ses cris, et la plupart du temps, abattue, résignée, elle étouffe ses sanglots et dévore des pleurs inutiles. La croyant calme ou bien insoucieuse, on ne songe pas à lui compâtir ; on réserve son intérêt à des cris plus énergiques et à des tortures plus visibles.

Dans L’Atelier d’un Peintre, c’est l’esquisse de cette vie méconnue, qu’une femme a tenté de reproduire ; une femme qui s’est trouvée initiée à de tels mystères, et qui en a plus encore subi les douleurs qu’elle n’en a partagé les jouissances. Pour écrire ce livre, elle n’a fait que se rappeler des récits auxquels, petite fille, elle se sentait émerveillée et les yeux pleins de larmes.

Mais elle comprend son inexpérience. Malhabile à l’art du romancier, elle n’a point présenté dans un cadre qui les fasse valoir, les touchantes richesses du sujet qu’elle voulait peindre. Dans ce cas elle rappelle la réponse d’une femme de son cher et doux pays de Flandres : — Ah ! monsieur, je vous fais sourire, parce que je parle mal ; mais si vous entendiez ma fille vous conter mes malheurs, vous pleureriez à chaudes larmes !


Paris, 3 novembre 1833.

Marceline DESBORDES VALMORE.