L’Atlantide/VII

La bibliothèque libre.
Albin Michel (p. 106-120).



CHAPITRE VII


LE PAYS DE LA PEUR


— Il est curieux, — dit Morhange, — de constater combien notre expédition, si dénuée d’incidents depuis Ouargla, tend maintenant à devenir mouvementée.

Cette phrase, il la prononça comme il se relevait, après s’être agenouillé un instant sur la fosse péniblement creusée, où nous avions déposé le corps du guide, et y avoir prié.

Je ne crois pas en Dieu. Mais si jamais quelque chose peut influer sur une puissance, qu’elle soit du mal ou du bien, de la lumière ou des ténèbres, c’est la prière murmurée par un tel homme.

Deux jours durant, nous cheminâmes à travers un gigantesque chaos de roches noires, dans un paysage lunaire à force de dévastation. Rien que le bruit des pierres roulant sous le pied des chameaux, et tombant au fond des précipices, comme des détonations.

Curieuse marche, en vérité. Pendant les premières heures, avec la planchette à boussole, j’avais essayé de relever la route que nous suivions. Mais mon tracé s’était vite emmêlé : sans doute une erreur dans l’étalonnage du pas des chameaux. Alors, j’avais remisé la planchette dans une de mes fontes. Désormais, sans contrôle, Eg-Anteouen était notre maître. Nous n’avions plus qu’à lui faire confiance.

Il allait devant, Morhange le suivait. Je fermais la marche. Les plus curieux spécimens de roches éruptives s’offraient à chaque moment à mes regards, mais en vain. Je ne m’intéressais plus à ces choses. Une autre curiosité s’était emparée de moi. La folie de Morhange était devenue mienne. Si mon compagnon était venu me dire : « Ce que nous faisons est insensé ; revenons en arrière, vers les pistes tracées, revenons. » Je lui aurais, dès cette minute, répondu : « Vous êtes libre. Moi, je continue. »

Vers le soir du deuxième jour, nous nous trouvâmes au pied d’une montagne noire, dont des contreforts déchiquetés se profilaient à deux mille mètres au-dessus de nos têtes. C’était un énorme bastion ténébreux, aux arêtes de donjon féodal, qui se dessinait avec une incroyable netteté sur le ciel orange.

Un puits se trouvait là, avec quelques arbres, les premiers que nous rencontrions depuis que nous nous étions enfoncés dans le Hoggar.

Un groupe d’hommes l’entourait. Leurs chameaux, à l’entrave, cherchaient une problématique nourriture.

À notre vue, les hommes se resserrèrent, inquiets sur la défensive.

Eg-Anteouen, se retournant vers nous, dit :

— Touareg Eggali.

Et il se dirigea vers eux.

C’étaient de beaux hommes, ces Eggali. Les plus grands Touareg que j’eusse jamais rencontrés. Avec un empressement inattendu, ils s’étaient écartés du puits, nous en abandonnant l’usage. Eg-Anteouen leur adressa quelques paroles. Ils nous regardèrent, Morhange et moi, avec une curiosité voisine de la peur, en tout cas avec respect.

Étonné d’une telle discrétion, je me vis refuser par leur chef les menus cadeaux que j’avais retirés des fontes de ma selle. Il avait l’air de redouter jusqu’à mon regard.

Quand ils furent partis, j’exprimai à Eg-Anteouen la stupéfaction où me plongeait une réserve à laquelle mes rapports antérieurs avec les populations sahariennes ne m’avaient guère habitué.

— Ils t’ont parlé avec respect, avec crainte même, — lui dis-je. — Et pourtant, la tribu des Eggali est noble. Et celle des Kel-Tahat, à laquelle tu m’as dit appartenir, est une tribu serve.

Un sourire passa dans les sombres yeux d’Eg-Anteouen.

— C’est vrai, — dit-il.

— Alors ?

— Alors, c’est que je leur ai dit qu’avec toi et le capitaine nous marchions vers le Mont des Génies.

D’un geste, Eg-Anteouen désignait la montagne noire.

— Ils ont eu peur. Tous les Touareg du Hoggar ont peur du Mont des Génies. Tu as vu, rien qu’à entendre prononcer son nom, comme ceux-ci ont détalé ?

— C’est vers le Mont des Génies que tu nous conduis ? — demanda Morhange.

— Oui, — répondit le Targui. — C’est là que sont les inscriptions dont je t’ai parlé.

— Tu ne nous avais pas prévenus de ce détail.

— À quoi bon ? Les Touareg redoutent les ilhinen, les génies au front cornu, qui ont une queue, du poil pour vêtement, font mourir les troupeaux et tomber les hommes en catalepsie. Mais je sais que les Roumis n’en ont pas peur, et que même ils se moquent des craintes des Touareg à ce sujet.

— Et toi, — dis-je, — tu es Targui, et tu ne crains pas les ilhinen ?

Eg-Anteouen me désigna un sachet de cuir rouge qui pendait d’un chapelet à grains blancs sur sa poitrine.

— J’ai mon amulette, — répliqua-t-il gravement, — bénie par le vénéré Sidi-Moussa lui-même. Et puis, je suis avec vous. Vous m’avez sauvé la vie. Vous avez voulu voir les inscriptions. Que la volonté d’Allah soit faite.

Ayant ainsi parlé, il s’accroupit, tira sa longue pipe de roseau à couvercle de cuivre, et, gravement, se mit à fumer.

— Tout ceci commence à devenir bien étrange — murmura Morhange, qui venait de se rapprocher de moi.

— Il ne faut rien exagérer, — lui répondis-je. — Vous vous rappelez aussi bien que moi le passage où Barth raconte son excursion à l’Idinen, qui est le Mont des Génies, des Touarez Azdjer. L’endroit avait si mauvaise réputation qu’aucun Targui ne consentit à l’accompagner. Il en revint, pourtant.

— Il en revint, sans doute, — répliqua mon camarade, — mais il commença par s’égarer. Sans eau, sans vivres, il faillit périr de faim et de soif, à ce point qu’il dut s’ouvrir une veine pour boire le sang. Cette perspective n’a rien de bien attrayant.

J’eus un haussement d’épaules : après tout, ce n’était pas ma faute si nous en étions là.

Morhange comprit mon mouvement, et crut devoir s’excuser.

— Je serais d’ailleurs curieux, — reprit-il avec une gaieté un peu forcée, — d’entrer en relation avec ces génies et de vérifier les informations de Pomponius Mela, qui les a connus, et les place effectivement dans les montagnes des Touareg. Il les appelle Égipans, Blemyens, Gamphasantes, Satyres… « Les Gamphasantes, dit-il, sont nus ; les Blemyens n’ont pas de tête, leur visage étant placé sur leur poitrine ; les Satyres n’ont rien de l’homme que la figure. Les Égipans sont faits comme on le dit communément. » Satyres, Égipans… vraiment, n’est-il pas curieux, d’entendre ces noms grecs appliqués aux génies barbares de par ici ? Croyez-moi, nous sommes sur une piste curieuse : je suis sûr qu’Antinéa va nous être la clef de découvertes bien originales.

— Chut, — lui dis-je, un doigt sur les lèvres, — écoutez.

De bizarres bruits, dans le soir qui tombait à grands pas, venaient de naître autour de nous. Espèces de craquements suivis de plaintes longues et déchirantes, qui se répercutaient à l’infini dans les ravins environnants. Il semblait que la montagne noire tout entière se fût mise soudain à gémir.

Nous regardâmes Eg-Anteouen. Il fumait toujours, sans broncher.

— Les Ilhinen s’éveillent, — dit-il simplement.

Morhange écoutait, sans m’adresser une parole. Comme moi, il comprenait, sans doute : les rochers surchauffés, le craquement de la pierre, toute une série de phénomènes physiques, le souvenir de la statue chantante de Memnon… Mais ce concert imprévu n’en influait pas moins de façon pénible sur nos nerfs surexcités.

La dernière phrase du pauvre Bou-Djema me revint à la mémoire.

— Le pays de la peur, — murmurai-je à voix basse.

Et Morhange répéta de même :

— Le pays de la peur.

Le singulier concert cessait, comme parurent au ciel les premières étoiles. Avec une émotion infinie, nous les vîmes s’allumer l’une après l’autre, les minuscules flammes d’azur pâle. En cette minute tragique, elles nous accordaient, nous, les isolés, les condamnés, les perdus, nous reliaient à nos frères des latitudes supérieures, ceux qui, à cette heure, dans les villes où surgit tout à coup la blancheur des globes électriques, se ruent dans une frénésie délirante à leurs plaisirs étriqués.

Chét-Ahadh esa hetîsenet
Mâteredjrê d-Erredjeâot,
Mâteseksek d-Essekâot,
Mâtelahrlahr d’Ellerhâot
Ettâs djenen, barâd tît-ennit abâtet.

Lente et gutturale, c’était la voix d’Eg-Anteouen qui venait de s’élever. Elle résonnait avec une majesté grave et triste dans le silence maintenant total.

Je touchai le bras du Targui. D’un geste de tête, il me montra au firmament une constellation clignotante.

— Les Pléiades, — murmurai-je à Morhange, lui désignant les sept pâles étoiles, tandis qu’Eg-Anteouen, de la même voix monotone, reprenait sa lugubre chanson :

Les Filles de la Nuit sont sept :
Mâteredjré et Erredjeâot,
Mâteseksek et Essekâot,
Mâtelahrlahr et Ellerhâot,

La septième est un garçon dont un œil s’est envolé.

Un brusque malaise s’empara de moi. Je saisis le bras du Targui, alors que, pour la troisième fois, il s’apprêtait à psalmodier son refrain.

— Quand serons-nous à la grotte aux inscriptions ? — lui demandai-je brutalement.

Il me regarda et me répondit avec son calme habituel :

— Nous y sommes.

— Nous y sommes ? Qu’attends-tu alors pour nous la montrer ?

— Que vous me l’ayez demandé, — répondit-il, non sans impertinence.

Morhange avait sauté sur ses pieds.

— La grotte, la grotte est là ?

— Elle est là, — répéta posément Eg-Anteouen, qui se relevait.

— Mène-nous à la grotte.

— Morhange, — dis-je, soudain inquiet, — la nuit tombe. Nous n’y verrons rien, Et c’est peut-être encore loin.

— Il y a à peine cinq cents pas, — répliqua Eg-Anteouen ; — la grotte est pleine d’herbes sèches. On les allumera, et le capitaine y verra comme en plein jour.

— Allons, — répéta mon compagnon.

— Et les chameaux ? — hasardai-je encore.

— Ils sont à l’entrave ; — dit Eg-Anteouen, — et nous ne serons pas longtemps absents.

Il était déjà en route vers la montagne noire. Morhange, nerveux à faire frémir, suivait ; je suivais aussi, dès cette minute en proie à un profond malaise. Mes tempes battaient : « Je n’ai pas peur, me répétai-je ; je jure que ce n’est pas de la peur. »

Non, vraiment, ce n’était pas de la peur. Et pourtant, quel étrange vertige ! Une taie était sur mes yeux. Mes oreilles bourdonnaient. J’entendis à nouveau la voix d’Eg-Anteouen, mais multipliée, mais immense, et cependant, sourde, sourde :

Les Filles de la Nuit sont sept…


Et il me semblait que les voix de la montagne lui faisant écho, répétaient à l’infini le sinistre vers final :

La septième est un garçon dont un œil s’est envolé.


— C’est ici, — dit le Targui.

Un trou noir s’ouvrait dans la paroi. Eg-Anteouen y pénétra en se baissant. Nous le suivîmes. Les ténèbres s’emparèrent de nous.

Une flamme jaune. Eg-Anteouen avait battu le briquet. Il mit le feu à un tas d’herbe, près du seuil. D’abord, nous ne pûmes rien voir. La fumée nous aveuglait.

Eg-Anteouen était resté à côté de l’orifice de la grotte. Il s’était assis, et plus calme que jamais, avait recommencé à tirer de sa pipe de longues bouffées grises.

Une lumière pétillante sortait maintenant des herbes embrasées. J’entrevis Morhange. Il me parut extraordinairement pâle. Appuyé des deux mains à la muraille, il travaillait à déchiffrer un fatras de signes que je n’entrevoyais qu’à peine.

Je crus voir néanmoins que ses mains tremblaient.

« Diable, serait-il aussi mal en point que moi », me dis-je, ressentant une peine de plus en plus grande à coordonner deux idées.

Je l’entendis crier avec violence, il me sembla, à Eg-Anteouen :

— Mets-toi de côté : Laisse entrer l’air. Quelle fumée !

Il déchiffrait, il déchiffrait toujours.

Soudain, je l’entendis de nouveau, mais mal. Il me sembla que les sons, eux aussi, étaient dans la fumée.

— Antinéa… Enfin… Antinéa… Mais pas gravé dans la pierre… signes tracés à l’ocre… il n’y a pas dix ans, pas cinq peut-être… Ah !…

Il avait pris sa tête dans ses mains. Il poussa un grand cri.

— C’est une mystification. Une tragique mystification !

J’eus un petit rire goguenard :

— Allons, allons, ne vous fâchez pas.

Il m’avait saisi par le bras et me secouait. Je vis ses yeux agrandis d’épouvante et d’étonnement.

— Êtes-vous fou ? — me hurla-t-il en plein visage.

— Ne criez pas si fort, — répondis-je avec mon petit rire.

Il me regarda encore, et s’assit, accablé, sur une pierre, en face de moi. À l’embouchure de la grotte, Eg-Anteouen fumait toujours avec la même placidité. On voyait dans le noir luire le couvercle rouge de sa pipe.

— Fou ! fou ! — répétait Morhange, dont la voix parut s’empâter.

Brusquement, il se pencha vers le brasier qui jetait ses dernières flammes, plus hautes et plus claires. Il saisit une herbe non encore consumée. Je le vis l’examiner avec attention puis la rejeter au feu avec un grand rire strident.

— Ah ! ah ! Elle est bien bonne !

En chancelant, il s’approcha d’Eg-Anteouen et lui désigna le feu.

— Du chanvre, hein ! Hachich, hachich. Ah ! Ah ! elle est bien bonne.

— Elle est bien bonne, — répétai-je en éclatant de rire.

Eg-Anteouen approuve par un rire discret. Le feu mourant éclairait sa face voilée et brillait dans ses terribles yeux sombres.

Il s’écoula une seconde, puis, tout à coup, Morhange saisit le bras du Targui.

— Je veux fumer, moi aussi, — dit-il, — donne-moi une pipe.

Imperturbable, le fantôme tendit à mon compagnon ce qu’il lui demandait.

— Ah ! Ah ! une pipe européenne…

— Une pipe européenne, — répétai-je, de plus en plus gai.

— Avec une initiale, M… Comme un fait exprès, M capitaine Morhange.

— Capitaine Masson, — rectifia tranquillement Eg-Anteouen.

— Capitaine Masson, répétai-je avec Morhange.

Nous rîmes de nouveau.

— Ah ! Ah ! Ah ! capitaine Masson… Le colonel Flatters… Le puits de Garama. On l’a tué pour lui prendre sa pipe, cette pipe-ci. C’est Cegheïr-ben-Cheïkh qui a tué le capitaine Masson.

— C’est effectivement Cegheïr-ben-Cheïkh, — répondit, avec son inébranlable placidité, le Targui.

— Le capitaine Masson, avait quitté le convoi avec le colonel Flatters, pour aller reconnaître le puits, — dit Morhange en s’esclaffant.

— C’est alors que les Touareg les ont assaillis, — complétai-je, riant de plus belle.

— Un Targui Hoggar saisit la bride du cheval du capitaine Masson, — dit Morhange.

— Cegheïr-ben-Cheïkh tenait celle du cheval du colonel Flatters, — dit Eg-Anteouen.

— Le colonel met le pied à l’étrier et reçoit en même temps un coup de sabre de Cegheïr-ben-Cheikh, — dis-je.

— Le capitaine Masson tire son revolver et fait feu sur Cegheïr-ben-Cheïkh, à qui il coupe trois doigts de la main gauche, — dit Morhange.

— Mais, — achève Eg-Anteouen imperturbable, — Cegheïr-ben-Cheïkh, d’un coup de sabre, fend le crâne au capitaine Masson.

Il a un petit rire silencieux et satisfait en prononçant cette phrase. La flamme mourante l’éclaire. Nous voyons le tuyau de sa pipe noir et luisant. Il la tient de la main gauche. Un doigt, deux doigts seulement à cette main. Tiens, je n’avais pas encore remarqué ce détail.

Morhange aussi vient de s’en apercevoir, car il termine, dans un rire strident.

— Alors, après lui avoir fendu le crâne, tu l’as dévalisé, tu lui as pris sa pipe. Bravo, Cegheïr-ben-Cheïkh !

Cegheïr-ben-Cheïkh ne répond pas. Mais on sent son contentement intime. Il fume toujours. Je ne distingue plus ses traits que mal. La flamme du feu pâlit, la flamme est morte. Jamais je n’ai tant ri que ce soir. Morhange, non plus, j’en suis sûr. Il va peut-être en oublier le cloître. Tout cela parce que Cegheïr-ben-Cheïkh a volé sa pipe au capitaine Masson… Fiez-vous donc aux vocations religieuses.

Encore cette maudite chanson. La septième est un garçon dont un œil s’est envolé. On n’a pas idée de paroles aussi idiotes. Ah ! très drôle, vraiment ; voici que nous sommes quatre maintenant, dans cette cave. Quatre, que dis-je, cinq, six, sept, huit… Ne vous gênez pas, mes amis. Tiens, il n’y en a plus… Je vais enfin savoir comment sont faits les esprits de par ici, les Gamphasantes, les Blemyens… Morhange dit que les Blemyens ont le visage au milieu de la poitrine. Celui qui me saisit entre ses bras n’est sûrement pas un Blemyen. Voilà qu’il m’emporte au dehors. Et Morhange. Je ne veux pas qu’on oublie Morhange…

On ne l’a pas oublié : je l’aperçois, hissé sur un chameau, qui marche devant celui sur lequel je suis attaché. On a bien fait de m’attacher, car autrement je dégringolerais, c’est certain. Ces génies ne sont vraiment pas de mauvais diables. Mais que ce chemin est long ! J’ai envie d’être étendu. Dormir ! Nous avons sûrement suivi tout à l’heure un long couloir, puis nous avons été à l’air libre. Nous voici de nouveau dans un couloir interminable, où l’on étouffe. Voici de nouveau les étoiles… Est-ce que cette course ridicule va continuer longtemps encore ?…

Tiens, des lumières… Des étoiles, peut-être. Non, des lumières, je dis bien. C’est un escalier, ma parole, en roches, si l’on veut, mais un escalier. Comment les chameaux peuvent-ils… Mais ce n’est plus un chameau, c’est un homme qui me porte. Un homme tout vêtu de blanc, pas un Gamphasante, ni un Blemyen. Morhange doit en faire une tête, avec ses inductions historiques, toutes fausses, je le répète, toutes fausses. Brave Morhange. Pourvu que son Gamphasante ne le laisse pas tomber, dans cet escalier qui n’en finit plus. Au plafond, quelque chose brille. Mais oui, c’est une lampe, une lampe en cuivre, comme à Tunis, chez Barbouchy. Bon, voilà que, de nouveau, on n’y voit plus rien. Mais je m’en moque, je suis allongé ; maintenant, je vais pouvoir dormir. Quelle journée stupide !… Ah ! messieurs, je vous assure, c’est bien inutile de me ficeler, je n’ai pas envie de descendre sur les boulevards.

Encore une fois, l’obscurité. Des pas s’éloignent. Le silence.

Pour un moment seulement. On parle à côté de nous. Qu’est-ce qu’ils disent… Non, pas possible ! Ce bruit métallique, cette voix. Savez-vous ce qu’elle crie, cette voix, savez-vous ce qu’elle crie, et avec l’accent de quelqu’un qui a l’habitude ? Eh bien, elle crie :

— Faites vos jeux, messieurs, faites vos jeux. Il y a dix mille louis en banque. Faites vos jeux, messieurs.


Enfin, suis-je oui ou non au Hoggar, sacré nom de Dieu ?