L’Attendue (Verhaeren)

La bibliothèque libre.
Poèmes (IIIe série)Société du Mercure de France (p. 141-147).

L’ATTENDUE


Elle était comme une rose pâlie ;
Je la sentais discrète, autour de moi,
Avec des mains de miel, pour ma mélancolie.

Sa jeunesse touchait à ses heures de soir ;
Quoique malade, elle était calme et volontaire
Et m’imposait et sa tendresse et son espoir.

Aucune ardeur, qui domptait par secousse ;
C’était la sentir droite, en son amour,
Qui me tenait, dans sa contrainte égale et douce.

Elle peut-être a su le texte obscur
De mes rancœurs et de mes lourds silences
Et, dans ma volupté, tuer le lys impur.

Sainte pour moi et claire et lentement
Comme une étoile, un soir d’ombre lucide,
Seule, elle s’en alla fleurir le firmament.

Les étoiles diamantent son cœur,
Depuis, qu’en des dortoirs de lune,
Elle est dormante, au clair de son nouveau bonheur.

Elle est morte, sans bruit, tout doucement,
Mais si calme, dans l’humble pose
De l’agonie et de la paix de son moment.

Ses bonnes mains de consolation
— Oiseaux d’espoir — se sont levées
Vers sa lointaine et attirante assomption,


Là-haut, en un jardin si rempli de fleurs d’or
Et si flamboyant de lumière
Que les ombres des fleurs y sont de l’or encor.

Depuis — elle m’assiste, ainsi qu’on aide un pauvre enfant
Qui simplement, un jour, s’en vint au monde,
Sans trop savoir juger, qu’il fut longtemps,

En son pays de tristesse et de nuit,
La morne fleur de sa propre misère,
Pour la sombre abeille de son ennui.

Et qui sans se juger encor, tout simplement,
— Après combien de pleurs, d’affres et de tortures —
S’en est venu vers un séjour d’apaisement,

Grâce toujours à la sainte, dont le cœur
Et les conseils calmes et volontaires
Ont doucement rendu son cœur meilleur.


Rien n’est plus clair que de sentir sur soi,
Quelqu’une au delà de la vie,
En qui l’on ait croyance et foi

Et que l’on sente ardente et toute entière
Penchée, à chaque instant, sur soi,
Comme une main, avec de la lumière…

Aussi la vois-je aller, passer, venir,
Me doucement frôler, avec sa robe.
Et me fixer, avec des yeux de souvenir.

Elle conduit mes doigts qui lui écrivent
Ces vers pleins d’elle, afin qu’ils soient
De blancs chemins, où ses pensers me suivent.


Je lui confesse tout, comme autrefois,
Bien qu’elle sache aujourd’hui tout, d’avance,
Et qu’elle entende l’âme, avant la voix.


Il n’est rien que je ne veuille lui dire
Quand, certains soirs, comme vivante, je la vois,
Je joins les mains pour lui sourire.

Je suis l’ardent de sa toute présence ;
Je la voudrais plus morte encor
Pour l’évoquer, avec plus de puissance !


Dans la maison de ma tristesse
Elle est la tremblante caresse
De la lumière, à travers les fenêtres.

Elle est ce qui fleurit de joie,
Dans ma demeure et dans ma voie,
Elle est le son chantant de l’heure.

Elle est là doucement assise
Dans la tranquillité de mon église,
À mes côtés, sur des chaises amies.


Elle est, durant mes nuits de fièvre,
La goutte fraîche, sur la lèvre,
Et la lampe, qui toujours veille.

Elle est ma ferveur réorientée,
Ma jeunesse ressuscitée,
Un flot d’aurore, en une aurore.


Aussi m’étant le seul présent, c’est elle
L’heure qui sonnera et remplira
Toute l’éternité, qu’est l’avenir.
J’aurai ses yeux, ses mains, son cœur,
Pour mains, regards et cœur à moi,
Ses bras en croix devant les sentes
Qui vont vers les périls et les descentes
Me ramènent jusqu’aux chapelles de la foi ;
Ses pieds laissent des marques d’or
Sur le sable de blanc silence
Qu’épand mon âme, en sa présence,
Et je les baise et mon effort
Sera de suivre au loin leurs mystiques empreintes,

Jusqu’au moment de notre indubitable étreinte
Et de ma délivrance, en mon dernier soupir…

Et tel vivrais-je en elle, afin d’y bien mourir !