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L’Autre monde (Cyrano de Bergerac)/L’Autre monde/Notice

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Texte établi par Frédéric Lachèvre, Garnier (p. 1-3).


L’AUTRE MONDE


Nous avons compris sous la rubrique : L’Autre Monde les deux utopies cyranesques, mais c’est à la première, seule, terminée vers la fin de 1648, que leur auteur avait donné ce titre : L’Autre Monde ou les États et Empires de la Lune ; la seconde : Les États et Empires du Soleil, commencée vers 1650, n’était pas achevée au moment où Cyrano entra au service du duc d’Arpajon (1653).

Les théories scientifiques exposées dans les États et Empires de la Lune sont gassendistes et on sait que Gassendi s’est inspiré du poème de Lucrèce : De Natura Rerum ; elles reflètent les conversations que Cyrano avait eues, en 1641, avec le célèbre philosophe, en compagnie de Chapelle, Bernier et Molière. Rappelons, à ce propos, que le traité de Gassendi : Syntagma Philosophicum... 1658, n’a été publié qu’après sa mort et celle de Cyrano, et c’est pourquoi ce dernier a pu passer, aux yeux de certains de ses biographes, pour un précurseur alors qu’il n’avait été qu’un écho !

Il a existé deux rédactions de L’Autre Monde ; la première — celle des manuscrits de Paris et de Munich[1] — n’est autre que le texte primitif, reflétant la pensée de Cyrano ; la seconde, confiée par lui à Henry Le Bret, son intime, apportait un texte révisé, autrement dit avec les passages libres remaniés ou adoucis en vue de l’impression.

Notre assertion s’appuie sur l’édition originale de l’Histoire Comique (1657) dont voici une partie des lignes de la fin.

… J’ay prié monsieur Le Bret, mon plus cher et plus inviolable Amy, de les (mémoires de son Voyage dans la Lune} donner au public avec l’Histoire de la République du Soleil, celle de l’Estincelle et quelques autres Ouvrages de même façon, si ceux qui nous les ont dérobés les lui rendent, comme je les en conjure de tout mon cœur.

Le Bret, après le décès de son ami, entré en possession du manuscrit définitif de Cyrano (ou d’une copie) a trouvé les atténuations insuffisantes ; il n’a pas voulu assumer la responsabilité de sa publication intégrale. En éditeur loyal, il a indiqué par des points le commencement des passages qu’il a supprimés (19). Une seule question douteuse est celle du titre : Cyrano avait-il choisi celui d’Histoire Comique ? Nous hésitons à le croire.

La comparaison de l’imprimé de 1657 et du manuscrit de la Bibliothèque nationale s’impose donc ; elle permet de combler les lacunes de l’édition originale et de relever les passages remaniés qui ne sont pas de simples corrections de style.

Sur le terrain scientifique, dans Les États et Empires du Soleil (comme dans son Fragment de Physique), Cyrano a suivi le cartésien Jacques Rohault. Ayant fait sa connaissance vers 1645, il a retenu tout l’essentiel de ses leçons, si bien que le Traité de Physique de Rohault publié en 1671 ne fait que développer le résumé qu’est le Fragment de Physique (20). Le contraste, à ce point de vue, est tel entre Les États et Empires de la Lune et Les États et Empires du Soleil qu’on peut douter que ces ouvrages appartiennent au même auteur. L’explication est pourtant des plus simples : Cyrano a réalisé pour Rohault ce qu’il avait tenté pour Gassendi. Il a vulgarisé ses théories avant même que celui-ci ait pris soin de les faire imprimer ; mais, bien entendu, il s’est gardé de lui en attribuer la paternité.


On ne connaît aucun manuscrit des États et Empires du Soleil. Nous avons reproduit l’édition originale de 1662 avec les variantes des deux tirages.


Notes

19. Voici ce que dit Le Bret dans la Préface de l’Histoire comique de 1657 : « … la Critique… me rendra caution de l’événement de ce livre, sous ombre que je me suis donné le soin de son impression. J’ai appréhendé d’y mettre de la confusion ou de la difformité si j’entreprenais d’en changer l’ordre, ou de suppléer à quelques lacunes par le mélange de mon style au sien, dont ma mélancolie ne me permet pas d’imiter la gaieté, ni de suivre les beaux emportemens de son imagination ; la mienne, à cause de la froideur, étant beaucoup plus stérile. »

20. La première partie du Fragment de Physique correspond aux troisième et quatrième parties de Traité de Jacques Rohault ; la deuxième partie correspond aux douze premiers chapitres dudit Traité. Comme ce Fragment ne présente aucun intérêt puisqu’il n’appartient pas, en réalité, à Cyrano, nous ne l’avons pas reproduit.

  1. Le manuscrit de Paris est préférable à celui de Munich pour la correction de son texte et aussi parce qu’il est plus complet. Le manuscrit de Munich a été l’œuvre, soit d’un copiste maladroit qui ne comprenait guère son auteur, soit d’un étranger connaissant imparfaitement notre langue.