L’Autriche, ses finances et ses grandes entreprises d’industrie

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L'AUTRICHE


SES FINANCES


ET SES GRANDES ENTREPRISES D'INDUSTRIE





I. Die nette Gestlaltung der Geld-und Credit-Verhœltnisse in Œsterreich, Vienne 1855. — II. Ueber die Herstellung des Gleiehgewiehtes im OEsterreichischen Slaatishaushalt, par Sylvester, Vienne 1856.





Le travail de rénovation qui s’opère en Autriche est à coup sûr un des spectacles les plus intéressans qu’il soit donné de contempler. Par son origine, par sa marche, par son succès, la transformation sociale qui a fait tout d’un coup, de l’un des pays de l’Europe où le système féodal semblait devoir résister le plus aux envahissemens de l’esprit moderne, une terre d’égalité civile absolue et incontestée, ne manquera certes pas de se présenter comme un des phénomènes les plus curieux de l’histoire de ce siècle. Venue après les événemens de 1848, l’abolition de la féodalité en Autriche n’a point été, comme cela s’est vu ailleurs, la conquête plus ou moins disputée, le résultat chèrement acheté de luttes sociales ; ce n’est pas à la révolution qu’elle est due : ce serait, si l’on pouvait ainsi parler, à la contre-révolution. Elle est en effet le fruit de la réaction qui a ramené dans sa capitale, un moment soulevée, la monarchie plus jeune, plus vivace et plus forte que lorsqu’elle l’avait quittée. Ce n’est pas à une démocratie menaçante que l’égalité des droits civils a été concédée par une royauté chancelante : c’est un pouvoir victorieux qui l’a octroyée à des factions vaincues ; c’est pour briser dans les mains de l’aristocratie polonaise ou hongroise une arme redoutable que le gouvernement autrichien a fait l’œuvre même de Kossuth, en accordant à toutes les races qui peuplent son empire l’égalité civile, que le dictateur réservait aux seuls Magyars. Fut-ce générosité ou calcul ? Peu importe.

Remarquable par son origine, cette réforme ne l’est pas moins par la facilité avec laquelle elle s’est établie et par le succès qu’elle a obtenu. On sait ce qu’ailleurs de telles mesures rencontrent d’obstacles ; on a retenu ce mot appliqué à la France, qu’il est plus aisé d’y faire une révolution que d’y opérer une réforme. En Allemagne même, on voit partout les hautes classes lutter contre les prétentions de la bourgeoisie et du tiers-état ; la Prusse est troublée par ces combats de l’ancien et du nouveau régime, où la victoire reste encore indécise. En Autriche, au contraire, l’œuvre du prince de Schwarzenberg n’a pas rencontré un contradicteur. Privés de leurs pouvoirs de Justiciers et d’administrateurs, les membres de la noblesse n’ont rien revendiqué pour leur influence amoindrie et leur rôle effacé ; ils ont perdu, chose plus grave, la ressource des corvées, sans réclamer contre le prix qui leur en était offert. Fut-ce patriotisme ou résignation ? Qu’importe encore ? A présent, la destruction de l’ancien ordre de choses est complète, et nul effort ne saurait le relever. Quelques distinctions honorifiques, des préséances, l’accès privilégié à la cour, voilà tout ce qui reste à la noblesse de sa situation passée, et elle s’en contente. L’an dernier, aux eaux de Tœplitz, un noble baigneur me montrait avec complaisance les nombreux villages répandus dans la fertile plaine et sur le versant des riantes collines qui entourent cette résidence du prince Clary ; il m’énumérait avec orgueil les privilèges seigneuriaux qui jadis en avaient été l’apanage ? « à présent, ajoutait-il d’un air où une secrète satisfaction se mêlait encore au regret du passé, le maître de ce beau parc, qui donne aux étrangers la généreuse hospitalité de ses frais ombrages, n’a plus que le droit de hisser son propre drapeau au donjon de son manoir quand il l’habite, tout comme le souverain de la France aux Tuileries. »

Il faut cependant se garder de croire que de véritables et plus solides compensations n’aient pas été obtenues en dédommagement dès biens perdus. Je n’en voudrais pour preuve que l’élévation du prix de la propriété dans tout l’empire, et surtout en Hongrie. La singulière loi qui permettait à chaque propriétaire exproprié et à ses représentai de rentrer dans le domaine vendu, n’importe après quel délai, et en restituant seulement le prix de l’expropriation nonobstant toutes améliorations obtenues, avait fait tomber le prix de ces propriétés incertaines et précaires à un taux que nous nous refuse rions à admettre pour vrai. Le chef de la maison Sina, qui vient de mourir à Vienne, et qui a laissé une fortune de 200 millions de francs, possédait en biens-fonds une étendue de territoire égale à la superficie entière du royaume de Saxe. La plupart de ses propriétés, situées en Hongrie, avaient été achetées, dit-on, sur le pied de 10 pour 100 de revenu. Cette dépréciation s’explique par la constitution féodale de la propriété, dont je viens de citer une des principales dispositions, et qui resta en vigueur jusqu’en 1848. Croit-on que la privation des corvées, payée d’ailleurs par une indemnité assez considérable, ait été une perte notable pour les possesseurs de domaines dont la valeur s’est d’autant plus accrue que le droit de les transmettre est devenu plus libre.

Comme toute bonne conduite en outre porte avec, elle sa récompense, cette adhésion générale de la noblesse autrichienne à la réforme, civile de l’empire, loin de diminuer son influence traditionnelle, l’a renouvelée pour ainsi dire et en définitive accrue. On peut le reconnaître surtout à l’occasion du mouvement industriel qui agite la passer Allemagne aussi bien que le reste de l’Europe : ce sont les seigneurs de la Bohême, de la Galicie, de la Hongrie, qui se sont mis résolument à la tête des entreprises de grands travaux publics destinés à modifier si profondément l’état de contrées entièrement déshéritées sous ce rapport, et c’est en partie grâce à initiative intelligente. des hommes reconnus, par un usage traditionnel, pour ses chefs légitimes, que l’esprit public s’est tout d’un coup précipité dans cette nouvelle voie des améliorations matérielles.

Ainsi la réforme civile en Autriche a eu le notable avantage de s’opérer sans luttes, sans déchiremens. Le succès a été immédiat et complet et, il faut bien le reconnaître, la facilité en est due sur tout à ce que l’élément politique proprement dit s’est trouvé entièrement écarté de la question. Je n’ai pas besoin de faire observer à l’avance qu’en traçant ce tableau intérieur de l’Autriche, j’en retranche toujours ce qui concerne ses possessions italiennes, L’Italie, on ne saurait le redire assez, est la plaie de l’Autriche, et pour quiconque a traversé seulement la capitale de la Lombardie, pour qui a vu le soldat autrichien passer calme, triste et solitaire au milieu de ces Italiens dont le silence et la réserve dissimulent mal la passion, il est évident que ces deux races juxtaposées sur le même sol ne se mêleront jamais et ne se supporteront qu’au prix des plus grands efforts. Je n’entends, pas non plus justicier la politique intérieure du gouvernement autrichien dans tous ses rapports avec les paisibles populations qui lui sont soumises ; peut-être même, en raison de cette situation si tranquille, vaudrait-il mieux, avant que les réclamations ne se produisent, satisfaire, en les dirigeant, les besoins de liberté politique, conséquences inévitables de la civilisation moderne. Ce que je constate seulement, ce qu’on exprimait ici même, et tout récemment, avec plus d’autorité, c’est l’absence en Autriche de tout dissentiment, je serais presque tenté de dire de toute vie politique. Aux yeux les moins prévenus, la satisfaction des différentes classes est manifeste, et c’est ce repos, cette sécurité intime, fruit de sérieux avantages obtenus, qui, mêlé à une activité féconde en générale pour toutes les entreprises industrielles, donne en ce moment à l’Autriche une physionomie très caractérisée, très particulières et, on ne saurait le contester, très sympathique.

À ce tableau qui paraîtra peut-être flatté, on opposera, je le crains, l’état de la Hongrie. Je ne puis nier que sur ce théâtre d’une lutte sanglante et récente encore, il n’existe des germes de mécontentement, de haine même, et que l’on n’ait eu quelques raisons de croire à une nouvelle éruption du volcan révolutionnaire à peine éteint Je persiste pourtant à penser que ces craintes ne sont pas entièrement fondées. Il n’y a pas en Hongrie, comme en Italie, de ces antipathies radicales qui s’opposent à toujours à l’union des deux peuples : j’entendais exprimer très naïvement à Pesth le regret que le gouvernement autrichien n’y envoyât pas, au lieu de régimens croates, des régimens allemands, avec lesquels il serait plus aisé de vivre. Un pareil sujet de mécontentement ne me semble pas très difficile à détruire. L’hostilité qui persiste dans le cœur de la plupart des Hongrois me paraît plutôt le souvenir poétique d’une nationalité éteinte par l’action du temps que le sentiment amer d’une race opprimée et vaincue. Quelques nobles hongrois peuvent subventionner largement un théâtre national et se plaire à entendre les Opéras français et italiens, chantés dans leur langue, composée d’autant de voyelles que l’allemand est hérissé de consonnes ; les bourgeois opulens peuvent, le soir, vider leur bourse dans la main des zingaris, qui leur jouent ces czardas patriotiques empreintes d’un parfum si particulier et d’une saveur toute locale. Cela ressemble, avec plus de passion toutefois et partant plus de dangers, à l’opposition que l’esprit provincial a montrée plus d’une fois en France contre notre système de centralisation, et qui s’est manifestée par une recrudescence de poésies provençales et un mouvement littéraire très estimable en soi. Néanmoins, en pénétrant sous cette apparence, en voyant le paysan hongrois, devenu libre et propriétaire par le bienfait du gouvernement autrichien, enrichi par son commerce avec les provinces allemandes, qui lui paient si cher, depuis quelques années, ce blé qu’il produit avec tant d’abondance, on ne saurait sérieusement craindre pour l’avenir de l’annexion de la Hongrie à Autriche et la réunion des deux couronnes d’empereur et de roi sur le front du descendant des Habsbourg.

N’y a-t-il cependant rien qui puisse entraver le libre développement de cette renaissance civile que je me plais à signaler en Autriche ? Si, plus heureuse qu’en France, elle a eu la fortune d’éviter l’écueil de l’hostilité des classes, et n’a pas eu à passer par les horreurs des guerres intestines qui ont ensanglanté le berceau de notre égalité, n’existe-t-il aucune maladie intérieure qui puisse l’arrêter dans sa marche, jusque-là si facile ? Les malheurs de la révolution française ont eu pour cause, en même temps que l’accumulation des haines de classe à classe, le désordre invétéré des finances publiques. C’est la découverte de cette plaie si vive qui a déterminé l’explosion de toutes les fureurs et fait aboutir 1789 à 1793. Or l’Autriche n’a pas une très bonne renommée financièrement parlant, et l’on croit généralement que ses affaires sont en mauvais état. À Vienne, l’on ne pense pas sur ce point comme à Paris ; le ministre des finances, M. le baron de Bruck, a su inspirer une confiance qui rappelle celle qu’avait méritée et obtenue Necker. Une brochure, parue il y a quelques mois avec l’assentiment et sous l’inspiration du ministre autrichien, a eu, pour des raisons bien différentes, toute la fortune du Compte-rendu du financier français. En est-elle entièrement digne, et l’optimisme de M. de Bruck est-il complètement justifié ? Les finances de l’Autriche doivent-elles inspirer la défiance qu’elles suscitent hors de l’empire, ou le sentiment tout opposé et peut-être un peu irréfléchi qu’on éprouve à Vienne ? C’est ce qu’il serait sans aucun doute utile d’examiner.

Une étude sur les finances de l’Autriche peut présenter d’ailleurs un intérêt multiple. Avant tout, le sort des réformes intérieures qui datent de 1848 est attaché à une bonne situation financière. Ce n’a pas été, on le verra, sans un grand ébranlement dans le budget de l’état, sans de notables changemens dans le chiffre des dépenses et des recettes, qu’on a pu établir une administration et une justice uniformes dans tout l’empire, abolir les corvées, abattre les barrières des douanes intérieures, modifier les tarifs pour l’introduction des marchandises étrangères, etc. Pour se consolider et s’étendre, ces réformes intérieures, conquêtes de l’esprit nouveau qui a pénétré, qui prévaut dans cette Autriche naguère si étroitement fermée à son invasion, ont besoin que l’équilibre du budget dérangé par elles se rétablisse, et que la fortune publique s’améliore. L’intérêt financier se mêle donc ici à tous les intérêts nationaux, et étudier l’un, c’est connaître le sort réservé aux autres ; mais ce n’est pas tout, et il y a encore de nouvelles lumières à tirer d’une telle recherche. La situation des finances autrichiennes au moment où la guerre d’Orient a éclaté explique en effet mieux que tout autre motif politique la conduite du gouvernement de l’empereur François-Joseph dans les dernières complications européennes. Pourquoi tout d’abord de grands arméniens aboutissant à une inaction forcée ? pourquoi ensuite, à côté d’une attitude diplomatique plus décidée, un désarmement intempestif contredit bientôt par la résolution hardie qui a entraîné les volontés de la Russie, et qui a été peut-être, autant que l’effort décisif d’une grande puissance à bout de menagemens, le remède héroïque d’un malaise qui ne pouvait plus se prolonger ? C’est ce que le moindre examen des ressources financières de l’Autriche démontre avec évidence, comme il peut fournir aussi pour l’avenir des indications plus utiles même à recueillir que cette explication du passé.

L’ouvrage sur les mesures propres à rétablir les rapports de l’argent et du crédit révèle chez l’auteur de grandes espérances et une louable ambition. « Les finances, y est-il dit, ne sont que les conditions matérielles de la réalisation des exigences morales que la mission d’une grande puissance lui impose sans cesse. La possibilité de réaliser à l’aidé dès unes ce que commandent les autres constitué la possibilité de conserver la situation qu’implique le rang de grande puissance. » Mettre par conséquent l’Autriche en état de soutenir le rang qui lui appartient dans le mouvement universel qui pousse l’Europe vers l’Orient, lui assurer dans de futures éventualités la liberté d’action qui sied à un puissant empire, telle est la tâche que se propose l’auteur de ce plan financier, et on conviendra qu’il n’est pas inutile, même après le traité de Paris, de rechercher si les moyens sont ici à la hauteur du but.

Enfin, et pour descendre à des intérêts plus secondaires, l’état des finances autrichiennes préoccupe aussi l’esprit de tous ceux qui n’arrêtent pas à nos frontières l’essor de leurs spéculations. Plusieurs entreprises nouvelles ont appelé dans la Basse-Allemagne les capitaux de la France : beaucoup d’autres les appelleront dans un avenir prochain ; il peut par conséquent être opportun de donner quelques renseignemens non-seulement sur les ressources du gouvernement qui les autorise, mais aussi sur ces entreprises elles-mêmes. Le crédit devient de plus en plus solidaire entre tous les états de l’Europe ; on ne saurait donc éclairer d’une lumière trop vive la situation particulière de chacun d’eux. Cette étude intéresse à un égal degré ceux qui, croyant à la puissance illimitée du crédit, saluent dans l’époque actuelle l’aurore d’une ère nouvelle, comme ceux qui, tout en admettant la fécondité des prodiges réservés à l’esprit industriel du siècle, souffrent néanmoins de cette adoration exclusive de l’utile, et cherchent à diriger le génie humain vers d’autres voies, en lui montrant quels dangers peut offrir, même à qui veut les posséder sûrement, la poursuite immodérée des seules jouissances matérielles. Pour tracer à tous ces points de vue le tableau financier de l’Autriche, il convient donc d’examiner successivement son budget, la situation de la banque nationale, dont le sort est si intimement lié à la fortune de l’état, les nouveaux établissemens de crédit et les entreprises récentes de travaux publics.

I. – DU DEFICIT DANS LE BUDGET AUTRICHIEN.

Les finances de l’Autriche sont atteintes du même mal que celles de la plupart des états européens ; mais le mal y est plus invétéré, plus profond, et paraît devoir être plus durable. Quelques mots et quelques chiffres mettront cette situation dans tout son jour.

L’Autriche a passé par deux crises redoutables, l’époque des grandes guerres continentales et la révolution de 1848 : l’une et l’autre lui ont légué les embarras d’une émission excessive de papier-monnaie. La première émission et le premier désarroi des finances autrichiennes remontent au règne de Marie-Thérèse. Après les guerres de notre premier empire, en 1816, le montant du papier-monnaie s’élevait à 678,700,000 florins, c’est-à-dire, en admettant le cours de 2 fr. 50 cent, par florin, à 1,696 millions. Le cours était tombé à 60 pour 100 au-dessous de la valeur nominale. La création de la banque nationale en 1817 eut pour objet de substituer un papier in spirant plus de confiance, celui de la banque elle-même, au papier si déprécié de l’état. Celui-ci fut entièrement retiré de la circulation ; au moyen d’annuités successives payées par l’état, la banque nationale rentra bientôt dans une grande partie de ses avances ; en 1848, elle n’était plus créancière que de 80 ; millions de florins. Les finances autrichiennes étaient améliorées à ce point, que pendant deux an nées le budget se solda par un excédant de recettes, — 20 millions de francs en 1845, et moins de 3 millions seulement en 1846 ; « mais le déficit reparut en 1847 ; il s’élevait alors à 17 millions de francs ; depuis lors, il s’est accru dans une progression que je pourrais dire indéfinie, puisqu’en 1854 et 1855 on ne saurait l’évaluer à moins, de 360 millions de francs par an. L’ensemble de ces déficits successifs n’est pas au-dessous de 1,500 millions de francs. : C’est, comme on s’en doute bien, par une nouvelle émission de papier-monnaie, et aussi par des emprunts qu’on y a pourvu.

Le premier moyen, l’emploi du papier, date de l’époque révolutionnaire. En 1848, le papier-monnaie fut l’unique ressource dont chacun à l’envi usa et abusa : le gouvernement constitutionnel, le gouvernement, insurrectionnel, le dictateur de la Hongrie, les particuliers eux-mêmes à l’instar des pouvoirs publics, chacun battit monnaie avec du papier. On vit des manufacturiers de la Bohême faire du papier pour solder et nourrir leurs ouvriers. À Vienne, faute de petites coupures, on déchira les billets de 1 florin jusqu’en huit morceaux, et chacune de ces fractions indéchiffrables et informes jouit de la faveur du cours forcé. Enfin le gouvernement songea à retirer une fois encore tout ce papier de la circulation, et en confia le soin à la banque. 167 millions de florins de papier-monnaie furent ainsi échangés contre des billets de banque. Pour couvrir la banque de ses avances, l’état lui abandonna une partie du produit des emprunts nouveaux, et put dès l’année dernière réduire cette dette de 143 millions de florins ; mais à la même époque, et pour subvenir à d’autres besoins non moins urgens, l’état se trouvait encore débiteur envers la banque d’une nouvelle somme de 155 millions de florins, soit 387 millions de francs.

En quelle triste situation se trouvaient en ce moment les finances autrichiennes ! De 1851 à 1854, par souscription volontaire à l’intérieur ou à l’extérieur, le gouvernement avait emprunté 250 millions de florins ; Le 20 juillet de l’année 1854, un emprunt national de 500 millions de florins venait d’être contracté ; mais c’était là un expédient extrême, et qui n’en permettait plus d’autres puisque pour obtenir la souscription de cet emprunt, on avait dû recourir à certaines mesures de pression qui lui donnaient quelques-uns des caractères de l’emprunt forcé. Et lorsque nul recours à la banque, déjà si fort à découvert, ne semblait possible, non plus qu’au crédit intérieur violenté, ou au crédit extérieur, auquel on n’osait plus s’adresser, les conférences de Vienne venaient de se rompre, et la guerre paraissait devoir prendre de nouvelles et plus grandes proportions ! Ce fut alors que le gouvernement se vit contraint de licencier des forces considérables, infanterie et cavalerie, de vendre une partie des chevaux de service, de désarmer en un mot au moment où l’action était imminente. Ce fut alors aussi que le ministre des finances, dont les pressans conseils avaient eu à cet égard une influence décisive, proposa diverses mesures destinées à régler les embarras passés et à conjurer ceux de l’avenir. Ceux-ci n’étaient pas en effet les moins grands : le déficit du budget pour 1856 eût été égal à ceux des années précédentes, sinon supérieur, car, quoique réduite ; l’armée nécessitait encore des sacrifices dont le fardeau n’était plus supportable. Fort à propos pour l’Autriche, la paix est venue lui permettre de rentrer dans une voie plus régulière, et donner plus de chances de succès aux mesures financières qu’il nous reste à examiner ; mais la paix fera-t-elle disparaître du budget autrichien le déficit qui en est le mal chronique ? C’est ce qu’il n’est point permis de croire, et ce à quoi dans tous les plans ministériels on ne paraît point avoir suffisamment songé.

Quant à l’exercice 1856, il est hors de doute que les conséquences de la guerre s’y feront également sentir. L’armée, tout en ne montant plus, comme en 1855, au chiffre de 700,000 hommes, présente toujours un chiffre notablement supérieur à l’effectif normal ; mais, en admettant même que les questions extérieures encore pendantes permettent de réduire dans un délai très court l’armée au pied de paix, que l’Italie ne nécessite point des précautions, ou, ce qui serait préférable, n’appelle pas des réformes toujours coûteuses, il est évident que non-seulement pour l’année 1857, mais pour longtemps encore, les dépenses et les recettes ne pourront s’équilibrer, et cela très certainement à cause des réformes intérieures dont l’initiative reste attachée au nom du prince Schwarzenberg, et dont le ministre de l’intérieur, M. Bach, n’a cessé de poursuivre l’exécution. Il a fallu en effet pourvoir à des besoins administratifs bien plus grands depuis que l’annexion du royaume de Hongrie et des provinces adjacentes a mis à la charge du budget de l’état des dépenses qui figuraient au compte particulier des provinces et des seigneurs. Il suffit, pour s’en convaincre, de comparer le budget de 1845, soldé par un excédant de recettes, antérieur à l’annexion, et celui de 1853, qui l’a suivie. À part le chiffre de la dette consolidée, nécessairement accru, à part aussi le chiffre du ministère de la guerre, dont les dépenses répondent à des dangers politiques intérieurs et extérieurs, les plus fortes augmentations portent sur les ministères de l’intérieur, des finances, de la justice et des travaux publics, tandis que les dépenses de la liste civile et du ministère des affaires étrangères restent stationnaires. Ainsi le budget des travaux publics s’élève de 25 millions de francs à 38, sans compter les dépenses extraordinaires, qui, de 1848 à 1855, ont absorbé 370 millions de francs. Le ministère de la justice monte de 13 millions à 45, celui de l’intérieur et de la police de 40 à 75, enfin celui des finances de 31 à 65. En somme, le budget des dépenses passe du chiffre de 382 millions de francs à celui de 735, soit près de 100 pour 100 d’augmentation. Cependant en 1853 les recettes produisaient seulement 595 millions contre 410 en 1846. En.1855, les dépenses ordinaires, c’est-à-dire les dépenses générales, moins celles de l’augmentation de l’armée, s’élèvent à 750 millions de francs, et les recettes à 645.

Que ce déficit soit la conséquence des réformes introduites dans l’administration intérieure de l’empire, dans l’assiette des impôts, c’est ce qui semble hors de doute, non moins que l’impossibilité de revenir à l’état de choses ancien. Or, s’il faut s’accommoder du régime nouveau, il faut également pourvoir au déficit qui en est la conséquence, ou aviser aux moyens de le faire cesser. On doit avant tout se demander quel peut être le chiffre normal des dépenses ordinaires en Autriche. Après toutes les réductions possibles, ce chiffre a été, en 1855, de 301 millions de florins ; avec l’accroissement de la dette, conséquence du dernier emprunt, et pour continuer les travaux publics, dont la paix rendra le besoin plus urgent, on ne saurait évaluer à moins de 320 millions de florins, ou 800 millions de francs, le budget des dépenses de l’empire. Si les recettes ordinaires ne devaient pas dépasser 260 millions de florins, et elles n’ont été que de 258 en 1855, ce serait donc un déficit normal de 60 millions de florins ou de 125 millions de francs par an. D’ici à deux années environ, le gouvernement a les moyens de le combler : il lui reste encore à recouvrer 218 millions environ sur les 500 millions de florins de son emprunt, il doit toucher une partie du prix des ventes de chemins de fer et de domaines qu’il a concédés à des compagnies étrangères ; mais ce sont là des ressources temporaires, et lorsqu’elles seront épuisées, la question du déficit se présentera de nouveau, si l’accroissement des recettes ordinaires, dû au maintien de la paix générale, au développement de la prospérité intérieure, aux entreprises et aux mesures financières émanées de l’initiative du ministre des finances, n’est pas parvenu à le combler.

Le plus rapide coup d’œil jeté sur le régime des impôts en Autriche montre avec évidence qu’ils pourraient donner un chiffre bien autrement considérable que le produit actuel. L’impôt foncier, qui a subi en 1849 une augmentation d’un tiers, fournit 60 millions de florins. L’auteur d’une étude sur le l’établissement de l’équilibre dans le budget autrichien estime qu’en 1850 la valeur des produits agricoles n’était pas inférieure à 1,290 millions de florins, et il en conclut que l’impôt foncier pourrait être élevé très facilement. Lors de l’évaluation du produit des propriétés rurales, on a en effet pris pour base le prix des récoltes de 1844, c’est-à-dire de l’année la plus favorable dans une période de cinquante ans, et on a évalué l’impôt au seizième du revenu ainsi établi. La mise en valeur des domaines immenses que le défaut de voies de communication rend à peu près improductifs fournirait aussi une importante augmentation au chiffre de l’impôt foncier ; mais cette dernière amélioration ne peut s’effectuer que peu à peu, tandis que la première dépend absolument de la volonté du chef de l’état. Il est vrai que les changemens intervenus dans la situation de la propriété territoriale par suite de l’abolition des corvées ne rendent pas le moment opportun pour imposer de nouvelles charges aux propriétaires du sol. Les impôts directs, c’est-à-dire les impôts foncier, personnel, des patentes, des droits successifs, enfin un impôt sur le revenu, ont produit 88 millions de florins en 1855, soit 220 millions de francs. C’est assurément fort peu pour un empire qui renferme 40 millions d’habitans dans une étendue de 12,000 milles carrés géographiques ; la France n’a qu’une superficie de 9,700 milles carrés et une population de 36 millions d’habitans. Le chiffre des impôts indirects de toute nature s’est aussi élevé en 1855 à 130 millions de florins, soit 347 millions de francs. Quelques calculs, quelques rapprochemens suffiront, je l’espère, pour faire comprendre l’avenir réservé à cette partie des revenus publics, qui, par son accroissement plus ou moins rapide, est le véritable signe du pro grès de la richesse des nations. Avant tout, il importe de remarquer quelle est la progression de ces impôts en général. En 1845, avant l’annexion de la Hongrie, ils produisaient 233 millions de francs ; depuis lors, ils se sont élevés en 1853 à 325 millions ; en 1855, ils ont atteint seulement le chiffre de 348. Que l’on compare ces résultats avec ceux qu’en France le rapport du ministre des finances signalait, dans le Moniteur, au commencement de cette année. Pour le seul exercice de 1855, l’augmentation en France a égalé presque celle que l’Autriche a obtenue en onze années du bénéfice du temps et de l’accroissement d’un tiers dans l’étendue des pays soumis au régime de ses impôts. Je me bornerai à citer quelques branches des impôts indirects, et l’on verra qu’après un accroissement subit et nécessaire, fruit de l’annexion, le rendement de ces impôts reste à peu près stationnaire.

L’impôt de consommation, perçu sur les liquides, les denrées alimentaires, etc., produisait en 1831 16 millions de florins ; en 1847, il s’était élevé à 20 millions. L’annexion de la Hongrie le fit monter tout d’un coup à 27 millions ; en 1855, il n’était encore que de 29. Le produit de l’impôt du sel est le même qu’il y a dix ans. Le revenu du tabac, après l’extension du monopole à tout l’empire, s’est élevé tout à coup, du chiffre de 12 millions de florins en 1845, à 21 millions en 1853 ; en 1855, il n’est encore que de 25 millions. On remarque à ce sujet que la Hongrie, avant l’annexion, fournissait du tabac à tout l’empire et en exportait pour 2 millions : aujourd’hui l’Autriche en achète pour le double à l’étranger, et cependant la consommation ne s’est pas accrue dans la même proportion, au moins d’après les chiffres du budget ; mais on doit remarquer que la faculté laissée aux cultivateurs de produire librement du tabac pour leur consommation personnelle ouvre la porte à de nombreux abus. Le produit des douanes était en 1831 de 10 millions de florins ; en 1847, il s’était élevé, par le seul fait de la tranquillité générale, à 19 millions ; l’annexion l’a porté en 1852 à 23 millions ; il n’a fait que décroître depuis, et l’année dernière il n’était plus que de 19 millions.

Deux causes expliquent cette regrettable décadence : d’une part l’élévation du change, qui constituait une véritable prime d’exportartion, et d’autre part, les abaissemens de droits survenus après 1848. Le rétablissement du pair pour le cours du papier autrichien enlèvera au travail intérieur l’excitant anormal qui avait stimulé l’exportation, et permettra d’apprécier à leur juste valeur les effets des réformes douanières. Le gouvernement impérial est entré résolument dans une voie nouvelle : non-seulement il a supprimé la ligne de douanes intérieure qui divisait l’empire en deux parties, il a levé la prohibition sur un grand nombre d’articles étrangers, il a modifié ses tarifs dans un sens libéral, mais encore il a conclu avec le Zollverein, en 1853, un traité qui assure dans un temps donné la fusion commerciale entre les deux grandes fractions de la nation allemande. Dieu veuille que l’industrie autrichienne soit en état de se soutenir malgré l’envahissement si subit des produits étrangers, ou qu’avec le développement des siens propres, l’accroissement des richesses agricoles qu’elle renferme, l’Autriche rétablisse la balance dans le compte de l’exportation et de l’importation !

Comment serait-il possible d’accroître le produit des impôts indirects, dont le rendement stationnaire me paraît un des faits les plus regrettables qui ressortent de l’examen du budget autrichien ? Le gouvernement, par des améliorations administratives, diminuera-t-il le montant des prix de perception, doubles en Autriche de ceux qui sont perçus dans le Zollverein ? fera-t-il disparaître les abus ? frappera-t-il de nouvelles taxes, ou attendra-t-il l’accroissement de la richesse publique, qui a pour résultat nécessaire l’augmentation de cette sorte d’impôts ? Quelque soit le remède, ce statu quo est néanmoins un mal qui m’a paru devoir être signalé, et tant qu’il subsistera, on ne peut espérer le l’établissement prochain de l’équilibre du budget.

Il existe enfin une troisième branche des revenus publics dont la situation actuelle est des moins satisfaisantes : je veux parler des domaines de l’état des chemins de fer, des mines et des établissemens métallurgiques en général. Jusqu’en 1854, l’état avait presque le monopole des mines, et les particuliers étaient tenus sous une espèce de dépendance féodale, puisqu’ils lui payaient le dixième de leur produit brut. Quel parti au moins le gouvernement tirait-il de son omnipotence, et quels étaient les revenus de ces propriétés de mines, dont l’administration active ne comptait pas moins de 45,000 individus ? Pendant la période la plus prospère, c’est-à-dire de 1841 à 1846, le produit net a été de 2 pour 100 sur le produit brut. La règle commune, c’est un déficit qui s’élève quelquefois jusque 5 millions de francs.

Les chemins de fer, qui, à la même époque, appartenaient aussi à l’état, sauf un seul, et pour lesquels il avait dépensé 145 millions de florins, rapportaient à peine, comme produit net, 27 pour 100 du produit brut. C’étaient là de tristes résultats, et le gouvernement, pour y porter remède, abandonna une partie des mines et presque tous les chemins de fer à l’industrie particulière. Il comprit que cette industrie est plus apte que l’administration publique à l’exploitation de certains travaux, et qu’elle assurerait plus sûrement le développement de cette partie principale de la richesse nationale. Il importe toutefois de constater que l’administration autrichienne ne mérite pas tous les reproches que lui ferait encourir à priori le simple rapprochement entre le produit brut et le produit net, fruit de sa gestion. Il faut savoir que beaucoup de dépenses étaient imputées sur le revenu qui dans toutes les exploitations sont mises au compte du capital. Toutes les améliorations, toutes les constructions étaient soldées par le produit brut, et si l’état perdait en revenu, il augmentait à coup sûr son capital.

Enfin l’état possède d’immenses domaines composés de terres cultivables et des forêts autres que celles annexées aux mines. Ces domaines, d’une étendue de 2 millions et demi d’hectares en 1802, ne doivent pas, depuis l’annexion de la Hongrie et des provinces adjacentes, renfermer moins de 5 millions d’hectares. Dans le budget de 1855, ils figurent pour un revenu de 8 millions de francs !

Quelle valeur n’atteindront pas ces propriétés par le développement des voies de communication ! Le prix seul, élevé à un taux qui pour nous serait encore modique, suffirait à assurer la liquidation de tous les embarras de l’Autriche, présens, passés et futurs. En attendant que cet avenir se réalise, et que le gouvernement trouve dans ses diverses sources de revenus de quoi subvenir à ses de penses régulières, voyons quels moyens il a adoptés pour régler sa situation présente et préparer l’accroissement indispensable de la prospérité intérieure.


II. – DE LA BANQUE NATIONALE ET DE SES RAPPORTS AVEC L’ETAT.

Nous avons dit dans quelles circonstances la banque nationale de l’Autriche avait été créée en 1817, et l’on comprend dès lors comment, fondée pour venir au secours de l’état, la fortune de l’une est devenue solidaire de la fortune de l’autre. Société particulière, puis qu’elle est composée d’actionnaires indépendans, seule privilégiée pour l’émission d’un papier de circulation dans tout l’empire, à la fois banque d’escompte, de prêt, de dépôt et de circulation, aucune limite ne lui a été imposée quant au chiffre de l’émission de son papier, et aucune proportion rigoureuse n’a été établie entre cette émission et l’encaisse métallique. Enfin son papier a reçu le privilège du cours forcé, non pas tout d’abord dans les transactions particulières, mais pour tous les versemens aux caisses publiques. Il est vrai qu’à côté de cette liberté d’action réservée à la direction de la banque, le paragraphe 44 du titre IV de ses statuts établit que l’administration de la banque ne pourra sans l’autorisation spéciale du ministre des finances : 1° augmenter le fonds social, 2° fixer la proportion à conserver entre l’émission des billets et l’encaisse métallique, 3° adopter les mesures propres à augmenter l’encaisse, 4° déterminer le taux de l’escompte et de l’intérêt des prêts, 5° répartir le dividende, 6° employer les fonds de la réserve, 7° convoquer extraordinairement le comité directeur, 8° fonder des succursales, — en un mot procéder à aucun acte de quelque importance, — d’où il résulte que la banque nationale est une véritable banque d’état destinée à subir le contre-coup de tous les embarras du gouvernement.

On a vu en effet qu’aux deux époques de crise de l’Autriche, la banque avait eu pour premier soin de pourvoir à la dépréciation du papier-monnaie et de le retirer de la circulation. La dette contractée de ce chef par le gouvernement ne s’élève plus qu’à 60 millions de florins pour la première émission de papier remboursé à l’aide d’annuités, et à 24 pour la seconde à recevoir sur les versemens de l’emprunt national. Il est vrai que l’état a contracté envers la banque une nouvelle dette de 155 millions de florins, en raison des avances qui ont dû être faites pour subvenir aux besoins de la guerre et au déficit du budget. Pour couvrir la banque nationale de cette avance énorme que le trésor était incapable de rembourser, le ministre des finances proposa d’abandonner à titre de gage une partie des domaines de l’empire jusqu’à concurrence de 155 millions de florins. Le gouvernement transféra donc à la banque, avec toutes les pré cautions suffisantes, la propriété de ses domaines : il lui en abandonna l’administration, il en autorisa la vente ; mais il introduisit dans le contrat deux clauses qui en amoindrissent singulièrement l’effet. Ainsi la vente des domaines ne peut avoir lieu sans que le gouvernement en fixe l’opportunité, et jusqu’à ce jour il a décliné toutes les offres faites ; ainsi encore le revenu des domaines sert à amortir le capital de la dette sans que l’état paie à la banque aucun intérêt. Quoi qu’il en soit, cette mesure, dont la réalisation peut être prochaine, grâce au projet de fondation d’une société de crédit immobilier qui semble créée tout exprès pour l’acquisition de ces domaines, — cette mesure est dès ce moment marquée par de très heureux résultats. Elle a certainement contribué à relever le cours du papier » dont le change, qui avait été de 150 florins contre 300 francs de notre monnaie, est aujourd’hui seulement de 119[1].

À moins de nouveaux événemens, et si cette nouvelle dette peut être bientôt liquidée, la banque nationale sera donc prochainement en meilleure situation vis-à-vis de l’état, et elle se trouvera en mesure de rendre de plus importans services au commerce. Il est juste pourtant de reconnaître tous les efforts que la banque a déjà faits en sa faveur : c’est ainsi que douze succursales ont été établies dans les principales villes de l’empire ; il est encore question d’en créer d’autres, et le nombre en doit être porté à seize ou dix sept. Il faut remarquer aussi que grâce au cours forcé des billets et délivrée de la crainte de voir le numéraire émigrer sur les marchés étrangers, la banque a pu maintenir le taux de ses prêts et de ses escomptes à 4 pour 100. Cette persistance à conserver le taux de 4 pour 100, lorsque partout ailleurs l’intérêt et l’escompte des effets de commerce étaient beaucoup plus élevés, a été vivement blâmée. On a reproché à la banque de favoriser certaines spéculations sur la différence de l’intérêt de l’argent emprunté à ses caisses et de l’intérêt de ce même argent prêté à la bourse ou ailleurs ; on a prétendu aussi que le commerce aurait eu plus de bénéfices à obtenir des escomptes à un prix supérieur, pourvu qu’il put en obtenir davantage. Il y a du vrai dans ces reproches, et les comptes-rendus mensuels de la situation de la banque, desquels il ressorti que le chiffre des prêts sur papier d’état égale, s’il ne l’excède pas, le chiffre des valeurs commerciales escomptées, révèlent une situation à coup sûr très anormale, et prouvent que la banque a délaissé les opérations les plus conformes à la nature de son institution. Il ne faut pas oublier cependant que le gouvernement venait d’émettre un emprunt national dont le poids était lourd, et que la banque, pour le soutenir, ne pouvait restreindre la somme des avances à faire sur le dépôt des titres de cet emprunt. L’état avait en outre remboursé les propriétaires féodaux en obligations, dont ils ne pouvaient se dispenser de faire argent comptant pour substituer le travail salarié aux corvées abolies, et la banque seule était en mesure de prêter sur ces obligations. Soutenir le cours de ces valeurs et celui de la rente semblait donc une nécessité d’état à laquelle il fallut pourvoir avant même de subvenir aux besoins du commerce ; de là la quotité des sommes consacrées aux prêts et le maintien de l’intérêt à 4 pour 100. Mais ce qui, dans la situation de la banque nationale comme dans l’état général des finances autrichiennes, mérite de fixer plus partie entièrement l’attention, c’est la prolongation du cours forcé du billet de banque. Qu’on doive en désirer la fin, nul doute à cet égard. Qu’on puisse l’espérer prochainement, c’est ce qui donne matière à plus d’hésitations. Les derniers comptes-rendus de la banque montrent une progression assez soutenue dans le chiffre de l’encaisse métallique ; mais il y a entre cet encaisse et le chiffre des billets émis une telle différence, qu’à moins de ressources extraordinaires on ne saurait prévoir avant un long terme le rétablissement d’une juste mesure. Le compte-rendu de mai montre l’encaisse s’élevant à 54 millions de, florins contre une émission de 370 millions de billets. Dans celui d’avril, l’encaisse était de 51 millions 1/2 contre une émission de 366 millions 1/2. Par quels moyens pourrait-on arriver au chiffre représentant le tiers de l’émission du papier, proportion admise comme normale pour la garantie métallique des billets de banque ? La banque a émis 50,000 actions nouvelles, attribuées, une pour deux, à ses anciens actionnaires, et le montant intégral des 700 florins, prix de ces actions, devait être versé en argent ; mais on s’aperçut que c’était amener inévitablement la hausse de l’argent lui-même que délaisser à chaque actionnaire le soin de se procurer le numéraire indispensable, et la banque se borna à recevoir en papier le prix représentatif de 700 florins d’argent, sauf à acheter elle-même des valeurs métalliques au dehors. Toujours est-il que cette émission d’actions n’a pas encore donné à la banque les ressources métalliques nécessaires pour reprendre ses paiemens en espèces. Diminuera-t-elle le chiffre de ses billets pour rétablir la proportion ? Ce serait cruel, eu égard aux besoins de la circulation, qui n’ont que ce seul moyen de se satisfaire. Attendra-t-elle l’accroissement des dépôts de numéraire ? Ce serait naïf. Augmentera-t-elle le chiffre de ses achats au dehors ? Ce sera cher. Enfin l’état sera-t-il en mesure de lui faire sous peu un paiement considérable en espèces ? On peut l’espérer, quoique avec réserve. Toutefois la véritable question n’est pas là, et quand même la banque aurait pu se procurer 125 millions de florins en numéraire pour la reprise des paiemens en espèces, il faudrait encore se demander si la chance de maintenir intacte cette réserve dans les caisses de la banque est fondée ou non. On comprend en effet qu’il ne faudrait pas abolir le cours forcé pour le rétablir peu de temps après. Or, d’une part, il importe de savoir si à l’intérieur il existe encore chez les particuliers une réserve métallique suffisante pour qu’ils ne s’empressent pas de s’en faire une au détriment de celle de la banque, ou bien si l’usage du papiers-monnaie a tellement prévalu, qu’il n’y ait pas à craindre de lui voir préférer l’usage moins facile de la monnaie d’argent. Il faut examiner d’autre part si, dans ses échanges avec l’étranger, l’Autriche peut maintenir une balance telle qu’elle n’ait pas à fournir un appoint qui serait infailliblement perçu en numéraire. Quant à ce qui est de la circulation intérieure, on croit que, malgré la disparition de presque toute la monnaie d’argent et l’insuffisance de la réserve métallique dans le pays même, la plupart des provinces ont tellement adopté l’usage du papier-monnaie, qu’il n’y a pas à redouter de changement notable dans des habitudes aujourd’hui enracinées. Les possessions italiennes font seules exception à la règle commune ; mais dès à présent les transactions s’y soldent en numéraire. Quant aux relations avec l’extérieur, il y a plus d’appréhensions à concevoir à cet égard. Assurément l’Autriche demande aux pays étrangers plus qu’elle ne leur donne. Plus agricole que manufacturière, elle s’adresse à eux non-seulement pour les objets fabriqués, mais aussi pour quelques articles de consommation proprement dite, tels que le sucre et le café, dont l’usage est universel. Les nouvelles réformes de douanes, en supprimant les barrières qui séparaient l’Autriche du reste de l’Allemagne, ont donné ou donneront plus de facilités à l’importation, et il est par conséquent à peu près certain que le bilan du commerce extérieur se balancera par un solde à payer. Ce solde, ne sera-ce point dans la réserve de la banque qu’on ira le prendre, et pourra-t-on, en ce cas, espérer de maintenir une proportion convenable entre l’encaisse métallique et l’émission des billets ?

En présence de ces deux faits, — l’absence de réserve métallique à l’intérieur, compensée par l’usage habituel du papier, et le déficit de l’exportation sur l’importation, — y a-t-il lieu d’espérer une prompte reprise des paiemens en espèces ? Sans cette reprise, y a-t-il lieu d’espérer l’entier l’établissement du crédit de l’Autriche ? Enfin la solution la plus simple ne serait-elle pas la reprise facultative des paiemens en numéraire, tout en maintenant le cours forcé du billet de banque ? Je ne fais que poser ces questions, et je passe à l’examen des entreprises nouvelles à l’aide desquelles le gouvernement impérial compte développer la prospérité intérieure de ses peuples, de manière à assurer à la fois la liquidation de ses dettes passées comme l’équilibre de son budget à venir, et à conquérir ainsi, même au point de vue financier, le haut rang auquel il se croit appelé par une louable ambition.


III. – DES NOUVEAUX ETABLISSEMENS DE CREDIT ET DES GRANDES ENTREPRISES INDUSTRIELLES.

La banque de Vienne, par suite de ses engagemens envers l’état, n’était point en mesure de subvenir entièrement aux besoins commerciaux de l’empire. Les restrictions apportées par ses statuts à l’escompte, et notamment la condition des trois signatures exigée pour l’admission des billets et des lettres de change, laissaient en dehors de ses opérations le petit commerce proprement dit. Pour combler une lacune d’autant plus regrettable que les circonstances étaient plus difficiles, le gouvernement autorisa le 16 décembre 1853 la création d’un comptoir d’escompte au capital de 10 millions de florins. Je remarque dans les statuts de cet établissement une combinaison nouvelle que je crois utile de signaler. Toutes les personnes à qui un compte courant est ouvert commencent d’abord par opérer un versement de 5 pour 100 sur le crédit demandé, qu’il soit fait ou non usage de la totalité de ce crédit, et chacun de ces débiteurs garantit en outre solidairement le remboursement de tous les crédits ouverts jusqu’à concurrence du propre crédit qu’il a demandé. Avec cette double garantie d’un fonds de réserve de 5 pour 100 et de la solidarité de tous les débiteurs, on comprend quelle solidité présentent toutes les opérations du comptoir. En même temps un comité, nommé par les débiteurs associés, surveille toutes les avances de fonds concurremment avec les représentans des actionnaires.

Après avoir ainsi pourvu aux besoins du petit commerce, le gouvernement impérial crut qu’il était nécessaire de venir également en aide à la grande industrie. La banque en effet n’est point autorisée à consentir des prêts sur dépôts d’actions de chemins de fer ou autres ; il fallait donc ou la laisser étendre ses opérations ou créer à côté d’elle un nouvel établissement : ce dernier parti prévalut, et une société de crédit mobilier pour le commerce et l’industrie fut autorisée à Vienne. Elle fut fondée au capital de 100 millions de florins, représentés par 500,000 actions de 200 florins, dont 300,000 seulement ont été émises. Son privilège fut fixé à quatre-vingt-dix ans, et elle eut le pouvoir de fonder des succursales dans toutes les villes de l’empire. Les opérations auxquelles la société de crédit mobilier peut se livrer sont des plus étendues, mais elles ne doivent pas dépasser les frontières autrichiennes ; toute affaire avec l’étranger lui est interdite. À l’intérieur, elle peut faire des avances sur les rentes de l’état, sur les emprunts locaux de provinces, d’arrondissemens et de communes ; elle peut souscrire et négocier tous les emprunts publics et même aussi ceux des particuliers, la bourse de Vienne offrant cette singularité, que des emprunts effectués par de grands seigneurs sous forme de loterie y sont négociés et cotés. La société de crédit mobilier est également autorisée à prêter sur produits bruts et sur marchandises, à entreprendre des opérations industrielles ou autres d’utilité publique, à modifier les sociétés existantes, à émettre par conséquent les actions et obligations de toutes ces sociétés et à émettre aussi ses propres obligations, portant intérêt, jusqu’à concurrence des valeurs qu’elle a en caisse. La plus courte échéance des obligations du crédit mobilier doit être d’un an. Inutile de dire que c’est encore une banque de dépôt et de recouvrement, que toutes les opérations des banques ordinaires lui sont permises, mais qu’il lui est interdit de faire des opérations à découvert et des opérations à prime, comme de spéculer sur ses propres actions.

La création de la société de crédit mobilier à Vienne a donné lieu à de grands débats. On a reproché à cet établissement d’être fondé sur des bases trop exclusives, et de ne pouvoir étendre ses opérations hors de l’Autriche. Même dans cette limite restreinte, on lui conteste le rôle de dispensateur du crédit au véritable commerce et à l’industrie proprement dite, et on le représente, ainsi que d’autres sociétés analogues, comme destiné à satisfaire surtout aux besoins de la spéculation. Quoi qu’il en soit, ou peut-être même en raison de ce dernier motif, l’empressement du public à répondre à l’appel des fondateurs du crédit mobilier a été au niveau de tout ce que nous avons vu en France dans des circonstances analogues. 15 millions de florins avaient été demandés à la souscription publique : la répartition définitive a donné 2 pour 100 sur le chiffre des souscriptions reçues. Pendant la nuit qui a précédé le jour d’ouverture de la souscription, on a vu les rues voisines du lieu de versement envahies par une foule compacte supportant bravement les rigueurs d’un froid de 20 degrés. Cet empressement au reste est déjà récompensé par l’élévation de 100 pour 100 obtenue dans le prix des actions du crédit mobilier viennois. À peine fondé, il a pris une part si considérable dans des entreprisée nouvelles que la réalisation des primes acquises à ces entreprises, même avant l’émission des actions, permet aux actionnaires du crédit mobilier de compter sur un dividende très élevé.

À côté de ces grands intérêts du commerce et de l’industrie, il y en a néanmoins un autre dont l’importance est supérieure, et qu’il fallait sauvegarder. L’abolition des corvées dans tout l’empire, la modification apportée aux lois de propriété en Hongrie ont produit depuis 1848 des conséquences diverses et fort importantes. Il en est résulté tout d’abord pour la propriété un notable embarras : les bras ont manqué, les salaires se sont élevés, et si l’abolition du servage a permis aux propriétaires de trouver plus de fermiers qu’auparavant et même à un prix supérieur, il n’en est pas moins certain que l’exploitation de domaines ruraux dont l’étendue est hors de proportion avec la population agricole se trouvait, sinon compromise, au moins difficile. Il fallait surtout et d’abord se procurer le capital d’exploitation suffisant ; dans les circonstances générales où se trouvait l’Autriche, c’était chose malaisée. Le gouvernement se fit alors l’intermédiaire entre les paysans et les propriétaires ; il reçut des premiers, sous forme de rentes ou en une somme une fois payée, le prix des corvées qu’il rendit aux propriétaires en obligations appelées Grund-entlastungs[2]. Ces obligations, qui doivent être remboursées en quarante ans au moyen d’un tirage annuel et qui peuvent être déposées à la banque, ont fait l’office de véritables effets de commerce négociés par les propriétaires, et leur ont fourni le capital nécessaire à l’exploitation.

Cet expédient toutefois n’était que provisoire ; il fallait adopter de nouvelles mesures pour que la réforme territoriale produisît toutes ses conséquences. Depuis longtemps, le gouvernement autrichien s’est préoccupé de l’état de la propriété ; depuis plus d’un siècle déjà, il a tenté plusieurs essais pour favoriser entre la grande et la petite propriété le développement de la propriété intermédiaire, et activer ainsi la formation de cette classe moyenne qui est la véritable force des nations civilisées. C’est dans cette intention qu’avaient été fondées des colonies allemandes en Galicie, sur les frontières russes et dans le nord de la Hongrie. La réforme de 1848 opéra sur tous les points de l’empire ce qui n’avait été tenté que partiellement. Partout en effet le paysan cherche à devenir propriétaire du sol, et si la concurrence locale faisait défaut, on pourrait compter sur une véritable émigration de l’Allemagne du nord. On remarque en effet que cette classe dite des jeunes fils, trop pauvres pour acquérir des propriétés grevées encore de prescriptions féodales, trop riches pour rester ouvriers, fournit de moins nombreux élémens à l’émigration lointaine, ou se hâte de revenir en Europe, et on espère avec raison diriger vers l’Allemagne du sud ce courant de petits capitaux et de travailleurs si utiles à l’agriculture.

Deux autres résultats importans, quoique secondaires, ont aussi suivi la réforme de la propriété. Le cours du papier-monnaie a été relevé par le besoin d’argent, devenu subitement plus vif, et le prix des terres a augmenté aussi bien que le taux des fermages et des salaires. Dans l’état des finances autrichiennes, avec une masse de propriétés aussi considérable que celles des domaines, ce sont là deux améliorations qu’il importe de continuer et d’étendre, et l’on comprend facilement le prix qui doit s’attacher à la création d’un établissement de crédit destiné à venir au secours de la propriété.

Cet établissement est la banque hypothécaire, dont les statuts sont approuvés, et qui doit fonctionner à partir du 1er juillet 1856. Fondée au capital de 40 millions de florins, ce n’est, à vrai, dire qu’une division de la banque nationale, puisque c’est celle-ci qui a fourni ce capital au moyen de sa dernière émission d’actions. La banque hypothécaire est autorisée à prêter d’une part à la propriété sur hypothèque, et d’autre part à emprunter sur ses propres obligations. Aucune limite ne lui est fixée quant à l’intérêt du prêt, à la durée, ni même à la quotité par rapport à la valeur des biens engagés. Seulement, au-delà de la première moitié de cette valeur, elle ne peut prêter que sur première hypothèque. Les statuts ont armé en revanche l’administration de la banque hypothécaire des droits les plus étendus pour assurer le remboursement de ses créances. Si par exemple le débiteur n’a pas acquitté dans le délai voulu les intérêts de sa dette, les impôts dus à l’état,s’il est tombé en faillite, si la propriété engagée a diminué de valeur, la banque a le droit de poursuivre le remboursement de la créance, non-seulement sur l’immeuble engagé, mais à son choix sur tous les objets mobiliers et immobiliers du débiteur. Elle peut ainsi faire vendre ou séquestrer l’immeuble hypothéqué. Enfin il lui est encore permis d’exercer ce séquestre soit en affermant l’immeuble, soit en l’administrant pour son propre compte.

Quant aux obligations que la banque hypothécaire est autorisée à émettre, elles ne sauraient dépasser une somme supérieure à cinq fois son capital, c’est-à-dire 200 millions de florins, et elles doivent toujours être représentées par une valeur égale de prêts consentis. La banque peut escompter ces obligations, les racheter, les recevoir en dépôt, et faire des avances dans une proportion réglée par le ministre des finances ; enfin ces obligations, dont l’échéance la plus courte sera d’un an, pourront être achetées par les communes, les établissemens publics, pour compte de mineurs et d’orphelins, etc. Quels services rendra à l’agriculture cette banque hypothécaire ? C’est ce que le succès d’une semblable institution, fondée sur une base bien restreinte en Galicie, permet sans doute de prévoir. Cependant la liberté d’action de cette dernière est bien autrement étendue que celle réservée à la banque hypothécaire, puisqu’avec un capital de 200,000 florins seulement, elle a déjà émis pour plus de 14 millions de florins d’obligations, et cela sans danger pour ses créanciers. La garantie des obligations ne repose pas en effet sur le capital de fondation, mais bien sur la valeur du gage affecté à l’hypothèque.

Enfin, à côté de ces nouveaux établissemens destinés à favoriser l’ensemble de la production dans l’empire, le gouvernement a cherché par quelques mesures particulières, par des concessions privées, à stimuler l’activité individuelle et à faire un appel aux capitaux étrangers. Après avoir rétabli dans le budget le plus de régularité possible, après avoir garanti solidement sa dette vis-à-vis de la banque et créé d’importantes institutions de crédit dans l’intérêt du commerce, de l’agriculture et de l’industrie, il ne lui restait plus qu’à invoquer le secours de la spéculation étrangère. Cette dernière tentative semble avoir complètement réussi.

L’état, on l’a vu, possède d’immenses domaines ; sauf un seul grand chemin de fer, celui du Nord, et quelques très petites lignes, il était propriétaire de toutes les voies ferrées ; le monopole des mines lui appartenait à vrai dire. Or on sait quel prix il tirait de toutes ces ressources. Aliéner une partie de ces biens, dont le revenu était à peu près nul, pour payer des dettes à gros intérêts, était une bonne opération : au lieu de réformer directement une vieille administration où les habitudes étaient enracinées, confier une partie du fardeau à des mains étrangères, extirper les abus par la force de l’exemple, et s’en remettre à l’intérêt particulier du soin d’augmenter la production, c’était aussi un utile projet. Le gouvernement voulut tenter cette épreuve, et il fit bien.

Son premier pas dans cette voie nouvelle fut le traité, par lequel il concéda à la compagnie austro-française les chemins de fer de l’état en Hongrie et en Bohême, des mines, usines et domaines si tués en Bohême, en Hongrie, et principalement dans le Bannat[3]. L’étendue de la ligne de Bohême, de Brunen à Prague et à Bodenbach, est de 480 kilomètres ; celle de Hongrie, s’embranchant, ainsi que la première, sur les chemins de la compagnie du Nord et allant à Pesth et à Szeggedin, a 449 kilomètres. Ces deux lignes ont été livrées pourvues de tout le matériel d’exploitation. Dans le parcours de la première, les terrassemens étaient prêts pour recevoir une seconde voie. Le gouvernement impérial s’est de plus engagé à livrer à la compagnie la ligne de Szeggedin à Temesvar, d’une longueur de 113 kilomètres, construite à ses frais, pourvue de tous les bâtimens accessoires, avec les rails posés sur une voie, et il l’a autorisée à pour suivre cette ligne jusqu’à l’extrémité de l’empire et au bord du Danube, c’est-à-dire à Bazias. Le réseau entier comprendra 1,100 kilomètres. Depuis lors, la compagnie austro-française a acheté la ligne de Vienne à Raab, sur la rive droite du Danube, et elle s’est ainsi donné une entrée dans Vienne. La concession de ces deux lignes a été faite à la compagnie moyennant 170 millions de francs payables en trois ans sans intérêt. Elle a enfin acquis, au prix de 30 millions de francs, des domaines dont l’étendue superficielle comprend 90,000 hectares de forêts et 30,000 hectares de terres labourables ou pâturages, des établissemens métallurgiques, et des mines de houille, de cuivre et d’argent. L’état a garanti un intérêt de 5 2/10es pour 100 sur cette somme de 200 millions, prix d’acquisition.

Le revenu des chemins de l’état en 1853 avait donné 7,429,565 florins ; les frais d’exploitation s’élevaient à 5,258,930 fl. Dès le premier exercice de la nouvelle compagnie, les revenus ont atteint le chiffre de 12,390,603 florins. Les frais n’ont plus été que de 52-72 pour 100. Aussi a-t-on pu distribuer aux actionnaires 32 fr. pour cette première année. Si l’on réfléchit que ce revenu correspond au simple versement de 150 fr. par action effectué dans cette période, on trouvera que c’est un intérêt de plus de 20 pour 100. La même proportion existera-t-elle dans l’avenir, lorsque de nouveaux versemens auront été appelés, lorsqu’il faudra pourvoir à l’intérêt et à l’amortissement des obligations ? On ne peut répondre à cette question d’une manière précise ; toutefois on peut faire observer que les recettes de cette année présentent déjà sur celles de l’année dernière un accroissement notable, que la ligne de Raab en particulier donne des résultats tels qu’on peut raisonnablement espérer de lui voir produire un jour 60,000 francs par kilomètre, qu’enfin les mines et les domaines ont donné jusqu’à ce jour 2 1/2 pour 100 à peine du capital qu’ils représentent, et qu’on ne saurait prévoir l’avenir qui leur est réservé lorsque les communications qui leur manquent leur seront ouvertes Que vaudront alors ces forêts immenses si fertiles non-seulement en bois de chauffage, mais en bois de construction, ces mines d’une grande richesse pour la plupart à l’exception de celles de cuivre, ces pâturages, ces terres ? Qui le sait ? qui sait aussi à quel chiffre pourront monter les recettes des chemins de fer qui traversent la Hongrie, dont le sol présente généralement deux mètres de profondeur de terre végétale, et où nulle route n’est tracée, où nulle communication n’est possible dans le mauvais temps entre les agglomérations de population qui habitent ces plaines immenses ? À l’heure qu’il est, il faut, quand il a plu, perdre quatre heures pour parcourir les 2 kilomètres qui séparent la station du chemin de fer de la ville de Szeggedin. Qu’on juge par la des facilités offertes au commerce et à l’agriculture dans cette Hongrie où dès cette année néanmoins chaque kilomètre de chemin de fer produit déjà plus de 40,000 francs.

Les résultats de cette première entreprise ont été si beaux, qu’on a reproché au gouvernement autrichien d’avoir fait à la compagnie concessionnaire des conditions trop favorables. Ce n’est pas cependant par le profit qu’elle en tire qu’il convient d’estimer le prix de vente, mais d’après ce que le gouvernement obtenait lui-même. Si l’on réfléchit ensuite que le traité a été conclu au début de la guerre d’Orient, c’est-à-dire dans des circonstances difficiles, que c’est à cette première affaire que l’Autriche a dû de voir les capitaux étrangers se diriger vers elle et lui procurer, les ressources qui lui manquent, on se convaincra aisément que le bénéfice de cette opération est aussi grand pour l’une des deux parties que pour l’autre.

Le gouvernement a fait depuis lors un nouvel appel au capital étranger, et il s’est adressé cette fois à l’Angleterre et à la France. Une nouvelle compagnie vient en effet d’acquérir tous les chemins lombardo-vénitiens à l’exception de l’embranchement de Vérone vers, le Tyrol. Ces chemins, qui ont aujourd’hui une étendue de 402 kilomètres, ont été vendus, pourvus de tout le matériel d’exploitation, moyennant 100 millions de lires autrichiennes (environ 83 millions de francs), payables 20 millions de lires dans le délai de trois mois, 50 millions en cinq annuités, et les 30 millions restant par un prélèvement de moitié sur le produit des chemins, lorsque ce produit excédera 7 pour 100 d’intérêt du capital dépensée La compagnie des chemins lombards est autorisée à achever ces différentes, voies de communication sur une étendue de 406 kilomètres : elle a enfin signé un traité avec les gouvernemens du saint père, de l’Autriche, de la Toscane et du duché de Parme, pour la construction d’un second réseau appelé le Grand-Central italien, qui doit relier ensemble les chemins de la Haute-Italie à ceux du Piémont et de la Toscane. Le Grand-Central italien doit être fait dans un délai de six années, à partir du 1er juillet 1856, à l’aide d’une émission d’obligations pour lesquelles les quatre gouvernemens associés ont garanti un revenu fixe de 6 millions 1/2 de lires autrichiennes.

La compagnie des chemins lombards s’est constituée au capital de 150 millions de francs en actions ; elle est autorisée à émettre des obligations pour l’achèvement des chemins de la ligne principale et pour l’établissement du Grand-Central italien ; les obligations s’élèveront très probablement à la même somme de 150 millions. L’Autriche garantit un intérêt de 5 2/10es pour 100 sur toutes les sommes qui seront dépensées sur les chemins lombardo-vénitiens. Quels seront les revenus de cette ligne ? En 1855, les 332 kilomètres exploités ont produit 2,343,456 florins, et les frais d’exploitation se sont élevés à 1,774,678 florins. Si l’on décompose ces chiffres, on voit que, sur les 332 kilomètres exploités, le transport des marchandises n’a pu s’effectuer que sur 232 kilomètres à peu près principalement de Vérone à Venise, la capitale de la Lombardie, Milan, étant seulement à la tête de quelques tronçons isolés. De plus, par suite de la négligence apportée à servir les intérêts industriels et commerciaux, même sur les parties où le transport des marchandises s’effectuait, le revenu kilométrique n’est pour les marchandises que de 6,400 fr., tandis qu’il atteint près de 13,000 francs pour les voyageurs.

Or ; dès ce jour, 70 kilomètres de plus sont : en exploitation et les besoins du commerce devront passer avant tous les autres. La compagnie, dès la première année de son exploitation, se préoccupera de rendre les communications faciles ; elle appellera les marchandises, au lieu de les éloigner. On peut donc, sans exagération, compter sur un revenu moyen, marchandises et voyageurs, de 24,000 francs par kilomètre. En évaluant encore les frais d’exploitation à 60 pour 100, en supposant un versement de 150 francs par action, et en ajoutant au produit net du chemin les intérêts de ces fonds appelés, dont on ne pourra faire un emploi immédiat, soit pour le paiement du prix d’achat, soit pour de nouveaux travaux, on peut, dès la première année, attendre un intérêt de plus de 10 pour 100 sur le capital versé. Quant à l’avenir, on estime, pour les chemins lombards seulement, que la dépense générale s’élèvera à 200 millions de francs, dont 50 millions en obligations. Or, si le revenu kilométrique atteignait le taux moyen de nos chemins de fer français, soit 50,000 fr., si les frais d’exploitation descendaient à 40 pour 100, ce serait pour les actions un revenu de 14 à 15 pour 100. Que l’on examine sur la carte le développement de ces lignes, qui vont de Novare, c’est-à-dire du réseau piémontais, relié bientôt sans doute aux lignes françaises, à la mer Adriatique, qui s’embranchent sur les chemins de l’Allemagne pour descendre jusqu’à Livourne par le réseau toscan, qui traversent en deux sens cette Lombardie, un des pays les plus riches et les plus peuplés de l’Europe, et que l’on prononce sur la valeur d’une telle conjecture. J’ajoute que, le Grand-Central italien devant être fait à l’aide d’obligations dont l’intérêt est assuré par la garantie d’un revenu minimum de 6,500,000 lires autrichiennes, tout ce qui, dans le revenu réel, excéderait les intérêts des obligations devrait encore bonifier la situation des actionnaires.

En 1854, les chemins de fer de l’état et ceux de la compagnie du Nord offraient une étendue de 272 milles, soit 2,040 kilomètres (7 kilomètres et demi par mille allemand). On va voir à quel chiffre les deux concessions précédentes et les projets actuellement arrêtés en doivent porter le nombre ; mais, pour abréger un exposé déjà long, je me bornerai à quelques détails sommaires sur ces nouveaux projets.

1° Le chemin d’Elisabeth, de Vienne à Lintz et à Saltzbourg, offre, avec ses embranchemens, une longueur de 60 milles allemands, ou de 450 kilomètres. Il établit une communication entre la capitale de l’Autriche et celle de la Bavière, et par Munich avec Paris, dont il est le chemin direct, — avec la Suisse et avec l’Italie par Inspruck. Le capital de la compagnie concessionnaire a été fixé à 60 millions de florins.

2° Le réseau de la Theiss, d’une longueur de 130 milles environ ou de 975 kilomètres, a pour objet de desservir tout le nord de la Hongrie, et de le mettre en communication, d’une part avec le réseau galicien et la Russie, de l’autre avec le futur réseau transylvanien et les principautés danubiennes. Il doit offrir de grands avantages en raison de la fertilité du pays qu’il parcourt et du peu d’élévation du prix de revient. Le chemin est en construction de Szolnok à Debreczin et Gross-Wardein, sur une étendue de 100 kilomètres. Les travaux ont jusqu’ici été exécutés par l’état. Le capital de la compagnie a été porté à 60 millions de florins (actions), et des obligations pourront en outre être émises jusqu’à concurrence de 40 millions de florins.

3° Le chemin de l’est de François-Joseph se composera de deux lignes longitudinales et d’une ligne transversale destinées à desservir toute la partie de la Hongrie située sur la rive droite du Danube. Une de ces lignes longitudinales partira de Vienne, passera par Odenburg et Gross-Kanisa, et rejoindra à Warasdin l’autre ligne, qui, venue de Vienne par Raab et Neuhaussel, aboutira à Semlin, sur la frontière ottomane, et trouvera sans doute le chemin que l’on se propose de conduire de Bucharest à Constantinople. On conçoit déjà toute l’importance de cette ligne, et surtout du tronçon de Raab, acheté par la compagnie austro-française, qui en sera la tête.

La ligne transversale partira d’Ofen-Pesth, où elle trouvera, avec les lignes de Hongrie déjà existantes, le réseau de la Theiss, rencontrera à Stuhlweissenburg la ligne de Raab à Semlin, à Gross-Kanisa la ligne de Vienne à Warasdin, et aboutira au chemin de l’état de Vienne à Trieste. L’avenir de ce réseau ne pourra manquer d’être aussi prospère que celui des lignes de la rive gauche du Danube ; il traversera des plaines aussi fertiles, il servira à l’exploitation de ces énormes quantités de blés, de vins, de laines, qui font de la Hongrie le véritable grenier de l’Allemagne. La longueur du chemin de François-Joseph sera d’environ 150 milles ou 1,125 kilomètres. Le capital a été fixé à 150 millions de florins, dont 60 millions en actions et 40 millions en obligations. La compagnie concessionnaire devra avoir terminé tous les travaux dans un délai de dix ans, mais il est probable qu’elle les aura achevés bien avant cette époque.

4° La ligne de Galicie doit faire suite aux chemins de Berlin et de Breslau, traverser toute la Galicie à partir de Cracovie et aboutir d’une part à Brody, c’est-à-dire à la frontière russe, et d’autre part à Czernovitz, c’est-à-dire à la frontière moldave. Elle sera en outre en communication directe avec Vienne par son raccordement avec le Nord-Bahn. Le réseau de la Galicie n’aura pas moins de 150 milles de longueur ou 1,125 kilomètres. Il coûtera environ 80 millions de florins pour son achèvement ; plusieurs parties sont en effet déjà en exploitation ; elles appartiennent à l’état et devront être rachetées.

5° Pour compléter les communications intérieures de la Bohême, deux lignes de moindre importance ont été concédées, celle qui ira de Prague à Pilsen pour ouvrir une communication avec Nuremberg, dont la longueur est de 24 milles (180 kilomètres) et le prix de 16 millions de florins ; — celle de Pardubitz à Reichenberg, aboutissant au chemin de Dresde à Berlin, d’une longueur de 18 milles (135 kilomètres), qui doivent coûter 14 millions de florins.

Outre ces lignes, dont l’achèvement est résolu, et qui ajoutent aux 2,040 kilomètres existant en 1834 4,457 kilomètres[4] nouveaux, il y en a plusieurs autres qui paraissent devoir être concédées prochainement : c’est d’une part le chemin de Tœplitz à Aussig, d’une longueur seulement de 3 milles ou 22 kilomètres, qui serait la tête d’une ligne vers Hof et la Bavière, et que des propriétaires de la Bohême demandent à construire sans aucun secours de l’état. C’est, encore le chemin de Marburg, Klagenfurt et Udine, qui irait jusqu’à Trieste et Venise, et mettrait ainsi les deux ports de l’Autriche dans l’Adriatique en communication avec Vienne (on évalue la longueur de cette ligne à 35 milles et la dépense à 30 millions de florins). Ce serait enfin le réseau transylvanien, qui partirait de Gross-Wardein, limite des chemins de la Theiss pour aller à Klausenburg et à Kronstadt, et commencerait d’autre part à Arad ou Temesyar pour passer par Hermanstadt et se continuer jusqu’à Galatz.

Si tous ces travaux se trouvaient complétés par un ensemble de, lignes, dont l’une, au sud, soudée à l’extrémité des chemins austro-français à Bazias, se terminerait à Varna en traversant Bucharest, dont l’autre, au nord, partie de Czernovitz, point extrême des lignes galiciennes, desservirait Jassy et rejoindrait la ligne transylvanienne de Galatz par un prolongement poussé aussi jusqu’à Bucharest, — on aurait dans tout l’empire d’Autriche et l’est de l’Europe un ensemble de voies ferrées d’une incontestable utilité. C’est en considérant à quel point ces entreprises nouvelles féconderaient des provinces si peu productives jusqu’à ce jour, quoique si fertiles que l’on comprend la véritable puissance de l’esprit moderne, et qu’on admire la grandeur de l’industrie. Malheureusement les travaux dont le résultat moral est supérieur ne sont pas ceux qui promettent immédiatement le plus de bénéfices matériel, et c’est alors qu’il convient de faire appel non-seulement aux capitaux étrangers, mais surtout au concours des gouvernemens et à l’initiative des hommes généreux et des esprits élevés. Quand on songe à l’utilité de telles œuvres vraiment internationales, humaines par excellence, on regrette davantage de voir tant d’efforts dépensés ailleurs, en France surtout, dans des spéculations dont le moindre tort n’est pas d’être insignifiantes pour l’amélioration du sort des classes les plus nombreuses. On se demande enfin s’il ne serait pas urgent d’arrêter cette immense déperdition de forces mises au service de l’industrie par la forme de la société anonyme dans des entreprises souvent si bizarres presque toujours si petites, parfois d’une moralité si douteuse ! Mais pour revenir au sujet qui m’occupe plus particulièrement, je veux, avant d’arriver à une conclusion, récapituler en quelques chiffres les dépenses nécessitées par tous les travaux dont je viens de tracer l’ensemble, et donner quelques renseignemens généraux sur les avantages qu’ils promettent.

Pour toutes les nouvelles lignes, le gouvernement autrichien, garantit un intérêt de 5 pour 100 sur le capital dépensé, plus 2,10es pour l’amortissement. Ce secours a paru suffisant pour assurer la formation des compagnies concessionnaires, et jusqu’ici les concurrens ont été nombreux. La faveur dont toutes les lignes concédées jouissent des l’émission des actions s’explique par le succès de la compagnie du Nord, dont les actions ont triplé de valeur. On espère que sur les autres lignes le prix de revient ne sera pas aussi cher, si le revenu est moins élevé : sur toutes, et principalement sur celles de la Hongrie, on estime que chaque kilomètre coûtera en moyenne 200,000.francs. Or, en évaluant le revenu à 20,000 francs par kilomètre, même avec 50 pour 100 de frais d’exploitation, ce serait un revenu ; de 5 pour 100. Ce revenu sera singulièrement dépassé, puisque les chemins ; hongrois actuels donnent déjà plus de 40,000 fr par kilomètre. Le bénéfice de ces entreprises nouvelles paraît donc dès à présent assuré ; mais, eu égard à la situation actuelle, les charges peuvent paraître bien lourdes. À quel chiffre devrait-on les porter ? Le tableau suivant permettra de l’établir.


millions
La société de crédit mobilier a été fondée au capital de 250 millions de fr. elle n’en a appelé que 45 : il lui reste donc encore à appeler 205
et elle est en outre autorisée à émettre des obligations
La banque hypothécaire sera fondée au capital de francs 100
La compagnie austro-française a appelé 90,000,000 de francs sur 200,000 ; reste 110
Elle aura en outre à compléter son capital d’obligations pour environ 115
Les chemins lombards et le chemin central italien coûteront, moitié en actions, moitié en obligations 300
Le chemin d’Elisabeth 150
Le chemin de la Theiss, avec les obligations 350
Le chemin de François-Joseph ou de l’Est 250
Les lignes de Galicie 200
Celle de Prague à Pilsen et de Pardubitz à Reichenberg, ensemble 75
Total 1,755

Pour les lignes en projet, on doit ajouter :


Environ 5 millions de francs pour la petite ligne de Tœplitz à Aussig.
75 « « pour celle de Marburg à Udine.
Enfin 125 millions au moins pour le réseau de la Transylvanie
Total 205 millions à ajouter au chiffre précédent

Ce qui exigerait une somme de 2 milliards de francs à peu près pour ces travaux dans l’Autriche même, sans comprendre le réseau des provinces danubiennes, qui l’intéresse à un si haut degré, sans compter les capitaux nécessaires pour tant d’autres entreprises, par exemple pour la fondation de l’Austria ou banque immobilière, pour la navigation intérieure et extérieure, pour l’exploitation des mines et la construction d’usines et de manufactures capables de lutter avec l’étranger. N’y a-t-il pas là de quoi absorber et au-delà les ressources d’un pays plus riche en capitaux que l’Autriche ? N’est-il pas nécessaire que l’on vienne à son aide ? Dieu veuille que des travaux improductifs, comme ceux de la guerre, ou des entreprises frivoles, comme celles que chaque jour voit éclore, ne détournent pas le capital européen de ces œuvres si Utiles à la communauté des peuples, dont les intérêts essentiels sont solidaires !


Si je voulais résumer ce tableau de la situation intérieure de l’Autriche, il me semble que je serais en droit, à l’aide des chiffres qui précèdent, de me montrer moins absolu qu’on ne l’est à Vienne dans la confiance qu’inspire le prochain l’établissement des finances de l’état, et sans doute aussi plus rassuré qu’on ne peut l’être ailleurs sur les améliorations possibles. Évidemment, si les blessures ont été profondes, les remèdes ne font pas entièrement défaut, et ces remèdes mêmes paraissent des plus efficaces. La paix a été et doit être de plus en plus un puissant moyen de guérison. Puisse cette paix durer de longs jours, puisse le temps cicatriser les plaies financières de l’Autriche ! Son salut est à ce prix ; mais ce qui ne lui est pas moins indispensable que le temps, c’est la modération et la sagesse dans ce que j’appellerai sa convalescence. En Autriche plus qu’ailleurs, trop de précipitation serait funeste, et le tempérament débile de ce pays ne supporterait pas les excès de production auxquels l’Angleterre et la France peuvent se livrer avec moins de dangers. C’est la qu’est le péril pour le gouvernement de l’empereur François-Joseph, et j’ajoute que sa conduite à cet égard n’est pas sans causer quelque appréhension : le chiffre des concessions faites ou des concessions promises et annoncées suffit pour justifier ces alarmes.

Je sais qu’il est difficile, même au gouvernement le plus maître de ses mouvemens, de résister à certains entraînemens de l’opinion publique : or l’Allemagne du sud, aussi bien que celle du nord, est emportée par ce torrent qui, parti d’Angleterre et de France, soulève l’Espagne, agite l’Italie, et pénètre même jusque dans la militaire et religieuse Russie, notre ennemie d’hier, notre émule de demain peut-être dans les travaux et les spéculations de la paix. L’Autriche veut ses chemins de fer comme le reste du monde ; elle a la conscience des avantages infinis qu’elle en peut retirer. Au nord, au sud, à l’est, à l’ouest, dans toutes ses provinces, les populations se remuent pour les obtenir, et les grands seigneurs font cause commune avec elles. Comment se refuser, à des vœux si légitimes, comment même ajourner tant d’espérances ? Cela ne se peut. Si le capital local est insuffisant, on s’adressera au capital étranger.

C’est en effet ainsi qu’on parle à Vienne, et c’est la seule réponse que l’on fasse à l’observateur morose qui essaie de refroidir l’enthousiasme national en objectant contre cette multiplicité d’entreprises l’absence du numéraire, le cours forcé du papier, le déficit du budget, etc. de ce qu’un tel langage soit après tout excusable, il ne s’en suit pas cependant qu’il soit sans réplique, et, à côté du mouvement opéré en Autriche, il convient de regarder ailleurs et de montrer la même fièvre industrielle agitant tous les peuples et réclamant les mêmes satisfactions, partant l’emploi à peu près exclusif pour chacun d’eux de son propre capital. Grands et petits états, tous ont la même ambition ; il n’est si petit duché en Allemagne, qui ne décrète son réseau de chemins de fer et ne constitue son crédit mobilier. Et à côté des appels désespérés que font les gouvernemens pauvres au capital étranger, on voit se produire, de la part des plus favorisés de la fortune, des tentatives plus ou moins heureuses contre cette émigration de l’argent. Quelle sera la fin de ces efforts, contraires ? Un peu de ralentissement dans l’exécution des entreprises conçues : ce serait un bien, à coup sûr ; mais il est impossible toutefois de ne pas redouter de plus sérieuses conséquences de cette passion industrielle qui s’est emparée de tous les esprits.

L’esprit industriel a affiché des prétentions qui ne paraissent point légitimes, il s’est donné des raisons d’être qui peuvent, et c’est la le danger, égarer bien des consciences et tromper sur sa véritable mission. Aujourd’hui il semble avoir hérité, de l’esprit libéral la prétention de changer et d’améliorer le sort des peuples. Au lieu d’obtenir le progrès humain par le développement des facultés intellectuelles et la satisfaction des besoins nouveaux, on rêve pour les hommes tout d’abord l’affranchissement du corps ; celui de l’es prit en sera la conséquence, il viendra plus tard et en son lieu. Les nationalités résistent, les peuples se soulèvent contre l’oppression ! — Les nationalités s’effaceront grâce aux chemins de fer ; les vaincus oublieront leurs défaites en s’enrichissant. La pensée s’irrite des entraves qui s’opposent à sa libre expansion ; on se souvient des libertés publiques perdues, ou l’on revendique les libertés promises ! — Biens stériles, jouissances imaginaires, armes dangereuses que suppléent, et avec avantage, l’activité industrielle, l’amour des entre prises, la recherche du profit matériel !

À coup sûr, on serait mal venu à méconnaître les bienfaits réels de l’industrie moderne, et nul n’aura suivi le cours du Danube, remonté la Vistule ou traversé les Apennins, sans appeler de tous ses vœux soit une amélioration nouvelle, soit une véritable transformation matérielle de ces peuples, qui souffrent dans leur esprit et dans leur corps. Même chez les nations les plus favorisées, que de prodiges l’industrie est encore destinée à produire ! Vienne donc l’éclosion de ces merveilles. Activons, s’il se peut, leur enfantement, mais restreignons-en la portée aux limites que lui assignent les lois morales. Il faut louer les gouvernemens européens qui ouvrent un champ large à l’activité matérielle des peuples, on peut admettre même comme un bon calcul la pensée du gouvernement autrichien, que l’assimilation de la Hongrie et la pacification des provinces italiennes seront obtenues par le développement de la richesse publique et l’accroissement des voies de communication ; mais réservons à l’esprit sa prééminence sur la matière. Souhaitons de préférence aux hommes la dignité morale, l’emploi de leurs facultés intellectuelles ; aimons mieux voir les nations courageuses libres et fières que riches et satisfaites, et regrettons amèrement que le culte de l’utile semble l’emporter de nos jours sur celui du beau et du bien. Ne touchons-nous pas même sous ce rapport à l’une de ces leçons que l’expérience réserve aux ambitions trop hautes et aux prétentions non justifiées ? L’esprit révolutionnaire a discrédité l’esprit libéral ; ne sommes-nous pas sur le point de voir l’esprit de spéculation compromettre à son tour l’esprit industriel ? N’est-ce pas déjà un lieu-commun que de parler des excès de la spéculation ? Le siècle appartient à l’industrie : n’est-il pas plus vrai de dire qu’il est la proie de la spéculation ? Dans toutes les affaires qui se disputent le capital européen, la spéculation n’est-elle pas le principal, et l’industrie l’accessoire ? Qu’arrivera-t-il, si le principal l’emporte sur l’accessoire, comme il est naturel de le craindre ? Et dans un jour de revers l’industrie ne sera-t-elle pas à son tour frappée de l’impopularité sous laquelle a succombé cette cause si vivement défendue naguère, si désertée aujourd’hui, hélas ! le libéralisme ?

En examinant dans une seule de ses parties le tableau du mouvement industriel irai entraîne l’Europe, je n’ai pu m’empêcher de concevoir des craintes sur la mesure de ses efforts et la sûreté de sa marche : je laisse à de plus compétens le soin de décider si ces craintes sont fondées, de déclarer où commence l’excès, et surtout d’en proposer le remède. Les chiffres et les faits que j’ai groupés pourront, si l’on étudie dans leur ensemble les projets enfantés par l’esprit industriel, multipliés par l’esprit de spéculation, servir partiellement, il est vrai, mais utilement, à établir entre les besoins et les ressources une règle de proportion.


BAILLEUX DE MARIZY.

  1. Le cours au pair du florin est de 117 florins contre 300 fr. Le florin vaut par conséquent à peu près 2 fr. 58 centimes de notre monnaie. On s’occupe beaucoup en ce moment de résoudre cette question si importante de l’unité de monnaie, non-seulement en vue de l’Allemagne, mais par rapport aux états étrangers et surtout à la France. Une commission qui siège à Vienne a adopté en principe la création de florins valant 2 fr. 50 cent.3 chiffre que j’ai admis dans tous mes calculs. L’ancien florin autrichien représentait la 20e partie d’un marc d’argent fin de Cologne, il n’en serait plus que la 21e. Par cette nouvelle proportion, rien ne serait plus facile que d’établir le change entre le florin d’Autriche à 2 fr. 50 et le thaler de Prusse, qui vaut 3 fr. 75 cent, et qui est la 14e partie du marc. Il est à remarquer que cette réforme de la monnaie autrichienne, à laquelle la reprise des paiemens en espèces peut donner une grande opportunité, établirait entre elle et la monnaie française des rapports plus intimes, qu’entre celle-ci et la monnaie prussienne, et il est à regretter que la Prusse, n’ait point cru devoir adopter un système plus conforme au régime décimal, appelé à prévaloir dans le monde entier. Pour toute cette importante question du régime des monnaies en Allemagne, on peut consulter un écrit de M. Karl von Mayer, un des écrivains les plus distingués de la presse de Vienne.
  2. C’est-à-dire obligations pour l’affranchissement du sol.
  3. Cette concession a été, dans la Revue des Deux Mondes du 1er mars 1855, l’occasion d’un travail où les avantages matériels et politiques de l’extension des chemins de fer hongrois étaient mis dans tout leur jour. Je me suis borné à reproduire en quelques mots les points principaux du traité passé entre le gouvernement et la compagnie. Je noterai toutefois un résultat qui n’avait point été prévu, et qui confirme les espérances exprimées dans la Revue, loin de les contredire. Les lignes de Bohème paraissaient l’an dernier l’objet principal de la concession, les lignes de Hongrie en étaient la partie éventuelle : or, dès la première année de l’exploitation, ce sont celles-ci qui ont donné les produits les plus élevés.
  4. Voici le détail de ces 4,457 kilomètres concédés ou décidés dès aujourd’hui : 61 pour la ligne de Temesvar à Bazias, société austro-française ; — 406 chemins lombards (non compris tout le réseau du Grand-Central italien, qui appartient à quatre états distincts) ; — 450 le chemin d’Elisabeth ; — 975 le réseau de la Theiss ; — 1,125 le chemin de François-Joseph ; — 1,125 le réseau galicien ; — 180 le chemin de Pilsen ; — 135 celui de Pardubitz.