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L’Avaleur de sabres/Partie 1/Chapitre 03

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Laffont (p. 202-208).
Café noir  ►
Première partie


III

Un éclat de rire


Le plus large de tous les abîmes creusés par l’orgueil ou l’intérêt entre deux créatures humaines est certainement celui qui sépare le Blanc du Noir, aux colonies.

La libre Amérique, tout en émancipant les Noirs, a rendu plus profond le fossé qui les excommunie. En aucun pays du monde le « bois d’ébène » n’est aussi franchement maltraité que dans les États abolitionnistes de l’Union.

Eh bien ! l’Europe, habituée pourtant aux insolences hyperaristocratiques de ces démocrates, poussa un jour un long cri d’indignation en lisant l’histoire de cette pauvre négresse, jetée hors d’un omnibus à New York, par la brutalité d’une demi-douzaine de philanthropes.

Car ils s’expliquèrent, ces coquins de Yankees ! Ils ont toujours le courage de leurs opinions. En lançant sur le macadam la misérable femme qui était enceinte et qui, en tombant, se blessa cruellement, ils établirent cette distinction américaine : « Nous voulons que les Noirs soient libres, mais nous ne voulons pas qu’ils souillent l’air d’une voiture publique où sont des Blancs ! »

C’est un joli peuple et pourri de logique.

Chez nous, l’omnibus, fidèle aux promesses de son nom, admet tout le monde, même les dames qui ont des chiens ; son hospitalité ne s’arrête qu’aux limites tracées par la police, et certes les conducteurs sont plutôt enclins à frauder le règlement qui défend les incongruités, car il y a eu des cas d’asphyxie.

On laisse monter les poissonnières.

Cette phrase, prononcée par Lily sans la moindre vergogne : « Les conducteurs d’omnibus ne me laissent pas monter », était un aveu si terrible, une abdication si effrayante que Justin eut des frissons sous la peau.

Il regarda cette créature dont le vêtement, plus obscène que la nudité même, rentrait dans la catégorie des choses « qui incommodent les voyageurs ». Il eut envie de sauter par la portière.

Elle souriait ; son sourire montrait un trésor de perles.

Et à travers les trous de ses haillons, son exquise beauté épandait ces parfums de pudeur fière qu’exhalent les chefs-d’œuvre de l’art et les chefs-d’œuvre de Dieu. C’était étrange, offensant, presque divin.

— Je sais lire, dit-elle tout à coup en un mouvement d’enfantine vanité, et comme si elle eût deviné vaguement qu’il lui fallait plaider sa cause, je sais chanter et coudre aussi… Est-ce que vous trouvez que je parle mal ?

— Vous parlez bien… très bien, murmura Justin au hasard.

— Ah ! fit-elle, il y a chez nous bien des gens qui sont venus de loin — et de haut. Celle qui m’a appris à lire disait quelquefois en voyant passer de belles dames dans des calèches : « Voici Berthe ! ou voici Marie ! » c’étaient des élèves à elle, du temps où elle tenait un grand pensionnat de demoiselles au faubourg Saint-Germain. Elle est morte de faim à force de tout boire. Alors, j’ai donné chaque jour un sou à l’abbé, un vieil homme à demi fou, mais bien savant, et qui se frappe la poitrine en pleurant, quand il est ivre… La tireuse de cartes m’a dit d’avoir seulement une chemise, une robe, un jupon, des bottines et des gants pour aller chez un directeur de théâtre qui me donnera des rôles à apprendre et autant d’argent que j’en voudrai.

— Vous parlez bien, répéta Justin qui songeait.

— Qu’est-ce que vous ferez de moi ? demanda Lily brusquement.

Au lieu de répondre, Justin demanda à son tour :

— C’est donc à cause de la tireuse de cartes que vous m’avez suivi ?

— Mais oui, répliqua-t-elle, et je vous aimerai bien si vous faites ma fortune, allez !

Justin éprouva une sorte de soulagement à entendre ces mots. Nous ne dirons pas qu’il était amoureux : ce serait trop et trop peu. Il agissait sous l’empire d’une sorte de folie lucide et qui avait conscience d’elle-même. Il fut content parce qu’il vit jour à secouer cette obsession.

— Vous avez envie d’être riche, dit-il.

— Pas pour moi, reprit la fillette vivement, pour ma petite.

— Vous êtes mère… déjà ! s’écria l’étudiant étonné.

Elle éclata de rire.

— Non, non, fit-elle, je n’ai pas encore ma petite… mais je me marierai pour l’avoir et pour l’adorer.

Ce dernier mot fut prononcé avec une passion étrange et le regard de Justin se baissa devant les rayons qui s’allumèrent dans les grands yeux noirs de Lily.

Elle était miraculeusement belle.

Il y eut un silence ; quand Justin reprit la parole, sa voix tremblait :

— Lily, dit-il, je ne veux ni ne puis rien faire de vous, je vous donnerai ce qu’il vous faut pour aller, comme vous le souhaitez, chez un directeur de théâtre.

Elle l’interrompit en frappant ses mains l’une contre l’autre.

— Tout de suite ? interrompit-elle.

Justin prit dans sa poche son porte-monnaie qui contenait trois billets de cent francs. Il avait justement reçu sa pension la veille.

À pareille aventure, il n’y avait qu’un dénouement possible : l’aumône.

Justin répéta : tout de suite ! et mit les trois billets de cent francs sur les genoux de Lily.

Là-bas, dans la cité des chiffonniers, rien n’est mieux connu que les billets de banque. On n’en voit pas souvent, mais on en parle sans cesse. C’est le rêve et la poésie du métier : trouver un billet de banque !

Le fiacre longeait au trot ce quai désert qui fait face à l’Hôtel-Dieu. Lily était rouge comme une cerise ; son sein battait ; les cils recourbés de sa paupière ne cachaient pas toute la flamme de son regard. Justin donna le signal d’arrêter. Lily sauta sur le pavé et s’enfuit.

Le cocher rit encore, c’était un observateur. Quant à notre étudiant, il resta tout simplement abasourdi, puis il se frotta les mains de bon cœur, puis encore il se demanda :

— Pourquoi ai-je donné les trois billets ?

C’était absurde. Paris ne contient pas dix millionnaires capables d’agir ainsi.

Justin soupira longuement, mais ce n’était point le remords de sa prodigalité qui lui arrachait ce profond soupir.

Il avait devant les yeux une vision : Lily, transformée par ce qui se peut acheter avec trois billets de banque de cent francs.

Trois billets de cent francs ne sauraient vêtir une comtesse, ni même une bonne bourgeoise, mais trois billets de cent francs peuvent pailleter une saltimbanque ou couvrir très décemment une fillette.

Ce diable de cocher vous avait encore un air goguenard en recevant le prix de sa course, à la porte de Justin.

Celui-ci monta à sa chambre, qui lui sembla triste et vide. Il éprouvait au cœur cette meurtrissure qui reste après la rupture d’une vieille et profonde amitié.

En tout, Lily et lui avaient été une demi-heure ensemble.

Il se jeta sur son lit, tout songeur, et si las qu’une orgie à tous crins ne l’eût point fatigué davantage. Il n’essaya même pas d’en appeler au travail, Rogron eut tort ; l’examen fut oublié.

Cette île de jeunesse, le Pays latin, est toute pleine de joyeuses et belles filles, quoiqu’on y trouve aussi les plus laides coquines de l’univers. Justin n’avait qu’à choisir parmi les plus folles et les plus jolies. Il essaya en vain d’évoquer les souriants visages de ses danseuses préférées. C’était l’étrange beauté de Lily, demi-nue, qui passait et repassait devant ses yeux.

Il voyait sa robe pauvre et plus que fanée, drapant, mais dévoilant l’idéale perfection d’un corps de nymphe antique ; il voyait ces longs yeux noirs aux regards hardis et candides, ce front presque céleste, perdu sous la richesse désordonnée d’une splendide chevelure blonde.

Elle s’était enfuie, la sauvage créature, sans dire merci, ni plus ni moins qu’un chien à qui on a jeté un os.

Tout était bizarre et insensé dans cette aventure qui laissait après elle la sensation d’une chute.

Et, chose incroyable, parmi cette douleur morale où il y avait de la honte et une sorte de dégoût, la rêverie se dégageait brillante et suave.

Justin avait une mère, noble, bonne, bien-aimée, qui regardait de loin avec miséricorde ses fredaines d’enfant. Elle admettait, comme toutes les mères, le facile proverbe : il faut que jeunesse se passe. Elle avait peur seulement de ces attaches demi-sérieuses qui peuvent peser sur tout un avenir.

Jusqu’à ce moment, Justin, nouant et dénouant des chaînes fleuries, n’avait jamais été arrêté par l’idée de sa mère.

Aujourd’hui, la pensée de sa mère vint le visiter. Pourquoi aujourd’hui plutôt qu’hier ? Pourquoi, à propos de la plus folle et de la plus passagère de toutes ses folies ?

Certes, l’aventure pouvait être ridicule au premier chef, mais du moins elle n’était pas dangereuse. Justin avait jeté à une mendiante une aumône un peu plus large que de raison, et c’était tout ; son budget seul devait en souffrir. Jamais il ne la reverrait : c’était à parier cent contre un, car elle n’avait même pas pris la peine de lui demander son nom !

L’heure du déjeuner passa, Justin resta étendu sur son lit comme un malade. Il était malade, en effet, il avait la fièvre, et chaque fois qu’un pas montait l’escalier, son cœur battait douloureusement.

Il ne se demanda pas s’il aimait mademoiselle Lily. Croyez bien que si son meilleur camarade, mis par hasard dans le secret de son équipée, l’eût accusé d’aimer mademoiselle Lily, il y aurait eu un soufflet de lancé. Justin avait la main leste.

Non, chacun peut avoir ses mauvais jours, et nul ne répond d’un accès de fièvre.

À l’heure du dîner, Justin s’habilla et sortit. Il avait fait un mâle effort sur lui-même et secoué son vertige comme un vaillant jeune homme qu’il était.

Au moment où il mettait le pied dans la rue, il poussa un grand cri et faillit tomber à la renverse.

Une jeune fille vêtue de noir, avec une simplicité élégante et charmante était debout devant lui.

Elle souriait, montrant ces belles perles qui étaient derrière les lèvres roses de Lily.

— Comment me trouvez-vous ainsi ? demanda-t-elle.

Justin la trouvait tout uniment adorable ; mais il ne répondit point. Elle ajouta :

— J’avais bien entendu que vous donniez votre adresse au cocher, mais je ne savais pas votre nom. Comment vous demander au concierge ? Je vous attends ici depuis midi.

— Six heures !… murmura Justin.

— Oh ! fit-elle, je vous aurais attendu six jours et bien plus encore. Je ne vous avais pas dit merci.

Ce fut le lendemain matin que Justin de Vibray, le prince de la jeunesse des écoles, jeta bas son sceptre et déserta sa cour.

Il est, non loin de Saint-Denis et tout près d’Enghien, un petit village charmant qui mire dans la Seine ses maisons fleuries. J’ai presque peur de l’indiquer aux Parisiens du dimanche, car jusqu’ici les fondateurs de guinguettes l’avaient respecté. Il a nom Épinay. La dernière fois que je l’ai admiré en passant dans la plaine de Gennevilliers, j’y ai vu trois cabarets neufs et deux cheminées à vapeur. Que Dieu le protège.

En 1847 il était à vingt lieues d’Asnières.

On les appelait monsieur et madame Justin, ou bien encore « les nouveaux mariés ». Ils étaient si beaux et si bons que tout le monde les aimait. Autour d’eux il y avait comme un respect attendri.

Avant l’année finie, on fit un baptême. Dans le jardin plein de roses qui descendait jusqu’au bord de l’eau, il y eut du matin au soir une grosse fille attelée à une voiture mignonne, roulant autour de la pelouse, et dans laquelle souriait un cher enfant.

Quand la voiture s’arrêtait, c’est que Lily venait aux cris du petit ange qui appelait le sein de sa mère.

Cela dura encore trois mois, puis les feuilles tombèrent. Les rosiers étaient dépouillés de leurs fleurs. Justin devint triste. Un jour, Lily pleura.

Justin voulut revenir à Paris. Ce n’était pas pour se séparer de Lily, au contraire, Lily eut des robes plus belles, des bijoux, des dentelles, des cachemires. Justin fit des dettes, beaucoup.

Lily regrettait bien le large chapeau de paille qui l’abritait contre le bon soleil d’Épinay et toute sa gaie toilette de campagne qui la faisait si jolie à si peu de frais. Justin la voulait admirée. Paris la regarda pendant trois mois. Justin devait vingt mille francs et Lily ne souriait plus guère qu’à l’enfant dans son berceau.

Elle n’avait jamais reçu de lettres de Justin, parce qu’ils étaient toujours ensemble. Une fois on lui remit une lettre dont l’écriture lui serra le cœur. Elle était de Justin. Pourquoi Justin écrivait-il ?

Justin disait dans sa lettre :

« Ma mère est venue me chercher. À bientôt. Je ne pourrais pas vivre sans toi. »

Elle eut peine à comprendre d’abord. Quand elle comprit, elle se coucha, malade, auprès du berceau.

Justin écrivit souvent, d’abord, promettant de revenir bien vite, puis il écrivit moins fréquemment, puis il n’écrivit plus du tout.

L’enfant avait deux ans quand Lily se retira dans une pauvre chambre du quartier Mazas. Il y avait quinze mois qu’elle n’avait entendu parler de Justin. Depuis un an elle vivait de son travail, vendant çà et là un bijou ou un objet de toilette.

Justine, sa fille, ou Petite-Reine, comme disaient les voisins, était toujours habillée comme l’enfant d’un prince.

Nous retrouvons Lily au printemps de 1852. L’indigence était venue. Le costume de Lily en portait les marques, mais la pauvreté ne touchait pas encore à Petite-Reine.

C’était à cause de Petite-Reine que les voisins de Lily, pris de ce souriant et gai respect qui est le bon côté du caractère parisien, l’appelaient la Gloriette.

Il y avait dans ce surnom une pointe de moquerie et beaucoup de miséricorde pour l’excès de son amour maternel.

La Gloriette et sa Petite-Reine étaient populaires des deux côtés de la Seine. On les connaissait au Jardin des Plantes, où Lily menait jouer sa fillette, quand l’ouvrage ne donnait pas. Malgré la différence de leurs toilettes, dont chacun s’étonnait, il n’y avait point de méprise possible : quoique l’une fût l’élégance même et que le costume de l’autre eût pu convenir à une bonne, c’étaient bien la mère et l’enfant. On les aimait comme cela.

Revenons cependant à la baraque de madame Canada, où nous avons laissé Lily et Petite-Reine, pour raconter leur histoire. Les bonnes gens du quartier Mazas en savaient à peu près aussi long que nous, sauf ce détail de la première jeunesse de Lily parmi les chiffonniers et le nom de Justin de Vibray.

Au fond elles ont toutes la même histoire.

Petite-Reine ne se possédait pas de joie. C’était la première fois qu’elle allait au spectacle, et le spectacle était superbe.

Comme si madame Canada eût voulu la remercier d’avoir montré le chemin « au monde », elle enleva de son programme la lutte à main plate, l’exercice du canon, le « travail » de l’homme qui porte trois cents livres entre ses dents gâtées et généralement tout ce qui ne devait point amuser sa petite providence.

Au contraire, elle fit jouer force marionnettes, exhiba des figures de cire, et jongla elle-même avec de belles boules de cuivre, des poignards et des saladiers ; car elle possédait une grande quantité de talents.

Mais ce qui ravit la fillette au troisième ciel, ce fut la danse de mademoiselle Freluche, qui fit une douzaine d’entrechats sur la corde raide, et, contre son habitude, acheva son travail sans tomber une seule fois.

Petite-Reine applaudit de ses deux mains mignonnes et bien gantées. Dans la baraque, tout le monde la regardait et l’admirait ; elle était une partie du spectacle.

On la regardait aussi de la scène, les deux yeux ronds du jeune Saladin étaient fixés sur elle avec une expression étrange. Vous n’avez pas oublié Saladin, le triangle.

Il était un peu le maître chez madame Canada, ce Saladin, bien que la bonne femme le détestât cordialement. Elle avait peur de lui. Dans son opinion, le « blanc-bec », comme elle l’appelait, était capable de tout.

Mais il avait la protection du beau Similor, son père, qui l’aimait et qui le battait ; il avait surtout la protection d’Échalot, sa nourrice. Saladin dominait les autres par son intelligence réellement supérieure au milieu dans lequel il vivait, et par son caractère étrange, tantôt caressant tantôt impérieux.

Il savait onduler comme un serpent et sourire mieux qu’une femme ; quand il était en colère, le regard de ses yeux ronds coupait, froid et tranchant comme une lame d’acier.

C’était déjà un petit homme par ses vices, mais il gardait les faiblesses d’un enfant. Il fut jaloux du succès de mademoiselle Freluche, ou plutôt jaloux de l’impression qu’elle avait produite sur la fillette à laquelle il accordait une attention extraordinaire.

Il voulut éblouir la fillette à son tour.

Malgré madame Canada, qui avait écarté son travail du programme pour ne point effrayer Petite-Reine (et aussi pour finir plus vite, car l’heure du dîner approchait et la soupe aux choux était à point), Saladin, dépouillé de sa jaquette et vêtu d’un justaucorps pailleté, s’élança sur le devant de la scène en brandissant un sabre.

Il était un peu grêle, mais très bien fait de sa personne, et la blancheur de marbre de son visage ressortait énergiquement sous les mèches bouclées de ses cheveux bruns.

Freluche le trouvait beau comme un dieu.

Il arriva, sûr de lui-même et planta la pointe de son sabre dans son gosier avec un aplomb vainqueur.

Mais Petite-Reine poussa un cri perçant et se couvrit le visage en disant :

— Celui-là est laid ! je ne veux pas le voir. Mère, emmène-moi !

Saladin s’arrêta. Ce ne fut pas un regard d’enfant qu’il jeta sur la fillette.

— Raté, l’effet de l’avaleur ! cria un gamin.

Les deux commères protectrices du garçon boucher commandèrent :

— Entonne ton coupe-chou, bonhomme ! Aie pas peur.

— Il est connu, fit observer un militaire, que les sabres et bancals pour l’avalage sont en caoutechoucre.

Saladin brandit son glaive pour montrer qu’il était en vrai fer. La pâleur de sa joue devenait livide.

— Viens-t’en, mère, viens-t’en ! supplia Petite-Reine qui pleurait ; celui-là me fait peur !

Le sombre personnage qu’Échalot avait désigné ainsi : « un pair de France étranger », dit avec un geste imposant :

— Assez !

— As-tu fini, Barrabas ! miaula le gamin.

— Avale ! crièrent les payses.

— N’avale pas ! ordonna madame Canada du fond de la coulisse.

— Il avalera !

— Il n’avalera pas !

La Marseillaise !

— Et ta sœur !

— Orgeat, limonade, bière !

Au milieu du tumulte, et pendant que Petite-Reine épouvantée cachait son front dans le sein de sa mère, un large éclat de rire monta de la salle et envahit la scène. Spectateurs et saltimbanques se tordaient les côtes à contempler Saladin, immobile, vert de honte et de rage.

Cela dura longtemps.

Quand Saladin releva ses paupières, ses yeux saignaient comme ceux des oiseaux de proie.

Il regarda le public d’abord, puis Petite-Reine, et s’enfuit, poursuivi jusqu’au fond de la coulisse par ce grand éclat de rire qui devait bouleverser trois destinées.