L’Avenir de Cuba

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L’Avenir de Cuba
Revue des Deux Mondes4e période, tome 155 (p. 417-441).
L’AVENIR DE CUBA

« L’horizon tropical inondé d’un éther intense ; l’Atlantique entre le bleu céleste et l’opale rosé, comme une perle monstrueuse ; les récifs d’or émaillés de coquilles et de nacres ; les écueils couverts de plantes aquatiques qu’animent d’innombrables infusoires ; les bouches du fleuve ceintes de grands roseaux et de bambous, flottant ainsi que de gros vases, ainsi qu’une forêt de fleurs mobile ; et là-bas, dans le lointain, des montagnes revêtues d’un vernis de lilas et de pourpre dont les tons ressemblaient à des condensations de lumière ; le feuillage si enchevêtré qu’on eût dit un mur impénétrable de verdure, et si coloré qu’on eût dit une palette chargée de nuances indéfinissables et toutes gaies comme des arcs-en-ciel solides ; ces familles d’insectes comparables à des rubis et à des émeraudes et à des saphirs et à des turquoises et à des opales qui auraient des ailes ; l’incessant mouvement des papillons, dans les volantes membranes desquels semblaient s’être réunis l’ocre, le vermillon, l’indigo et toutes les réverbérations du prisme poli pour qu’ils parussent des bouquets aériens ; les herbes de mille formes variées avec des ornemens de fleurs, lesquelles illuminaient les yeux de leurs pétales et affolaient le cerveau de leurs forts et pénétrans arômes ; le tissu épais des lianes ou des plantes grimpantes, qui s’étendaient à terre comme un tapis persan, et comme des châles d’Asie d’un arbre à l’autre, par les cimes ; le vol perpétuel des oiseaux-mouches et des perroquets et des colibris aux plumages plus brillans que des soieries de Catay ; le chœur des francolins et des rossignols accompagné du cri-cri des cigales qui jamais ne chantent, ni les uns ni les autres, sous nos climats, l’automne ou l’hiver, et qui, en ces pays, se font entendre pendant les mois d’octobre et de novembre ; les bananiers aux feuilles aussi larges et d’une trame aussi résistante que de riches manteaux de velours, avec leurs fruits recourbés et jaunes ; les palmeraies de cocotiers qui sortaient de l’eau et touchaient au ciel ; ces fougères arborescentes à l’entrée des forêts vierges inaccessibles, qui formaient en haut comme une voûte impénétrable aux rayons solaires, et en bas comme un océan de végétation où se cachaient des abîmes remplis de vapeurs pareilles à des voiles de nuées indécises ; les champs de maïs d’un vert si clair, couverts d’épis qui ressemblaient à des torsades étincelantes et à des chevelures d’une indicible finesse ; les bois de campêche aux sucs qui teignent et les guanabanos et les chirimoyos aux fruits délicieux ; les cactus de la taille du cèdre et les acajous et les ébènes d’une matière si dure ; les galegas ; médicinales au tronc strié ; le déluge de feuilles innombrables, les éruptions volcaniques d’êtres animés, le parfum de senteurs perceptibles à d’immenses distances, les croisés de fibres entrelacées comme une incroyable dentelle ; le bruit d’une symphonie faite du concert des ondes mugissantes et des ramures crevant pour ainsi dire de l’excès de leur sève ; tout cet ensemble, invraisemblable d’exubérance, dut émouvoir le vieux pilote de l’ancien monde, presque épuisé, comme le paradis sans maux avait ému l’Adam biblique sans péché, sur le point de se lever au souffle divin pour recueillir en ses veines les premiers effluves mystérieux de la vie universelle. »

C’est en cette phrase extraordinaire par son éclat autant que par sa longueur — dans le texte original elle n’a pas moins de cinquante et une lignes — que don Emilio Castelar nous peint l’état d’âme de Cristophe Colomb, quand, le 28 octobre 1492 au matin, ses caravelles abordèrent à Cuba. Et voici maintenant la phrase toute droite et toute simple, une des premières du livre écrit, autant dire du rapport rédigé ou de l’inventaire dressé, après étude attentive de l’île, par M. Robert P. Porter, commissaire spécial pour les Etats-Unis à Cuba et Puerto-Rico[1] : « Tabac, café, fruits tropicaux, minerai de fer et autres minéraux de diverses natures, bois de construction, bétail, et l’innombrable série de produits qui forment la richesse commerciale de ce merveilleux pays doivent représenter une valeur annuelle qu’on peut estimer entre deux cent et deux cent cinquante millions de dollars, et qu’il serait facile de doubler, peut-être de tripler. »

Dieu nous garde de conclure, comme M. Castelar le sous-entendait sans doute, que l’état d’âme de Colomb, — celui que du moins il lui prête, — est représentatif de toute l’âme latine en tout temps et en tout lieu, et que cette âme n’est que poésie. Il l’a connue aussi, l’Auri sacra fames, l’âpre Génois qui venait d’Europe, menant obstinément vers les trésors de la fabuleuse Cipango les âpres Espagnols ! Et le monde, pour lui non plus, n’était pas seulement lumière, musique et parfums ; dans le mystère des terres et des mers ignorées, c’étaient bel et bien des réalités qu’il cherchait. D’autre part, l’âme anglo-saxonne n’est pas desséchée par la passion du gain au point de ne voir dans la forêt que du bois, dans la plaine que de l’humus, dans les monts que des carrières ; au point de ne sentir aucun genre de beauté : il en est, au contraire, peu qu’elle ne comprenne et qu’elle ne goûte et dont elle ne se mette en quête. Mais enfin, et pour autant que des généralités puissent n’être pas fausses à force d’être générales, le caractère des deux races est ici assez bien marqué. Christophe Colomb, — croyons-en don Emilio, — s’est d’abord écrié : « Le beau pays ! » M. Porter commence par dire : « La bonne affaire ! » En ce siècle et dans tous les siècles du passé et de l’avenir, il se pourrait que ce fût M. Porter qui eût raison. Il n’y a plus sur terre de paradis sans maux, plus d’Adam sans péché, et l’humanité est devenue incapable de sentir, devant la nature, le frisson pur, désintéressé et puéril du premier homme. Pour tout dire en deux mots, l’homme ne conquiert plus ou n’acquiert plus la terre et ne colonise pas pour admirer le paysage.


I

Cuba est donc une île longue de 670 kilomètres, large de 40 à 200, et dont la superficie n’est pas de moins de 126 700 kilomètres carrés[2]. Sa forme est celle d’un arc irrégulier dont la convexité est tournée vers le Nord. Ses côtes sont bordées de récifs et d’îlots. Une chaîne de montagnes assez élevées la traverse dans toute sa longueur. Les rivières sont nombreuses, mais de peu d’étendue. Le climat est chaud et sec ; les vents du Nord et de l’Est le tempèrent. L’île abonde vraiment en richesses minérales, celles qu’énumère M. Robert Porter, et d’autres : houille, cuivre, argent, aimant, cristaux de roche, salines, eaux thermales ; et en richesses agricoles : sucre, café, tabac, bois de construction, de teinture, d’ébénisterie.

Elle est à quelques heures seulement de l’extrême pointe de la Floride, c’est-à-dire des Etats-Unis. Par là, sa valeur spécifique s’accroît de sa va leur de position. Elle vaut infiniment plus pour les États-Unis que pour toute autre puissance et notamment que pour l’Espagne, dont la séparait toute la largeur de l’Atlantique. C’est ce que les États-Unis ont compris, dès qu’il y a eu des États-Unis : le gouvernement et le peuple, les hommes d’État et les hommes d’affaires. Avoir Cuba, tout de suite tout le monde est tombé d’accord là-dessus : ce n’est que sur le procédé, acheter ou prendre, que l’on s’est divisé. Nous n’insisterons pas sur cette histoire que nous avons à cette place même déjà contée[3], ou plutôt nous n’y rentrerons que par un seul de ses côtés. La persistance jamais découragée des États-Unis dans leur ferme dessein de se faire céder l’île, au besoin à beaux deniers comptans, prouve le très haut intérêt qu’ils ont toujours attaché à sa possession.

Le 28 avril 1823, M. Adams, secrétaire d’État du gouvernement américain, écrivait à M. Nelson : « Les îles de Cuba et de Puerto-Rico appartiennent encore à l’Espagne, et il n’y a que l’Espagne qui puisse en transférer la possession. Cuba et Puerto-Rico, par leur situation et leurs dépendances naturelles sur le continent Nord-Américain, mais en particulier Cuba que l’on découvre presque de nos côtes, en sont venus à être pour les intérêts de l’Union américaine, soit commerciaux, soit politiques, un objet d’une importance transcendante. La position dominante de Cuba, par rapport au golfe du Mexique et aux mers occidentales ; le caractère de sa population ; sa situation à mi-chemin de notre côte méridionale et de l’île de Saint-Domingue ; le port, si sûr et si vaste, de la Havane, vis-à-vis d’une longue ligne de côtes américaines dépourvues d’un même avantage ; la nature de ses productions et celle de ses besoins, fournissant les élémens et exigeant les retours d’un commerce à bénéfices immenses, lui donnent une importance de premier ordre, sans comparaison, et un intérêt peu inférieur à celui qui unit les différens membres de l’Union américaine en un même corps. Tels sont, en vérité, les intérêts de cette île et de ce pays, les relations géographiques, commerciales, morales, politiques, formées par la nature ; ajoutons-y que, dans la suite des temps et même dès à présent, vu ce qui s’est passé depuis un demi-siècle, les événemens feront vraisemblablement que l’annexion de Cuba à notre république fédérale soit indispensable pour la continuation et l’intégrité de l’Union elle-même... »

On ne s’en tenait d’ailleurs pas à des déclarations de principe, et déjà l’on dressait des bilans, on établissait des devis, on examinait article par article le budget cubain : recettes, tant ; dépenses, tant ; excédens, tant. En août 1823, M. Appleton estimait ces excédens à 1 500 000 pesos fuertes, chiffre probablement exagéré. Vingt-cinq ans passent, et, en 1848, un successeur de M. Adams au département des Affaires étrangères, M. Buchanan, s’exprime ainsi dans une dépêche à M. Saunders, ministre des Etats-Unis à Madrid : « Sous le gouvernement des Etats-Unis, Cuba arriverait à être l’île la plus riche et la plus fertile du monde entier. D’après la statistique commerciale de Mac Gregor, il n’y aurait eu de cultivé qu’un douzième de l’île seulement. « Nous n’avons pas de renseignemens, ajoutait M. Buchanan, sur la superficie que couvre à présent (1848) la culture à Cuba : mais, d’une comparaison de la valeur des produits exportés en 1830 avec celle des produits exportés en 1842, et par différens calculs, nous déduisons la probabilité que la terre actuellement cultivée peut s’élever à un huitième de l’île environ. » Et l’auteur poursuit : « Quand nous comparons cette surface cultivée au vaste territoire qui reste sans culture dans le sol fertile de Cuba, et au produit que l’île entière donnerait, il n’y aurait pas d’exagération à dire que l’Europe pourrait ne tirer que de Cuba tout le café et tout le sucre qu’elle consomme aujourd’hui. M. Mac Gregor expose que la population générale de l’île ne dépassait pas, en 1841, 1 007 624 âmes ; mais, des renseignemens qui viennent d’être présentés, on peut inférer à bon droit que Cuba serait capable de nourrir 10 millions d’habitans. Si Cuba faisait partie des États-Unis, il serait difficile de calculer la quantité de grains, farines, riz, coton, et autres produits de l’industrie, de bois et articles divers qui s’ouvriraient un marché dans cette île, en échange de son café, de son sucre, de son tabac, etc. Ses productions, d’ailleurs, iraient en augmentant à mesure qu’augmenterait sa population, et le développement de ses ressources tournerait au bénéfice de tous les États de l’Union[4]. »

Mais M. Buchanan veut serrer la question de plus près, et, en homme pratique, qui sait que les affaires d’Etat sont tout de même des affaires, il l’étudié commercialement. « Si l’on trouvait le cabinet de Madrid disposé à se défaire de l’île de Cuba, alors se poserait la question : Qu’est-ce qu’on en doit offrir ? Pour fixer cette somme, il est important de vérifier : 1° quel est le revenu liquide qu’en retire présentement le Trésor de la Métropole ? 2° à combien montera pour les États-Unis le revenu net, dans l’état actuel de Cuba ? Il m’est difficile de répondre sur le premier point avec l’exactitude nécessaire. M. Mac-Culloch, dans son Gazeteer, dit que « les revenus de l’île entière pour la période de cinq ans [[qui s’est achevée en 1837 s’élevaient à 8 945 581 duros par an ; » et, dans le Hunt’s merchant’s Magazine d’octobre 1845, il est dit que le revenu pour 1844 montait à 10 490 252 pesos. Après 1844, le département manque de données dignes de foi. M. Calderon m’a informé que la trésorerie de Madrid n’a jamais reçu plus de 2 millions de duros, et, comme je lui demandais à quoi se dépensait alors le surplus de la rente, il m’a répondu : à défrayer le gouvernement colonial ; à payer les troupes et à entretenir les vaisseaux de guerre nécessaires pour la défense et la sécurité de Cuba. »

Tout bien considéré, le secrétaire d’Etat, d’accord avec le Président, offrait 50 millions, et au maximum, pour en finir, 100 millions de pesos — 500 millions de francs. — On sait que l’offre fut faite formellement et déclinée ; que, plus tard, en 1853 et 1854, la négociation fut reprise par M. Marcy, l’un des successeurs de M. Buchanan, et M. Pierre Soulé, l’un des successeurs de M. Saunders[5] ; qu’elle n’eut pas un meilleur succès, mais que, plus tard encore, en 1869, M. Sickles, ministre des États-Unis à Madrid, n’en revint pas moins à la charge auprès du général Prim, qui lui non plus ne céda pas, bien qu’il eût, dit-on, à de certains momens, paru prêter une oreille complaisante ; et qu’enfin, jusqu’à la veille même de la rupture et de la guerre, les Américains ont voulu démontrer aux Espagnols — ce qui était peut-être vrai, mais ce qui était sûrement la dernière chose qui pût être comprise des Espagnols — que, plutôt que de perdre Cuba, l’Espagne avait tout intérêt à s’en défaire contre espèces sonnantes.

L’Espagne, trop fière, n’entendit rien ; Cuba est maintenant perdue pour elle, et non seulement on ne l’a pas payée, mais elle a payé pour la perdre. L’article 1er du traité de paix, signé à Paris le 10 décembre 1898, stipule en effet : « L’Espagne renonce à tout droit de souveraineté et de propriété sur Cuba. En considération de ce que ladite île, quand elle aura été évacuée par l’Espagne, devra être (va à ser — is to be) occupée par les États-Unis, les États-Unis, tant que durera leur occupation, assumeront et accompliront les obligations que, par le fait de cette occupation, leur impose le droit international pour la protection des vies et des propriétés[6]. » L’article 7 précise : « L’Espagne et les États-Unis d’Amérique renoncent mutuellement à toute réclamation d’indemnité nationale ou privée, de quelque espèce que ce soit, de l’un des deux gouvernemens contre l’autre, ou de leurs sujets ou citoyens contre l’autre gouvernement, qui pourra s’être élevée depuis le commencement de la dernière insurrection à Cuba, et sera antérieure à l’échange de ratifications du présent traité, comme aussi à toute indemnité à raison de dépenses occasionnées par la guerre[7]. » L’article 8 est la conséquence naturelle de l’article 1er. Renonçant à ses droits de souveraineté et de propriété sur Cuba, l’Espagne renonce du même coup « à tous les édifices, môles, casernes, forteresses, établissemens, voies publiques et autres biens immeubles qui constituent légalement le domaine public, et comme tels appartiennent à la couronne d’Espagne. »

En somme, les États-Unis reçoivent en dépôt, de l’Espagne qui y renonce, pour un temps illimité ou sans autres limites que celles qu’il leur plaira à eux-mêmes de fixer à leur occupation, l’île de Cuba nette pour eux de toutes dettes et charges. — La dette de Cuba : c’est un des points sur lesquels les plénipotentiaires espagnols ont le plus longuement et le plus vaillamment résisté. Il leur paraissait de toute justice que, si les Américains prenaient le bon, ils prissent également le mauvais. À quoi les plénipotentiaires de l’Union ont répondu, non sans quelque subtilité, qu’ils ne « prenaient » pas Cuba, qu’ils en acceptaient seulement la garde ; que l’Espagne renonçait bien à tout droit de souveraineté et de propriété sur cette île, mais qu’elle ne la leur cédait pas, tandis qu’elle leur cédait Puerto-Rico et les derniers débris qui lui restaient des Indes occidentales, avec l’île de Guam dans l’archipel des Mariannes ou Ladrones, — cela gratuitement, — et, — ceci contre une indemnité de 20 millions de dollars : — l’archipel des Philippines[8] ; que grande était la différence, et que, comme l’Espagne ne leur cédait pas Cuba, elle ne pouvait donc leur céder davantage la dette de Cuba.

Les commissaires espagnols, il est vrai, eussent pu répliquer que, du moment que l’Espagne était forcée de renoncer à Cuba, elle ne faisait point de difficultés à y renoncer en faveur des États-Unis ; au contraire, sa dignité, ou, si l’on veut, son amour-propre, son « point d’honneur » y pourrait trouver des ménagemens ; et ils ont dû le laisser nettement entendre pendant les quatre heures qu’a duré la discussion ; mais c’étaient les délégués américains qui étaient inébranlablement résolus à ne pas vouloir que le protocole portât : en faveur des États-Unis. « Bien claire est la raison de cette résistance, écrit M. Montero Rios[9] ; ces messieurs comprennent que, si les États-Unis acceptent la souveraineté sur l’île de Cuba, soit pour la conserver, soit pour la transmettre au peuple cubain, il leur faudra être directement responsables, en faveur de l’Espagne, de tout ce que la cession doit emporter avec elle. Si résolus qu’ils soient à s’opposer à ce que par la cession passent les charges, sans doute comprennent-ils que l’évidente justice des demandes espagnoles les obligera à céder peu ou prou sur ce point. Et, pour éviter que ce soient les États-Unis qui aient à supporter les charges transmises, ils se refusent à paraître accepter la souveraineté à laquelle nous renonçons sur la Grande Antille. »

Au surplus, que telle fût bien la pensée des commissaires américains, ils ne s’en cachaient pas et même le déclaraient explicitement. Le fond de leur raisonnement était que, dans ce qu’on appelait la dette cubaine, il y avait avant tout une dette espagnole, — ce que niaient avec énergie M. Montero Rios et ses collègues. — De quoi se compose la dette cubaine et comment s’est-elle formée ? Suivant le mémorandum américain, avant 1861, cette dette n’existait pas. Les revenus de l’île étaient plus que suffi sans pour couvrir ses dépenses, et laissaient un excédent, qui ne tournait pas d’ailleurs à son profit, et qui s’en allait à Madrid ; excédent qui, de 1856 à 1861, n’aurait pas été inférieur à 20 millions de pesos ou 100 millions de francs. En 1864, lorsqu’il fallut faire face aux frais de la réincorporation de Saint-Domingue et de l’expédition du Mexique, les autorités espagnoles émirent des bons pour la somme de 3 millions de pesos — 15 millions de francs. Dans la suite elles firent de nouveaux emprunts, si bien que, en 1868, la dette cubaine atteignait 18 millions de pesos — 90 millions de francs. Ce n’était encore rien. Mais survint la guerre de Dix ans, où l’argent fondit, et pour la liquidation de laquelle Cuba se trouva si lourdement chargée que sa dette, on 1880, dépassa 160 millions de pesos — 800 millions de francs. C’est pour la consolidation de cette dette ou de ces dettes d’origine diverse que le gouvernement espagnol créa, six ans après, en 1886, les billets hypothécaires de l’île de Cuba, à concurrence de 124 millions de pesos — 620 millions de francs. Finalement, en 1890, — toujours selon le mémorandum américain, — le gouvernement espagnol aurait autorisé une seconde émission de bons, pour la somme de 175 millions de pesos, — 875 millions de francs, — à l’effet apparemment de refondre et d’unifier l’ancienne dette et de couvrir celles contractées entre 1886 et 1890 ; mais il semblerait qu’une faible partie seulement de ces bons ait été placée lorsque éclata la dernière insurrection, en février 1895. Le gouvernement dut alors se procurer des ressources pour réprimer l’insurrection, de sorte que les bons existant au 1er janvier 1898 représentaient, à en croire les documens publiés, un total de 171 710 000 pesos — 850 500 000 francs. En outre, il aurait été lancé un autre emprunt de 800 millions de francs, dit Emprunt pour pourvoir aux frais de la guerre de Cuba, en bons à 5 pour 100 ; et, quoique, sur ces bons, aucune mention ne soit faite des rentes de Cuba, il aurait été entendu en Espagne que ces 800 millions, eux aussi, seraient considérés comme faisant partie de la dette cubaine, au même titre que d’autres dettes, assez considérables, que les autorités espagnoles avaient précédemment contractées pour s’opposer par les armes à l’indépendance de Cuba. À cette prétention, et à l’ensemble des prétentions espagnoles concernant la dette cubaine, les plénipotentiaires des Etats-Unis s’opposaient de toutes leurs forces : « A aucun point de vue, concluaient-ils, les dettes ci-dessus mentionnées ne peuvent être regardées comme dettes locales de Cuba, ou dettes contractées au profit de Cuba. En aucune manière ces dettes ne peuvent être rejetées sur l’île. Ce sont des dettes créées par le gouvernement espagnol pour ses propres fins, par ses propres agens, et dans la création desquelles Cuba n’a eu ni voix ni vote[10]. »

Les commissaires espagnols contestèrent l’exactitude de cet exposé, y signalèrent des erreurs que, du reste, ils s’abstinrent de redresser[11]. Les appréciations, en effet, ne sont pas toutes ni rigoureusement concordantes. Au début de la guerre, en 1895, une publication officieuse espagnole réduisait la dette cubaine à peu près au montant des deux émissions jusqu’alors réalisées de billets hypothécaires — c’est-à-dire à 842 500 000 pesetas[12]. C’est presque le même chiffre que le sénateur Castañeda donnait en 1891 : 875 millions. Et c’est presque le même encore que donnait au commencement de la guerre un des ardens défenseurs de la cause cubaine, M. V. Mestre Amabile[13], tout en y ajoutant 612 500 000 francs destinés à la conversion de la dette de 1886 et distraits pour les frais de la guerre, ce qui le doublait ou peu s’en faut, et faisait monter la dette aux environs d’un milliard et demi (1 439 736 000 francs). Avec ce qu’on serait obligé de payer en dommages-intérêts aux citoyens des Etats-Unis et d’autres nations, la dette cubaine serait bientôt de près de 2 milliards. Plus récemment, M. Paul Leroy-Beaulieu arrivait un peu au delà de cette somme : 2 032 000 000 de pesetas ; et M. Robert Porter lui-même, bien au delà, arrêtant, en octobre 1898, — au moment des négociations, — le total de la dette à 519 600 000 dollars : 2 598 millions de francs[14].

Mais ce qui demeure incontesté, ce qui est incontestable, et ce qui, pour l’avenir, est l’important, c’est que tout le monde reconnaît. Espagnols, Cubains et Américains, que jusqu’à la période de troubles, de révoltes et d’expéditions militaires, qui s’ouvre vers 1860, le budget de l’île, si médiocrement administrée et si incomplètement exploitée qu’elle fût, se soldait par des excédens. « Jusqu’à l’année 1867-1868, lisons-nous dans España y Cuba, la situation économique de l’île fut véritablement prospère, puisqu’elle lui permit non seulement de concourir pendant très longtemps, et non pour de petites sommes, provenant des excédens de ses budgets, aux nécessités de la Péninsule, mais d’amortir, au moyen de ces mêmes excédens, la plus grande partie des obligations qui pesaient sur Cuba du fait de l’expédition du Mexique et de la guerre de Saint-Domingue[15]. » Les excédens versés au Trésor espagnol étaient-ils au juste de 45 millions, comme on le croyait en 1837, ou de 55 millions, comme on le disait en 1844, et comme M. Buchanan le répétait en 1848 ? N’étaient-ils au contraire que de 10 millions, comme d’autres le soutenaient ? Toujours est-il que c’étaient des excédens ; que c’était de la richesse, alors que, pour toutes sortes de causes et par toutes sortes d’issues, il s’en perdait beaucoup, alors qu’il n’y avait en valeur que la huitième ou la douzième partie de l’île de Cuba, le sol le plus merveilleux peut-être des deux mondes, une vraie mine de trésors agricoles, l’Eldorado du sucre, du café et du tabac.


II

Si la superficie cultivée n’était, il y a un demi-siècle, qu’un huitième ou un douzième de l’île, il résulte des documens les plus dignes de foi que, sous ce rapport, il n’a été accompli pour ainsi dire aucun progrès, puisque le territoire cubain tout entier devrait maintenant encore se répartir ainsi : 10 pour 100 en cultures, 7 pour 100 en terrains vagues, 4 pour 100 en forêts, le reste inexploré.

De ce dixième cultivé la canne à sucre couvre la plus grande partie : elle a même chassé des provinces orientales, de Santiago, de Puerto-Principe et de Santa-Clara, le caféier, auquel le climat convenait moins bien. L’espèce la plus répandue est la canne blanche, dite de Bourbon, qui dure de sept à neuf ans ; par suite, tous les sept ou neuf ans, il faut replanter. La récolte se fait tous les dix ou onze mois, et le rendement moyen est de 80 kilogrammes de canne par hectare[16]. Certaines tiges atteignent, dans cette terre privilégiée, une grandeur et une grosseur incroyables ; il ne serait pas rare d’en voir, sur les rives du rio Cauto, qui ont 9 mètres de haut et 8 centimètres de tour[17]. On peut, pour les dernières années, évaluer, en temps normal, la production du sucre à plus d’un million de tonnes. En 1893-1894, elle a été de 1 054 214 tonnes[18]. Depuis lors, la guerre est venue tout interrompre ; il a fallu abandonner et la zafra et la molienda. C’est surtout autour de Guantanamo, de Manzanillo, de Santiago, de Gibara que se rencontrent les sucreries, les ingénios. Les meilleurs témoins assurent qu’il y avait à Cuba, au commencement de l’insurrection, environ huit cent bateyes ou usines. Parmi ces usines, il en est qui ne fabriquent pas plus de 10 à 15 000 sacs de sucre par an, et qui valent de 100 à 150 000 pesos (de 500 à 750 000 francs) ; mais il en est aussi qui fabriquent de 75 à 100 000 sacs et dont la valeur est de 700 000 à un million de duros (3 500 000 à 5 000 000 de francs). Prenant une moyenne proportionnelle, il n’est pas téméraire d’avancer que chaque batey fabrique 50 000 sacs de sucre et vaut, bâtimens, machines et outillage, environ 400 000 pesos 52 millions de francs). Il suit de là que les 800 bateyes que l’on comptait, en 1895, à Cuba, pouvaient fabriquer chaque année 40 millions de sacs, et représentaient une valeur de 320 millions de duros (un milliard 600 millions de francs). Mais, à côté de ce qu’on nomme les bateyes, il y a ce qu’on nomme les colonias. Quoiqu’elles ne figurent pas d’ordinaire dans les statistiques, on est fondé à dire qu’à elles toutes elles donnent quelque chose comme 20 000 caballerias ou charges de canne, et qu’elles valent, bâtimens, machines, outils et bétail compris, quelque chose comme 60 millions de duros (300 millions de francs) qu’il faut ajouter aux 320 millions de duros représentés par les bateyes, soit, ensemble, un milliard 920 millions de francs. En 1895-1896, le sucre se vendant au prix de 5 duros (25 francs) les 100 kilos, et la production normale étant annuellement d’environ un million de tonnes, le produit de la récolte s’élevait donc en gros à 50 millions de pesos (250 millions de francs), sur lesquels il revenait 30 millions (150 millions de francs) aux propriétaires (hacendados) et 20 (100 millions de francs) aux fermiers (colonos''), pour la matière première. Les uns et les autres, propriétaires et fermiers, payaient là-dessus à chaque ouvrier (manœuvre, bracero) de 80 à 90 pour 100 de la valeur, le bénéfice net restant pour eux-mêmes de 5 à 20 pour 100, suivant leurs position, classe et condition sociales[19].

Telle est, ou plutôt telle serait la production sucrière de Cuba, année normale. Mais trop longtemps Cuba, déchirée par les factions, n’a point connu d’années normales. M. Mestre Amabile observe que, pour 1895-1896, cette production eût dû être de 1 100 000 tonnes, tandis qu’elle n’a été que de 180 000[20]. Et, si l’on veut corroborer ce témoignage par un autre, celui de D. Manuel Carreño y Fernandez est à retenir, parce qu’il est personnel et direct : il forme comme une monographie. En 1895-1896, malgré toutes les difficultés et tous les empêchemens, D. Manuel Carreño avait pu faire tant bien que mal la zafra et entreprendre la molienda. De ses trois sucreries, il avait pu expédier, entre le mois d’avril et le mois de juin, par la ligne centrale de Cardenas au Jucaro, les quantités de sacs suivantes : de son usine Esperanza, 17 098 sacs ; de Porfuerza, 15 937 ; de la Paz, 4 501 ; en tout 37 536 sacs. Résultat qu’il déclare relativement satisfaisant, dans le malheur des circonstances. Homme de lutte et, par nature, peu enclin au découragement, il note pourtant qu’un tiers de la propriété a été ruiné à Cuba, depuis l’ouverture des hostilités. Les bateyes des grandes exploitations de sucre, détruits par les insurgés, dépassent le nombre de 200 et valaient plus de 75 millions de duros (375 millions de francs), sans compter ceux des colonias dont la valeur était de plus d’un million de duros (5 millions de francs). Joignez-y la valeur de la canne détruite sur pied — au moins 50 millions de duros (250 millions de francs), — puisqu’on la paie habituellement 2 duros les 100 arrobas, et que la quantité brûlée ou ravagée ne saurait être au-dessous de 1 050 millions d’arrobas. Le calcul de D. Manuel Carreño y Fernandez le conduit ainsi à cette désolante constatation que la guerre, en un an et dès 1896, avait coûté à Cuba, rien que dans sa production de sucre, 126 millions de duros (630 millions de francs). Si encore cette énorme perte[21] n’avait pas entraîné après elle le manque de travail, et toutes les misères qui lui font cortège ! Mais, faute de travail, et par conséquent faute de pain, 50 000 ouvriers s’étaient jetés Mans la brousse et étaient allés grossir l’armée de la révolte.

Maintenant, après la production, la consommation. Tout ce sucre qui sort des vastes plaines de Cuba, où se vend-il ? Qui achète ces 1 100 000 tonnes ? Qui mange ce milliard passé de kilogrammes ? Il y a trente-cinq ans déjà, avant la guerre de Dix ans, en 1865, on calculait que les Etats-Unis, à eux seuls, achetaient 62 pour 100 du produit total, la France et les autres pays, 22 pour 100 ; l’Espagne, pas plus de 3 pour 100[22]. Pour les cinq dernières récoltes que la statistique ait analysées, la proportion n’a varié qu’à l’avantage des États-Unis, lesquels en sont venus presque à accaparer tout le sucre de Cuba : en 1893, 680 000 tonnes sur 815 000 ; en 1894, 965 000 tonnes sur un million et demi ; en 1895, 770 000 tonnes sur un million ; en 1896, les États-Unis auraient reçu de Cuba un peu plus de sucre que l’île n’en aurait produit dans l’année, et il y aurait donc eu une réserve : 235 000 tonnes, tandis que la récolte n’en aurait donné que 225 000[23] ; en 1897, enfin, 202 000 tonnes sur 212 000[24].

Mais la crise ne se révélait pas seulement, dans les mauvaises années, à la quantité produite, elle s’aggravait encore, jusque dans les bonnes années, de la baisse constante des prix. Le sucre blanc n° 3, qui valait, en 1880, 67 francs les 100 kilos, ne valait plus, en 1884, que 45 fr. 65 ; en 1887, il descendit à 35 fr. 15, et s’il remonta, un instant, en 1893, à 42 fr. 62, ce fut pour redescendre ensuite au prix de 27 fr. 75, au-dessous même duquel il tomba en 1896. On a vu que D. Manuel Carreño indique, pour cette année-là, 25 francs les 100 kilos. C’est qu’un redoutable concurrent était entré en lice, qui disputait avec succès au sucre de canne le marché du monde, et dont les centres de production étaient multiples, en Europe même, et dans des riches et puissans États. Le sucre de betterave passait rapidement de 40 000 tonnes, en 1840, à 200 000, en 1850 : à 400 000, en 1860 ; à 900 000, en 1870 ; à 1 860 000, en 1880 ; et, en 1894, à 3 841 000 tonnes ; autrement dit, tous les dix ans, il doublait. Dans le même temps, il est vrai, le sucre de canne passait de 1 million à près de 3 millions de tonnes métriques, et, en 1893-1894, on évaluait la quantité totale de sucre existant partout, sucre de canne ou sucre de betterave, à 6 800 000 tonnes. Les États-Unis, non contens d’attirer à eux presque toute la production de Cuba, devenaient producteurs à leur tour ; en 1894, leurs usines fabriquaient 272 838 tonnes de sucre de canne, 20 119 tonnes de sucre de betterave, sans compter, ou en ne comptant que pour mémoire, 394 tonnes de sucre de sorgho et 3 408 tonnes de sucre d’érable, car la chimie est devenue alimentaire, et, en attendant qu’elle nourrisse l’humanité de petites boulettes, ce n’est plus de l’arsenic, c’est du sucre et de l’alcool qu’elle tirerait d’un bois de fauteuil !

Cependant, pour ne pas sortir de Cuba, la fabrication et la culture même, dans leurs méthodes ou leurs procédés, subissaient des modifications profondes, et le revenu, de ce fait, s’est relevé. Alors que, vers 1825, les plantations les plus étendues dépassaient rarement 1 500 acres de superficie, ne produisaient guère que 350 tonnes par an, ne représentaient en capital, — terre, magasins, machines, stock et esclaves compris, — que 500 000 duros (2 500 000 fr.) avec un revenu de 60 000 (300 000 fr.) 30 000 duros (150 000 francs) de frais, laissant un bénéfice égal, 150 000 francs ; au contraire, dans les derniers temps, ont apparu des plantations de 25 000 acres, représentant un capital investi de 10 millions de francs, avec un rendement annuel de 5 millions, dont 4 millions sont à prélever pour les frais et qui laissent un million de bénéfice net ; du 10 pour 100 en 1894, au lieu de 6 pour 100 en 1825[25]. Ainsi, la culture de la canne à sucre tend de plus en plus, elle aussi, vers la grande, la très grande culture ; et le nombre des plantations a diminué, à mesure que s’accroissait leur étendue. L’esprit d’initiative s’est développé parallèlement dans les usines, et l’outillage de quelques-unes d’entre elles ne craint la comparaison avec aucune autre. Il faut compter 500 000 dollars (2 500 000 francs) pour un ingenio central, capable de rendre 1 000 tonnes par jour pendant la saison. On a construit pour les employés des habitations confortables et commodes ; établi sur plusieurs milles et garni de wagons et de locomotives des voies ferrées pour apporter, des extrémités du domaine, la canne aux cylindres qui la broient ; sur ce domaine vivent 2 000 employés et ouvriers, et 1 000 têtes de bétail ou bœufs pour le travail des terres. C’est là sans doute une colonia modèle, et sans doute toutes les colonias cubaines ne sont pas des modèles ; mais, grâce à tant d’intelligens et persévérans efforts, il n’est pas défendu d’espérer que la production du sucre de canne puisse atteindre sous peu, et peut-être dépasser les 2 millions de tonnes que lui promettait en 1896 D. Manuel Carreño.

Et si, d’après le tableau dressé au 5 janvier 1899 par MM. Willet et Gray, la production totale du sucre, canne ou betterave, qui, en 1896, était, on s’en souvient, de 6 800 000 tonnes métriques a gagné encore plus d’un million de tonnes et, à présent, est de 7 872 000 tonnes, assurément Cuba ne réalisera pas tout à fait la prédiction de M. Buchanan ; l’Europe ne tirera pas d’elle seule tout son sucre, et elle en enverra peut-être encore à l’Amérique, mais Cuba à elle seule fera quand même plus du quart de la production universelle. Après avoir subi la concurrence du sucre de betterave, le sucre de canne, servi par un de ces puissans. trusts, comme il ne saurait manquer de s’en former là-bas, lui fera concurrence à son tour : Cuba, sinon américaine, du moins américanisée, prendra sa revanche. Et ce sera profit pour les États-Unis ; mais ce sera aussi profit pour Cuba. L’Europe, toutefois, — et nous particulièrement, qui venons avec l’Allemagne en tête de la production du sucre de betterave, — pourrait bien n’y pas trouver son compte.


III

Longtemps la partie orientale de l’île, les trois provinces de Santiago de Cuba, de Puerto-Principe et de Santa-Clara avaient été consacrées particulièrement à la culture du café. C’est en 1742 et d’Haïti, suivant les uns, en 1709 et de la Martinique, suivant les autres, quelques-uns disent de Saint-Domingue et par les émigrés français, que cette culture fut introduite à Cuba. D’où qu’elle vînt, elle prit tout de suite une grande importance, donna naissance à une industrie florissante, et l’on s’accoutuma à considérer le café de Cuba comme une des meilleures marques. Néanmoins, peu à peu la culture du sucre s’affirma comme beaucoup plus rémunératrice ; en 1843 et 1846, de désastreux ouragans ravagèrent les plantations ; le Brésil, placé dans des conditions politiques et économiques plus favorables, pourvu d’un outillage plus moderne et plus perfectionné, entra en pleine production, et le café de Cuba disparut presque des marchés étrangers.

Il existe pourtant encore de nombreuses plantations, mais en général assez petites, qui, telles quelles, subviennent à la consommation locale, et, dans ces limites, ne sont pas une mauvaise affaire. De 1890 à 1896, la seule province de Santiago de Cuba a donné 14 048 490 livres (pounds) de café[26]. Chaque arbre portant en moyenne 3 livres de café en cerises, à 5 400 pieds par hectare, chaque hectare rapporte 8 tonnes. Mais l’exportation, très réduite comme on sait, ne représentait, en 1895, qu’une valeur de 1 491 pesos pour les États-Unis, 466 pour la France, 4 750 pour Mexico, 9 030 pour l’Espagne ; en tout 15 036 pesos (55 000 francs), et ce tout n’est rien[27]. En 1892, l’Espagne avait encore acheté 164 tonnes de café cubain au prix de 427 000 francs ; depuis lors, chute brusque, pour des motifs divers qui ne sont pas tous économiques, mais dont le plus efficace, et si efficace qu’il n’est pas besoin d’en chercher d’autres, a été l’abandon pour ainsi dire complet de la culture de cette plante à Cuba, et la concentration de toutes les forces productives à peu près sur la seule culture du sucre.

Est-ce là, comme certains le veulent, « une direction industrielle imprudente, grosse de risques et de périls ? » Est-ce là «une erreur économique, comparable, toutes proportions gardées, à celle commise en Espagne même quand, sur la foi de folles espérances, on a donné à la culture de la vigne un développement exagéré ? » Le café des Antilles était cependant suffisamment protégé dans la Péninsule contre ses concurrens du dehors, puisqu’il ne payait que 60 francs par 100 kilos, tandis que les autres payaient 134 fr. 50[28]. D’ailleurs, de ce que laissait tomber Cuba, Puerto-Rico ramassait une partie ; puisque, si, pour Cuba, l’exportation du café, de la colonie dans la métropole, était, en 1879-1881, de 772 tonnes, valant 1 523 000 francs, et n’était plus, en 1890-1892, que de 358 tonnes, représentant seulement 849 000 francs, au contraire, pour Puerto-Rico, elle passait de 617 tonnes, valant 1 238 000 francs, en 1879, à 4 415 tonnes, représentant 11 479 000 francs, en 1892 ; si bien qu’il ne se buvait guère en Espagne de café qui ne vînt de Puerto-Rico, et que la Péninsule achetait environ la moitié de la récolté : 4 415 tonnes en 1892, 5 126 en 1893, 4 898 en 1894, sur 150 000 sacs de 45 kilogrammes ou 9 750 tonnes[29].

Ce chiffre, qui exprime sa production totale, prouve, du reste, qu’à défaut de la Grande, la Petite Antille demeure un facteur non négligeable du marché universel pour le café. Elle y vient, quelque restreinte que soit sa superficie, au septième rang. En effet, des 12 000 000 de sacs, auxquels on évalue dans le monde entier la production de ce fruit, le Brésil en fournit 7 500 000 ; le reste du continent américain, 2 300 000 ; les Indes hollandaises, 1 000 000 ; Haïti, 500 000 ; Ceylan et Manille, 320 000 ; l’Afrique, 230 000 ; et Puerto-Rico, enfin, 150 000[30]. C’est déjà un présent prospère, qui permet d’augurer un plus prospère avenir. M. Robert Porter dit que, même à Cuba, la question de la culture du café mérite toute l’attention des colons américains qui ne manqueront pas d’y apporter leur argent, leur travail et leur hardiesse d’entreprise. Si cela est vrai de Cuba, à laquelle l’Espagne s’est contentée de renoncer sans la céder à personne, combien ne s’efforcera-t-on pas de le faire plus vrai encore de Puerto-Rico, que l’Espagne, par un traité en bonne et due forme, a cédée aux États-Unis !


IV

Le tabac prend place, par ordre d’importance, parmi les productions cubaines, immédiatement après le sucre et loin, très loin avant le café. D’après un bon juge, M. Gustave Bock, de la maison Henry Clay et Bock, de la Havane, la production annuelle du tabac dans l’île de Cuba, en temps normal, serait celle-ci : dans la province de Pinar del Rio (l’extrême pointe occidentale. de l’île), tabac dit de la Vuelta Abajo, de beaucoup le plus fin et le plus parfumé : 260 000 balles ; dans la province de la Havane, tabac qu’on appelle Partido : 70 000 ; dans la région de las Villas, province de Santa-Clara, tabac dit de Remedios : 130 000 ; et dans les provinces orientales, tabac dit de Mayari et de Gibara : 100 000 ; au total, 560 000 balles. Chaque balle pesant en moyenne 50 kilos, ce seraient donc 28 000 tonnes de tabac que produirait annuellement l’île de Cuba.

Cette évaluation n’est-elle pas un peu forcée ? Elle dépasse, en tout cas, de moitié celle que donnait, en 1895, dans un travail d’allure officieuse, un auteur compétent, que nous avons déjà plusieurs fois cité, D. Pablo de Alzola y Minondo, délégué de la Liga nacional de productores à la commission nommée pour la réforme des tarifs de Cuba et de Puerto-Rico : il s’en tient alors plus modestement à 12 000 tonnes, et il est difficile de croire qu’en trois ans, ces 12 000 tonnes se soient élevées jusqu’à 28 000. Mais M. Gustave Bock présente ce chiffre comme si sûr, qu’il indique même la répartition des 28 000 tonnes ou 560 000 balles, desquelles 220 000 seraient employées à la consommation locale et 340 000 exportées. La valeur en serait : pour les 340 000 balles exportées, de 12 millions de dollars (60 millions de francs) et pour les 220 000 balles consommées sur place, de 10 millions de dollars (50 millions), en tout 110 millions de francs. Sur les 60 millions de francs qui représentent le montant de l’exportation, les États-Unis auraient fourni pour leur part près de 45 millions en 1893, plus de 52 millions et demi en 1896[31]. La statistique espagnole accuse, pour 189S, des chiffres sensiblement plus forts, qui s’appliquent à toutes les formes sous lesquelles sort le tabac[32] : l’exportation aurait atteint la somme ronde de 24 millions de pesos (120 millions de francs) dont 18 millions (90 millions de francs) pour la part des États-Unis[33].

Des 300 millions de cigares, fabriqués à Cuba en 1889 et représentant une valeur de 13 500 000 dollars (67 500 000 francs) 50 millions s’étaient évanouis en fumée dans l’île même et 250 millions étaient allés répandre au dehors la capiteuse senteur de la terre cubaine. Depuis lors, les chiffres de l’exportation n’ont guère cessé de fléchir, jusqu’à s’abaisser, en 1897, à 123 millions de cigares, soit une diminution de près des deux tiers. En ces deux années extrêmes, 1889 et 1897, l’exportation aux États-Unis est tombée de plus de 100 millions de cigares en 1889 à 34 millions en 1897[34]. La province de Pinar del Rio, la Vuelta Abajo, qui était celle où le tabac cubain triomphait, est également celle qui a le plus souffert ; des consommateurs inexperts, peu gourmets ou plus économes n’ont plus su distinguer entre ses plantes d’essence rare et choisie, dont en toute vérité on peut dire que « le tabac est divin, qu’il n’est rien qui l’égale » et les feuilles moins délicates du Partido ou du Remedios : corruption du goût, qui a singulièrement réduit les 125 millions que Pinar del Rio tirait de sa supériorité, pour le plus grand dommage des 60 000 employés et ouvriers auxquels étaient payés, chaque jour, environ 300 000 francs de salaires, dont subsistaient plus de 450 000 personnes[35]. A la Havane même, la fabrication tant des cigares que des cigarettes[36] n’occupait pas moins de 18 000 à 20 000 ouvriers qui, avec leur famille, font une population de 15 000 à 50 000 âmes sur 200 000, le quart de la ville. Ce sont eux surtout qui ont pâti d’une crise dont la « démocratisation » du tabac n’est pas la seule cause.

Les États-Unis achètent toujours leur provision à Cuba, mais, au lieu de l’en tirer à l’état de produit fabriqué[37], ils l’en tirent plutôt à l’état de matière première : des manufactures ont été établies en territoire américain, et il y a sur ce territoire trop de gens avisés qui courent après la fortune pour qu’ils n’aient pas vu la nouvelle chance d’enrichissement qui passait. Aussi l’ont-ils bien vue, et aussi ont-ils supputé qu’avec les bienfaits d’une paix durable et d’un gouvernement stable, de la sécurité garantie aux producteurs et de la loyauté garantie aux amateurs, — en partie peut-être détournés par la fraude ; — avec l’apport nécessaire d’intelligence, d’activité, de capital et de travail, les 240 000 balles qui jadis formaient le contingent de la Vuelta Abajo arriveraient à 500 000, et qu’il en serait de même dans la Havane, dans las Villas et les provinces orientales[38]. Et quand, ayant le kentucky à 0 fr. 85 le kilogramme, les Etats-Unis auront par surcroît les tabacs cubains à 1 fr. 85, 2 fr. 50 et 2 fr. 70[39], ils en tiendront pour tous les palais et pour toutes les bourses ; et quand, fournissant déjà près de 500 millions de livres (pounds) sur les deux milliards environ qui sont consommés dans le monde, ils disposeront en outre des 62 millions de livres que produit Cuba et des 8 800 000 livres qu’y ajoute Puerto-Rico ; quand, pour le tabac comme pour le reste, ils auront monté un de ces trusts gigantesques à l’abri desquels ils mettent la main sur tout ce qui se crée, s’utilise ou se gaspille par les hommes[40], ils seront les maîtres du marché du tabac, ainsi qu’ils le sont, et le seront de plus en plus, des autres marchés.


V

Ce que nous venons de faire pour le sucre, le café et le tabac, nous pourrions le faire pour toutes les productions de l’île, végétales ou minérales. On pourrait le faire pour les dérivés du sucre, pour les mélasses et les miels, pour les alcools, les eaux-de-vie, pour le cacao, pour le coton et le cèdre, pour la multitude de fruits qui font l’opulente parure de Cuba : raisins, ananas, bananes, noix de coco, oranges, citrons, grenades, aguacates, guanabanas, etc. On pourrait le faire pour les réserves du sous-sol : fer[41], manganèse, cuivre, or et argent, plomb, charbon, asphalte. Mais ce serait un nouvel entassement de chiffres, et si pesant qu’il deviendrait aisément insupportable. Aussi bien nous n’avons pas aujourd’hui le dessein d’étudier à fond la Grande Antille sous tous ses aspects, ni même, en nous plaçant au seul point de vue économique, d’en tracer un tableau complet et détaillé. Trop d’élémens devraient entrer en ligne de compte : la population, les impôts, le budget, le crédit, la situation hypothécaire ; tout ce qui est moteur ou frein, ressort ou poids dans la vie d’un pays. Nous n’y toucherons pas. Ce n’est qu’un bref aperçu que nous avons voulu donner de Cuba ; moins qu’un jour, deux ou trois taches de lumière que nous avons essayé de jeter sur elle, pour dire ensuite : Ab uno disce omnes ; voici ce que l’île peut rendre rien qu’en sucre, café ou tabac, et elle peut rendre autant en mille autres choses. Cuba a des mines, mais Cuba elle-même n’est qu’une énorme mine agricole. Que n’en tirera-t-on pas, lorsqu’on se décidera à exploiter industriellement cette terre de toute richesse ?

Or, on y est maintenant décidé ; et ceux qui y sont décidés, et ceux qui en ont désormais toutes les facilités, ce sont les Américains des États-Unis. Que vont-ils faire, ou plutôt que ne vont-ils pas faire de Cuba, je ne dis point américaine, mais américanisée ? Car la question n’est pas pour le moment, — et, en ce qui nous concerne, ce ne sera jamais la plus intéressante question, — de savoir si Cuba restera politiquement américaine ou si elle sera cubaine, mais bien dans quelle mesure elle sera économiquement américanisée, puisqu’il est impossible qu’elle ne le soit pas. l’américanisation économique de Cuba se fera de deux manières, et par deux agens en coopération étroite : par les hommes et par l’argent. Les Américains ne tenteront rien sans doute pour chasser de Cuba les Espagnols qui voudront y demeurer, et dont les articles 8 et suivans du traité de paix du 10 décembre 1898 règlent la condition et garantissent les droits. Mais ils s’installeront en masse à côté d’eux, et, à la longue, ils les submergeront sous leur flot : c’est aux États-Unis que les statisticiens ont posé en fait que la population de Cuba, laquelle actuellement n’est guère que de l 600 000 habitans, — dont à peine un million de blancs, — pourrait être, sans surcharge, portée à dix millions : les Américains y contribueront dans une proportion si forte, qu’avec le temps il faudra que l’îlot ethnique espagnol soit bien résistant, d’une bien pure et bien dure roche de Castille, pour n’être pas rongé et entamé. Mais, surtout, ils l’attaqueront par le dollar. Le président Cleveland estimait, à la fin de 1896, entre 30 et 50 millions de dollars (de 150 à 230 millions de francs) la somme des capitaux américains engagés à Cuba, soit en plantations, soit en chemins de fer, soit en exploitations minières ou autres[42] ; et cette somme, comme la population et du même mouvement qu’elle, tout naturellement, pourra être portée au décuple. Par là, le commerce entre l’île et le continent, qui, en 1893, a atteint 163 millions de dollars (615 millions de francs j, recevra un accroissement en quelque sorte indéfini, ou, tout au moins, quant à présent incalculable. Par là l’attraction du continent sur l’île scia, elle aussi, décuplée, et par là s’opérera dix fois plus vite, à une puissance dix fois plus haute, l’américanisation de Cuba.

De cette américanisation économique de la Grande Antille, quels seront donc les résultats ? quels seront-ils pour Cuba d’abord — et indirectement pour l’Espagne ? — quels seront-ils pour les Etats-Unis et pour l’Europe ? Pour Cuba, tout à gagner, sauf, on peut le craindre, l’indépendance, .l’écrivais ici, il y a deux ans, que l’Amérique avait, dans la question cubaine, sa question d’Orient. Elle a maintenant son Égypte, et Cuba est sous la garde des États-Unis, comme l’Égypte sous la tutelle de l’Angleterre. Mais, en retour, Cuba va être, par les États-Unis, généreusement dotée des capitaux et de l’outillage qui lui étaient, par l’Espagne pauvre et lointaine, — et dont les fonctionnaires y cherchaient toujours Cipango, — si maigrement dispensés, encore plus mal administrés.

Qui sait ? L’Espagne elle-même ne perdra peut-être pas tout, à avoir perdu Cuba. Qu’elle se soit refusée obstinément à la céder contre remboursement ou indemnité d’expropriation, quelle ait tenu à se la faire prendre, on sent par combien de considérations, toutes honorables et légitimes, cet héroïque entêtement s’explique. Cuba était pour elle plus qu’un morceau de territoire, un morceau d’histoire espagnole ; elle était le dernier témoin du grand passé mort, le dernier vestige du grand empire aboli : chair de la chair et sang du sang de l’Espagne — sangre de nuestra sangre. On ne s’ampute pas, on ne se mutile pas soi-même ; on ne vend ni un de ses membres, ni an tombeau de famille. Mais, puisque le glaive a coupé le lien et dégagé l’honneur, pourquoi ne pas le dire ? Politiquement et économiquement, la possession de Cuba était onéreuse à l’excès pour l’Espagne contemporaine. Elle se flattait, quand elle s’en promettait des avantages qui ne venaient jamais, et qui ne seraient jamais venus. Ni les blés d’Andalousie, ni les tissus de Catalogne, ni les fers de Biscaye n’auraient jamais trouvé là-bas un débouché suffisant. Cuba, avec ses rébellions fréquentes et ses perpétuelles mutineries, ses revendications et ses exigences, était un fardeau que sa gloire imposait à l’Espagne ; mais, s’il est permis de parler ainsi des nations, elle n’avait pas les reins assez solides pour le porter. Il y a dans le malheur des consolations et, Dieu merci, la défaite elle-même n’est pas sans espérance. Pendant vingt ans, après les misères de la Révolution, l’Espagne s’était reconstituée, par une politique qui coûtait à son amour-propre, mais que la raison ferme et claire de M. Canovas lui dictait, en s’isolant, en se recueillant, en s’abstenant des querelles et des combinaisons internationales ; si, n’ayant plus ces deux soucis aux deux bouts du globe : à l’extrême occident Cuba, à l’extrême orient les Philippines, elle se replie sur soi et se concentre plus étroitement encore, il ne serait pas étonnant et il serait juste que, dans l’abandon accompli de ses colonies, l’Espagne rencontrât un jour le germe de son relèvement.

Pour les Etats-Unis, une colossale affaire se dessine. Cuba, couverte de fermes, d’usines, de hauts fourneaux, sillonnée de routes, rattachée à Key-West, à la Floride, à la Nouvelle-Orléans par les fils abondans et entre-croisés d’un réseau de lignes maritimes, ses rades magnifiques et ses ports profonds suppléant à ceux que n’avait pas l’Union sur le rivage d’en face, sans cesse alimentée d’hommes et d’argent par les Etats-Unis, sans cesse les alimentant de produits et de matières premières, Cuba va être en leurs mains une carte de plus et un atout dans le jeu de ce monde, qui est ou qui sera bientôt le jeu des deux mondes. Politiquement, l’Amérique aux Américains, c’est-à-dire l’Amérique aux Etats-Unis : le développement de leur puissance leur en fait une loi ; mais l’heure approche où le développement même de leur richesse leur fera une obligation ou leur sera une tentation d’ajouter : « Economiquement, l’univers aux Américains. » — Nous, cependant, en dépit de toutes les Conférences de la Paix, nous sommes encore très loin des Etats-Unis d’Europe, et même du Zollverein européen ! Notre diplomatie a-t-elle un plan ? a-t-elle une idée ? S’est-elle dit seulement qu’elle aurait à nous défendre, et demandé comment elle nous défendra ?


CHARLES BENOIST.

  1. Industrial Cuba, Being a Study of present commercial and industrial conditions, with suggestions as to the opportunities presented in the island for american capital, enterprise, and labour : wilh maps and 62 illustrations ; New York and London, 1 fort vol. in-8o, 1899 ; G. P. Putnam’s sons. Ce livre est dédié à M. Mac Kinley, Président des États-Unis, et a un caractère semi-officiel.
  2. 118 833 kilomètres carrés seulement d’après une évaluation plus récente. On sait combien les statisticiens ont de peine à s’entendre sur la mesure des surfaces ; il serait facile d’en citer de piquans exemples.
  3. Voyez, dans la Revue du 1er mai 1897, Cuba, l’Espagne et les États-Unis.
  4. Voyez D. Carlos de Sedano, Cuba, estudios politicos, p. 18.
  5. M. Soulé se croyait autorisé à offrir jusqu’à un milliard (200 millions de pesos). Voir D. Carlos de Sedano, Cuba, estudios politicos.
  6. Tratado de Paz entre España y los Estados Unidos de America, firmado en Paria et 10 de diciembre de 1898 ; — Documentos presentados a las Corles en la legislatura de 1898 por et Ministro de Estudo, Duque de Almodovar del Rio (Livre rouge), n° 134, p. 304.
  7. Le texte anglais, plus bref, dit tout simplement pour frais de guerre : for the cost of the war. Ibid., p. 308, 309.
  8. Tratado de Paz, art. 3. Livre rouge, p. 304-305.
  9. El présidente de la Comision española de la Paz al ministro de Estado, 15 oct. 1898. Livre rouge, no 29, p. 49.
  10. Livre rouge, n° 29, annexe B. Memorandum presentado por los Comisarios americanos (traduction), p. 55, 56.
  11. Ibid., n° 35, annexe C. Memorandum presentado por los Comisarios españoles, p. 79. Cf. n° 135 (Rapport final du président de la Commission, D. Eugenio Montero Rios), p. 318-320.
  12. España y Cuba, estudio politico y adminislrativo de la Grande Antilla bajo la dominacion española, Madrid, 1896, p. 111. Tout ce paragraphe, qui contient l’énumération des nombreuses opérations financières faites sur Cuba depuis 1868, emprunts au Banco español de la Habana, émissions de bons et billets du Trésor, en 1872 et 1874, emprunts de 1875 et 1876, émission de billets de Banco español pour le compte du Trésor, obligations avec affectation hypothécaire de 1878, dettes amortissables de 1882 ; tout ce passage, disons-nous, est assez ambigu.
  13. V. Mestre Amabile, la Question cubaine et le conflit hispano-américain. Paris, 1896, p. 59.
  14. Cette somme, M. Porter la décompose ainsi ; Industrial Cuba, p. 261 :
    Dette de l’Espagne envers les États-Unis (1834)... 600 000 dollars.
    Billets créés par décret royal du 10 mai 1886 124 000 000 —
    — 27 septembre 1890 175 000 000 —
    Créances antérieures sur la trésorerie de Cuba 80 000 000 —
    — les douanes espagnoles 40 000 000 —
    Dette flottante, dépenses de guerre, etc. 100 000 000 —
    Total : 519 600 000 —
  15. España y Cuba, p. 109.
  16. Nouveau Dictionnaire de Géographie universelle, de M. Vivien de Saint-Martin, continué par Louis Rousselet. Supplément, art. Cuba, fasc. 8., 1897.
  17. V. Mestre Amabile, la Question cubaine, p. 60.
  18. Robert P. Porter, Industrial Cuba, p. 281.
  19. Voyez D. José Menendez Caravia, la Guerra en Cuba, Madrid, 1896 ; G. Pérez. Cette brochure est faite en grande partie d’après des renseignemens fournis par D. Manuel Carreño y Fernandez, conseiller de l’Ayuntamiento de Colon, et propriétaire des trois usines Esperanza, Porfuerza et la Paz.
  20. M. Mestre Amabile, qui évalue la tonne de sucre à « 50 francs, » a dû oublier un instant que les statistiques cubaines sont établies en pesos. Ses chiffres rectifiés concorderaient alors avec ceux de D. Manuel Carreño, qui doit être bien informé, étant du métier : 5 pesos les 100 kilos et 50 pesos ou 250 francs la tonne. — On verra plus loin que M. Porter (Industrial Cuba, p. 294) donne, pour la campagne manquée de 1890-1890, le chiffre un peu plus fort de 225 000 tonnes.
  21. D. Manuel Carreño n’a garde d’omettre pour les exploitations fruitières : 20 millions de duros ; pour les plantations de café : 5 millions ; pour les potreros et exploitations plus petites : 3 millions. Total général de la richesse cubaine détruite, suivant lui : 154 millions de duros = 770 millions de francs. Il estime que, personnellement, il avait perdu environ 120 000 pesos (600 000 francs).
  22. D. Carlos de Sedano, Cuba, p. 302.
  23. A moins qu’il n’y ait là une transposition de chiffres (Porter, Industrial Cuba, p. 294, ce dont nous n’avons malheureusement aucun moyen de nous assurer.
  24. La part de l’Espagne était relativement insignifiante : 19 000 tonnes en 1893, 23 000 en 1894, 28 000 en 1895, 10 000 en 1896, 1 300 en 1897, Bien que, depuis 1892, le sucre de provenance antillane ne payât dans la Péninsule que 33 fr. 50 les 100 kilos, contre 82 fr, 25 qu’y payaient les sucres de provenance étrangère, l’Espagne en prenait à peine pour une trentaine de millions de francs.
  25. Robert P. Porter, Industrial Cuba, p. 283.
  26. Robert P. Porter, Induslrial Cuba, p. 349.
  27. Estadistica general del Comercio exterior de la Isla de Cuba en 1895. formada por la Direccion general de Hacienda del Ministerio de Ultramar : Madrid, 1897.
  28. D. Pablo de Alzola y Minondo, Relaciones comerciales entre la Peninsula y las Antillas, in-8o, Madrid. 1895 ; p. 67.
  29. D. Pablo de Alzola y Minondo, Relaciones comerciales, p. 71.
  30. Chiffres de 1894, D. Pablo de Alzola, Relaciones comerciales.
  31. Robert P. Porter, Industrial Cuba, p. 312.
  32. Cette statistique distingue quatre catégories : cajetillas de cigarros, picadura, tabaco torcido, et tabaco en rama. Les chiffres cités ici portent sans doute sur plusieurs récoltes.
  33. Estadistica comercial, p. 212 et 262.
  34. Robert P. Porter, Industrial Cuba, p. 314, 315.
  35. Voyez Mestre Amabile, la Question cubaine, d’après le livre de M. Rafaël M. Merchan, Cuba. Cf., du même M. Merchan, Variedades ; 1 vol. in-16, Bogota.
  36. M. Porter, Industrial Cuba, p. 313, estime à 3 millions ou 4 millions de dollars (15 ou 20 millions de francs) la valeur des cigarettes fabriquées à Cuba.
  37. En 1896, par suite de l’application du haut tarif américain, l’importation de cigares de Cuba aux États-Unis est descendue à 60 millions, de 188 millions qu’elle atteignait en 1887. La diminution se faisait d’ailleurs sentir sur l’ensemble de l’importation du tabac, en de telles proportions qu’on peut se demander s’il n’y avait pas dans ce tarif comme une machine de guerre.
  38. Robert P. Porter, d’après M. Gustave Bock, Industrial Cuba. p. 312.
  39. D. Pablo de Alzola y Minondo, Relaciones comerciales, p. 73.
  40. C’est commencé. Avant l’occupation américaine, les principales compagnies pour l’exploitation du tabac étaient : 1° the Henry Clay and Bock Company limited (au capital de 2 500 000 dollars) ; 2° the Partagos Company (anglaise ; au capital de 1500 000 dollars) ; 3° H. Upmann and C° (allemande) ; et 120 autres marques de moindre importance. Depuis l’occupation, il s’est créé, sous le titre de the Havana commercial Company, un syndicat américain qui du premier coup a absorbé quatorze factoreries. — Porter, Industrial Cuba, p. 306.
  41. Exploité déjà par trois compagnies américaines, the Juragua Iron Company, the Spanish-American Iron Company, the Signa Iron Company.
  42. Message du 7 décembre 1896.