L’Aviateur inconnu/11

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Éditions de la « Mode nationale » (p. 98-107).

CHAPITRE XI

Jean-Louis Vernal ne s’était pas aventuré en offrant à Flossie de se réfugier au Grand-Hôtel de Buchy afin d’y causer à l’aise. De mémoire d’homme, à vrai dire, la modeste auberge n’était jamais restée ouverte passé dix heures du soir, tout au moins avant la création du camp. Mais l’arrivée des aviateurs avait bouleversé les mœurs paisibles de ce canton normand ; les exigences multiples et renouvelées des jeunes gens qui venaient faire là leur apprentissage de pilote eurent vite raison de l’inertie paysanne ; on vit surgir comme par enchantement des commerces dont les habitants de Buchy n’avaient qu’une idée approximative, tels que parfumerie, coiffeur, librai­rie-papeterie. Nul doute qu’un café-bar fût en perspective ; en attendant, le Grand-Hôtel faisait de son mieux pour encourager sa nouvelle clientèle. En temps ordinaire, il fermait ses portes à minuit ; dans la période des manœuvres nocturnes, le patron se faisait un devoir de se tenir jusqu’à trois heures du matin à la disposition des consommateurs.

Dans la grande salle, d’ailleurs fort peu spacieuse, Flossie et ses deux compagnons s’installèrent à une table et commandèrent des boissons qui n’étaient pas encore bien raffinées, mais témoignaient pourtant d’un effort sincère, savoir des citronnades avec des pailles. Hormis la présence d’un lieutenant occupé à écrire et de deux dames qui, visiblement, attendaient quelqu’un, le café permettait à ses hôtes une conversation suivie. Flossie ouvrit le feu en demandant à Jean-Louis Vernal un récit succinct mais complet de la machination qu’il avait ourdie pour se transformer d’artiste peintre en Aviateur inconnu.

— Mon Dieu ! c’est très simple, répondit le jeune homme. Lorsque j’eus la conviction que mes instances resteraient vaines pour faire changer d’avis M. Félix Bergemont, je me dis que la conquête d’Elvire justifiait les moyens les plus romanesques et, puisque son père avait fait le serment de ne prendre pour gendre qu’un aviateur, je commençai, je l’avoue, par envisager le projet de devenir officiellement pilote, ou, tout au moins, observateur. Pour cela, il me fallait d’abord l’avis d’un professionnel et c’est alors que je songeai à mon vieil ami Henri de Jarcé. Je lui écrivis donc…

— Et je te répondis, coupa le capitaine, en te deman­dant si tu avais perdu la tête, attendu que ta résolution ressemblait en tous points à un acte de démence.

— Pourquoi cela ? demanda Flossie.

— Mais parce que Vernal a beaucoup de talent, qu’il est travailleur et, au point de vue matériel, tout à fait à son aise. Aucune raison profonde ne déterminant sa résolution, je ne comprenais pas qu’il voulût abandonner son art pour courir inutilement des dangers.

Le peintre poursuivit :

— Oui, mais lorsque de Jarcé fut au courant de la situation très particulière dans laquelle je me trouvais, il cessa de me morigéner pour entrer dans mes idées. Avec cette différence qu’au lieu de faire de moi un aviateur militaire, au prix de mille formalités désagréables, il me proposa de diriger mon éducation au titre de simple amateur.

Comme un berger alterne avec l’autre, dans les Églogues antiques : Amant alterna Camenæ, Henri de Jarcé reprit la parole :

— Ce qui t’obligea, mon bon ami, à dépenser beaucoup d’argent, et aussi beaucoup d’influences. Heureusement que tu connaissais le ministre.

— Oui, confirma Jean-Louis. Au début, ça n’allait pas tout seul et je crus bien que mon dessein n’aurait jamais de suite. Puis, je songeai à l’obstination de M. Bergemont cadet, je me promis de déployer un entêtement pareil, d’autant plus que M. Bergemont aîné me secondait de tout son pouvoir :

— Pas possible, exclama Flossie. L’oncle Tristan était du complot !

— À telle enseigne que le projet de devenir aviateur fut esquissé par lui-même. Je l’entends encore me dire, le soir où j’essuyai auprès de son frère un échec si formel : « Quel dommage que vous ne puissiez arriver un beau matin en avion demander la main d’Elvire ! »

— Ah ! le sournois ! fit l’Anglaise en riant. Il a pu assister à toutes ces péripéties sans se trahir ! Je ne l’aurais pas cru si cachottier !

— Toujours est-il que cette simple remarque, pour­suivit Jean-Louis Vernal, déclencha dans mon esprit la machination dont vous venez de surprendre le secret. Pour forcer dans ses derniers retranchements le père de celle que j’aime, il me fallait à tout prix devenir aviateur. Et je le suis devenu, grâce à cet ami dévoué, acheva-t-il en ten­dant la main au capitaine.

— Ce qu’il ne dit pas, enchaîna Henri de Jarcé, c’est que je n’ai eu personnellement aucun mérite. Vernal est un grand sportif ; il ignore l’émotion, le vertige et la peur. Ses premiers vols ont laissé prévoir une sûreté rare… Quel dommage qu’il ne fasse de l’aviation qu’en fantaisiste !

Flossie ne put s’empêcher de déclarer, un peu émue :

— Savez-vous, monsieur Vernal, que c’est very nice, très charmant, ce que vous avez fait ! Il n’y a que les Fran­çais pour se lancer dans les galanteries héroïques !

— Que voulez-vous ! répondit Jean-Louis, nous n’avons plus la ressource de partir pour la croisade, ni de lutter dans un tournoi en l’honneur d’une belle, ni de parcourir le monde, comme Don Quichotte, en exaltant les mérites de notre Dulcinée… Il faut bien être modernes !

— Croyez-vous l’être tant que cela ? murmura Flossie ; je suis bien sûre que si l’oncle Tristan vous entendait, il s’empresserait de citer l’histoire de Persée enfourchant l’hypogriffe pour délivrer Andromède. En somme, c’est à peu près ce que vous avez accompli !

— Avec cette différence qu’Andromède est toujours enchaînée et que je n’ai pas encore détruit le monstre marin qui la surveille… Ce qu’à Dieu ne plaise, conclut-il, car enfin, ce brave homme de monstre est mon futur beau-père !

La jolie tante d’Elvire lui posa cette question :

— Vous ne songez plus, je suppose, à troubler désormais les nuits de Pourville ? Il est temps de mettre fin à votre persécution… À propos, que je vous félicite, vous en avez de l’imagination pour varier vos messages !

— Je dois beaucoup, avoua Jean-Louis, à la collabora­tion de Jarcé !

— Tiens ! tiens ! vous avez participé à cette mauvaise action, capitaine ! Et c’est sans doute pour vous repaître de notre confusion, que vous avez poussé la hardiesse jusqu’à venir nous lorgner au Casino !

— Oh ! vous lorgner, mademoiselle… vous voir, rectifia Henri. Écoutez donc, je commençais à en avoir assez, moi, d’entendre parler sans cesse d’Elvire Bergemont et de vous-même… J’ai tenu à connaître les personnes avec les­ quelles je me mesurais !

— Bref, le calme va renaître ! répéta Flossie.

— Mais ce n’est pas du tout certain ! L’Aviateur inconnu n’a pas fini d’étonner les populations !

Flossie protesta énergiquement.

— Non pas, non pas, cher M. Vernal, il faut à présent vous fier à mon intervention. Mon beau-frère Bergemont cadet a juré de ne donner Elvire qu’à un homme volant. De son côté, Elvire a juré de ne jamais s’unir à un aviateur. Vous avez manœuvré de telle sorte — et je vous en fais compliment — que personne ne s’expose à se parjurer. Vous êtes en effet aviateur la nuit et artiste peintre le jour !

A good joke ! appuya le capitaine.

— Maintenant, reprit l’Anglaise, c’est à moi de tout arranger. Dès demain, mon cher monsieur Vernal, veuillez venir à la villa Cypris vers la fin du déjeuner. Je préviendrai les domestiques de m’avertir de votre arrivée, et vous n’entrerez que sur un signal de moi. Vous pensez bien que nous devons, à présent, précipiter les choses et en finir avec l’Aviateur inconnu… Songez aux nerfs de votre fiancée !

— Sans compter ceux de M. Bergemont, dit dramatique­ment le capitaine. Depuis qu’il a recours aux journaux, on est inquiet, ici !

— Oh ! vous, exclama Flossie, je voudrais bien savoir ce qui réussirait à vous inquiéter !

— Vraiment ? Eh bien, soyez satisfaite, miss Standhill : votre départ !

— Vil flatteur !

— Oui, votre départ et la fin de cette merveilleuse aventure. À dater d’aujourd’hui, je rentre dans l’ombre, je ne compte plus, pareil à l’outil un moment indispensa­ble et qu’on oublie aussitôt qu’on n’en a plus besoin.

— Tu plaisantes ! riposta Jean-Louis, j’espère bien te voir souvent à Pourville ! Elvira en sera enchantée !…

— Connu ! on dit ça, et puis… D’ailleurs, fit le capitaine avec une gravité risible, il est un peu humiliant, pour un pilote breveté, de se présenter à pied devant une personne que toi, élève des Beaux-Arts, tu as conquise en avion !

— Est-ce que, par hasard, interrogea Flossie, vous auriez l’intention, capitaine, de disputer ma nièce à M. Vernal ? Une tragédie va-t-elle éclater entre vous ? En parlant ainsi, elle fixait sur Henri de Jarcé un regard où la malice n’excluait pas une certaine inquiétude. Mais l’ami de Jean-Louis ne répondit pas, se bornant à prendre une physionomie évasive. Après quelques paroles emprein­tes de la même sympathie, le capitaine et le peintre pri­rent congé de la jolie Anglaise, ce dernier promettant de se trouver au rendez-vous fixé par elle à la villa Cypris.

On s’étonna bien un peu, chez les Bergemont, de voir revenir Flossie à une heure qui ne correspondait à aucun train arrivant à la gare de Dieppe qui dessert Pourville, mais la jeune femme était trop foncièrement indépendante pour qu’il fût possible de lui faire subir le moindre ques­tionnaire. Seule, Elvire, instruite de son escapade, la pressa de lui en faire le récit.

— Oh ! je n’ai été témoin d’aucune prouesse, lui dit Flossie, j’ai vu M. de Jarcé comme je m’y attendais, mais la visite du camp ne m’a pas extrêmement intéressée, je dois en convenir !

— Au moins as-tu insisté pour qu’il nous aide à identi­fier l’Aviateur inconnu ?

— Oui, mais en pure perte ! Ce serait un tort de comp­ter sur lui pour venir à bout de l’énigme. Aussi n’en avons-nous guère parlé !

En quoi elle était rigoureusement sincère, puisque, si elle avait découvert Jean-Louis sous son harnachement d’emprunt, le capitaine n’y avait été pour rien. Néanmoins, cette déclaration déçut la jeune fille.

— Je m’aperçois, prononça-t-elle, que les assiduités dont je suis l’objet ont eu pour conséquence principale d’orienter ta curiosité vers les choses de l’aviation ! M. de Jarcé ne t’est pas indifférent, me semble-t-il !

— C’est tout à fait un agréable gentleman, répliqua Flossie.

— Soit ! mais, en attendant…

Flossie ne lui permit pas d’achever. Elle la prit dans ses bras et, gentiment, du ton le plus affectueux et le plus persuasif :

— Darling, te rappelles-tu mon premier conseil ? Je t’ai recommandé la patience ! Aujourd’hui moins que jamais il ne faut t’énerver !

— Pourquoi aujourd’hui ?

— Je te répondrai comme aux enfants : « Parce que ! » Attendons, espérons ! Au fait, l’Aviateur est-il venu cette nuit ?

— Non !

— Tant mieux ! As-tu vu M. Vernal hier soir ?

Elvire devint toute rouge ; elle balbutia :

— Plaît-il… Hier soir ?

— Te figures-tu, dit Flossie avec bonhomie, que vos petits conciliabules m’aient échappé ? Tu sais bien que je vois surtout ce qu’on me cache… Au surplus, c’est normal et je me garderai bien de t’en blâmer !

Une soudaine mélancolie étreignait la jeune fille qui murmura :

— Non, hier, je n’ai pas vu Jean-Louis. Naguère je le voyais chaque soir… Depuis quelque temps il est moins assidu… Il invoque des prétextes ! C’est vrai qu’il s’éloi­gne de Pourville pour aller passer la nuit ailleurs, il me l’a avoué ! Ah ! j’ai bien peur que tout ne soit fini !

Un sanglot brisa sa voix. Pour elle, aucun doute n’était permis : ces absences fréquentes révélaient un nouvel attachement, son fiancé, las de se heurter à des difficultés sans nombre, abandonnait la partie et se consolait auprès d’une autre.

Malgré tout son désir de la rassurer, Flossie, qui dési­rait ne rien changer au plan qu’elle s’était tracé, se con­tenta de lui serrer la main en lui répétant : Patience et confiance. Puis elle passa chez elle pour procéder à sa toi­lette, un peu négligée au cours de son séjour à Buchy, ce qui lui permit d’éviter toute nouvelle question. Lorsque Noémi, en frappant le gong de l’antichambre, avertit la maisonnée que le déjeuner était servi… elle reparut, prit place à table, répondit le plus allègrement possible aux questions des deux Bergemont, étonnés que son voyage à Paris eût été si rapide. Enfin, au dessert, elle lança réso­lument sa première vague d’assaut.

— Je vous dois un aveu, articula-t-elle ; je vous ai laissé croire jusqu’ici que je m’étais rendue à Paris… c’est un mensonge.

Bergemont cadet, occupé à éplucher une pêche, leva la tête et la regarda d’un air surpris. Tristan sourit d’un air élégamment railleur et plaça une citation :

— Perfide comme l’onde, a dit Shakespeare.

— Non, reprit Flossie, ce n’est pas à Paris que je suis allée, c’est à Buchy, au camp d’aviation.

Ce mot d’aviation jouissait dans la famille Bergemont d’un prestige si particulier que l’attention devint aussitôt générale. Elvire elle-même, qui était au courant, sentit confusément que quelque chose d’insolite se préparait. L’Anglaise poursuivit :

— Et si je suis allée à Buchy, c’est parce que diverses observations recueillies par moi et longuement méditées, m’ont donné à croire que l’Aviateur inconnu n’était pas sans relations avec le terrain d’atterrissage qui s’y trouve.

— Vraiment, tu supposes que… commença le père d’El­vire.

— Je n’en suis plus à la période des suppositions. Mon expérience a été entièrement convaincante et j’ai le plai­sir de vous apporter aujourd’hui cette nouvelle considé­rable : Je sais qui est l’Aviateur inconnu.

Ces mots déclenchèrent un triple sursaut de stupéfaction. Bergemont cadet bondit en criant :

— Non, pas possible ?

Tristan modula un « Oh ! oh ! » qui n’était pas exempt d’inquiétude ; Elvire devint toute pâle, à la seule idée que son tourmenteur prenait soudain consistance. Sans attendre qu’ils reprissent leur sang-froid, la tante d’Elvire acheva :

— Je l’ai vu, je lui ai parlé, j’ai acquis la certitude qu’il était animé des meilleures intentions, qu’il adorait Elvire et ne voulait que son bonheur… Bref, j’ai tenu à vous le présenter.

— Tu es folle, interrompit Bergemont aîné. Tu as été jouée par un imposteur. Ce que tu dis est invraisem­blable.

Et Bergemont cadet demandait en même temps :

— Nous le présenter ! Alors, il est à Pourville ?… Tu l’as autorisé…

Flossie montra la porte du doigt :

— Il est là ! Il attend, bien sagement, que je l’invite à vous présenter ses devoirs… Permettez-moi donc de ne pas le laisser se morfondre, et de l’introduire, sans céré­monie.

Sur ce, elle se leva, courut à la porte, et la famille Ber­gemont, abasourdie, se trouva en présence de Jean-Louis Vernal.

Il est impossible de décrire la stupeur que causa cette apparition. Le premier, Bergemont cadet crut à une plaisanterie ; il se tourna vers Flossie en haussant les épaules, cependant que Tristan arborait une drôle de phy­sionomie, moitié colère, moitié confuse. Mais la plus pro­fondément étonnée était sans contredit Elvire, absolument incapable de saisir à quoi rimait le manège de son espiègle parente.

— Qu’est-ce que cela signifie ? grommela Félix.

« Qu’est-ce que M. Vernal peut avoir de commun avec l’Aviateur inconnu ?

Alors, Flossie, avec une verve étourdissante, et un humour irrésistible, se mit à conter l’emploi de sa nuit. Elle décrivit sa randonnée, son déjeuner à l’auberge de Buchy, son intrusion au camp, la surprise gênée du capi­taine de Jarcé, sa propre insistance… De tout cela, elle sut faire un tableau d’un pittoresque achevé et termina en ces termes :

— Voilà comment, grâce à mon flair et ma ténacité, je suis arrivée à trouver, comme vous dites en France, la pie au nid ! J’étais sûre que M. Jean-Louis seul pouvait pui­ser dans son amour pour ma nièce, le courage de risquer sa vie. J’estime, mon cher Félix, qu’il a maintenant tous les droits à ton admiration puisqu’il est aviateur, mais que de ton côté, Elvire, tu peux lui ouvrir les bras, puisque l’hélice ne lui fera jamais oublier sa palette. Mes enfants, je vous bénis, embrassez-vous !

Elvire et Jean-Louis n’auraient pas demandé mieux que d’obéir à cette injonction, quoique la jeune fille, encore toute éberluée, ne se rendît pas exactement compte de ce qui arrivait. Mais Félix Bergemont, rassemblant toute sa dignité, entreprit de questionner le jeune homme :

— Quoi, c’est vous ! qui semiez aux quatre coins du can­ton ces déclarations d’amour ?

— Oui, monsieur, répondit modestement l’artiste.

— C’est vous qui voliez ainsi de nuit au-dessus de nos têtes ? Voyons, voyons, c’est inadmissible ! On n’obtient pas sans de longues études l’expérience nécessaire à de pareils exploits !

— J’avais un bon maître et sans doute n’étais-je pas un trop mauvais élève !

— Tout de même, s’entêta Bergemont cadet, j’ai peine à comprendre… je…

Heureusement, son frère accourut à la rescousse.

— Ah ! je t’en prie, Félix, ne sois pas mauvais joueur ! Tu as voulu un aviateur pour gendre, tu en as un ! Et doublé d’un artiste peintre, ne te plains pas que la mariée soit trop belle ! Tu as en face de toi deux jeunes gens qui ont bien mérité leur bonheur, lui par son audace, elle par sa constance… Allons, assez d’objections. J’invoque mon droit d’aînesse pour te sommer de donner ton consentement.

Et Jean-Louis prononça sur le ton le plus protocolaire :

M. Bergemont, l’Aviateur inconnu, pilote de l’avion Chat-Huant, ainsi baptisé parce qu’il ne sortait que la nuit, a l’honneur de vous demander la main de mademoiselle votre fille pour son ami le plus intime : Jean-Louis Vernal.

Cette fois, Bergemont cadet s’avoua vaincu ; il tendit la main au jeune homme :

— Ma foi, mon cher, dit-il, vous me délivrez d’un grand poids ! Je commençais à craindre, devant les mines attristées de ma fille, d’être obligé de manquer à mon serment… Vous m’apportez la possibilité d’y rester fidèle, en comblant ses vœux… Mariez-vous donc et puissé-je voir un jour mon petit-fils voler sur vos traces !

Ce qui ne l’empêcha, quelques instants plus tard, cependant que les fiancés bavardaient avec Flossie, de confier à l’oreille de Tristan :

— J’ai bien voulu désarmer, mais, pour moi, l’Aviateur inconnu ce n’était pas lui !