L’Aviation militaire/Note n°9

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Berger-Levrault (p. 96-105).

NOTE No 9

EXERCICES ET MANŒUVRES POUR APPRENDRE À AVIER[1]


Sur les aires

Nous aurons des aires ; de nombreux avions y seront remisés dans les magasins supérieurs ou souterrains, et les aviateurs qui les piloteront ne devront les manœuvrer qu’en observant les règlements et d’après les ordres reçus. Sur chaque aire, il y aura ordinairement deux cercles bien distincts : l’un réservé aux envolements, l’autre aux atterrissages. Lorsque les aires seront très petites, sur les mobiles par exemple, avec peu d’avions, on se contentera d’un même cercle pour partir et revenir.

Dans les grandes aires, on devra ménager plusieurs places d’atterrissage et plusieurs autres d’envolement. Les avions torpilleurs et les avions de ligne qui, on le sait, sont à deux tracteurs, s’envoleront et atterriront toujours circulairement avec l’obligation, pour tous, de circuler dans le même sens, de droite à gauche, de manière à obtenir que les envolées s’effectuent par la tangente, à un point déterminé par le chef des manœuvres et qui, forcément, variera selon les vents ; ce point sera d’ailleurs fixé, à l’endroit du cercle, où le vent et la tangente coïncideront ; il convient d’ajouter que les avions s’y présenteront, vent debout, et qu’ils se trouveront avoir le cercle à gauche. Cet ordre d’envolement est indispensable pour permettre à plusieurs avions de partir à la fois et à un grand nombre dans très peu de temps.

La place circulaire de l’atterrissage sera identique et orientée dans les mêmes conditions que celle des envolées. Les avions atterrissants se présenteront toujours sur la tangente, marquée par le chef des manœuvres, et rentreront dans le cercle avec vent debout. Après avoir atterri, pour se rendre à leurs remisages, ils sortiront de l’aire, les ailes fermées, par un côté du cercle le plus propice par rapport à la direction du vent. Ces manœuvres nécessiteront de larges tracés sur l’aire, visibles de très loin, ce qui sera facile en blanchissant le sol avec de la chaux ou du ciment, ou encore avec des pavages et des asphaltes de différentes nuances. Un éclairage suffisant les rendra praticables pendant la nuit.

Néanmoins, outre la méthode de départ et d’arrivée expliquée ci-dessus, pour les aviateurs d’élite, que probablement on groupera par compagnies, on pratiquera l’envolement et l’atterrissage hélicoïdal ou, autrement dit, à tire-bouchon ; pardon pour ce mot vulgaire, mais qui désigne bien cette manœuvre. Avec les avions de ligne à deux tracteurs, plus tard, on sera étonné de voir avec quelle facilité ils feront ces évolutions.

Une autre exception sera faite, dans les grandes aires, pour les départs et les arrivées des avions éclaireurs ; si la situation de l’aire et la conformation du terrain le permettent, on leur réservera des pistes rectilignes ; à la condition qu’elles soient assez longues pour ne jamais les exposer à manquer leurs manœuvres. Notons, en passant, que tous les aviateurs devront connaître parfaitement les signaux aériens, savoir les transmettre et les recevoir.

Premiers exercices hors de l’aire par une compagnie

Dès que les aviateurs novices sauront bien prendre le vol et atterrir, on les exercera à suivre un jalonnement tracé sur un champ d’expérimentation. Les jalons, espacés de 50 à 100 mètres, seront coiffés d’un bouquet de verdure ou d’une étoffe flottante, de façon à les rendre très apparents à distance ; ils marqueront, d’abord, une longue ligne droite ; puis une grande circonférence suivie d’une petite ; ensuite un grand carré et un petit ; enfin, cette longue file de jalons sera complétée par une succession de lignes brisées, droites et courbes. Le développement de ce tracé pourra atteindre une longueur de quelques kilomètres et former une boucle afin de recommencer, sans arrêt, plusieurs fois le même exercice.

Les élèves aviateurs devront passer, sur ce circuit, exactement d’aplomb au-dessus de chaque jalon ; au début, ils avieront par un temps très calme en tenant leur avion à la hauteur que l’instructeur leur aura assignée et qu’il changera plusieurs fois pendant l’exercice.

Lorsque ce résultat sera acquis par un temps calme et que l’aviateur le répètera avec aisance, on lui fera refaire le même parcours avec un vent faible ; après, il le renouvellera pendant un vent fort et, finalement, au milieu des grands vents. Avec l’obligation pour l’élève, que le vent soit faible ou fort, qu’il vole avec ou contre le vent, obliquement ou en droite ligne, de se tenir constamment d’aplomb, en passant sur chaque jalon.

On fera aussi exécuter souvent cet exercice, en commun, aux jeunes aviateurs ; à un signal donné sur l’aire, par l’officier instructeur, toute une compagnie partira en défilé à la queue-leu-leu, et chaque aviateur passera exactement sur les mêmes points en se tenant, derrière son devancier, à la distance que l’instructeur lui indiquera. Ces élèves ne passeront à un degré supérieur d’exercice que lorsque ce dernier sera complètement appris et exécuté, quel que soit le temps et sans la plus petite hésitation de la part de toute la compagnie.

Sur le même terrain, sans rien changer au jalonnement, l’instructeur fera défiler, deux par deux, les aviateurs précédents ; le premier se tiendra sur les lignes jalonnées, le second sera à sa droite à une distance fixée par l’instructeur. Cet exercice continuera en augmentant le rang, chaque fois, de un avion ; le défilé aura donc lieu, trois par trois, puis quatre par quatre et ainsi de suite, jusqu’à ce que toute la compagnie soit sur une même ligne. On ne perdra pas de vue que le premier avion de gauche devra suivre toujours le jalonnement et que tous les autres seront à sa droite à une distance réglementaire entre eux.

Ici, il importe d’avertir l’instructeur qu’il devra faire observer rigoureusement les vitesses croissantes et décroissantes, dans les mouvements tournants, afin d’obtenir l’alignement dans la compagnie lorsqu’elle ne formera plus qu’un seul rang. Les aviateurs d’extrême ligne devront donc souvent avier, l’un lentement, l’autre très vite. Mais pour cela, il deviendra indispensable que les avions, en service, répondent parfaitement à cette condition de souplesse. S’ils n’en sont pas capables, ce ne sera pas la peine de les envoyer à la guerre, on fera mieux de les laisser terrés dans un magasin. Nous enseignerons, d’ailleurs, en temps voulu, aux ingénieurs avionneurs comment ils devront s’y prendre pour réaliser ces avions à vitesse variable.

Exercices et manœuvres d’envolement par bataillon et par légion

Les compagnies étant exercées, au degré d’instruction, déjà avancé, telles que nous venons de les quitter et très familiarisées avec cet exercice, seront devenues aptes à exécuter des manœuvres d’ensemble ; ce sera le chef de bataillon qui les dirigera. Le départ de l’aire aura lieu ainsi que nous l’avons expliqué précédemment. Une compagnie prendra la tête de l’envolée sur un seul rang, avec son capitaine à droite et son lieutenant au milieu, l’autre extrémité sera occupée par un sous-lieutenant ou un sous-officier. Cette disposition est nécessaire, en cas de dédoublement de la ligne, s’il fallait mettre la compagnie sur deux rangs, même sur quatre, en dédoublant ceux déjà dédoublés.

On établira en principe que, pendant l’envolée générale, cette première compagnie donnera la hauteur et la direction aux suivantes qui composeront le bataillon et, par suite, à toute la légion ; à moins, cependant, qu’il y ait séparation. Cette condition d’avier amènera le chef de la légion près de la compagnie de tête et non loin du chef du premier bataillon, afin qu’il puisse envoyer les signaux de commandement et s’assurer qu’ils sont exécutés.

Aussitôt que la première compagnie se sera enlevée et que l’aire sera libre, la deuxième compagnie s’envolera, la troisième ensuite et jusqu’à la dernière du dernier bataillon de la légion. Les distances entre compagnies seront rigoureusement observées ; espérons qu’on arrivera à les réduire à 100 mètres par temps calme ; en attendant on mettra le double, davantage s’il le faut ; cependant, avec des vents très forts, il n’y aura pas de règle et le chef de la légion fixera prudemment ces distances. Il y aura lieu de remarquer que, dans les mouvements tournants, ces distances ne s’appliqueront qu’aux avions extrêmes des lignes, qui seront du côté du centre de ces conversions ; et qu’aux bouts opposés les écartements deviendront plus grands et varieront selon les courbes plus ou moins prononcées des conversions.

Une légion rangée ainsi, dans un ordre d’envolement parfait, pourra avier d’une aire à l’autre et se rendre souvent aux exercices et manœuvres, en vue de s’instruire pour le cas où elle sera, plus tard, appelée à combattre. Son entraînement ne sera jamais trop complet. Il ne faudra pas oublier que tous les avions seront astreints à ne pas dépasser leur rayon d’action qui, en aviation, doit être considéré comme temps plutôt que comme parcours, ou, si on préfère, comme provision d’essence ou d’alcool ; dès que cette provision sera réduite aux trois quarts, la légion descendra au ravitaillement dans une aire désignée à l’avance, qui pourra être de campement, mobile, ou la sienne.

Lorsqu’une légion aviera, elle tiendra beaucoup d’espace, selon que son effectif sera réduit ou complet et que l’atmosphère sera calme ou tourmentée ; elle pourra bien occuper entre 1 et 2 kilomètres en largeur et de 3 à 5 kilomètres en longueur, depuis la première jusqu’à la dernière compagnie. Cela ne doit ni surprendre ni inquiéter si on songe qu’elle se verra forcée d’être continuellement en mouvement et que les obstacles matériels, pour elle, n’existeront pas.

Cependant, lorsque la légion attendra des ordres ou se préparera au combat, elle prendra quelquefois une position que nous appellerons le stationnement ; on l’obtiendra en la faisant avier, circulairement, au-dessus d’un même point terrestre. Mais, comme un seul bout des rangs ne pourrait voler constamment en petite vitesse, tandis que l’autre volerait à la grande, ce qui occasionnerait entre avions de grandes différences dans la dépense du combustible, ces sortes de conversions sur place auront lieu alternativement à gauche et à droite en traçant des huits ou des orbes tangents. Ce sera, il faut bien en convenir, une immobilité très relative, mais en aviation l’immobilité absolue n’existe pas. On ne saurait comparer une légion à un régiment rivé à terre.

La légion aviera souvent pour gagner de l’altitude, même en stationnant elle pourra en atteindre des hautes. Lorsqu’elle redescendra ce sera avec le moteur stoppé. Si nous citons cette manœuvre d’altitude particulièrement essentielle, c’est qu’on aura souvent besoin d’y avoir recours pour combattre ; nous insisterons donc pour qu’on la répète par tous les temps, surtout pendant les mauvais, et dans toutes les situations topo-météorologiques ayant une valeur stratégique. Ainsi que nous le verrons, dans les notes qui suivent, ce sera depuis les hautes altitudes que se gagneront les batailles aériennes et près de terre qu’elles se perdront. Les légions, par conséquent, peuvent se tenir pour averties qu’elles auront fortement à ramper dans l’atmosphère, et qu’elles ne seront réellement préparées à livrer des combats aériens qu’après être rompues à ces dures manœuvres.

Pour parvenir au maximum de hauteur et y rester longtemps, la légion prendra la plus grande provision d’essence possible, s’armera juste, et partira avec les munitions indispensables, soit pour la circonstance beaucoup de grenades ramées, des torpilles menues, etc. Cependant, pour de simples manœuvres d’instruction, les munitions seront remplacées par un poids équivalent de sable.

La légion partira de l’aire pour ramper immédiatement sans s’attarder à avier horizontalement ; une fois montée à son poste de combat, elle simulera l’attaque, contre un ennemi imaginaire, en laissant tomber le sable représentant les munitions. Si sa provision d’essence le permet, elle aviera dans les environs ; mais dès que cette provision sera réduite au quart, la légion redescendra vers l’aire avec le moteur stoppé ou à allure très faible non entraînante, tournant seulement pour maintenir les alignements dans les rangs et atterrir en bon ordre. Après le ravitaillement, la légion repartira, de suite, pour d’autres manœuvres, ou restera sur l’aire au repos.

Tout ce que nous venons de prévoir dans ces derniers alinéas n’a trait qu’aux combats purement aériens, c’est-à-dire entre avions de ligne, ou autres machines volantes ennemies.

Manœuvres des torpilleurs

Nous savons qu’il y aura des légions composées exclusivement de torpilleurs ; ils ne seront pas les moins redoutables lorsque leurs opérations auront été bien préparées par d’autres légions d’avions de ligne qui, au préalable, auront débarrassé l’atmosphère des machines aériennes ennemies. Les prouesses de ces légions torpilleuses ne consisteront pas à s’élever très haut ; elles ne prendront de l’altitude que pour se mettre hors de portée des canons verticaux, car, on le comprend déjà, toutes les fortes positions torpillables en seront terriblement munies. On leur donnera souvent l’ordre d’attaque la troupe ennemie, bien que cette opération doive de préférence être réservée aux avions de ligne.

Sur l’aire, les mouvement à exécuter pour les envolées et les atterrissages des torpilleurs seront à peu près les mêmes que ceux employés par les autres avions, seulement, plus lent. Dans l’air, leur prestesse sera médiocre, comparée à celle des avions de ligne. La légion des torpilleurs s’en ira, tout droit, où l’ordre du général de division la dirigera ; elle aviera, les compagnies étant de front et quelquefois sur quartes rangs. Pour les manœuvres, elle emportera sa lourde charge de torpilles, simulée en sacs de sable, ayant un déclanchement truqué, pour les laisser choir. Arrivée à l’endroit précis à torpiller, qui bien entendu sera désert, la légion mettra ses compagnies sur quatre rangs et, en défilant, laissera tomber ses torpilles factices sur l’ennemi supposé ; à la poussière qui se dégagera des sacs, éventrés en tombant sur le sol, chaque rangs d’avions jugera de la justesse de son pointage de chute.

Une fois que toute la légion sera passée par là, l’endroit visé se trouvera recouvert d’un nuage de poussière, et l’ennemi sera considéré comme détruit. La légion s’en retournera ensuite à l’aire, afin de renouveler ses provisions en munitions ; puis, elle repartir pour torpiller de nouveau l’adversaire, à moins qu’elle rentre dans ses abris.

Manœuvres des éclaireurs

Les envolements et les atterrissages des avions éclaireurs auront lieu circulairement ou en ligne droite, d’après ce que nous avons dit au sujet des aires ; nous connaissons, également, par les descriptions déjà parues dans les notes précédentes, que leur attitude ne sera pas combative ; bien qu’ils soient enrôlés par légions, la plupart du temps, ils se verront commandés en détachement. Leur entraînement consistera, essentiellement, à fournir de longues et rapides envolées, quel que soit l’état atmosphérique. Pendant les manœuvres des légions de ligne ou de torpilleurs, leur place sera sur la légion à portée des signaux du général commandant ; pour avier à la même allure que la légion qu’ils accompagneront, ils modéreront leur vitesse et, s’ils ne peuvent y parvenir suffisamment, ils feront par moments quelques orbes qui leur procureront un retard modérateur.

En tant que courriers, ils accompliront leur service d’une légion à l’autre ou d’armée à armée, en aviant au-dessus des légions, afin de ne pas gêner leurs opérations. Comme informateurs, ils partiront à leur grande allure et reviendront de même. En éclaireurs, ces avions n’auront pas leur manière d’avier fixée, soit pour la vitesse soit pour l’altitude ; dès qu’ils auront découvert quelque chose de suspect, ils s’en assureront d’abord le mieux possible et s’en iront, à rapide envolée, prévenir leurs chefs ; s’ils n’ont rien vu d’anormal, ni sur terre ni dans l’air, ils les en informeront, aussi, avec la même exactitude en désignant toujours les lieux explorés.

Le ou les officiers aviateurs qui dirigeront ces avions éclaireurs s’appliqueront, journellement, à la manipulation et à la réception des signaux ; ce sera, pour eux, une grande tâche à laquelle ils ne devront pas faillir ; parce que des signaux qui leur seront envoyés et confiés pourra dépendre, souvent, le sort d’une légion, même d’une bataille.

Conclusion

Voilà, très concises, les règles des principales manœuvres pour avier. (Elles ne sont pas complètes, entre autres, il s’est égaré des notes qui concernaient les méthodes d’avier, en superposant les légions, pour utiliser l’espace atmosphérique en altitude ; on a perdu, aussi, la manière de conduire les légions dans les voies aériennes ; il serait trop long et trop fatigant, pour nous, de nous les remémorer ; d’ailleurs, pour cette dernière, on peut s’en faire une idée en remontant aux notes sur les courants ascensionnels ; là, les légions ne pourraient défiler qu’en mettant les compagnies sur deux ou quatre rangs, selon la largeur aviable de ces voies.)

Tout ce qui vient d’être dit au sujet des légions peut s’appliquer aux armées entières, en tenant compte des espaces qui doivent leur être réservés pour permettre leurs, évolutions.

Il ressort, en outre, de ce qui a été expliqué plus haut que, comme condition nécessaire, l’éloignement des aires, entre elles, doit être en rapport avec la puissance d’envolée des avions. À titre d’auxiliaires, il devra donc se trouver des aires ordinaires intermédiaires, assez vastes, sur la distance qui sépare une grande aire fortifiée d’une autre ; sortes de relais ou de haltes qui faciliteront, considérablement, les déploiements des légions et leur concentration sur tout notre territoire d’une frontière à l’autre. Et ne l’oublions pas, si jamais il y a mobilisation aérienne, ce sera de ces grandes évolutions, exécutées plus ou moins rapidement, que dépendra le succès ou la défaite. Il en est de même, d’ailleurs, ainsi que le savent tous les militaires, pour les armées de terre et de mer. Mais, pour une armée aviatrice, les conséquences résultant d’un simple retard ou d’une négligence stratégique peuvent devenir désastreuses ; tout à coup et tout à fait.

  1. Les croquis concernant cette note n’ont pas été retrouvés.