L’Effrayante Aventure/2/4

La bibliothèque libre.
Tallandier (p. 80-100).


IV

LE TRIOMPHE DE M. BOBBY


Pendant cet incident, M. Bobby se rongeait les poings : par quelle fatalité trouvait-il sur sa route un des hommes à qui il voulait mal de mort, un misérable qui l’avait insulté, bafoué !… et cela au moment même où il sentait — en une intuition géniale — que l’affaire Coxward allait prendre une physionomie toute nouvelle…

— Allons ! Bobby ! trêve aux rancunes personnelles ! Tu as une tâche à remplir, tu dois réhabiliter le nom que tu as donné à ta digne épouse… Sois homme et déploie toutes les ressources de ta remarquable intelligence… ta vengeance viendra plus tard, froide et meilleure à déguster, comme a dit le poète !

Sir Athel rentra. Bobby salua, militairement.

— Monsieur, lui dit le jeune Anglais, vous vous présentez sous les auspices d’une personne qui m’est plus chère que ma vie… et dont une circonstance effroyablement tragique m’a contraint à m’éloigner… à sa lettre était jointe une photographie…

— Vous connaissez cet homme ! s’écria Bobby, incapable de maîtriser plus longtemps son impatience…

— Hélas ! puis-je dire que je le connais ! je ne l’ai vu que pendant quelques secondes à peine… et en telle occurrence, si terrible et si atroce, que c’est miracle si ses traits se sont fixés dans ma mémoire…

— Vous ignorez qui il est ?

— Absolument !…

— Et quand l’avez-vous vu ?…

— Oh ! cette date ne s’effacera jamais de ma pensée… c’est…

— Laissez-moi achever… dans la nuit du 1er au 2 avril…

— Oui ! mais à votre tour comment savez-vous cela ?…

Bobby eut un petit geste de tête que ses paroles accentuèrent :

— Que voulez-vous ? Un peu de divination… l’intuition, sir Athel, l’intuition ! Donc cette date est bien exacte…

— Absolument…

— Et j’ajoute que ce fut entre une et deux heures du matin…

— À une heure trente-cinq minutes… Oui, c’est à ce moment que, sous les coups d’une affreuse fatalité, toute mon existence fut brisée… que la douleur, le désespoir, le remords entrèrent dans mon cœur et en prirent possession, pour n’en plus jamais sortir… jamais… jamais !

Le jeune homme laissa tomber sa tête dans ses mains.

— Un instant ! fit Bobby, avec un geste d’autorité. Je ne sais pas encore ce qui s’est passé… mais si c’est pour ce personnage que vous vous mettez en de tels états, car John Coxward — vous ignorez ce nom à ce qu’il paraît…

— Je l’entends prononcer pour la première fois…

— Ce John Coxward, dis-je, est — ou plutôt était le plus insigne vaurien qui eut jamais traîné ses savates dans les bas-fonds de Londres…

— Était… dites-vous ? Quoi ! Il est bien vrai qu’il est…

— Mort ! archi-mort ! Ce dont il ne faut s’émouvoir qu’avec modération. Cet incident lui ayant évité la potence qui l’attendait à très courte échéance…

— Qu’importe ! c’était un homme !… et je n’avais aucun droit sur sa vie… ; mais, dites-moi ! Comment êtes-vous sûr qu’il est mort !…

— Par une constatation fort simple… j’ai reconnu son cadavre…

— Ah ! on a retrouvé son cadavre… Où cela ?

— Ici, sir, je vous prie de faire appel à toute votre énergie. Car ici c’est le point grave, la crête de la côte mystérieuse que je cherche à gravir… le cadavre de John Coxward a été trouvé au milieu d’une place publique, dans cette même nuit du 1er au 2 avril, à cinq heures du matin, à Paris !

— À Paris, s’écria Sir Athel en se redressant.

— Yes, sir ! c’est-à-dire à 250 milles d’ici, à vol d’oiseau… or, de une heure trente-cinq minutes à cinq heures du matin, cela nous donne justement trois heures vingt-cinq minutes dont il convient de déduire les dix minutes d’avance que Paris a sur nous, dont trois heures quinze. — Or, est-il possible qu’un homme fasse — volontairement ou non — ce voyage en un délai aussi court…

— Mais oui… cela est possible ! clama Sir Athel. Je dis plus, ce délai est trois, quatre fois plus long qu’il ne devrait être… 250 milles, mais monsieur, c’est l’affaire de trois quarts d’heure au plus !…

On comprend que Bobby ne l’interrompit pas.

Pour lui, la lueur, naguère entrevue si faible, s’élargissait, s’épanouissait, aveuglait.

— Il n’est rien d’impossible, dit-il. Mais vous avouerez qu’il est difficile de croire que le nommé John Coxward, espèce de va nu-pieds, sans sou ni maille, fût en possession de moyens de locomotion aussi rapides… Malgré toute la confiance que vous méritez, vous me permettrez de douter un peu… Vu par vous, à ce que vous dites, à une heure et demie du matin, un homme ne pouvait être à cent lieues d’ici à cinq heures du matin !…

Sir Athel eut un geste de colère :

— Mais quand je vous dis qu’il aurait dû être à Paris, à deux heures et demie au plus tard…

Et il ajouta d’un ton plus bas :

— Oui je me rappelle… le Vriliogire était orienté vers l’est…

— Vrilio… quoi ? cria Bobby, d’un ton interrogateur.

Ah ! vous ne comprenez pas… vous ne pouvez pas comprendre… vous ignorez… que l’être chétif que je suis est en possession d’une force prodigieuse, à laquelle nul miracle n’est impossible… et que lorsque m’est arrivée la catastrophe en question, je n’avais plus que quelques misérables détails à régler pour que cette énergie formidable, dont je suis le maître, fût révélée au monde stupéfait.

— Mais, quelle catastrophe ? s’écria Bobby.

Et, voyant l’exaltation qui s’emparait du jeune Anglais :

— Sir Athel, reprit-il doucement, je m’appelle Bobby, attaché à la police de S. M. Britannique… Par suite de l’aventure arrivée à ce misérable Coxward, je suis en passe d’être chassé de mon emploi, c’est-à-dire déshonoré en face de l’Angleterre tout entière — et ce qui est plus douloureux encore pour moi — aux yeux de Mistress Bobby, ma digne épouse, je suis un esprit pondéré, précis, qui recherche les faits, rien que les faits… je vous en conjure, dites-moi quand, où, comment vous avez vu le nommé Coxward et comment il a pu accomplir ce prodige d’être vivant ici et trois heures après mort à Paris…

Sir Athel passa la main sur son front.

— Vous avez raison. Aussi bien mon secret m’étouffe, et, puisqu’il est déjà à demi révélé, ce sera pour moi un soulagement décisif que de le livrer tout entier.

Il se mit à marcher dans son cabinet d’un pas fiévreux :

— Sachez donc que, par l’étude des terres rares…

— Hein ? fit Bobby involontairement.

— Ah ! c’est vrai ! vous ignorez tout de notre science… iridium, gallium, thallium, polonium sont pour vous des mots barbares, ne présentant aucun sens précis…

— J’ai entendu parler du radium, dit timidement Bobby.

— Laissons cela… bref, j’ai découvert le moyen de condenser une force radiographique, inouïe, colossale, sous un volume d’une petitesse et d’une légèreté incomparables.

Il tira de la poche de son gilet un objet qui ressemblait à une montre.

— Tenez… voyez ceci… je n’aurais qu’un geste à faire, un coup d’ongle à donner, pour vous foudroyer instantanément…

M. Bobby eut un léger mouvement de recul. Il songea à mistress Bobby.

— N’ayez aucune crainte, reprit Sir Athel d’une voix soudainement calmée. Je continue. J’ai construit un appareil d’aviation — c’est-à-dire un plus lourd que l’air, n’empruntant rien à l’air lui-même comme moyen de sustentation ; agissant d’après sa propre force, sans aucun secours extérieur, ne tenant compte ni du vent ni de la tempête… mais allant devant lui, à la façon du boulet de canon qui sort de la pièce, avec cette supériorité que la force propulsive est en lui — et j’ajoute enfin, est inépuisable…

— C’est merveilleux, hasarda Bobby qui, voyant l’éclat excessif des yeux de son interlocuteur, se demandait si vraiment il n’était pas en face d’un véritable aliéné dont peut-être la fréquentation pourrait devenir dangereuse.

— C’est tout simplement beau, rectifia Sir Athel. Donc cet appareil, encore inachevé, quoique poussé à sa presque ultime perfection, se trouvait là, dans la petite cour que vous voyez. Il se composait d’une caisse très simple, de métal et de bois, capable de résister aux chocs les plus violents. Le moteur, c’est-à-dire la partie vivante, le centre, à la fois le cerveau et le plexus solaire de l’appareil avait été mis au point par moi-même le 1er avril au matin. J’avais adapté en sa place le siège très confortable d’ailleurs du conducteur du Vriliogire… ; j’avais chargé le moteur, installant, dans des poches intérieures de la caisse, une quantité suffisante de la substance génératrice, ainsi que des provisions de bouche pour plusieurs semaines : tout cela ne tenant qu’une place infinitésimale… J’étais décidé à partir le 2 avril dès le lever du soleil…, pour aller ! Le savais-je ? Je voulais piquer devant moi, à travers le ciel, à travers l’espace, m’enivrant de l’immensité, et surtout, savourant cette joie indicible d’avoir, moi et moi seul, définitivement réalisé la conquête de l’air…

« Et alors, au retour, avec quel orgueil je me serais élancé chez Miss Mary Redmore… et je lui aurais crié :

« — Maître de l’univers, je le mets à vos pieds !

« Hélas ! la fatalité veillait !… et le coup qu’elle allait me porter devait, en anéantissant mes espérances, briser à jamais ma vie !…

Il s’interrompit et son visage exprima un profond désespoir.

— Voyons ! voyons ! fit bonnement l’excellent Bobby, un enfant de la grande Angleterre ne se laisse pas abattre ; tenez, celui qui vous parle, Bobby, qui n’est pas des premiers venus, a subi de grandes crises dans sa vie… et toujours il s’est tenu droit devant la Fatalité et il l’a domptée !…

Sir Athel parut n’avoir pas entendu cette symphonie héroïque.

Il continua :

— J’avais passé la journée du 1er avril à reviser certains calculs, à essayer certaines pièces de mon appareil. J’avais écrit à Miss Mary une lettre où je lui faisais part et de mon départ et de mon prochain retour… ; modestement et sans emphase, je lui faisais pressentir l’immense importance de l’œuvre que j’allais accomplir.

« Et après un rapide repas, — deux pilules Berthelot, — je m’étais installé dans un fauteuil, ici, devant cette fenêtre, regardant amoureusement l’appareil qui, sous la douce lueur lunaire, se profilait à la fois robuste et élégant…

« Je m’étais légèrement assoupi, bercé par mes rêves d’avenir…

« Quand, tout à coup…

« Un bruit insolite me fit tressaillir…

« J’ouvris les yeux et je vis une forme humaine qui se silhouettait au sommet du mur, à côté de la grille.

« Je me dressai précipitamment et m’élançai dehors. Hélas ! Si rapide qu’eût été mon mouvement, il était encore trop tardif.

« D’un vigoureux élan, l’homme — dont je vis très bien le visage à la clarté de la lune — avec des gestes fous, courut vers l’appareil dont la forme rappelait — je dois vous le dire — celle des chaises à porteurs.

« Brusquement, il ouvrit la porte et s’y introduisit.

« — Sur votre vie ! criai-je, pas un geste, pas un mouvement !…

« Que se passa-t-il ? je ne puis que former une hypothèse. Sans doute cet inconnu, s’étant assis sur le siège que j’avais préparé de telle sorte que tous les éléments mécaniques de mon appareil fussent à ma portée, a posé la main au hasard, sur un des leviers dont l’action mettait en plein développement la force dont je vous ai parlé…

« Bref, avant que j’eusse pu intervenir autrement que par des appels et par des cris dont il n’était d’ailleurs tenu aucun compte, je vis l’hélice supérieure se mettre en marche avec une rapidité vertigineuse, le Vriliogire fut enlevé de terre avec plus de facilité que s’il n’eût été qu’un fétu de paille, monta dans l’air avec la rapidité d’un obus et disparut dans le ciel, dans la nuit, dans l’immensité obscure et profonde.

« Il me sembla que je venais de recevoir un coup en plein crâne. Je tombai de toute ma hauteur, comme foudroyé.

« Car, comprenez-le bien, monsieur Bobby ! ma vie si paisible, toute de patience et d’étude, soudain se trouvait bouleversée par une double catastrophe.

« J’avais tué un homme — un inconnu, soit ! — mais un de mes frères en humanité…

— Tué ! Tué ! fit Bobby, il s’est bien tué lui-même !

— Mais n’est-ce pas moi qui ai fourni l’instrument de sa mort ?… Pourquoi cet appareil formidable — que moi seul savais guider — avait-il été abandonné par moi dans une cour ?…

— Où on ne pouvait pénétrer que par escalade, c’est-à-dire en ivrogne ou en fou !… On ne passe pas par-dessus un mur, que diable, ou alors c’est à vos risques et périls… Or, vous avez bien reconnu celui dont je vous ai montré la photographie…

« Si court qu’ait été le temps pendant lequel je l’ai vu, je ne puis concevoir aucun doute… le malheureux !…

— Dites ce misérable, ce bandit ! John Coxward… serait mort la corde au cou… en débarrassant la société ; sans le vouloir, vous lui avez rendu service, et un fameux encore !…

— Son visage me hante toutes les nuits… comme aussi le cri horrible qu’il a poussé quand il s’est senti arraché de terre…

— Pas de sensiblerie ! reprit M. Bobby d’un ton péremptoire. À conduite de coquin, chances de coquin !… Cessez de vous apitoyer sur le sort de ce gueux… ; mais, selon vous, que lui est-il arrivé pour qu’on l’ait retrouvé mort, accroché aux grilles d’un monument public, à Paris, comme c’eût été ici, par exemple, à Trafalgar Square, le cadavre plié en deux sur la grille qui entoure la statue de Nelson…

— Hélas ! l’explication est trop simple. Emporté par le Vriliogire, l’homme a d’abord été étourdi, désemparé, ne comprenant pas ce qui arrivait… l’installation ayant été disposée par moi et pour moi, j’en connaissais les détails et je m’y adaptais sans aucun gêne… ; mais il ne pouvait en être de même pour un intrus…

« La rapidité vertigineuse de la course, le bruit de l’hélice, peut-être le ronflement du moteur qui, n’étant pas dirigé, devait tourner avec une intensité effroyable, tout, au milieu de la nuit, et avec l’appréhension naturelle que procure l’espace immense autour de soi, a dû contribuer à l’affolement de ma victime qui a essayé de s’échapper de cette machine d’enfer…

— Et est tombée place de la Concorde, à Paris !… Donc Coxward est bien Coxward !… j’ai recouvré mon honneur ! Ah ! sir Athel ! combien Mistress Bobby vous sera reconnaissante !… et comme je vais taper sur les doigts de ces stupides journalistes français qui m’ont abreuvé d’outrages !… Ah ! ils n’en seront pas les bons marchands, je vous le jure !…

Or, voici que juste à ce moment, Labergère qui patientait depuis plus d’une heure — car le récit de Sir Athel avait duré fort longtemps — étant sorti de la pièce où il avait été séquestré, s’était décidé, à tout risque, à venir réclamer celui qu’il venait interviewer.

Il avait facilement retrouvé la cour d’entrée, avait avisé la porte par laquelle il avait vu Bobby pénétrer à l’intérieur ; et, ma foi, arrive qui plante ! il troublerait un entretien beaucoup trop prolongé…

Il posa donc nettement la main sur le bouton de la porte et ouvrit brusquement au moment où M. Bobby, tout à la joie féroce de la revanche espérée, accentuait son monologue de gestes exaspérés…

Or, voici qu’il aperçut Labergère, et se retournant encore une fois en face d’un de ses ex-persécuteurs, il se rua sur lui et, le saisissant à la cravate, se mit à hurler :

— Ha ! Ha ! Coxward n’était pas Coxward !… Ah ! étant à Londres à une heure du matin, Coxward ne pouvait pas être à cinq heures place de la Concorde !… eh bien ! il y était, monsieur le journaliste, il y était !… je le prouverai !…

Labergère, qui au demeurant était fort solide, saisit les poignets du rageur Bobby et l’éloignant de lui, le força à s’asseoir, et alors, s’adressant à Sir Athel :

— Monsieur, je vous demande sincèrement pardon, mais il me plairait fort que l’attente ne se prolongeât pas outre mesure… maintenant que vous avez donné audience à cet imbécile, daignerez-vous m’entendre à mon tour…

Sir Athel n’avait prêté qu’une fort légère attention à ce nouvel incident. Il était absorbé dans ses pensées ; mais déjà un peu rasséréné, grâce aux renseignements que lui avait fournis Bobby sur l’identité de sa victime.

Coxward, un bandit ! le crime se transformant en accident…

— Mille excuses, monsieur, dit-il à Labergère. Mais vous me pardonnerez de vous avoir presque oublié, je l’avoue, en raison de l’importance, du profond intérêt des nouvelles que M. Bobby venait m’apporter…

Et Bobby, l’incorrigible, de s’écrier :

— À propos de Coxward… vous vous rappelez comment vous tous, tas de folliculaires français, vous vous êtes rués après mes chausses lorsque je soutenais que le corps de l’Obélisque était celui de Coxward !… A-t-on assez ri ! A-t-on assez insulté la police de mon pays et cherché à déshonorer l’Angleterre en l’humble personne de son plus fidèle citoyen…

« Eh bien, môsieur ! il faudra déchanter et reconnaître que c’était vous, misérables gratte-papier, qui, en infligeant un stupide démenti à un homme de bien, commettiez une action répréhensible de tout point et dont vous porterez la peine en ce monde et dans l’autre…

Labergère regardait Bobby avec quelque étonnement. Que rabâchait-il avec son histoire de Coxward, ubiquiste ? Il savait bien, lui, que cette simultanéité de présence était impossible, puisque c’était lui qui, rédacteur au Reporter, avait, pour le compte de ce journal, institué et mené à bien l’enquête à laquelle le solicitor de Londres avait conféré toute authenticité.

Pourtant, comme maintenant il était attaché au Nouvelliste, adversaire du Reporter, il eût été fort satisfait que Bobby ne fût pas fou et que, malgré toute vraisemblance, Coxward de Londres et le mort de Paris étant réellement et définitivement le même homme, il lui fût permis de dauber sur le Reporter, son ancien patron, au bénéfice du Nouvelliste, son nouveau client, qui gardait toujours à son rival une rancune colossale et paierait fort cher le droit de lui tailler des croupières.

Il s’adressa à Sir Athel, en apparence fort indifférent à la querelle :

— Il semble, lui dit-il, que votre entretien avec ce bonhomme ait eu trait à cette ridicule affaire Coxward qui un instant a passionné Paris… il ne peut être exact que ce Coxward se soit trouvé à Paris le 2 avril à 3 heures du matin…

— Hélas ! fit Sir Athel en tressaillant, il devait y être beaucoup plus tôt que cela…

— Il n’était donc pas à Londres dans la soirée du 1er ?…

— Si fait… il y était… je ne le sais que trop !

— Mais c’est impossible !…

— Cela peut vous paraître impossible, dit froidement Sir Athel, mais cela est… Ce malheureux Coxward est parti d’ici, de cette cour que vous voyez, à une heure trente-cinq minutes du matin…

— Et il aurait fait 450 kilomètres en quatre heures…

— En beaucoup moins que cela, monsieur…

— Je ne puis comprendre !…

— C’est évident, cria Bobby, que les ignorants de Français ne peuvent rien comprendre… est-ce qu’ils connaissent les terres rares, le tadium, le foronium…

Le brave détective s’embrouillait un peu dans ces dénominations scientifiques, mais il continuait :

— Et le Vriliogire ! monsieur le journaliste, et la force électrique qui va bouleverser le monde ! et le trajet de Londres à Pékin en trente minutes !… Est-ce que vous avez la moindre notion de tout cela ?…

Labergère, comme tous les journalistes français d’ailleurs, était doué d’une imagination rapide, jointe à une vive faculté d’assimilation.

— Il s’agit d’une machine électrique ? demanda-t-il à Sir Athel.

— Le mot n’est pas parfaitement exact… machine radio-active plutôt — mais j’ai dû employer l’expression d’électrique pour être plus clair…

— Et cette machine, continua Labergère, est un appareil d’aviation ?

— En effet…

— Et c’est par cet appareil que Coxward aurait fait le trajet de Londres à Paris ?… dans la nuit du 1er au 2 avril ?…

— Hélas ! je n’en suis que trop convaincu !… C’est ainsi que j’ai à déplorer et la mort d’un homme et la destruction d’un engin dont la construction et l’aménagement m’avaient coûté deux années de travail… et que peut-être je n’aurai pas le courage de reconstituer…

— Un engin… encore un mot, fit Labergère, qui paraissait violemment ému… quelle forme à peu près ?…

— Celle d’une guérite ou d’une chaise à porteurs !…

— Mais c’est justement au sujet d’une machine de ce genre que je suis en mission journalistique à Londres… Ne vous rappelez-vous pas que je vous ai montré une lettre, à votre adresse, émanant d’une maison de produits chimiques…

— Oui ! oui ! s’écria Sir Athel. Dans les émotions multiples qui m’assaillent, j’avais oublié ce détail… Cette lettre m’appartient en effet… où donc l’avez-vous trouvée ?…

— Dans un terrain vague du quartier des Carrières-d’Amérique, à Paris…

Expliquons à quelle aventure se rattachait cette péripétie nouvelle.