L’Empire des tsars et les Russes/Tome 2/Livre 6/Chapitre 3

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CHAPITRE III


Nécessité des réformes politiques. — Raisons qui en rendent la réalisation urgente. — Pour qui faut-il gouverner ? — Objections. La grandeur de l’empire et les différences de race et de nationalité : centralisme ou fédéralisme. — Le peu de développement des masses populaires et les différences de classes, d’éducation, d’aspirations.


« Prenez garde ! diront certains Russes, vous jugez de la Russie par vos pays d’Occident. Vous prenez notre peuple slave pour une de vos nations germano-latines ! Le peuple russe n’est pas un peuple politique (gasoudarstvenny), il ne désire aucune part dans le gouvernement, il n’a que faire de vos libertés, il n’en veut pas, ne les comprend pas. Il se sent pleinement libre sous l’autorité paternelle d’un tsar autocrate ! » C’est là, pour certaine école, un vieil axiome, appuyé jadis par les slavophiles sur l’appel des Slaves de Novgorod à Rurik et sur l’abdication volontaire du peuple victorieux entre les mains des Romanof, en 1612[1].

Appliquée au passé moscovite, appliquée au moujik actuel, cette thèse contient une bonne part de vérité ; non que le Russe soit par essence un peuple « non politique », ce dont ses apologistes de Moscou lui font un mérite, y voyant une preuve de sagesse et de « sainte humilité chrétienne » ; non que, par ses origines, le Russe soit un peuple asiatique, altaïque, incapable de comprendre les notions politiques de l’Europe, ainsi que le soutiennent ses contempteurs étrangers ; mais tout simplement parce que, dans sa grossière ignorance et son abaissement séculaire, ce peuple, hier encore serf, n’a pu s’élever à de pareilles conceptions. Ce que les uns donnent comme une marque de vocation supérieure, d’élection ou de prédestination mystique, les autres comme un caractère d’infériorité native, n’est en réalité qu’un signe d’enfance, une conséquence du peu de développement moral d’une nation encore en bas âge.

Que l’homme du peuple, pris en masse, reste dénué de toute aspiration politique, cela n’est point contestable ; mais, telle place que tienne dans l’empire le touloup de mouton du paysan, peut-on dire que le moujik soit toute la Russie ? Faut-il lui appliquer le mot de Louis XIV, « l’État, c’est moi » ?

Nous nous trouvons ici en face d’une question capitale : pour qui faut-il gouverner la Russie ? Est-ce seulement pour le bas-peuple et la plèbe illettrée ? Est-ce seulement pour une classe, et pour la plus ignorante, et en même temps la moins exigeante ? C’est pourtant là au fond ce que conseillent les hommes qui engagent l’autocratie à s’appuyer uniquement sur les masses populaires, et à les opposer aux classes instruites ; qui, sous prétexte de politique nationale, préconisent avant tout une politique « paysanne » ; qui, sans toujours s’en rendre compte, veulent faire de la Russie un grand village, et de l’héritier de Pierre le Grand le tsar des moujiks.

Par une sorte d’interversion des rôles, alors que les révolutionnaires et les socialistes en sont venus à reconnaître l’importance des libertés politiques dont, conformément à la tradition de Herzen, ils faisaient fi naguère encore, les conservateurs, reprenant à leur profit la thèse abandonnée par leurs adversaires, proclament complaisamment qu’en Russie il n’y a que des questions sociales, que tout le gouvernement doit avoir en vue le peuple, son bien-être, ses besoins, et non l’infime minorité des classes cultivées. Les apologistes de l’autocratie engagent à leur tour la Russie civilisée à comprimer ses aspirations, à abdiquer ses plus légitimes prétentions en faveur des masses populaires. Comme jadis les propagandistes socialistes, ils adjurent la société russe de s’oublier elle-même, de se sacrifier sur l’autel des intérêts du peuple. Par malheur, ces mystiques conseils de renoncement et d’abnégation n’ont pas plus de raison ni plus de chance de succès sur les lèvres des conservateurs que dans les prédications des révolutionnaires. Une société ne saurait ainsi s’immoler, se dépouiller de son propre esprit, de ses sentiments, de ses idées. En aucun pays, les classes civilisées ne peuvent indéfiniment s’effacer devant les masses ignorantes, alors surtout que les véritables intérêts du peuple auraient tout bénéfice au triomphe de leurs droits.

La Russie a beau être avant tout un État agricole et rural, la politique « paysanne » ne saurait longtemps prévaloir. Pour en assurer le succès, il faudrait raser SaintPétersbourg, Kief, Odessa, Kharkof et les villes où se recrutent les révolutionnaires et les libéraux ; il faudrait fermer les gymnases et les universités ; il faudrait combler les ports de la Baltique et de la mer Noire, couper les chemins de fer de l’Ouest, et enceindre l’empire d’une infranchissable muraille de Chine. Il est trop tard pour une telle entreprise. Les Romanof eux-mêmes, en travaillant durant deux siècles à former leurs sujets aux mœurs de l’Occident, l’ont à jamais rendue impossible. L’unique moyen de faire triompher cette prétendue politique nationale serait de ramener la Russie au temps des Ivan et des Vassili, alors qu’il n’y avait en Moscovie qu’un peuple routinier, ennemi de toute innovation et étranger à toutes les aspirations du dehors ; mais aucun oukaze ne saurait rayer de l’histoire le règne de Pierre Ier et de Catherine II, le règne d’Alexandre Ier et d’Alexandre II. Les théoriciens moscovites ne peuvent biffer des annales russes ce qu’ils appellent la période de Pétersbourg.

Une des choses avec lesquelles il faut le plus souvent compter, chez les nations comme chez les individus, c’est l’amour-propre. Un pays se résigne mal à se voir dans un état d’infériorité réelle ou apparente vis-à-vis de ses voisins, et cela lui répugne d’autant plus qu’il se sent plus grand et plus fort d’ailleurs. Telle est aujourd’hui la situation des Russes.

Il leur est pénible de demeurer politiquement au-dessous des autres États de l’Europe, presque tous aujourd’hui pourvus de constitutions, au-dessous même de leurs frères puînés et encore enfants du Balkan, à peine émancipés d’hier, au-dessous des petits peuples d’Orient, que pour le génie et la civilisation l’on ne saurait assurément ranger au-dessus de la Russie. Beaucoup de Russes ont peine à comprendre les trop sérieuses raisons qui rendent une évolution libérale plus malaisée dans le grand empire du Nord que dans ces minces États, affranchis par ses armes. Leurs yeux sont choqués d’un contraste que les années ne feront que rendre plus sensible et plus blessant. Cette sorte d’humiliation de l’orgueil national, en face d’une Europe presque tout entière en possession de droits déniés aux Russes, serait seule à la longue un obstacle insurmontable au maintien du régime autocratique. Quoi que fasse le gouvernement impérial, il y a là une comparaison qu’il n’est pas libre de supprimer. Et qu’on ne s’y trompe pas : si puissant que soit l’amour-propre sur les peuples, ce n’est pas là pour les Russes une simple question de vanité.

Sans constitution, sans droits politiques, la Russie n’est pas encore un État moderne ; comme la Turquie, elle est à peme un État européen. Or y a-t-il dans le sang ou le génie du peuple russe, dans son histoire, dans sa religion ; y a-t-il, dans sa constitution sociale ou dans le fond nationaly quelque chose qui le sépare assez des autres peuples chrétiens pour lui interdire toute part à ces libertés politiques, dont jouissent plus ou moins aujourd’hui toutes les nations européennes ? Nous en revenons ainsi à notre point de départ. La Russie est-elle si radicalement différente de l’Europe, appartient-elle si peu à notre continent et à notre civilisation, qu’elle soit vouée, par la nature ou par une sorte de fatalité ethnique, à un type de société et à une forme de gouvernement radicalement dissemblables ?

Si des hommes également sincères et éclairés sont partagés sur ce point, il n’y a pas à s’en étonner. La Russie tient trop à l’Europe, elle en a depuis deux siècles trop subi l’influence pour s’en pouvoir aujourd’hui moralement isoler. Par un contact aussi prolongé, comment éviter la contagion des idées ? Entre l’Occident et lui, l’empire des Romanof n’a pas d’épaisses montagnes qui détournent de ses frontières le grand courant libéral et démocratique de l’Ouest, comme le massif de la Scandinavie détourne de ses côtes le Gulf-stream de l’Atlantique ; le flot des idées européennes vient battre incessamment ses bords.

En même temps, par ses habitudes et ses besoins, par sa composition ethnique même, par ses traditions séculaires, ses préjugés, son éducation nationale, le vieil empire autocratique diffère encore trop de l’Europe pour en pouvoir emprunter les formes politiques et constitutionnelles. La Russie, en un mot, ne peut se tenir en dehors du courant libéral qui emporte l’Occident ; elle ne peut guère non plus s’approprier les appareils politiques de l’étranger. Elle ne saurait se défendre de l’influence européenne et elle ne saurait copier l’Europe. Tel est le dilemme où, après deux siècles d’imitation, se trouve acculée la Russie de Pierre le Grand. Elle semble placée entre deux impossibilités et n’avoir que le choix des périls. Entre ces deux écueils, quel pilote saura découvrir une passe libre ?

Aux ardentes et tumultueuses aspirations qui, au souffle de l’Europe, bouillonnent dans la jeunesse et les classes instruites, il faut une issue, et cette issue ne peut être ouverte que par des droits et franchises politiques, par une charte ou une constitution. Peu importent les mots et les noms : ce qu’il faut à la Russie, c’est la chose, c’est une représentation nationale. À ce pays, officiellement muet depuis des siècles, il faudra, sous peine de rendre toutes les catastrophes possibles, donner la voix et la parole ; sur la vaste scène, jusqu’ici remplie par le gouvernement et ses agents, il est temps de faire monter ce nouvel acteur, énigmatique et obscur personnage, dont les autres parlent sans cesse et que jusqu’ici on n’a ni vu, ni entendu.

Parmi les esprits éclairés il en est, disons-nous, qui, tout en étant libéraux et parfois radicaux pour l’Occident, restent opposés chez eux à toute tentative constitutionnelle prochaine, ou n’envisagent cette perspective qu’avec de sombres appréhensions. « Eh quoi ! s’écrient-ils, comment, sous prétexte de couper court à nos difficultés, nous jeter en de nouvelles, plus graves peut-être ? À quoi bon entreprendre une tâche pour laquelle nous sommes si mal outillés et dont les matériaux mêmes nous font encore défaut ? C’est prétendre parfaire et couronner l’édifice des réformes avant que les étages inférieurs en soient achevés. Quelle constitution irait à notre inexpérience, à notre ignorance, à notre paresse, à notre routine ? Ce qu’il nous faut, c’est une saine et honnête administration, une droite et libre justice, c’est la suppression de la vénalité et de l’arbitraire administratif. En fait de self-government, ce qui nous sied, c’est le self-government local, c’est le développement de nos institutions provinciales et municipales, de nos zemstvos et de nos doumas ; c’est, en un mot, la consolidation et l’achèvement ou, mieux, la pratique sincère de toutes les réformes d’Alexandre II. Avec cela la Russie serait heureuse, tranquille et forte. »

Ce modeste et prudent langage n’a qu’un défaut : sous une apparente sagesse, sous les dehors du sens commun et de l’esprit pratique, il cache au fond une naïve et j’oserai dire une enfantine illusion. Certes, ce qu’il faut avant tout à la Russie, c’est une bonne administration et une bonne justice ; l’illusion, c’est de croire que l’on puisse acquérir de tels biens et que l’on en puisse jouir sûrement sans rien qui les garantisse ; c’est, de ne pas voir que ce dont souffre précisément la Russie, ce qui la frustre du résultat des meilleures réformes, c’est le manque de contrôle et de garanties, qui ne peuvent être trouvés que dans des droits politiques. Veut-on un exemple ? Que les Russes se rappellent par quels moyens et au prix de quelles luttes les Anglais ont conquis leur habeas corpus.

L’illusion n’est du reste pas nouvelle. En France aussi, avant la Révolution, nombre d’esprits distingués, la plupart des philosophes et des économistes du dix-huitième siècle, souhaitaient plutôt des réformes que des franchises politiques, et ces réformes ils les attendaient moins d’une participation du pays à son gouvernement que de l’intelligence du pouvoir souverain[2]. Au fond, c’est la vieille utopie de Platon et de la plupart des législateurs spéculatifs.

En France aussi, avant 1789, nombre de politiques croyaient que des libertés locales et des assemblées provinciales devaient suffire à une bonne administration et prévenir une révolution. Malaisé autrefois, cela de nos jours est chimérique. Dans l’ancienne Europe, quand la vapeur n’avait pas effacé les distances, quand l’électricité et la presse ne mettaient pas les nouvelles politiques à la portée de tous, lorsque chacun vivait plus ou moins confiné dans sa ville ou sa province, il était infiniment moins difficile qu’aujourd’hui d’enclore l’initiative privée et l’esprit d’examen dans la sphère des intérêts locaux.

On dit souvent que le self-govemment local est le meilleur apprentissage des libertés politiques. Nous avons déjà montré en quoi cette sorte de lieu commun peut induire en erreur[3]. Au fond, c’est là un cercle vicieux, car les libertés locales ne sauraient être complètes sans libertés politiques, pas plus que ces dernières sans les premières. La vérité, c’est qu’une fois admis dans un domaine, le droit de contrôle tend invinciblement à s’emparer de ceux qu’on lui dispute. Il est impossible de cantonner longtemps la surveillance de la société et les franchises des gouvernés dans un champ restreint. L’esprit de liberté est pareil à ces gaz qu’il est difficile de garder en vase clos ; extrêmement volatil de sa nature, il s’évapore des récipients où l’on prétend l’emprisonner.

Une observation d’un autre genre conduit à la même conclusion.

Envisage-t-on tous les changements effectués dans les lois, toutes les réformes accomplies ou ébauchées, depuis la guerre de Crimée dans le domaine administratif, judiciaire, militaire, financier même ; on voit que tous les efforts du gouvernement impérial tendent à introduire dans l’empire autocratique un ordre légal et régulier, analogue à celui des États constitutionnels de l’Occident. Or cela est-il possible sans les droits politiques qui, en Occident, sont la condition et la garantie de tout le reste ? Pour ma part j’en doute. Les Russes, qui prétendent s’en tenir aux réformes administratives, me font l’effet de vouloir faire marcher une horloge sans le balancier qui la met en mouvement.

Sous le règne de l’empereur Nicolas, un Russe sagace et clairvoyant classait en deux catégories toutes les réformes dont il traçait le plan : les réformes compatibles avec le maintien du régime autocratique, et celles qui ne l’étaient pas[4]. Les premières ont presque toutes été exécutées ; c’est maintenant le tour des secondes. On ne peut plus rien faire d’efficace sans toucher au mode de gouvernement et au principe même du pouvoir.

Comme presque toutes les classifications, celle de Nicolas Tourguénef, si naturelle qu’elle semble, n’est du reste pas d’une rigoureuse exactitude. À y bien regarder, nous avons déjà eu l’occasion de l’indiquer à propos des tribunaux et de la haute policeS toutes les réformes administratives et judiciaires, toutes les institutions qui prétendent établir un régime légal et régulier, tendent indirectement à borner dans la pratique le pouvoir illimité de l’autocratie. Entière en droit, l’autocratie ne le serait plus en fait si toutes les réformes promulguées avaient été appliquées dans leur plénitude et leur sincérité. Et il n’en saurait être autrement. Toute réforme inspirée de l’esprit moderne a pour premier effet de mettre au régime du bon plaisir des obstacles ou des bornes.

Aussi peut-on dire qu’entre les réformes qui semblent compatibles avec le gouvernement autocratique et celles qui ne le paraissent point, l’intervalle n’est ni aussi large ni aussi profond qu’il le semble au premier coup d’œil. En réalité, la concession de droits politiques ne ferait qu’étendre à de nouvelles sphères, aux finances de l’État, à la police, à l’administration générale, aux affaires extérieures, les droits déjà reconnus à la société dans l’administration locale et la justice.

Avant de chercher quelles seraient les conditions de cette émancipation politique et ce que pourrait être une constitution russe, il est bon d’envisager les objections, les objections russes surtout. Il y en a plusieurs de valeur inégale ; je n’examinerai que les plus fréquentes ou les plus sérieuses.

Et d’abord, pour donner à ce peuple une voix et une représentation, il faudrait qu’il fût homogène, qu’en Russie il n’y eût que des Russes, que le pouvoir n’eût devant lui qu’une nation et qu’un peuple. L’empire du Nord n’est-il pas trop vaste, ne compte-t-il pas dans son sein trop de races et de nationalités diverses pour être gouverné ; pour être conservé autrement que par une autorité absolue ? Tout essai de charte et de régime constitutionnel ne risquerait-il pas d’amener la décomposition de l’empire, créé et maintenu par la forte main de l’autocratie ? Sans ce lien séculaire, sans les solides tenons de métal qui en joignent toutes les parties et toutes les pierres, le gigantesque édifice élevé sur les confins de l’Europe et de l’Asie s’écroulerait bientôt sous le poids de sa masse. Que faire de toutes ces régions frontières, de toutes ces oukraines[5] plus ou moins hétérogènes, qui, du nord au midi et de l’ouest à l’orient, entourent la vieille Moscovie d’une ceinture de provinces à demi étrangères ? Comment trouver, pour toutes ces conquêtes du tsar, une place dans une constitution libérale et dans une assemblée russe ?

L’objection est sérieuse. Les dimensions de l’empire, ses traditions centralisatrices, la variété des populations comprises dans son enceinte, sont assurément l’un des principaux obstacles à l’établissement d’un régime libre. Par un juste retour des choses d’ici-bas, la servitude politique est souvent ainsi la rançon des conquêtes militaires ; presque toujours, les peuples conquérants ont payé d’une part de leur propre liberté l’asservissement de leurs voisins. À cet égard, on pourrait dire avec un Russe que la Pologne a largement rendu à la Russie tous les maux qu’elle en a soufferts. Faut-il conclure de là qu’avec cette lourde chaîne au cou, la Russie est pour jamais condamnée à renoncer à la liberté politique ? Nous ne le pensons pas. La route de la liberté ne lui est fermée qu’autant qu’elle se refuse à tenir compte de l’instinct national des peuples soumis à sa domination. Or elle pourrait avoir plusieurs façons d’y faire droit, soit au moyen d’autonomies locales, soit au moyen d’une large décentralisation.

Que faire, dit-on, de la Pologne et de ces provinces occidentales auxquelles jusqu’ici on n’a point osé étendre les modestes franchises locales concédées aux vieilles provinces moscovites ? Avec les goubernies de la Vistule, avec le royaume de Pologne proprement dit, le plus simple serait peut-être de recourir au même procédé qu’avec la Finlande, de lui restituer à la fois l’autonomie et une constitution, de serait là, pour la Russie, le meilleur moyen de garantir sa frontière occidentale, d’enlever ses sujets de l’ouest à l’esprit révolutionnaire et aux intrigues de voisins ambitieux, en même temps que de s’assurer un gouvernement libre. Croire, avec quelques esprits aveuglés par les préventions nationales, que le peuple russe pourrait être émancipé politiquement, tout en maintenant une large zone de provinces européennes dans une sorte de servage ou d’ilotisme politique, c’est une aberration à laquelle les événements donneraient un rapide démenti. Prétendre, d’un autre côté, appliquer les mêmes institutions à tous les peuples de l’empire, les faire tous entrer dans une constitution strictement unitaire, ce serait dangereusement compliquer le jeu du nouveau régime, et par là même en compromettre d’avance les résultats.

La Pologne du congrès de 1815, il est vrai, n’est pas la seule partie de l’empire qui ait une individualité nationale et qu’il semble malaisé de faire rentrer dans le cadre d’une constitution russe. Peut-être en devrait-on dire autant de la lieutenance du Caucase, de la Transcaucasie du moins, agrandie par la guerre de 1878. En dehors même des territoires asiatiques, dont plusieurs, tels que le Turkestan, ne peuvent être de longtemps que des colonies militaires, régies par des lois spéciales, il y a, du golfe de Finlande au Pruth, de nombreuses provinces qui, par leur situation, leur population, leurs traditions historiques, ont des tendances centrifuges plus ou moins accusées : Provinces Baltiques, Lithuanie, Russie-Blanche, PetiteRussie, Bessarabie, sans compter les régions comme le bas Volga, l’Oural ou la Sibérie, auxquelles leur éloignement risque d’inspirer tôt ou tard des velléités autonomistes. En dépit de l’unité, de l’homogénéité du fond national, c’est là une des difficultés de l’avenir de la Russie, difficulté qui tient à ses dimensions mêmes. Le problème de son organisation future en est assurément plus ardu ; la solution n’en sera sans doute trouvée qu’à travers des années de tàtonnements, et peut-être à travers des siècles de luttes et de discordes.

Est-ce à dire que ce soit là un obstacle insurmontable ? L’exemple de l’Autriche-Hongrie, dont la composition ethnique est singulièrement plus compliquée, où l’État même n’a pour base aucune nationalité dominante, me semble prouver le contraire. Il se peut que, malgré la puissance et la cohésion du vieux noyau national moscovite, une Russie politiquement émancipée offre un jour un spectacle plus ou moins analogue aux démêlés nationaux de la Cisleithanie. Il se peut que, chez elle, le vingtième siècle soit en grande partie rempli par le conflit des éléments centripètes et centrifuges, des forces unificatrices et des instincts autonomistes ; c’est là, quelle que soit la forme de son gouvernement, une perspective dont rien ne saurait entièrement la préserver. De pareilles luttes ne seront que la rançon de sa grandeur ; elle n’y saurait échapper qu’en revenant en deçà des frontières antérieures à Pierre le Grand ou à Alexis Mikhaïlovitch.

Pour la couronne et la dynastie, du reste, de semblables discordes ne seraient pas sans compensation. Les compétitions de race et de nationalité, au sein d’un même empire, tournent souvent au profit du sentiment monarchique. La monarchie et le pouvoir héréditaire y peuvent trouver une raison d’être de plus, y peuvent puiser un ascendant qu’ils ne sauraient posséder au même degré en des pays dont l’unité est plus ancienne ou moins contestée. Pour cela, le trône n’a qu’à s’ériger en arbitre des diverses nationalités, à empêcher leur oppression réciproque, à jouer entre elles un rôle pondérateur et modérateur que, en dehors de lui, personne ne saurait prendre.

Quoi qu’il en soit, crainte des excès du centralisme moscovite chez les uns, crainte des prétentions du particularisme chez les autres, il y a là un inconnu qui, pour des motifs opposés, suscite de naturelles inquiétudes chez des esprits de tendances d’ailleurs contraires. Dans la large zone de provinces plus ou moins hétérogènes qui s’étend de la Finlande à la mer Noire, on appréhende que des droits poliliques, accordés de préférence à la GrandeRussie, ne servent d’armes au zèle russificateur de certaine école et d’instrument d’oppression pour les nationalités ou religions dites étrangères. Ailleurs, à Moscou par exemple, les centralistes redoutent que des franchises politiques étendues aux provinces assujetties n’entravent l’assimilation des nombreuses « Oukraines » russes, et ne préparent le champ au fédéralisme ou au séparatisme.

Sur ce point capital, les ennemis du gouvernement ont, eux aussi, été longtemps divisés. Parmi les révolutionnaires, plusieurs s’efforcent de réunir tous les adversaires du tsarisme. Russes, Polonais, Ukrainiens, autonomistes, libéraux, socialistes, communalistes, sur le terrain du fédéralisme. Ils révent, eux aussi, de passer l’Atlantique, de donner aux États-Unis d’Amérique un pendant sur le vieux continent. Ce point de vue, le seul peut-être capable de les rallier, est fort en vogue parmi les ennemis de l’autocratie, quoique les révolutionnaires militants, les terroristes comptassent naguère beaucoup de jacobins centralistes et autoritaires[6]. Si la révolution devait triompher, elle n’en risquerait pas moins d’aboutir à la dictature d’une commune démocratique, sauf à tomber plus tard dans le morcellement du fédéralisme ou l’émiettement du cantonalisme. Mais ce n’est pas là pour l’empire un péril prochain. Avec une constitution, la Russie aurait plutôt à craindre le danger inverse, la domination d’une majorité ultra-centraliste et moscovite, d’un slavophilisme provocant et d’une orthodoxie intolérante, imprudemment agressive au dedans et au dehors. Pour un esprit non prévenu, ce serait même là peut-être le plus redoutable écueil d’une transformation politique. Les lois d’exception contre les Polonais, aggravées en 1885, aux applaudissements de la presse moscovite, les mesures réclamées contre les juifs vers 1882 par certaines assemblées ou commissions, montrent à quels risques pourraient être exposées les populations sujettes de la Russie. Le danger de l’oppression des minorités par la majorité, qui est le principal défaut des gouvernements libres, serait peut-être plus grand en Russie qu’ailleurs ; mais, pour que la Russie ne pût s’en préserver, il faudrait qu’en octroyant une charte à ses peuples, la couronne se fût bien complètement désarmée, ou que les passions nationales lui fissent oublier sa vraie mission et ses vrais intérêts. À y bien regarder, du reste, ce péril n’est pas particulier au régime des assemblées électives ; le centralisme russificateur et orthodoxe de Nicolas, plus d’un acte d’Alexandre II et d’Alexandre III en Pologne, en Lithuanie ou dans les provinces Baltiques, ont prouvé qu’à cet égard le régime autocratique était loin d’être toujours une garantie.

Cette difficulté, si grande qu’il faudra, croyons-nous, des générations pour la trancher, n’est aujourd’hui ni la seule ni peut-être la première. Derrière elle en surgit une autre analogue et plus grave encore. Quand, au moyen d’autonomies locales, il serait possible d’éliminer les principaux éléments divergents, — qu’on laisse de côté toutes les dififérences de race, de religion, de traditions, toutes les aspirations nationales et les instincts réfractaires, — en dehors des allogènes de tout genre et des tribus d’origine étrangère, il y a au cœur même de la sainte Russie, chez ce peuple ethnologiquement si compact, deux nations diverses et superposées, différentes de culture, de tendances, de besoins, deux Russies qu’on ne saurait sans démence mettre au même régime en leur accordant les mêmes libertés. En haut, à la surface, il y a la Russie moderne et européenne, la Russie pétersbourgeoise, comme disent ses détracteurs ; en dessous, il y a la Russie russe, la vieille Russie moscovite. Avec quelle charte et quelles franchises constitutionnelles donner à la fois satisfaction à l’une et à l’autre ? Par quelle ingénieuse combinaison répondre du même coup à des aspirations et des penchfnts aussi différents et opposés ? Pour laquelle de ces deux Russies faudrait-il rédiger une constitution ? Le nécessaire de l’une ne serait-il pas le superflu de l’autre ? Ce qui conviendrait à la première, ce qui pour elle semblerait urgent et indispensable, ne serait-il pas pour la seconde un luxe nuisible ou un objet de scandale ?

En tout pays, le point important, c’est de ne pas laisser échapper l’heure où la nation commence à être mûre pour être associée au gouvernement, mais en Russie qui fixera un tel moment ? Les hautes classes, les couches supérieures de la société, peuvent sentir depuis des générations le besoin d’émancipation politique, alors que les masses populaires demeurent entièrement étrangères à tout sentiment, à toute notion de ce genre. De quelque façon qu’on s’y prenne, une partie de la nation devra longtemps attendre des droits dont elle se sent digne, ou l’autre devra être mise prématurément en possession de franchises dont elle ne saurait user. Si elle ne vient pas trop tard pour les uns, la liberté politique viendra trop tôt pour les autres. Entre ces deux alternatives, on ne voit pas de milieu. Par quel mécanisme ouvrir une issue aux aspirations d’en haut sans ouvrir la porte aux instincts grossiers et ignorants d’en bas ? L’affranchissement politique, réclamé par la Russie civilisée, risque de tourner à son propre détriment, au dommage même de la civilisation européenne, en la livrant aux préjugés arriérés et aux préventions à demi orientales des masses. Ne pouvant concéder les mêmes droits à ces deux Russies, comment faire la part de chacune et les empêcher d’usurper l’une sur l’autre ?

De toutes les difficultés que peut offrir l’établissement des libertés politiques, c’est là certainement la plus sérieuse. Au fond cependant elle ne me paraît point aussi spéciale à la Russie qu’elle en a l’air. Le dix-neuvième siècle a plus ou moins placé tous les peuples du continent en face d’un pareil dilemme. Chez tous il a fallu d’abord n’appeler à l’exercice des droits nouveaux que la partie la plus cultivée de la population, il a fallu procéder par une sorte d’émancipation graduelle. C’est là, en somme, la raison historique du cens électoral, ne fût-ce que comme agent d’évolution progressive. Si l’on prétendait attendre que tout un peuple fût en état de discuter ou seulement de comprendre les questions administratives, économiques, financières, on attendrait des siècles, on attendrait toujours. Devant de telles exigences, une nation ne serait jamais mûre pour être libre. Des deux écueils opposés de ces périodes de transition, le plus périlleux, en Russie comme en tout pays moderne, ce serait, sous prétexte de ne pas devancer les lumières et la capacité des masses, de faire trop longtemps attendre les classes éclairées. En Russie comme ailleurs, la solution du problème serait dans une équitable distribution de l’influence politique. Ce qui, chez les Russes, rend une telle répartition plus délicate et malaisée, c’est surtout l’absence d’une classe moyenne, d’une bourgeoisie, ou la faiblesse de ce qui en tient lieu. Mais, pour cette tâche même, le gouvernement de Saint-Pétersbourg aurait eu un avantage, c’est que le fond du peuple étant resté plus conservateur, ou, si l’on aime mieux, étant demeuré plus confiant et plus docile, le pouvoir aurait eu moins à s’en méfier. En dépit de l’ignorance populaire, il y aurait peut-être eu moins de témérité, qu’en tel pays plus civilisé, à convoquer ce peuple encore novice à l’exercice de droits politiques.

En Occident, la seule pensée de voir les Russes appelés à participer à leur gouvernement excite souvent la dérision ou l’incrédulité. L’étranger s’est habitué à regarder le despotisme comme aussi naturel en Russie que la neige et la glace. Au fond, une telle opinion ne repose que sur une pétition de principes, suggérée par des préjugés nationaux. C’est raisonner comme a longtemps raisonné avec les peuples du continent, avec la France en particulier, l’orgueil britannique, se croyant seul digne d’être libre. Qu’on passe une telle sentence sur les Turcs, profondément séparés de nous par les mœurs et tous les éléments de la culture, je le comprends, sans oser encore engager l’avenir ; mais pour les Russes, pour un peuple qui, après tout, est de notre sang, de notre religion, de notre civilisation, en vertu de quelle loi de l’histoire le condamner à l’absolutisme à perpétuité ? Les nations à cet égard ont plus d’une fois réservé à leurs contempteurs d’éclatants démentis : l’Italie nouvelle, la terre des morts du poète, en est une preuve vivante. Certes la liberté politique est une plante délicate, difficile à acclimater ; malgré toutes les sinistres prédictions, elle a fleuri sans peine au pays de l’oranger : au nom de quelle expérience affirmer qu’elle ne saurait prendre racine dans les neiges du Nord ? La vraie difficulté, c’est de savoir par quels procédés, au prix de quels sacrifices, au bout de combien de temps et d’essais infructueux, on pourra l’implanter.

Assurément l’œuvre ne sera ni aisée, ni de courte haleine ; aussi plus d’un patriote aimerait-il mieux en retarder l’épreuve. Le préjugé national, la honte de paraître imiter autrui vient souvent renforcer à cet égard les répugnances de la sagesse ou de la pusillanimité. « Quand on pourrait nous accorder toutes les libertés du monde sans péril pour nous, pour la civilisation, pour le gouvernement, ce ne serait pas une raison pour qu’à l’instar des peuples d’Occident, la Russie recourût à ces expédients surannés, décorés du nom de constitutions, qui ne sont, après tout, que de menteurs ou précaires compromis. » — Tel est le langage que l’on tient encore parfois en deux camps opposés, mais souvent réunis par leur commune antipathie pour les institutions occidentales. Outre les esprits timides qui, par méfiance du tempérament national ou de la maturité du peuple, n’osent désirer de libertés politiques, il reste, aux deux extrémités de la pensée russe, des hommes qui, par ignorance, par présomption ou par une sorte de chauvinisme, se donnent le genre d’en faire fi. Nous les connaissons : ce sont d’un côté certains radicaux, de l’autre certains conservateurs à tendances slavophiles. Les néo-slavophiles rêvent encore d’une sorte d’union mystique entre le tsar et le peuple, assez semblable à l’union du Christ et de l’Église dans l’enseignement ecclésiastique, ou à l’harmonie préétablie imaginée par Leibniz entre l’âme et le corps[7]. Parmi les radicaux, les plus chimériques, ou les plus inconséquents, persistent à regarder la liberté politique comme un leurre qui détourne les peuples de la grande, de l’unique question, la transformation sociale.

Chose à noter cependant, ce mépris pour les droits politiques, si hautement affiché vers le milieu du règne d’Alexandre II, était, sur la fin, beaucoup moins commun. Ces grands airs contempteurs, qui rappelaient trop parfois la fable le Renard et les Raisins, avaient, dans un camp comme dans l’autre, à gauche surtout, singulièrement perdu de leur vogue. Depuis la guerre de Bulgarie, nationaux et radicaux ont plus d’une fois laissé entendre qu’après tout il y avait des franchises politiques dont la Russie pourrait s’accommoder, et que dans les pays constitutionnels tout n’était pas à dédaigner. N’a-t-on pas vu, au lendemain des échecs de Plevna, les chefs des comités slaves, qui montraient le plus de répugnance pour tout ce qui vient de l’Europe, réclamer plus ou moins ouvertement une réunion des délégués de la nation, qui eût fort ressemblé à nos chambres électives ? Et depuis lors le pouvoir n’a-t-il pas entendu les plus déterminés des révolutionnaires le sommer, à coups de complots et d’explosions, de leur concéder ce gouvernement représentatif si décrié par eux naguère ?

Si tant de Russes ont recommencé à faire fi de la liberté politique, n’est-ce point qu’elle ne leur paraît plus à la portée de leurs mains ? Beaucoup se croient obligés de trouver les raisins trop verts depuis qu’ils désespèrent de les cueillir.

Assurément les adversaires d’un changement de régime ont toute raison quand ils soutiennent qu’on ne saurait par là ramener les révolutionnaires. Pour ces derniers, pour ceux du moins qui méritent ce titre, trop prodigué à Pétersbourg, les libertés légales ne seraient, en Russie, comme partout, qu’une machine de guerre, qu’un instrument de démolition. Mais les révolutionnaires de profession ne seraient pas seuls à profiter des réformes politiques. S’ils y trouvaient de nouveaux moyens d’attaque, l’autorité y pourrait trouver de nouveaux moyens de défense.

Depuis l’ouverture de la longue série des attentats nihilistes, le gouvernement impérial a plus d’une fois adressé un appel solennel à la société, aux classes conservatrices, aux pères de famille, à la noblesse, au peuple, contre les perturbateurs de l’ordre. Près d’une nation légalement muette et inerte, tous ces appels répétés n’ont rencontré qu’un écho mécanique qui renvoyait automatiquement au pouvoir le son de sa propre voix, sans lui communiquer aucune force. Sous le régime en vigueur il n’en saurait être autrement : à toutes ses instances, l’autorité ne pouvait obtenir d’autres réponses que de vides et banales protestations de dévouement, que de pompeuses et insignifiantes adresses officielles. À quoi bon rappeler ce qui s’est passé sous Alexandre II, alors que tous les corps constitués de l’empire, assemblées provinciales, assemblées municipales, assemblées de la noblesse, déposaient aux pieds du souverain, en butte aux plus odieux attentats, le fastueux et inutile témoignage de leur affection ? Comme l’ont respectueusement fait entendre quelques-uns des zemstvos, la société, avec les liens dont elle est chargée, est impuissante à prêter à l’autorité aucun concours efficace. Pour que la nation vienne en aide au tsar, il faut lui en donner les moyens, il faut lui délier les mains, lui ouvrir la bouche.

Et cela n’est possible qu’à l’aide d’institutions permanentes et organiques, qu’avec une participation normale et régulière de la société à la chose publique. L’élargissement même des attributions des assemblées provinciales n’y saurait longtemps suffire. De ces états provinciaux (zemstvos) ou d’ailleurs, il faudrait faire sortir une représentation nationale, car, dans leur dispersion et leur faiblesse actuelle, ces zemtsvos n’en sauraient être qu’une monnaie, dépréciée d’avance.

La liberté, nous tenons à le répéter, ne saurait étouffer l’esprit révolutionnaire ; à certains égards même, elle lui fournirait des armes, mais ce serait pour lui arracher les flèches empoisonnées ou les balles explosibles et y substituer des armes plus loyales : ce serait pour faire succéder à une guerre de sauvages, à une guerre de pièges et de guet-apens, une lutte civilisée, en rasecampagne, où la victoire ne saurait manquer de rester aux troupes les mieux équipées, les plus nombreuses et les mieux conduites.



  1. Cette doctrine, toujours défendue par les néo-slavophiles, a été exposée dans un curieux mémoire, rédigé par le défunt Constantin Aksakof et remis à l’empereur Alexandre II lors de son avènement par la comtesse Bloudof. Ce mémoire confidentiel a été publié, en 1881, dans la Rous de M. Ivan Aksakof, qui présentait le même idéal à l’empereur Alexandre III.
  2. Voyez par exemple Tocqueville : Ancien Régime, liv. III, chap. i.
  3. Livre III, chap. iii et v.
  4. Nicolas Tourguénef, la Russie et les Russes.
  5. Oukraine, oukraïna signifie frontière.
  6. Les aspirations fédéralistes avaient, au commencement du règne d’Alexandre III, un organe attitré dans le Volnoé Slovo de Genève ; elles ont été formulées avec talent par M. Dragomanof : Istoritchtakaïa Polcha t vélikorouêskaïa démocratsia (Genève, 1883). Un peu plus récemment, la Russie souterraine de Slepniak (édit. française, 1886) concluait en affirmant que la révolution ne triompherait que grâce au fédéralisme, par la transformation de l’empire en union d’États autonomes.
  7. C’est ainsi qu’Ivan Aksakof a été autrefois jusqu’à dire qu’en Russie l’entente du souverain et du peuple était d’autant mieux assurée et plus complète qu’elle se passait de garanties légales. Depuis, dans ses dernières années notamment, M. Aksakof a parfois tenu un langage mieux inspiré.