L’Empoisonneuse/1/13

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G. Charpentier (p. 107-119).

XIII

PREUVES ET TÉMOIGNAGES


Malgré l’ignorance des Roqueberrois et le silence des magistrats, les preuves s’accumulaient. Chaque jour apportait la sienne.

Les recherches dans la maison de Sauvetat avaient été fructueuses ; il y avait des découvertes terribles.

Une surtout était particulièrement grave.

M. Drieux avait fouillé tous les recoins de la mystérieuse chambrette, et pour tout butin il avait trouvé quelques lettres de M. de Sauvetat.

En vain ses yeux clairs erraient-ils un peu partout, c’était pour rien ; il n’y avait plus ni meubles ni placards à bouleverser.

Il allait se retirer avec un sentiment de déception à peine contenue, lorsqu’en soulevant une dernière fois, machinalement, les rideaux blancs du lit, il aperçut une petite armoire assez habilement dissimulée dans l’épaisseur de la muraille.

Il l’ouvrit. Elle était vide.

Mais dans le coin le plus reculé, le tuyau d’une cheminée formait avec l’étagère du milieu une excavation étroite et profonde, où la main ne pouvait pas pénétrer.

— De la lumière ! demanda impérieusement le procureur.

On lui présenta une bougie allumée : il ne l’eut pas plutôt introduite dans le placard, qu’il poussa une exclamation de joie. Ses yeux brillaient : il se retourna vers le juge et montra victorieusement un petit flacon.

— Enfin, s’écria-t-il, eurêka ! Vous ne nierez plus maintenant, je suppose ?

Monsieur de Boutin, sans émotion apparente, examina curieusement la bouteille dans laquelle tremblait un liquide clair comme de l’eau de roche. L’étiquette, soigneusement grattée, était illisible.

Le juge enleva le bouchon, et, secouant la fiole à plusieurs reprises, il chercha à reconnaître par l’odeur, la nature de la découverte de M. Drieux : nul parfum ne s’échappait de la bouteille ainsi agitée ; il se décida alors à en faire tomber une goutte sur le bout de son doigt et l’approcha de ses lèvres.

Le goût était sucré et âpre en même temps.

Le procureur suivait anxieusement chacun des mouvements du juge.

— Eh bien ! dit-il triomphant, lorsque M. de Boutin lui remit la fiole, commencez-vous à être convaincu ?

— Pas le moins du monde, répondit l’autre sans hésiter ; la présence de ce liquide dans le placard ne vous dit pas la main qui l’y a caché. Et puis, si c’est du poison, quel est le pharmacien capable d’en délivrer une quantité aussi considérable sans ordonnance ?

— Vous demanderez cela à la prévenue, repartit M. Drieux.

Et sa voix légèrement métallique tremblait sous les effluves d’un bonheur infini.

Le soir même, le liquide confié aux chimistes, fut reconnu pour être de l’acétate de plomb tout pur.

Le lendemain, les deux magistrats se rendirent à la prison.

— Nous venons de découvrir une charge terrible contre vous, Mademoiselle, commença M. de Boutin.

— Rien qu’une ? interrogea-t-elle avec son mystérieux sourire ; cela m’étonne.

— Voudriez-vous répondre à une question que je dois vous poser ?

— Si je le puis, certainement.

— Combien y a-t-il de temps que n’avez quitté Roqueberre ?

Elle réfléchit un instant et répondit :

— Plus de six mois.

— Ah ! vous me le jurez ?

— Positivement, madame de Sauvetat du reste peut vous l’affirmer aussi.

— C’est étrange murmura-t-il.

— Vous n’avez pas éprouvé d’indispositions même légères depuis longtemps ?

— Aucune.

Lentement, le juge sortit de sa poche la fiole presque vide.

Elle poussa un cri et devint pâle comme une morte.

— Où avez-vous trouvé cela ? s’écria-t-elle. Dites, répondez…

— Dans le placard de votre chambre, caché dans une excavation presque invisible.

— Dans le placard !… répétait-elle.

Son regard devint fixe et préoccupé, on aurait dit qu’elle cherchait à pénétrer un mystère qui l’effrayait.

Au bout d’un instant, ses traits se détendirent.

— C’était dans ma chambre ? interrogea-t-elle de nouveau. Ah ! je sais ! dans le placard qui est contre mon lit, n’est-ce pas ?

Le juge fit un signe affirmatif.

— J’aurais dû m’en douter, murmura-t-elle tout bas ; j’avais l’habitude d’y laisser mes clefs.

M. Drieux l’entendit.

— Ne le regrettez pas, Mademoiselle, nous l’aurions fait ouvrir, nous en avions le droit.

Un sourire mystérieux erra sur ses lèvres, mais elle se contenta de hausser les épaules.

— Voulez-vous me jurer, Mademoiselle, demanda M. de Boutin, que non-seulement vous n’avez pas acheté cet extrait de saturne, mais encore qu’il n’a pas été déposé par vous où nous l’avons trouvé ?

Sa voix était presque suppliante.

Marianne fixa ses grands yeux sur lui ; quelque chose d’humide et d’attendri mouilla son regard, mais elle ne répondit pas.

— Faut-il le dire, continua l’austère magistrat espérant l’ébranler, je suis persuadé qu’une main étrangère a porté dans votre chambre cette preuve accablante pour vous. Mais pour émettre cette conviction, il me faut au moins une dénégation de votre part. Me refuserez-vous donc toujours de dire la vérité ?

M. Drieux, hors de lui, intervint.

— Mais c’est insensé ce que vous faites là ! s’écria-t-il ; c’est un véritable système que vous lui enseignez !

Vous ne comprenez donc pas que ce mystère dont elle s’entoure, ce silence, ces réponses évasives, tout cela n’est que de l’habileté ? Par tous les moyens possibles, elle cherche à faire naître en nous la crainte d’une erreur, détourner nos soupçons, à éveiller les appréhensions de la justice, et vous la poussez encore dans cette voie !

Marianne avait baissé la tête, sa physionomie impassible ne protestait pas.

M. de Boutin, découragé et désespéré, sortit de la prison avec le procureur.

Le lendemain commencèrent les dépositions des divers témoins et leur confrontation avec Marianne.

Ce fut d’abord madame de Sauvetat, puis Étienne Delorme, le médecin, Annon, la vieille garde-malade, et enfin, à titre de renseignements officieux, les domestiques et Cadette, la nourrice de Marguerite.

Au milieu de ces témoignages plus ou moins exacts, des commentaires plus ou moins exaspérants que dut écouter Marianne, et que M. Drieux lui répétait à chacune de ses entrevues, sa froideur ne se démentit pas un instant ; elle avait l’air de ne pas entendre ; on l’aurait crue de marbre.

La dernière déposition fut particulièrement écrasante par le caractère de naïve simplicité qu’elle avait revêtu. Cadette, ancienne femme de chambre de madame d’Auvray, et plus tard nourrice de Marguerite, n’avait jamais caché la profonde affection qu’elle ressentait pour la prévenue.

Depuis son arrestation, Cadette avait tenté l’impossible pour la revoir et, dans son ignorante tendresse, avait fait bien des démarches pour aller la servir en prison.

Son témoignage n’était donc pas suspect.

Elle affirmait avoir vu Marianne laver elle-même, avec un soin extrême, le parquet de la chambre du malade, chaque fois que celui-ci était pris de vomissements spontanés, surtout dans les derniers jours de la maladie.

— Une seule fois, dit-elle, j’ai voulu éviter à mademoiselle cette corvée des plus répugnantes, mais elle m’a brusquement repoussée et s’est presque mise en colère.

— Mademoiselle témoignait-elle de l’affection à M. de Sauvetat, demanda le procureur ; était-elle avec lui caressante et empressée ?

— Oh ! pour cela, oui, Monsieur ; et je le sais même mieux que personne, car une nuit que je l’aidais à soigner le malade, mademoiselle me croyant endormie parce que j’avais les yeux à demi fermés, s’est approchée du lit ; elle a pris la main du pauvre monsieur et a déposé plusieurs baisers sur son front et ses joues. Alors monsieur lui a parlé, mais trop bas, je n’entendais pas ; il me semblait seulement qu’il lui parlait de notre fille, la petiote. Mademoiselle est restée un grand moment à essuyer son visage et ses cheveux ; enfin elle a répondu à monsieur en l’appelant Lucien, qui était le nom du pauvre défunt, et même elle l’a tutoyé.

Le procureur tressaillit à ces derniers mots :

— Vous êtes sûre de ce détail ? insista-t-il la voix anxieuse.

— Oh ! Monsieur, fit l’excellente femme en s’essuyant les yeux, mademoiselle le tutoyait presque toujours quand ils étaient seuls. C’est si naturel ! Je tutoie bien Marguerite, moi, et mademoiselle était si petite quand elle a connu monsieur.

Mais M. Drieux n’avait que faire des commentaires de la nourrice.

— Vous souvenez-vous des paroles de la prévenue, lorsqu’elle tutoyait la victime ?

— Oh ! oui, Monsieur ; mademoiselle était penchée sur le lit, monsieur se plaignait presque tout haut.

« Ah ! Marianne, disait-il, que je souffre ! ne t’éloigne pas, reste auprès de moi ; que deviendrais-je sans toi ? Quand je ne te vois pas, il me semble que mes souffrances augmentent. »

Mademoiselle pleurait à chaudes larmes…

— Qu’a-t-elle répondu ? interrompit le procureur qui grillait.

— Courage, cher bien-aimé, cela se passera peut-être à force de soins ; je ne te quitterai jamais ni nuit ni jour, et tout ce que je t’ai juré de faire je le ferai. Tu sais comment je tiens mes serments, n’est-ce pas ? Mais toi, pense à Marguerite, sois fort ; tout bonheur n’est pas perdu pour nous.

Cadette s’arrêta émue à ce souvenir.

— Après ? insista encore M. Drieux ; dites le reste, j’écoute.

— J’ai ouvert les yeux alors, Monsieur, pour les essuyer et pour me moucher, car les sanglots m’étouffaient. Mademoiselle a cru que je me réveillais, elle s’est éloignée du lit et n’a plus rien dit.

De grosses larmes avaient roulé, pendant ce récit, sur les joues pâles de Marianne.

— Le témoignage de cette femme est-il vrai, Mademoiselle ? demanda M. de Boutin, et la scène qu’elle raconte s’est-elle passée ainsi ?

— Parfaitement. Elle n’a rien oublié, tout est scrupuleusement exact.

M. Drieux regarda le juge avec un sourire de triomphe.

— Pouvez-vous me dire, poursuivit-il, quelles sont les promesses que vous avez faites à M. de Sauvetat ?

— De veiller sur sa fille, de l’aimer comme je l’ai toujours fait, de l’entourer de soins et de tendresses, de lui donner ma vie, s’il le fallait.

— Et c’est pour mieux la protéger que vous avez tué son père ? interrogea M. Drieux à brûle-pourpoint.

La jeune fille resta muette.

Le procureur continua :

— Mais expliquez-vous donc sur vos relations avec M. de Sauvetat ! Et si vous le pouvez, dites-nous comment elles étaient innocentes et loyales, avec tant d’apparences de mensonge et de tromperie ?

Les mains de Marianne, croisées sur ses genoux, tremblèrent légèrement, sa bouche se contracta involontairement, mais ce fut tout ; elle ne répondit pas.

Le procureur eut un mouvement de colère.

Il était irrité de ce silence obstiné, sous lequel il sentait bien que la prévenue lui rendait en mépris l’acharnement dont il faisait preuve.

— Allons donc, fit-il, vous croyez nous en imposer, vous vous trompez. Vous avez beau vous taire, ces relations apparaissent claires et précises, et elles expliquent parfaitement le mobile de votre crime.

Il est évident qu’après vous avoir recueillie et élevée, M. de Sauvetat n’a pas su résister à la tentation que lui offraient votre jeunesse et votre beauté. A-t-il abusé de votre inexpérience, ou bien est-ce vous qui l’avez provoqué ?… Nous le saurons évidemment plus tard.

En attendant, madame de Sauvetat, malgré son héroïque bonté, a, dans ses hésitations et ses réticences, laissé échapper bien des aveux involontaires, qui sont pour nous de précieuses données.

À ces mots, l’œil de la prévenue s’alluma, et quelque chose comme un accès de rage et de colère concentrée, mais terrible, vint crisper ses traits.

Elle ouvrit la bouche…

M. de Boutin, anxieux, fit un pas en avant.

Marianne hésita. Une fois de plus, son implacable volonté eut raison de la folie que faisait naître en elle le souvenir de Blanche.

Le procureur ne vit pas ou ne voulut pas voir ce jeu rapide de physionomie, car il continua, toujours sur le même ton :

— De votre côté, vous avez sans aucun doute, simulé la passion et l’amour, jusqu’au jour où, par vos habituelles manœuvres, votre avenir a été relativement assuré !

Marianne se taisait toujours.

— Vous ne répondez pas, continua M. Drieux, mais la justice se passera de vos aveux. Les faits lui suffisent. Elle verra dans votre mariage avec Jacques Descat un but assez tentant pour que vous ayez essayé de l’atteindre. Du reste, ceux qui vous jugeront sauront reconnaître dans votre silence et votre embarras la plus éloquente des confessions.

Ces tristes scènes avaient lieu presque journellement, car l’instruction suivait son cours, et chaque heure nouvelle apportait à l’ardent procureur, sinon une preuve palpable de la culpabilité de Marianne, du moins mille et un détails qui, à son avis, devaient asseoir la conviction des jurés tout aussi bien que des faits évidents.

En ville, l’opinion se passionnait de plus en plus pour madame de Sauvetat et se retournait contre Marianne.

Le rapport des experts, seul, n’arrivait pas ; mais M. Despax n’avait pu se taire, et quoique les expériences fussent loin d’être terminées, tout le monde savait que le poison existait.

Et pourtant, malgré toutes ces certitudes, malgré toutes ces victoires apparentes, M. Drieux n’était pas complètement tranquille.

L’opiniâtreté persistante de M. de Boutin l’exaspérait.

Il s’était juré de le convaincre, car il ne voulait pas au dernier moment que cette opinion contraire se dressât devant lui ainsi qu’une pierre d’achoppement. Le juge avait, comme personnalité et surtout comme honorabilité, une situation avec laquelle, dans le pays, on avait l’habitude de compter.

— Mais enfin, lui dit-il un jour, toute influence de parti pris ou de connaissances ultérieures mise de côté, quelles objections avez-vous encore à me faire en faveur de cette prévenue si évidemment coupable ?

— Son attitude, qui n’est pas naturelle. Elle ne se défend pas, elle ne proteste pas, elle parle à peine, et, dans son grand œil profond et honnête, j’ai beau fouiller, je ne lis que des choses droites et nobles, je ne sais voir en elle rien de faux ou de lâche.

Le front de M. Drieux se dérida comme si une lueur subite eût éclairé pour lui des abîmes inconnus.

— Ah ! ah !… s’écria-t-il par deux fois et avec un rire satisfait, voilà que je devine !… Avouez, mon cher Caton, continua-t-il d’un air fin, qu’elle vous a fait une certaine impression, notre belle criminelle ?

Et comme la physionomie du juge, colorée d’une rougeur subite, devenait sévère et froide :

— Oh ! reprit M. Drieux, ne vous fâchez pas, car il n’y a rien d’étonnant à ma supposition. C’est qu’elle est singulièrement irrésistible, cette fille pâle, aux yeux noirs comme la nuit, à la taille plus souple que les lianes d’Amérique, et qui nous arrive au parquet entre deux gendarmes du même pas que devaient avoir les déesses lorsqu’elles marchaient dans les nues.

Je ne sais pourquoi, lorsque je la vois apparaître hautaine et fière, triste et résolue, je pense malgré moi à cette jeune reine de Saba, qui traversait les déserts pour s’en aller porter ses présents à Salomon.

M. de Boutin profondément absorbé n’écoutait pas.

— Avez-vous retrouvé le pharmacien qui a vendu l’acétate de plomb ? demanda-t-il au bout de quelques minutes.

— Mais M. Loze, probablement ! C’était celui de la famille.

— Je l’ai interrogé, il ne s’en souvient pas, et nulle mention n’est faite chez lui sur le registre où doivent s’inscrire les poisons vendus.

— C’est une négligence de ses commis qui sont tous les deux très jeunes. Celui qui l’a livré n’ose l’avouer de peur d’être grondé et même renvoyé.

— Non, non, insista M. de Boutin, ce n’est pas possible. Ou l’on a renouvelé les achats d’extrait de saturne souvent, et dans ce cas les uns ou les autres devraient se souvenir au moins d’une livraison ; ou bien la dose a été prise à la fois, et je me demande quel est le pharmacien capable de délivrer une telle quantité sans ordonnance.

À qui surtout l’a-t-on vendu ? Est-ce à Marianne ?

Est-ce à une autre ?… De quel prétexte s’est-on servi pour l’avoir ?

— Vous n’y êtes pas, mon cher juge ; il est évident qu’il n’y a pas eu de prétexte, car Étienne Delorme se rappellerait bien si quelque personne de la famille a été malade.

Il est bien plus naturel de penser que M. de Sauvetat, dans ses voyages fréquents à Bordeaux ou à Paris, se sera procuré quelque forte dose d’acétate de plomb pour ses expériences agricoles. Marianne, pour laquelle ce dernier n’avait pas de secrets, connaissait l’existence de ce poison, l’endroit où il était déposé, et… elle s’en est servie.

M. de Boutin hocha tristement la tête.

— Je suis extrêmement malheureux, dit-il ; je trouve cette affaire obscure au dernier point.

— Cependant il y a du poison, vous le savez. Le rapport n’est pas déposé, mais M. Despax l’a dit tout haut, et M. Gaste nous l’a certifié tout bas, sans cela l’instruction n’aurait pas eu lieu.

M. de Boutin semblait en proie à une lutte intérieure des plus douloureuses.

Il voulait parler ; peut-être formuler nettement une autre accusation, ou prononcer un autre nom. Il n’osa pas.

— Adieu, dit-il au procureur, je vais encore étudier l’affaire ; car vraiment n’ai jamais senti ma conscience protester et se révolter comme aujourd’hui.

Au revoir, répondit M. Drieux ; allez et essayez de la sauver, je ne demande pas mieux si c’est possible.

— Ce n’est pas moi qui la sauverai, dit le juge d’une voix presque indistincte et comme se parlant à lui-même ; ce n’est pas moi, mais ce sera celui que j’attends.

Enfin, les experts déposèrent leur rapport au parquet. Comme les magistrats s’y attendaient, ce rapport déclarait que M. de Sauvetat était mort empoisonné.

Le plomb avait été administré en quantités telles que la circulation l’avait apporté jusque dans les extrémités les plus reculées du corps et en avait saturé chaque organe.

Cette fois, le triomphe de M. Drieux était complet.

— Eh bien ! dit-il à M. de Boutin, vous n’avez même pas la dernière ressource de croire que le crime a été le résultat d’un accident ou d’une méprise ?

Vous avez entendu M. Gaste, le rapport est sous vos yeux ; vous savez à quoi vous en tenir sur les doses administrées ; pensez-vous que pour mener à bien une si horrible tâche, il n’a pas fallu veiller la nuit et le jour, le matin et le soir, sourire en versant la mort, avoir enfin un but qui vous rende impitoyable ?

Il riait et montrait malgré lui ses dents aiguës.

Le juge était pâle comme sa cravate de batiste.

— Je m’attendais à ce résultat, dit-il ; mais tout n’est peut-être pas perdu encore ; qui vous assure qu’elle ne voudra pas parler ?

— Qui m’assure ?… répondit le procureur avec son sourire fin ; c’est que vouloir n’est pas toujours pouvoir.

Et au plus profond de soi-même il ajouta :

— À présent, malgré vous, M. de Boutin, l’affaire est sûre, et… mon mariage aussi.