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L’Enclos du Rêve/Vieux

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Alphonse Lemerre (p. 77-80).

VIEUX

Autour de l’âtre, en rond, les vieux se sont assis.
Le feu pétille et flambe clair ; le coucou chante,
Et chaque vieille a pris la quenouille penchante,
Et de ses doigts tremblants tourne l’écheveau gris.
Les hommes, poings noués sur le bâton de hêtre,
Fixent la flamme bleue et leur cœur se souvient,
Et leur regard s’anime à la chaleur qui vient,
Dont la douceur les enveloppe et les pénètre.
Chaque vieille à son tour arrête le fuseau
Virant péniblement au bout des mains débiles ;
Et pour rendre leurs doigts engourdis plus agiles,
Dans un geste apeuré comme un envol d’oiseau,
Vers le foyer une seconde les repose.


Les hommes ont parlé des futures moissons
Et du proche printemps dont tardent les frissons,
Des vents rôdeurs sifflant à la fenêtre close.
Puis ils ont dit, ainsi qu’ils disent tous les soirs,
Que vraiment en hiver, quand il vente et qu’il gèle,
On est mieux d’être assis auprès de la chandelle
Que de chercher un gite au creux des chemins noirs.

Les femmes à présent se content des légendes,
Où des gars de vingt ans terrassent des dragons,
Où des sorciers, jeteurs de sorts, laids et bougons,
Agitent des tisons enflammés dans les brandes.

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Mais le coucou déjà sonne l’heure tardive,
Et les hommes, debout, commandent : « Faut partir.
Allons, femmes, allons ! c’est assez discourir :
Si nous passons trop tard et qu’un follet nous suive,
Vous en mourrez de peur, la Jeanne et la Fanchon. »
Et les femmes ont mis la mante à capuchon,
Alourdissant encor leur échine qui penche.

Au dehors l’air est vif, la terre est toute blanche.
Mais ils sont durs au froid et solides, les vieux.


Par les étroits sentiers ils s’en vont tout joyeux ;
Bientôt ils ne sont plus qu’une ombre qui s’efface,
Et jusqu’au seuil usé de leur chaumine basse,
Ils devisent gaîment, répétant à grand bruit :
« À demain.
« À demain— À demain.
« À demain— A demain.— Bonne nuit.
« À demain.— A demain.— Bonne nuit— Bonne nuit. »

Quand les premiers rayons qui dorent les cabanes
Crèveront aux rameaux les bourgeons des platanes,
Sur la placette où bifurquent plusieurs chemins,
Ils reviendront, les vieux. Les vieilles en leurs mains
Tiendront toujours le fil de leurs quenouilles grises,
Et sur un tronc d’ormeau séché, toutes assises,
Deviseront encor de contes fabuleux,
Les hommes, le bâton sous leurs gros doigts calleux,
Parleront du blé vert des dernières semailles.

Et ce seront, dans cette paix, les accordailles
Des tendresses d’Avril et de leurs corps flétris,
Le renouveau posant dans ces vieux tout meurtris,
Comme une pâle fleur des regains de la vie.
Et bien qu’ils aient souffert à la pente gravie,


Qu’ils aient pleuré, qu’ils aient gémi sur les chemins,
Les vieux ont le désir puissant des lendemains,

Des longues siestes aux portes ensoleillées
Et des feux clairs pétillant haut dans les veillées.